Carte Joker - Alitheia Belisama
vendredi 28 mars 2008 par Gérard Vailland

Confrontée au regard des autres la petite Alitheia comprend tout de suite qu’il lui faut se battre. Elle a une longueur d’avance sur les autres, ceux de plus en plus nombreux qui n’ont jamais coupé le cordon. Elle comprendra plus tard à quel point cela lui donne un avantage.
On découvrira ici un parcours exceptionnel qui lui fera rencontrer les hommes les plus en vue de son époque : Lacan, Sollers, Naouri et un certain Verdiglione.

Ce livre dont le style est à la fois celui de la psychanalyse, celui du roman et celui de l’auto-fiction – style toujours à mi-chemin entre l’essai et le roman qui pourra en rebuter certains parce qu’il est un vrai style, celui d’un auteur, dans lequel il faut entrer, devient au fil des pages de plus en plus passionnant au point que l’on ne peut le lâcher avant le terme malgré ses quelques 500 pages.

On a rarement l’occasion de lire un livre aussi fort, une hargne aussi tenace contre notre société d’assistance, véritable coup de pied dans la fourmilière, ce livre est un vrai bonheur de vitalité revigorante et ses imperfections, son absence de formatage deviennent au fil des pages des raisons de plus de le lire.

Sans concession à la littérature de convention, résolument en dehors des sentiers battus en raison de sa vérité qui s’exprime jusque dans son prénom (Αλήθεια) tel un cri jeté à la face du monde des biens pensants, de ceux qui regardent de travers la bâtarde et sa mère.
Ce livre est avant tout le procès d’une mère, celle de la petite fille mais aussi celle de la première femme de Franz dont il est évident qu’elle n’est ici que la représentation des la première, sa répétition sur un mode bourgeois, la personnification du rêve non accompli de celle que le père avait abandonnée, celle à qui il avait refusé le confort de n’être pas née, d’incarner le giron, la matrice que l’on soigne éternellement pour qu’elle assure sa fonction placentaire.

Elle l’appelle parfois maman l’exhortant à sortir de son rêve mortifère, lui ordonnant de reconnaître elle aussi les raisons du père qui a permis cette naissance en refusant d’entrer dans le jeu du maternage. Elle détourne ainsi sa haine du côté du placenta comme pour épargner la mère.

Devant une œuvre d’une telle ampleur et l’on découvrira en la lisant à quel point elle chamboule les schémas établis depuis plusieurs siècles [Le maternage est une invention moderne que les sociétés anciennes ne connaissent pas] devant donc une œuvre aussi révolutionnaire, le mot peut paraître fort mais il exprime bien ce qui se dit ici, on peut se poser la question du pourquoi : Qu’est-ce qui motive à ce point l’auteure qu’elle entre en conflit avec les schémas les plus communément admis de la société dans laquelle elle évolue ? L’explication qu’elle en donne elle-même ne peut bien sûr être écartée. La critique d’une société de maternage est justifiée, l’appel à se situer dans l’inconfort et le travail, le rappel de ce que furent les qualités de la société paysanne qui connaissait la valeur des choses ne sauraient être écartés. Cependant nous avons dit que ce roman tenait à la fois de l’essai, de la psychanalyse et du romanesque. C’est bien sûr ce qui fait sa force. Tout essai est subjectif mais à la différence d’un essai classique celui-ci non seulement ne s’en cache pas, mais le revendique, ce qui nous permet de ne pas balayer d’un revers de main les motivations profondes de l’auteure. Là où elle prétend défendre son père contre ce qu’elle appelle le piège de sa mère, rendre hommage à celui qui a su ne pas tomber dans le traquenard de la fille, la bague au doigt qui doit lui assurer – à elle – le confort jusqu’à la fin de ses jours au nom de l’enfant roi, on peut aussi se demander s’il n’y a pas un vrai contre-feu pour ne pas dire la haine d’avoir été abandonnée, de ne pas avoir été –elle – reconnue par ce père devenu un héros mythique en dépit du fait qu’il a bien fini par se faire passer la bague au doigt par une autre femme.

Ce n’est là qu’un éclairage complémentaire, une façon de dire que la réalité est moins simple qu’il n’y paraît et que ce livre autorise plusieurs niveaux de lecture ce qui est la marque de toutes les œuvres réellement littéraires.

Puisse-celle-ci être reconnue, elle le mérite grandement.

G. Vailland.

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