Négrophobie

Boubacar Boris Diop, Odile Tobner, François-Xavier Verschave, Les arènes, 2005

dimanche 4 septembre 2005 par Alice Granger

Pour réagir à « Négrologie », livre best-seller de Stephen Smith, rédacteur en chef des pages sur l’Afrique au journal « Le Monde » après l’avoir été à « Libération », qui n’a fait l’objet d’aucune critique négative dans la presse française lors de sa publication, unanimité curieuse, Boubacar Boris Diop, romancier et essayiste directeur de publication au « Matin » de Dakar, Odile Tobner, qui fut compagne de l’écrivain Mongo Beti et écrit dans la revue « Peuples noirs, Peuples africains », François-Xavier Verschave président de l’association Survie et auteur de « La Françafrique » et de « Noir silence » se sont associés pour écrire « Négrophobie ». C’est de l’étranger que sont venues les seules protestations contre ce best-seller. Tellement, dénoncent nos auteurs, le discours apocalyptique, méprisant et raciste de Stephen Smith est en phase avec ce que la société française, désinformée depuis longtemps, a envie d’entendre sur l’Afrique.

Tout ce qu’a écrit depuis dix ans Stephen Smith donne à nos trois auteurs l’impression qu’il est un fer de lance ou une avant-garde, non pas un irrégulier ou un électron libre, tellement il utilise dans ses articles tous les slogans et les occultations initiés par la propagande militaro-françafricaine. Cependant, difficile de savoir avec qui Stephen Smith est en osmose, car l’accès à certaines arrière-cuisines du journalisme français est interdit...Verschave souligne à quel point la Françafrique (terme qui désigne la face immergée des relations franco-africaines, à partir de 1960, date à laquelle De Gaulle accorde l’indépendance aux colonies d’Afrique noire, tandis que la face émergée de cet iceberg est une face immaculée, la France meilleure amie de l’Afrique, de son développement et de la démocratie. Françafrique s’entend aussi, bien sûr, « France à fric ») est foncièrement raciste et a besoin, pour perdurer, d’une propagande très élaborée et relayée dans les médias dominants, d’où le fer de lance Stephen Smith.

Le racisme, donc.

Lisons Stephen Smith, dans « Négrologie » : « L’Afrique est un paradis naturel de la cruauté...Des Africains se massacrent en masse, voire - qu’on nous pardonne ! - se ‘bouffent’ entre eux ...ils sont habités par un refus d’entrer dans la modernité autrement qu’en passager(s) clandestin (s) ou en consommateur(s) vivant aux crochets du reste du monde...Si 6 millions d’Israéliens pouvaient, par un échange standard démographique, prendre la place des Tchadiens, à peine plus nombreux, le Tibesti fleurirait... »

L’éditeur de « Négrophobie », dans son avertissement, réagit : « Mais il faut cacher ce que le citoyen français ne saurait voir : les conséquences de quarante ans d’opposants assassinés, de dictateurs choisis et promus par l’Elysée, d’officines, d’affairisme, de « guerre révolutionnaire » et de propagande d’Etat...Il ne reste plus qu’à ressortir le poison du racisme et à transformer la représentation de tout un continent en pandémonium. »

