Histoire d’eaux - Christian Dedet
samedi 22 avril 2006 par penvins

Philippe Sollers devrait faire ses choux gras de ce récit de cette France moisie, une France si souvent méprisée, une France d

 

Philippe Sollers devrait faire ses choux gras du récit de cette France moisie, une France si souvent méprisée, une France de petites gens que Christian Dedet décrit merveilleusement. Christian Dedet qui souhaitait écrire a choisi de ne pas en faire un métier mais au contraire d’en exercer un qui lui permettrait de se livrer à sa passion. Hasard ? Nécessité ? Je pencherais plutôt pour la nécessité, celle qui vous fait vivre auprès des gens. N’est-ce pas d’ailleurs le titre de 2 chapitres de cette Histoire d’eaux.

 

Le thermalisme, bien sûr c’est pour le médecin la possibilité de se libérer 6 mois de l’année, mais c’est aussi l’occasion de pratiquer la médecine là où précisément elle est le plus utile, là où le patient a le plus besoin qu’on l’écoute.

 

Une des caractéristiques de cette médecine, beaucoup plus moderne qu’il n’y paraît, c’est justement de se défier des médicaments, de faire une pause pour remettre les choses à leur place et Christian Dedet les remet merveilleusement à leur place, celle que la littérature médiatique fait semblant d’oublier.

 

Ch. Dedet au sortir du service militaire cherchait à reprendre une clientèle médicale dans une ville thermale, il aurait pu choisir Bourbon-l’Archambault et la rhumatologie. Acte réussi très certainement, comme on dit d’un acte manqué, le destin l’aura conduit à Châtel-Guyon et donc à s’occuper des maladies digestives dans cette Auvergne des profondeurs de la France.

 

Les maladies digestives sont par nature les maladies du mal être, celui qui ne se dit que chez le médecin, maladies des pauvres gens, des humbles, qui jamais ne feront partie de la société du spectacle. France profonde comme on le dit parfois avec un certain mépris, parce que souvent résignée pour ne pas dire lucide sur la réalité de la condition humaine. France qui ne confond pas bien-être et santé. Voilà sans doute où se situe la frontière entre le thermalisme d’autrefois et la thalassothérapie d’aujourd’hui où, comme le souligne Christian Dedet il s’agira moins de guérir une maladie avec patience que de pratiquer une remise en forme rapide.

 

La grande leçon que Ch. Dedet met ici en avant c’est que l’inscription dans le temps est sans doute le meilleurs des remèdes, à commencer par le rituel des 21 jours de la cure.

 

Aujourd’hui cette acceptation de la patience n’est plus de mise et l’on se dit que c’est toute une conception du monde qui s’est réfugiée dans le secret des villes thermales au fin fond du ventre de la France comme au fin fond du ventre des curistes et qu’il faudra du temps et de l’isolement pour que le secret de ce monde nous soit à nouveau accessible et que nous puissions répondre à la question :

-         Comment allez- vous ?

-         Beaucoup mieux. Je n’ai presque pas eu de trouble cet hiver. Elle hésite : Ce que je vous ai dit, vous vous souvenez, à propos de ma mère aliénée, m’a soulagée. Pendant plus d’un demi-siècle je ne m’étais ouverte de ce drame à personne. Il a fallu l’isolement, ici ; vous m’écoutiez ; pour la première fois j’ai parlé…

 

Parce que l’essentiel est là, enfoui dans ce que l’on n’ose plus dire au grand jour, l’importance de la douleur, d’une manière ou d’une autre, que ce soit oralement, que ce soit par le symptôme, que ce soit par écrit comme A Daudet dans la Doulou. Et parallèlement nous comprenons l’importance des lieux où dire cette douleur, le cabinet médical par exemple lorsque le médecin sait écouter et lire au-delà du symptôme plutôt que de se réfugier dans les statistiques et bilans prospectifs, colloquant à mort sur l’humanisation de l’hôpital sans plus voir un être humain, mais aussi la station thermale où l’on partage ses maux parce que : Une des caractéristiques pérennes de la cure est de n’y être pas seul. Pour le pire ? Certes. Mais pour quel exorcisme, aussi ? que ce soit de façon très explicite, dans le train qui mène à la station, dans la salle d’attente du médecin ou à la  façon silencieuse de Daudet taisant sa souffrance mais tellement heureux de pouvoir la comparer à celle de ses semblables : L’homme dont le mal se rapproche le plus du vôtre. Comme on l’aime, comme on le fait parler.

