Raoul Walsh

ou l’Amérique perdue

dimanche 23 novembre 2003 par penvins

Il y a deux lectures de cet ouvrage, la première bien sûr consiste à y voir une apologie des films de R. Walsh, la seconde - qui saute aux yeux d’un lecteur un peu averti - à y lire une défense des idées de la droite d’avant-guerre, je choisirai la seconde lecture parce que c’est celle qui me parait la plus intéressante et qu’elle entre plus dans le champ de mes préoccupations que la première, mais bien évidemment pour Michel Marmin les deux lectures se rejoignent.
 
En quoi cette défense d’idées que l’on imagine disparues ou marginales est-elle intéressante ? En ce qu’elle existe justement et qu’elle se différencie - tout au moins chez certains - du masque de l’abjection que l’on s’efforce de lui faire porter, comme si l’on ne pouvait être d’extrême droite - c’est ainsi que l’on qualifie habituellement tout ce qui à droite n’appartient pas à la tradition républicaine - et exempt de tout racisme.
 
Il y a un piège bien sûr, en tout cas en ce qui concerne M Marmin, c’est qu’il se réfère constamment à des auteurs pour lesquels le concept de race était une évidence et que du coup on ne sait pas toujours si il adhère à cette acception du mot race ou s’il l’emploie dans un sens plus ancien - dénué de " racisme " comme on dit aujourd’hui. Ainsi comment lire par exemple : [...] d’un authentique Indien, écrasant de beauté, de silence et sagesse, rayonnant de noblesse et de fierté dans la pureté hautaine de sa race. C’est fort dommage parce que les idées soutenues dans ce livre sont loin d’être inintéressantes et qu’elles permettent de mesurer le chemin parcouru depuis les années d’immédiat après-guerre, voire depuis la fin des années soixante lorsque le Western faisait se déplacer les foules et que l’on se souvenait encore que c’était au peuple américain que l’on devait la libération de la France.
 
Quand cela est-il intervenu ? Comment tout d’un coup le Western a-t-il disparu de nos écrans ? Quand - comme le souligne le sous-titre du livre - l’Amérique a-t-elle été perdue ? Peut-être répondra-t-on que ce fut le jour où elle perdit son innocence et verra-t-on dans la défense d’une Amérique mythique celle d’un paradis enfantin que la guerre du Vietnam a englouti, cela ne doit pas pour autant nous faire oublier ce à quoi nous avons nous-mêmes rêvé.
 
M Marmin insiste ici en s’appuyant sur les idéologues d’avant-guerre sur les valeurs de l’action, de la conquête, de l’héroïsme qui font la jeunesse d’un peuple quand justement il est nécessaire de se construire et que le temps n’est pas à la ratiocination.

Le défi de The Naked and the Dead, c’est de préférer la cruauté à la lâcheté, de préférer une certaine laideur à la fadeur, de préférer le loup à toutes espèces de chiens.

 
Michel Marmin bien évidemment se sert de cet essai sur Raoul Walsh pour faire passer sa conception du monde, j’ai envie de dire : comme Céline se servait de son style pour insister sur la sienne, non qu’il ne puisse s’exprimer ailleurs, par exemple dans la revue Eléments, mais parce qu’il y a là comme l’illustration et la source de sa pensée. Il dit en effet avoir découvert R Walsh en 1961 avec la lecture du numéro 9 de la revue Présence du cinéma et que cela le conduisit à préparer et réussir le concours de l’IDHEC.
 
On peut se demander s’il serait-il possible aujourd’hui ailleurs que dans un livre sur le cinéma américain ou dans une revue spécialisée de souligner que l’on croit aux vertus personnelles et sociales du sport et d’écrire que dans Gentleman Jim : c’est tout un humanisme qui se confond avec la glorification du corps, après avoir rendu hommage quelques pages plus haut à Leni Riefenstahl. Il y a là un certain culot et la marque d’un esprit tout à fait libre.
Le rapprochement Walsh/Riefenstahl n’est bien sûr pas innocent il permet de dire que la pensée allemande avait aussi des qualités que le monde d’aujourd’hui est incapable de comprendre. Qualités qui sont celles d’un peuple qui en est encore à l’âge des créateurs selon une classification reprise de Maurice Barres. Qualités que l’horreur nazie nous a rendu incapable de reconnaître, nous lançant dans une course sans fin à la pensée. Pourtant insiste M Marmin Quand les mots n’ont plus de sens, quand le langage fait défaut et que le raisonnement n’est plus utile en rien, l’expérience vive demeure le seul moyen de connaissance et de progrès.

 
 
Je ne partage pas l’admiration de M Marmin pour le Western et l’idéologie qu’il véhicule mais je vous invite à méditer ces deux phrases écrites à propos de The Tall Men  :
 

Il y a tout un courant du cinéma d’aventure américain qui débouche sur la sagesse et le renoncement aux vanités.

Et plus loin :

Le suprême cheminement des grands conquérants s’achève toujours par la conquête du bonheur spirituel et le mépris des gloires terrestres.

 
Assurément ces valeurs-là nous les avons oubliées, comme nous avons oublié la morale de l’action et de l’engagement au profit de la société, quand je disais que le héros de Manpower ne faisait que son travail, j’entendais qu’il honorait, jusqu’à une sorte de martyre, le contrat social.

 
Pour finir je voudrais citer ceci qui sans doute aux yeux de M Marmin justifie son admiration pour R Walsh et vous inviter à le mettre en regard des valeurs contemporaines :
 

Gagner sa vie, affronter la fatigue et les soucis, triompher des dangers quotidiens, vaincre la misère et le chômage, des ambitions légitimes, solidarité du travail, tels sont les exploits et la matière d’une authentique grandeur que Raoul Walsh exalte sans démagogie ni bassesse, avec humilité et pudeur.

 
Penvins
23-11-2003

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