Plaidoyer pour "Le silence de Lorna" face au brouhaha sans objet de "Entre les murs"
lundi 3 novembre 2008 par Serge Uleski

Un film pour personne, sinon pour ceux qui ont longtemps considéré que les gosses des classes populaires (plus particulièrement ceux issus de l’immigration) étaient, avant d’être des cancres, au mieux, de la graine de délinquants, et au pire, de la graine de criminels.

Après "Bienvenue chez les Ch’tis" destiné à ceux qui pouvaient penser à tort, bien évidemment, que les gens du Nord ont dans les yeux la dernière cuite qu’ils ont prise la veille au soir, et dans le cerveau, un pois chiche, avant de nous expliquer que la langue Ch’tis est tout aussi respectable que l’argot et/ou n’importe quels autres patois...

Avec "Entre les murs", diable ! A quoi sommes-nous confrontés ?

A un reportage, à un documentaire ou bien, à un film de fiction ?

Fausse question puisqu’elle ne se pose même pas : la réponse est d’une telle évidence !

Il s’agit d’une production audio-vidéo qui a la prétention inavouable (et ça, c’est plutôt préoccupant) de se substituer au reportage et au documentaire ; quant au cinéma, je n’ose pas imaginer un seul instant que le réalisateur ait pu avoir l’ambition de nous en proposer ; ou bien alors...

Dans "Entre les murs" et par la force des choses, tout y est à la fois vrai et faux : plus proche de la Télé-réalité, "reportage" à la sauce Star’Ac ou bien, Loft Story (souvenez-vous !), si les cinéastes et les auteurs n’ont pas de souci à se faire, en revanche, les documentaristes doivent craindre que ce type de production dont le format est délibérément destiné à remplir les caisses de ceux qui ont "pensé" et en partie, produit ce "spectacle", ne supplante, dans les années à venir, ce qu’il est coutume d’appeler "le documentaire".

"Entre les murs" ?

Cette production pourrait tout aussi bien être destinée aux enseignants seuls ; thérapeutique, remplissant un rôle de catharsis, voire d’exorcisme, on parlera même de maïeutique grâce à une production du type "médecin-accoucheur", les profs se livrant et se confessant le temps d’une séance, tout en profitant de l’opportunité (et de l’obscurité des salles de cinéma) qu’il leur est offerte pour prendre du recul, en devenant les spectateurs de leur propre réalité et de leur rôle reconstitués pour l’occasion.

Finalement, une vidéo de formation continue et de remise à niveau pour les profs en mal (ou en manque - pour ceux qui les jugent nécessaires), de résultats, ce... "Entre les murs" : ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire face à une classe de ce type ; entendez : type de population.

A ce film, les élèves n’y viendront pas, sinon contraints et forcés. Les parents ? Ils connaissent leurs gamins.

Quant au contenu : nombreuses sont les situations sur-jouées, dont on ne comprend pas toujours la nécessité, ni l’importance qui peut leur être accordée ; réactions disproportionnées de l’enseignant au sujet d’événements et d’incidents gratuits qui nous laissent pantois, même si les "acteurs" qui n’en sont pas, se prêtent de bonne grâce à cette comédie, jouant leur propre rôle, ou bien, un rôle tel qu’il a pu être pensé par ceux qui ont "pensé" cette production, ou plutôt, ceux qui croient avoir compris et pensé... à quelque chose en réalisant ce document, alors que cet objet ne pense... rien... ni... à rien, puisqu’il s’agit d’un film sans point de vue, sans parti pris et sans engagement autre que celui que le métier d’enseignant dictera à quiconque exerce cette activité.

"Entre les murs" c’est de la pellicule pour rien puisque ceux qui en débattent n’ont aucun pouvoir sur cette institution qu’est l’Education Nationale : ils n’y occupent aucun poste stratégique. Quant aux politiques sociales, culturelles et économiques qui ont pu conduire en trente ans et plus, des pans entiers de la population française marginalisés à rejeter l’école, les savoirs et la Culture : celles des livres, des auteurs, des sciences, des langues...