 

Relancée sous le second Empire après la défaite de 1870 les stations thermales de France seront au XIXe siècle des lieux à la mode, dans l'entre-deux-guerres elle se démocratiseront et seront encore plus prospères. Ainsi à Vichy […] la petite et […] la moyenne bourgeoisie des villes et des campagnes[…] sous prétexte de soigner leur foie et de s’assurer des digestions heureuses, venaient prendre les eaux, chaque année, à dates fixes, de façon rituelle. C’est donc bien au cœur de la France profonde que l’on se trouve, une France qui notamment à Vichy va perdre sa réputation : La réputation de Vichy a tout à perdre quand, au début du second conflit mondial, un vieux maréchal ayant endossé la livrée de la défaite transforme la cité d’opérette en capitale d’un Etat français. Une France qui s’est fourvoyé et qui cherche encore aujourd’hui les moyens de se dire mais dont les modèles n’ont pas démérité de la littérature. Alphonse Daudet, Maupassant, Vialatte, Cailleux, Larbaud et Céline sur lesquels Ch. Dedet s’appuie en sont quelques exemples.

 

Outre le courage d’Alphonse Daudet que l’on a déjà évoqué, on ne manquera pas de lire ce que Ch. Dedet écrit  à propos du roman de Maupassant Mont Oriol où l’auteur réinvente la naissance de Châtel-Guyon lorsque entrent en conflit l’argent et le sol, la terre et le capital. Sur cette terre promise à une nouvelle richesse s’affrontent les auvergnats propriétaires du sol et la vision aventureuse d’Andermatt et l’on entend :  A travers la raillerie de Gontran, […] Maupassant lui-même, n’en doutons pas, qui suspecte ce capitalisme promis au triomphe et qui se demande ce que pourra valoir, un jour, la souffrance des hommes, dans un monde soumis à la seule valeur d’échange ? Etonnant que ce soit sur ces terres-là que s’affrontent déjà la France profonde et la France avant-gardiste.

 

Malgré tout dans ce climat médicalisé, la vie continue et la nouvelle de Maupassant Mes vingt-cinq jours en est une illustration que Ch. Dedet ne manque pas à plusieurs reprises d’illustrer. Lieux de cure les villes thermales sont aussi des lieux de villégiatures et d’amours illégitimes, parfois avec la complicité des médecins eux-mêmes comme le raconte Ch. Dedet à propos de Rosy, parce que la santé de la pauvre femme passait sans doute par cet écart conjugal.

 

Voilà une partie de ce que j’ai retenu de ce livre riche d’humanité et non dépourvu d’humour, la pratique médicale rendant parfois nécessaire une certaine distance vis à vis des conventions. Je vous laisse lire, je ne vous en dit pas plus !

 

Ch. Dedet conclut  par un chapitre sur sa dernière cure, en tant que patient cette fois. Une expérience vécue, en fin de carrière, qui [ l’] aura délivré du complexe de donneur d’eau. Dit-il. Après une cure à la Bourboule, lui qui sortait de plusieurs pneumonies gravissimes, n’aura plus aucune récidive en quatre ans.

 

Bien sûr elle est moisie cette France mais elle se soigne ! et celle qui part en  thalassothérapie au  Maroc pour son seul bien-être est-elle au fond tellement différente ? La médecine donne, lorsque elle est pratiquée avec humilité, un regard sur Les gens qui mérite que l’on prenne le temps de s’y attarder. Merci à Ch. Dedet de nous avoir apporté ce témoignage à contre-courant des modes d’aujourd’hui.

 

Penvins.

22/04/2006

 



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