Odile Tobner, dans son chapitre « Peau noire, discours blanc », examine les dix chapitres de « Négrologie ». D’abord la population africaine : soit la surpopulation, soit la dépopulation par le sida. Toujours trop nombreux, les Africains, même décimés...Ils peuvent mourir par millions, il y en aura toujours de trop. Puis, le désastre écologique : Odile Tobner écrit qu’ils sont tous liés à l’économie de traite qui caractérise encore le continent du fait de son exploitation par l’étranger et non au mode de vie des habitants. Pourtant, Smith écrit : « A cette paupérisation s’ajoute une dégradation certaine de l’environnement des citadins : de plus ils vivent dans des taudis, d’où l’insalubrité. Le sol, l’air et l’eau sont pollués ». La pollution liée à la présence humaine serait-elle supérieure à celle liée à l’hyperconsommation, dont la pauvreté préserve l’Afrique ? L’Afrique n’est pas pauvre en eau, elle pourrait en donner au reste du monde, elle manque seulement de moyens de puisage. Puis, le bois. Il manquerait parce que les Africains cuisinent au bois, selon Stephen Smith...Mais pas un mot de sa part sur ce que le monde développé arrache comme bois à l’Afrique, ce scandale du pillage gigantesque du bois d’œuvre, l’anéantissement des espèces précieuses, la mafia du bois en Afrique est capable de contourner tous les interdits, des forestiers sauvages étrangers à cette Afrique la ravagent. Puis Odile Tobner, à propos de sida, s’étonne : pourquoi Stephen Smith écrit-il, « la transmission virale du singe à l’homme noir », au lieu d’écrire « la transmission virale du singe à l’homme en Afrique » ? Et oui, cela change tout...Pour Lui, si l’Afrique n’est pas pauvre, ce sont les Africains qui sont de pauvres gens. « ...la pauvreté de potentialités et de capacités... » Or, rétorque Odile Tobner, « tout Africain qui a voulu s’émanciper, d’une façon ou d’une autre, a été tué ou neutralisé », et la liste est longue :Boganda, Olympio, Um Nyobé, Sankara, Tchundjang Pouémi, etc...Pour Stephen Smith, l’Etat africain n’est pas assez civilisé pour imposer aux gouvernants la distinction entre leur revenu privé et la recette publique. Odile Tobner réagit : « L’Etat postcolonial en Afrique francophone a été entièrement fabriqué par l’ex-colonisateur : choix des hommes suivant leur allégeance au colonisateur, rédaction des Constitutions sur mesure, constamment adaptées aux besoins du pouvoir en place...supprimer tous ceux qui, en Afrique, avaient l’étoffe d’hommes d’Etat véritables....Ces pantins étaient intouchables. Les livres qui dénonçaient le fonctionnement des pouvoirs africains furent interdits en France. » (Furent interdits « Main basse sur le Cameroun » de Mongo Beti, « L’Ascension de Mobutu », de Jules Chomé avocat belge). Odile Tobner poursuit : « La première génération de cadres supérieurs africains n’eut le choix qu’entre le ralliement, la soumission d’une part, et l’exil, la prison, la mort d’autre part....Tous les Africains non conformes, c’est-à-dire indociles, ayant été écartés, la voie était libre pour la trinité véritablement dirigeante : organisations internationales, coopération, ONG, qui mettent en place une « administration parallèle » ». Puis la question de l’esclavage. La vérité occultée, pas seulement par Stephen Smith, c’est que rien n’est comparable à la traite atlantique, pas même la traite arabo-musulmane. Selon Stephen Smith, à propos d’Africains que l’école coloniale aurait tirés de l’analphabétisme, ils ne sont pas en retard parce qu’ils sont passés par le joug colonial, mais l’inverse, « ils ont été conquis si aisément, parce qu’ils étaient sous-développés. ». Pas besoin de se demander ce que les Occidentaux venaient faire là...comme on se demanderait ce que venaient faire les Allemands chez nous...Stephen Smith « désigne l’Afrique comme ‘le continent de l’entropie, la tendance naturelle vers la dislocation de tout ordre structuré’ ». Odile Tobner rétorque que l’Afrique n’a connu depuis des siècles que la déstruturation, par la traite, par la colonisation, par la fausse décolonisation, alors il n’y a plus rien à disloquer en Afrique...Pourtant, danger pour l’Occident...les Africains en auront peut-être assez, un jour, d’être opprimés, humiliés, pillés...Puis, à propos des aides, comment se fait-il que les puissances financières commettent de telles erreurs, cette inutilité de l’aide aux pays d’Afrique, inutilité soulignée par Smith ? En réalité, les puissances financières ne se trompent pas, il faut injecter juste ce qu’il faut d’argent pour éviter l’explosion sociale ou ethnique...Et, par exemple, le Cameroun n’est pas un pays pauvre, sa pauvreté est le résultat de quarante ans de pillage par le pouvoir en place, grand ami de la France. Mettre fin au pillage ruinerait trop de copains noirs ou blancs...Comme dit Baudelaire, faire à la fois la charité et une bonne affaire...C’est lorsqu’il parle de la violence en Afrique que Stephen Smith révolte le plus nos auteurs. « Mais non, Stephen Smith ne traite pas de la violence en Afrique, il traite de la violence africaine, comme si elle était spécifique et particulièrement barbare ». Or, nos auteurs nous démontrent bien qu’il s’agit de violence en Afrique, non pas de violence africaine, où ils se boufferaient entre eux, au contraire, ils sont bouffés par l’étranger. Qui veut continuer à y trouver, avidement, des profits, à partir des matières premières, des minerais, du bois, du pétrole. Odile Tobner parle de tant d’autres choses, du communisme, des religions, de la démocratie, du révisionnisme de Smith, de Senghor etc... Il faut aller la lire. Ce qui l’étonne peut-être le plus c’est que : « Dans le fond, il importe peu que Stephen Smith soit négationniste et fier de l’être. Ce qui devrait alerter et mobiliser l’opinion africaine, c’est la diffusion de plus en plus large de telles idées dans les milieux intellectuels occidentaux. » On pourrait dire que l’argent et les profits comme chose dominante paralysent la pensée, la pensée critique. Tout est admis, si la seule chose qui compte, dans l’inconscient occidental, c’est de remplir l’enveloppe. Et tout les moyens sont bons, dans cette logique là. Ceux qui y réussissent sont d’une autre race...La race forte est en réalité la race qui veut rester dans un tout baigne fœtal, qui pille l’Afrique comme si c’était un placenta sur lequel se brancher de manière fondamentalement parasitaire et sans gêne...Le livre de nos trois auteurs ne viserait-il pas à couper le cordon ombilical pour vider du ventre africain exsangue des fœtus attardés parasites avides incapables de s’admettre sans enveloppe et voyant des richesses à portée de mains. Livre comme la violence de l’accouchement... tandis que celui de Stephen Smith chercherait à éterniser une grossesse sans prendre garde que le placenta lui-même s’épuise...qu’il y a une intolérance véritablement immunitaire en sourdine, violente, pour mettre dehors ces corps antigéniques parasites qui s’attardent trop...Un beau jour il s’agit de naître. L’Occident devrait réfléchir sur son histoire...

