Ceci n’est pas une pipe
samedi 28 octobre 2006 par Yvette Reynaud-Kherlakian

J’ai, à peu d’intervalle, lu la recension enthousiaste que fait Alice Granger du dernier roman de Christine Angot, Rendez-vous, revu le tableau de Magritte intitulé Ceci n’est pas une pipe (voir photo jointe) et suivi une émission télévisée où Christine Angot était interviewée par Frédéric Fernay. Cette émission m’a fait découvrir une jeune femme à l’apparence anguleuse, sans apprêt, à la sincérité rugueuse, -la sophistication étant ostensiblement réservée à cette exigence -constamment répétée- d’imbriquer le vécu de l’expérience amoureuse et sa relation écrite de façon à rendre compréhensible ladite expérience.

Concernant le contenu du livre, je n’ai rien à redire au décryptage qu’en fait Alice Granger, décryptage qui semble suivre de près le jeu de piste psychanalytique balisé par l’auteur. C’est la démarche elle-même qui me laisse dubitative : peut-elle être opératoire, voire possible ?. Freud ne juxtapose pas les jeux de l’instinct et le langage analytique qui en dénonce les ruses : la spontanéité de la vie et l’exigence explicative ne jouent pas sur le même plan. Le tableau de Magritte dit ironiquement que la représentation d’une chose n’est pas la chose. Prétendre , d’un même jet faire l’amour et l’écrire revient à vouloir bourrer et allumer la pipe peinte par Magritte. On risque fort d’ôter sa saveur à l’acte amoureux et sa valeur à l’écriture si bien que le livre ne serait plus qu’un exercice de voyeurisme exacerbé.

Je n’ai pas envie de lire Christine Angot. Chez elle, comme chez Houellebecq, la tentative est sans doute louable d’humaniser le sexe. En cela, l’un comme l’autre dépassent Sade ou Sacher Masoch ou Bataille lesquels, certes, l’hominisent mais en le façonnant en instrument de violence destructrice. Après Freud -et souvent selon lui- bien des écrivains d’aujourd’hui subissent cette fascination qui fait du sexe le bazar où s’expose, s’échange, s’achète et se vend tout l’attirail psychique. Le centralisme totalitaire hante décidément la littérature comme le monde politique. Humaniser le sexe, ce serait le situer dans une économie psychique réticulaire rendue à une complexité mouvante, créatrice.

Il faut dire que nous vivons dans un monde saturé d’images où la question du rapport entre la réalité et sa représentation évoquée par Magritte, bousculée par Andy Warhol, s’exaspère en volonté de fusion. On le voit bien dans ces émissions de télé-réalité qui ont la faveur du public, dans la mésaventure de ce cinéaste, Jean-Claude Brisseau, assigné en justice pour avoir voulu faire des émois sexuels des actrices qu’il dirigeait la matière même de sa création cinématographique, dans ces tentatives de certains peintres (Yves Klein fait figure de timide précurseur) de faire du corps, voire de leur corps, la substance et l’agent de leur œuvre. Dans un tel contexte, l’usage que l’art et la littérature peuvent faire du sexe n’est pas une simple question de morale mais bien un problème ontologique.

Sacré Eros !

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