Arts-sur-techniques
dimanche 12 juin 2005 par Yvette Reynaud-Kherlakian

M’agace ce reproche que l’on fait aux techniques de reproduction de la peinture ou de la sculpture de dénaturer l’œuvre originale. Et l’adoucir en disant qu’une bonne photo vaut mieux qu’une mauvaise copie ne suffit pas. Toutes les techniques de l’image et au service de l’image peuvent être révélatrices d’une œuvre. C’est après avoir vu un court métrage qui explorait le bassin de Latone (jardins de Versailles) dans tous ses états - variations de l’angle de vision, de la distance, de la lumière - que m’a été révélée la beauté de certaines statues où l’artiste saisit l’instant de la métamorphose : dans ce qui n’est presque plus un visage de femme, un mufle va surgir de la béance du cri ; un bras encore doucement charnu se rétracte en patte ; une carapace naissante déchire un vêtement... C’est de la même façon que j’ai appris à regarder la porte de l’Enfer de Rodin ou la petite cuillère égyptienne taillée selon l’étirement délicat d’un corps de nageuse.

la nageuse
petite cuillère égyptienne

C’est que l’œuvre d’art ne nous est pas donnée comme objet définitif et complet -et dans sa texture matérielle et dans sa signification. Et il ne s’agit pas seulement du temps qui modifie les couleurs, craquelle la toile, émousse les reliefs mais, à chaque regard, d’une recomposition -à partir de l’espace du corps - de l’espace de l’œuvre. Nous admettons volontiers que l’œuvre d’un grand artiste est bien plus - voire bien mieux - que la réalisation de ses intentions. Accordons aux héritiers que nous sommes le droit de ne pas être esclaves du temps historique - et pourtant mythique - de la création. L’église roumaine de Voronet était à l’origine située dans l’enclos d’un monastère. En détruisant le mur d’enceinte, le temps avait placé dans un face à face qui les exaltait réciproquement, la levée terrestre d’une sombre sapinière et l’ample déroulement bleu, rouge et or d’un Jugement dernier irréfutable. Las ! la rigueur historique a rétabli le mur d’enceinte. Le Jugement dernier est toujours beau mais, privé de son vis-à-vis, la colline au pelage vert d’une densité tout animale, il est peut-être moins irréfutable...

Les héritiers ont certes à préserver l’intégrité matérielle de l’œuvre mais ils ont aussi à la servir avec tout ce qui peut la magnifier. Le pont, la route, tels que Nicolas de Staël les a peints, n’avaient peut-être pas l’intensité lumineuse que leur donne l’éclairage de l’exposition, lequel - sans doute en accusant l’épaisseur mousseuse des blancs et la densité des noirs - fait de leur juxtaposition un approfondissement vertigineux de l’espace.

Nicolas de Staël : Pont

La musique est servie par le talent des instrumentistes. Les techniciens de l’image, de la lumière sont aujourd’hui les instrumentistes qui font vibrer le tableau ou la statue.

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