Mais cet essai de Smith est si éloigné de la vie réelle sur le continent africain. Le pauvre Africain peut se révolter, il a encore des ressources...par-delà le pillage...Boubacar Boris Diop recommande même aux Africains de lire un tel essai : « Il est en effet suicidaire de continuer à ignorer une certaine littérature racialisante très en vogue en Europe. Elle accompagne sur le Vieux continent un regain de xénophobie qui se traduit par les scores électoraux que l’on sait en faveur de formations politiques fascisante. » Des livres de ce genre ne préparent pas les futures générations à vivre dans l’harmonie, aucun échange humain digne de ce nom n’est concevable à partir de « Négrologie ». Les similitudes entre Smith et Le Pen sont parfois frappantes . Il exalte les bienfaits du colonialisme, il dénoncent ces assistés d’Africains paresseux. Il s’agit de convaincre de l’innocence de l’Occident. Si l’Afrique en est là aujourd’hui, ce n’est pas la faute de la colonisation...Les victimes ont été surtout victimes d’elles-mêmes...Thèse révisionniste...L’esclave, de même que la colonisation : sortes de servitudes volontaires...ils nous ont vendus leurs frères, nous les avons achetés, banale transaction commerciale...Constatant que la colonisation n’a pas été si mauvaise que ça, après la rectification révisionniste, Stephen Smith dit que la faute est à la décolonisation. Tout se serait écroulé après le départ des fonctionnaires coloniaux... Sous la plume de Smith, écrit Diop, « les autorités françaises apparaissent comme d’ardents pacifistes dont la bonne volonté est du reste mal récompensée. Mais Smith sait bien que la ficelle est un peu grosse. » Et oui, serait-ce si facile de renoncer aux richesses que le colonisateur sait là, il suffit de tendre la main... ? L’attrait terrible de l’argent, l’avidité, la terrible avidité...Pour une question de fric, par exemple, la guerre du Congo-Brazza, suscitée et surveillée de bout en bout par Elf-Aquitaine. Et Verschave, lorsque les politiques français feignent de croire qu’ils n’y sont pour rien, dans l’avidité des lobbies, et qu’il n’y a plus de réseaux et d’agents secrets, rappelle que lorsque l’on dépasse un certain niveau financier, la politique s’intrique étroitement aux lobbies, et le pétrole justifie tous les crimes...

