Saint-Genès ou la vie brève - Roland Cailleux
lundi 2 mai 2011 par penvins

S’il y a des auteurs qui sont encore à découvrir Roland Cailleux est sans doute de ceux-là, et Saint-Genès son premier roman qui vient d’être réédité chez Le Dilettante, une petite merveille de style tout à fait hors du commun. A cette réédition a été ajouté un chapitre inédit dans lequel l’auteur se fait le critique de son œuvre, c’est sans doute par ce dernier chapitre qu’il faut commencer de lire le livre pour en savourer l’originalité. Le roman paraît en 1943, roman d’apprentissage dira-t-on, salué par de nombreux écrivains parmi lesquels Maurice Blanchot et Julien Gracq, le style en est apparemment classique et cependant il y a un ton Cailleux à la fois très daté et très en avance sur son époque que j’avais entendu dans ‘Une Lecture’ et que j’ai tout de suite reconnu ici.

Dans ce premier roman Roland Cailleux fait ses gammes, il balaie tous les possibles dans l’art du récit. Ainsi, à chaque chapitre, il se propose – sur les conseils de Gide dit-il – de repartir de zéro. Et le texte tient ! Après les premières pages, dont Julien Gracq dit qu’elles lui parurent se soucier peu d’accrocher l’attention, on est pris par le style, le ton si particulier de Cailleux ce monologue intérieur tout à fait nouveau et qu’il décline à toutes les personnes, tantôt « il », tantôt « je », tantôt « tu » - comme s’adressant à lui-même - jusqu’à un très étonnant « on ». Sur le mode narratif, à travers des poèmes ou une correspondance à trois il explore la langue dans toute sa richesse comme s’il voulait sortir d’un carcan, d’une langue qui s’endormait.

Si je vous dis qu’il [Saint-Genès] est libraire, qu’il a aimé une jeune femme, qu’elle est morte, et qu’il reste avec un enfant naturel, vous serez bien avancé, ainsi Roland Cailleux décrit-il son roman et de fait l’intrigue peut se résumer à cette petite phrase, c’est dire le talent de l’auteur qui réussit à nous intéresser tout au long de ce qu’il appelle lui-même une Somme. Sans doute l’ambition de l’auteur était-elle un peu démesurée, il en convient lui-même et démontre ainsi avec autodérision qu’il n’est pas dupe, Gracq semble lui reprocher le lent démarrage du récit, Blanchot parle d’expérimentation littéraire mais tous les deux s’accordent à trouver sa tentative réussie : Le caractère commun à tous ces morceaux est la perfection qu’on y trouve écrit Blanchot.

La moindre pudeur consisterait à faire ses gammes loin du public, fait dire Roland Cailleux à son héros dans le chapitre qui nous est livré aujourd’hui ! Et pourtant il s’est trouvé un éditeur (Mercure de France) pour publier Saint-Genès en 1943 c’est dire à la fois la maturité du lectorat qui a semble-t-il accueilli très favorablement ce roman et la grande qualité du texte. Son écriture qui au premier abord parait classique lui aura sans doute valu de disparaître avec la seconde guerre mondiale et la naissance du nouveau roman dont il aurait pu cependant figurer parmi les éclaireurs, tout au moins en ce qui concerne la forme, parce que Cailleux est et restera du côté de l’humanisme, valeur qui aura bientôt perdu de son crédit sur le marché romanesque. C’est bien entendu ce qui le rend aujourd’hui formidablement intéressant et fait de ce livre à la fois un témoignage d’une littérature disparue, ou pour le moins devenue marginale et une sorte de pont entre celle d’avant-guerre et celle qui pourrait voir le jour après plusieurs décennies d’errance. Remercions le dilettante d’avoir ouvert la voie à cette redécouverte d’un texte comme on n’en ose plus.



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