Berceuse par Chuck Palahniuk

auteur culte (si, si)

mercredi 19 janvier 2005 par André Marois

Parcours d’un Américain très contemporain

Chuck Palahniuk est un auteur qui aussi fascinant que jouissif. S’il fallait choisir l’écrivain américain qui dénonce et cloue au pilori le plus efficacement les travers de ses contemporains, je le mettrais en tête de liste.

J’ai lu Palahniuk dans le désordre. D’abord Choke (2000), fable moderne hallucinée où tous les extrémismes et les logiques déviantes de l’écrivain sont réunis. Comme dans chacun de ses romans, les personnages sont très mobiles, en voyage, en errance. Victor Mancini paie l’hôpital de sa mère atteinte d’Alzheimer en exploitant un filon si particulier. Il feint de s’étrangler dans divers restaurants et est chaque fois sauvé de l’étouffement par le premier bon samaritain présent, à qui il va ensuite soutirer de l’argent. Ses sauveurs se sentent responsables de sa vie et vont donc répondre à ses demandes pécuniaires. Le style joue à fond la carte du cynisme de notre époque. Une technique d’écriture où l’auteur revient sur le passé pour mieux expliquer la situation présente, effectuant sans cesse des allers et venues dans le temps qui créent une tension, un suspens. Il y a aussi ses obsessions : des listes précises, obsessives, récurrentes, que l’on retrouve dans chacun des romans. Il est important de préciser que Victor est un drogué du sexe qui essaie de décrocher.
En fait, Choke est son quatrième roman. Le premier, le plus célèbre, fut Fight Club, en 1996. Le film avec Brad Pitt et Edward Norton est très fidèle au texte original. Le héros, anarcho-révolutionnaire improvisé, schizophrène et amoureux, nous apprend comment fabriquer de la nitroglycérine et du savon. Comme toujours, les recettes sont très précises, documentées. L’entreprise prend des proportions énormes, les Fight Club se multiplient. Les mâles américains se retrouvent enfin, primitifs, solidaires, bestiaux.

En 1999, paraît Survivant. Comme son titre l’indique, c’est l’histoire du dernier survivant d’une secte inspirée du temple solaire dont tous les membres se sont suicidés. L’univers oscille encore une fois entre roman noir et science fiction, avec les pouvoirs visionnaires de Fertilité, l’amie du protagoniste principal. Tender Branson commence comme homme de ménage et il connaît par coeur toutes les façons d’éliminer les tâches les plus diverses. Il deviendra un gourou sous stéroïdes, surmédiatisé, malade et finira par craquer.

Monstres invisibles (pas lu) est sorti aux Etats-Unis en 1999.

Enfin, Berceuse arrive en 2004. Le héros, un journaliste aidé d’une agente immobilière, de sa secrétaire et du fiancé de celle-ci, va sillonner les Etats-Unis pour détruire les exemplaires d’un ouvrage de contes pour enfants qui contient une chanson d’élimination tuant ceux qui l’entendent. Écrit sur le principe d’un road movie, on comprend vite que le but n’est pas de freiner l’épidémie de nourrissons atteints du syndrome de la mort subite, mais plutôt de retrouver le livre source des sorciers, celui qui contient tous les pouvoirs. Avec une précision maladive pour la description de chaque objet, chaque meuble, chaque scène de crime, Chuck Palahniuk exploite une technique terriblement efficace où il mélange réalité et fiction. L’accumulation de faits réels, l’obsession du détail, la boursouflure de l’écriture ; tout nous agrippe, nous happe, nous ravit. Son écriture désynchronisée, parfois un peu trop systématique, fonctionne implacablement. Chaque chapitre est écrit à l’envers : on part de la fin pour expliquer le début. Ce système était exploité dans Survivant. Critique des sorciers, du new age, des charlatans et de ceux qui les croient, Berceuses manie l’humour très noir et le macabre aussi facilement que les imprécations et les peurs collectives.

Lire Chuck Palahniuk est une expérience jubilatoire, loin des clichés mélancoliques, des romans policiers traditionnels aux héros fatigués. Jamais de ça avec l’écrivain né dans l’état de Washington en 1962. On rit, on a l’impression de mieux comprendre le monde qui nous entoure, notre folie collective. On dévore chaque bouquin à la manière de ces obèses qui engloutissent des tonnes de cochonneries. On ne peut plus s’arrêter. On veut en finir.
Sur le site de l’auteur : www.chuckpalahniuk.net, on apprend que trois livres ne sont pas encore traduits en français : le roman Diary, Fugitives and Refugees, qui serait une sorte d’autobiographie, ainsi que Stranger than paradise,
un essai sur l’écriture.

Chuck Palahniuk est un auteur culte, maîtrisant parfaitement son art et disséquant notre époque avec une précision implacable. À lire d’urgence, pour le choc et la lucidité moderne.

André Marois,

Montréal le 14 janvier 2005

www.andremarois.com



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