Diop parle de cet interventionnisme de la France sur le continent africain, soutenant à bout de bras des régimes dictatoriaux tout en finançant secrètement leurs opposants les plus virulents. Au Rwanda, cela s’est traduit par une complicité de génocide qui a coûté la vie à plus d’un million de personnes. Des témoignages de plus en plus nombreux, par des citoyens français, sont désormais disponibles. Rôle déterminant des pays du Nord dans les processus politiques en Afrique. Le génocide des Tutsis rwandais reste exemplaire. Diop démontre à quel point l’Etat français est un acteur important de ce génocide.

Diop souligne qu’un des problèmes des intellectuels africains, en particulier francophones, c’est ce tête-à-tête, ancien et perpétué encore de mille et une façon, avec l’ancien colonisateur.

Diop soutient qu’il est difficile de croire qu’un ouvrage aussi partial, écrit par un journaliste d’un quotidien dit institutionnel, soit une initiative purement individuelle. Et il note que « Négrologie » semble avoir été écrit juste pour flatter l’égo des Français, leur pays apparaissant systématiquement comme un modèle de vertu politique, en particulier dans ses relations avec l’Afrique. Mais ce qui frappe dans ce livre, c’est à quel point il rate une certaine profondeur historique. Nous pourrions ajouter : et inconsciente. L’Afrique utilisée dans une métaphore de placenta pour un Occident retardant indéfiniment le moment de naître, masquant sa nature de parasite, ou de fœtus, par le préjugé raciste, celui qui fait se croire d’une race supérieure...car sachant exploiter ...les richesses là où elles sont et où il est possible de se brancher de manière ombilicale...Mais le rejet d’une certaine politique néocoloniale grandit au fil des jours...Et oui, le ventre africain rejettera bien un jour son fœtus attardé...Colonisation...logique de grossesse...argent dont alimenter l’enveloppe...métaphore placentaire...logique du tout baigne...logique de la consommation...Comme nous entendons plus clairement alors la phrase de Smith : « La France n’existe, face aux vrais grands, qu’en s’appuyant sur l’Afrique et le monde arabe » !

Verschave étudie dix ans de désinformation, alors même que Stephen Smith, tout ce temps, est présenté comme le journaliste français le mieux informé sur l’Afrique. Stratégie globale, dans laquelle il s’agit de discréditer les adversaires de la Françafrique, ceux qui entendent si bien « France à fric »...Le génocide de 1994, au Rwanda, marque un tournant dans la carrière de Smith. Son collègue Laurent Bijard en témoigne. « J’étais avec Smith au Rwanda, nous avions les mêmes opinions, et il ne se gênait pas pour les exprimer. Aujourd’hui il a complètement changé de discours, je ne me l’explique toujours pas... »

