Un devoir ? - Penvins
jeudi 19 juin 2008 par Yvette Reynaud-Kherlakian

Le titre -et son point d’interrogation- invite d’emblée le lecteur à repérer dans l’histoire que nous propose Penvins ce devoir assez mystérieux ou douteux pour faire débat.

Le débat, c’est d’abord par les soliloques étanches et alternés de Lou et de Jean-Paul que nous en prenons connaissance. Lou, maintenant mère satisfaite, subit avec dégoût les assauts amoureux de son mari et traite avec une condescendance agacée ses prétentions de peintre sans talent -alors que son travail dans la pharmacie paternelle lui assure déjà et continuera à le faire tant qu’il le voudra, sécurité matérielle et considération sociale. Jean-Paul rumine son amertume : Lou se laisse dévorer par la maternité et s’éloigne de lui ; elle ne comprend pas que peindre est pour lui une exigence vitale…Que la petite sœur de Lou, Eléonore, sorte alors de sa chrysalide d’adolescente villageoise pour regarder le monde avec une assurance insolente et gourmande, il n’en faut pas davantage pour qu’elle soit prête à admirer la peinture de son beau-frère et à devenir, à l’abri des blés, son modèle et sa maîtresse. Le trio dramaturgique -vaudevillesque ou tragique- se constitue.

L’auteur indique avec délicatesse (on aimerait que ce soit de façon moins elliptique) les mouvements de balancier qui font aller Jean-Paul de Lou à Eléonore, d’Eléonore à Lou. Il n’y a aucune vulgarité dans ces allers-retours. C’est que chacun des trois personnages reste, à sa façon, fidèle à ce qu’il a été, à ce qu’il est. Le choix de l’un n’est jamais -ou ne veut pas être- un reniement de l’autre.

C’est peut-être l’exigence de cette fidélité-là, poussée jusqu’à l’absurde, qui détraque Lou, au point de la faire se réfugier dans la folie -à l’abri des criailleries de l’opinion publique comme des indiscrétions de la parole médicale. Elle a été victime d’un prêtre incapable d’assumer son célibat. Ce prêtre n’en est pas moins le gardien d’une morale nécessaire à une existence digne de ce nom. Lou nous place au cœur du débat : victime enfantine et pénitente adulte de ce prêtre, qui l’a sommée d’accomplir le devoir conjugal, elle ne veut ni ne peut condamner le prêtre pédophile et exécuter ses ordres. Alors un devoir ?

On comprend qu’à travers le titre, c’est tout une morale étriquée et perverse qui est mise en question, une morale de petits intérêts et de petites vertus, une morale qui refuse l’amour, le don expansif, quitte à pleurer sur l’individu qu’elle dévaste, une morale qui tue (Lou mais aussi Céline). Contre elle, il y a l’approche libre des cœurs et des corps. Si le terme de devoir a encore un sens, c’est comme corollaire de la défense du droit, le mien et le vôtre.

Il y a dans ce texte -court roman plutôt que nouvelle- l’esquisse d’autres thèmes : l’importance de l’art (la passion de Jean pour la photographie fait écho à la farouche volonté de peindre de Jean-Paul) ;la psychanalyse et sa relativisation ; et même si le changement d’époque est juste suggéré, il y a l’espoir d’un monde plus ouvert. Et je dois dire combien m’a émue le message de Lou, héroïne tragique de cette histoire : « Dites à mes enfants que, grâce à eux, ma vie a été le plus heureux de tous les romans »…

La richesse de cette thématique autour des intermittences du cœur ne fait que rendre plus regrettable une certaine pauvreté dans la substance de l’écriture. Il semblerait que le souci formel de l’organisation du texte, du ménagement de l’intérêt, de la variation des voix l’ait emporté sur la densité des personnages. Comme si l’élaboration de cette histoire avait été conduite par un schéma de pensée plus que par une vision concrète des situations et des sentiments.

Yvette Reynaud-Kherlakian.

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