Verschave rappelle qu’à partir de 1960, date de l’indépendance des colonies africaines, l’homme de l’ombre, Jacques Foccart, est chargé de maintenir la dépendance, par des moyens illégaux, occultes, inavouables, sélectionnant des chefs d’Etats « amis de la France », par l’assassinat ou la fraude électorale. « A ces gardiens de l’ordre néocolonial, Paris propose un partage de la rente des matières premières et de l’aide au développement. Bases militaires, franc CFA convertible en Suisse, services secrets : voilà le dispositif pour quarante ans de pillage, de soutien aux dictatures, de réseaux politico-affairistes français, de truquages de scrutins avec pour résultat les dictatures togolaises, camerounaises, gabonaises, tchadienne, guinéenne, mauritanienne, djiboutienne, comorienne, congolaise... « Avec l’Angolagate et des personnages comme Pierre Falcone ou Arcadi Gaïdamak, on entrevoit le début d’une mondialisation de la gestion des flux d’argent parallèle issus de la prédation des matières premières, des escroqueries sur la dette et des commissions sur les ventes d’armes - sous le contrôle des services secrets. Les nappes financières ainsi générées, abritées dans les paradis fiscaux, commencent à s’interconnecter ; les réseaux et les trésors de la Françafrique se branchent sur ceux de ses homologues américains, britanniques, russes, israéliens, brésiliens etc...Bref, l’on observe l’insertion progressive de la Françafrique dans une mafiafrique. »

Verschave rencontra plusieurs fois Stephen Smith en 1993 et 1994, avant le génocide. « Il tenait à l’époque un discours très critique sur la politique et les réseaux franco-africains ».

L’association Survie fut bouleversée par le génocide rwandais. « Cela acheva de nous ouvrir les yeux sur « la Françafrique », cette face immergée des relations franco-africaines, où prolifère une incroyable criminalité économique et politique ». A propos du changement chez Smith : « Nous ne mesurions pas encore qu’il s’agissait d’une mutation stratégique. »

Verschave raconte le génocide d’environ un million de Tutsis au Rwanda, et la réinterprétation de cet événement par Smith. Dans ce travail, il acquiert de l’autorité. Plus de dix ans après l’attentat qui a abattu l’avion du président Habyarimana, date à laquelle commença le génocide, le monde ne sait toujours pas qui l’a commis. La très réputée journaliste au « Le Soir » de Bruxelles, Colette Braeckman, désigne dans les éléments d’enquête non seulement les extrémistes hutu inquiets des concessions récentes du président Habyarimana, mais aussi deux assistants français qui auraient tiré deux missiles contre l’avion. Accusations qui auraient beaucoup embarrassé l’Elysée, selon la journaliste. Elle avait publié cela comme des hypothèses, de manière très prudente. Mais le lendemain, réaction très violente du pouvoir politique français, qui a même téléphoné au Premier ministre belge, qui a répondu qu’en Belgique la presse était libre.

Verschave fait la synthèse des résultats de la Commission d’enquête citoyenne de mars 2004 sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Projet de cette Commission d’enquête citoyenne porté par quatre associations : Association internationale de recherches sur les crimes contre l’humanité et les génocides (Aircrige), la Cimade, l’Observatoire des transferts d’armement et Survie. Hors de l’Hexagone, le monde entier sait déjà que la France a fourni un soutien aux organisateurs du génocide, avant, pendant et après, par un appui massif, militaire mais aussi financier, diplomatique, idéologique. Elle a fait apparaître que l’engagement français au Rwanda était un nouveau « progrès » de notre doctrine militaire, un perfectionnement de la guerre moderne, et qu’une doctrine s’était forgée durant les guerres d’Indochine et d’Algérie par des colonels français fascisants, éprouvée à Alger et dans les campagnes algériennes, puis au Sud-Vietnam après que nous l’eûmes enseignée à la CIA, puis dans les dictatures tortionnaires d’Amérique latine. De Gaulle avait écarté les plus excités de ces théoriciens, mais la méthode a été récupérée par Foccart, l’homme des basses œuvres du gaullisme, et cette méthode a peuplé la Françafrique barbouzarde et inspiré les dictatures policières néocoloniales. Plus tard, Mitterrand a été séduit par ces sortes d’officiers ayant reconquis l’état-major, et tout est prêt pour une guerre totale au Rwanda. Bref, il est devenu clair que notre République a commis au Rwanda le pire des crimes du siècle dernier, écrit Verschave.

Lors du fameux crash de l’avion, seuls la Garde présidentielle et les Français présents à l’aéroport ont put s’approcher. Mais pas les Belges Casques bleus présents...Le commandant français avait pris quelque chose qui semblait une boite noire...le capitaine Barril la brandit à la télévision, puis dit ensuite qu’il n’y avait pas de boite noire dans l’avion, que c’était une balise de piste...C’est là que Stephen Smith sort sa grande enquête. Qui aboutit à une présomption... « que le Front patriotique rwandais, le mouvement représentant les Tutsis minoritaires du Rwanda, ait pu commettre l’acte entraînant le génocide de ses partisans. » Mais les témoins les plus souvent cités sont des membres des services secrets français, qui se seraient on ne sait pourquoi longuement confiés à Smith...

La France voulait dissimuler que, à part la Garde présidentielle du président assassiné, seuls les militaires disposaient d’un libre accès à l’aéroport de Kigali et à la zone où est tombé l’avion. Alors...

Et d’autres massacres...

Verschave souligne le mépris systématique de Smith pour les opposants, qu’il s’agisse du Tchad, du Cameroun, du Gabon, du Congo-Brazzaville. Dénigrement systématique de tous ceux qui résistent à des dictatures abominables.

Et ainsi de suite...dans la même logique.

Survie (1994) est une association qui refuse que la Françafrique, et la France à fric soit envoyée aux oubliettes, sous prétexte que, désormais, les réseaux n’existeraient plus et que ce serait en Afrique des lobbies privés. Alors, la France serait exonérée de tous les forfaits commis par les Français. Or, comme l’a démontré l’historien Fernand Braudel, il a interpénétration, à l’étage supérieur de la société, entre domaines économiques et politiques, la plupart des lobbies françafricains restant branchés sur l’Elysée. Verschave écrit qu’un retrait de la France est inéluctable, mais pourquoi faire croire qu’il est déjà opéré alors qu’il n’est pas encore décidé ?

Après la publication de son deuxième livre, « Noir silence »(2000), le premier étant « La Françafrique »(1998), dans lequel il étudie de manière plus approfondie la partie immergée de cette Françafrique, Verschave est immédiatement poursuivi par trois chefs d’Etat africain, dont l’avocat est Me Vergès. Smith demande à le rencontrer, prétextant une enquête impartiale sur cette plainte et sur le procès, mais le descend ensuite dans ses articles. C’est alors qu’éclate le scandale de l’Angolagate, mêlant trafic d’armes, détournement de milliards de dollars sur fond de guerre civile, impliquant Pasqua. Jean-Christophe Mitterrand et Pierre Falcone le marchand d’armes sont incarcérés. La Françafrique sort du noir silence où elle était plongée, elle fait la une des journaux. Verschave est soudain invité partout, mais à Europe I, comme par hasard la veille d’une importante commande d’armes de la France au groupe Lagardère propriétaire de la radio, l’invitation est décommandée...

Lors du procès, Stephen Smith relate dans le journal « Le Monde » la première audience ainsi : « A Paris, le procès d’une sorte de Tintin au Congo ». En 2001, les trois dictateurs, Sassou Nguesso, Déby et Bongo, perdent en première instance. Au procès en appel, les accusés (auteur et maison d’édition) sont relaxés. C’est un jugement sans précédent à ce niveau. Il est désormais possible de qualifier Denis Sasso Nguesso de dictateur, auteur de crimes contre l’humanité, etc...Les attendus du jugement de « Noir silence » exposent le large éventail des méthodes d’oppression et de pillage de cette Françafrique soi-disant défunte, puisque les lobbies auraient remplacé les réseaux...Bien sûr, la dénégation des travaux de Verschave et de ses amis continue. Mais ce que nous démontre ce livre, c’est que la résistance est vivante. Un livre batailleur ! Une opposition qui peut se lever !

Alice Granger Guitard



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