280 000 ados ou pré-adultes quittent l’Education Nationale chaque année sans maîtriser l’écrit ou la lecture ; 50% des étudiants inscrits à la Fac abandonnent leurs études dès la fin de leur première année.

D’aucuns seraient tentés de croire que l’Education Nationale est principalement occupée à gérer un échec de masse, sans oublier la gestion des carrières des pédophiles qu’il faut muter de temps à autre, ici et là, quand vraiment, ça sent le roussi parce que la presse, alertée par des parents dégoûtés et en colère, s’en mêle...

Occupée aussi cette institution à préparer les nouveaux outils et les méthodes pédagogiques qui, nul doute, plomberont l’avenir des gosses des classes populaires - et plus particulièrement ceux de l’immigration -, au grand désespoir de leurs parents, impuissants face à cette montagne qu’est devenue l’accès à une réussite scolaire digne de ce nom, pour leurs enfants...

Et si l’on en croit les témoignages : institution dont la vocation consiste aussi à broyer les enseignants qui tenteraient de se révolter...

Et n’oublions pas leurs représentants syndicaux, bedonnants (même les femmes !), à force de déjeuners bien arrosés, avant d’aller négocier, sur le dos des gosses, qui... une heure en plus, qui... une heure en moins, qui... une augmentation... enfin bref ! Tout ce que vous voudrez, sauf les conditions d’une prochaine réussite scolaire des classes populaires.

Il est vrai que l’on nomme depuis quarante ans des ministres de l’Education de gauche comme de droite qui confient leurs enfants aux meilleurs lycées, et aussi et surtout, aux écoles privées, tellement la confiance y règne et les résultats y sont encourageants... dans ces établissements publics...

Quant aux enseignants : aussi préparés à affronter une réalité sociale dont aucun mur ne pourra les protéger que leurs élèves le sont à recevoir un enseignement qui les ignore puisqu’ils ne sont pas supposés s’y épanouir ou y triompher dans et avec cet enseignement...

D’autres enseignants et d’autres établissements y pourvoient, ailleurs.

Pensez donc !

Seulement 12% de la population possèdent un diplôme d’enseignement supérieur (un des taux les plus faibles des pays occidentaux, sinon... le plus faible !).

La caste des diplômés n’a pas de souci à se faire et les enseignants non plus puisque ce sont majoritairement, leurs enfants qui obtiennent ces diplômes ; enseignants qui, lorsqu’ il s’agit des enfants des autres, n’hésitent pas à nous parler d’enfants et d’ados racistes (anti-français) et antisémites (sans commentaire).

Non ! Sans blague ! A 12 ans, à 14 ans, ils sont...

Dans la parole d’un enfant ou d’un ado, confondre le fait de tenir des propos "raciste" avec le fait d’être raciste... c’est à se demander de quel côté sont les cancres !

Ces enseignants, prompts au procès d’intention à l’encontre de leurs élèvent, ne savent donc pas qu’à 12 ans... on... n’est pas ! Non ! On ne fait que chercher... à devenir* ; et la route est sacrément dure et longue jusqu’à l’âge adulte.

* La parole d’un enfant de 12 ans n’est pas seulement sa parole mais... celle de tous ceux qui, bien ou mal, pour le meilleur et pour le pire, contribuent et contribueront à faire que cet enfant devienne ce qu’il pense devoir être jusqu’à ce qu’il décide, une fois adulte, et autant qu’il soit possible de le faire en toute autonomie, d’être ce qu’il dit et d’être ce qu’il fait puisque seul un adulte en est capable.

Comment peut-on faire preuve d’un tel manque de discernement, alors qu’à l’endroit de leurs propres enfants, ces mêmes enseignants sont capables de toutes les mansuétudes, de toutes les complaisances, voire de toutes les lâchetés ?

Faudra-t-il un jour parler de la haine des profs face à leurs élèves auprès desquels ils auront épuisé toute capacité de pardon, et de compréhension, en vertu d’une nouvelle loi (peut-être pas si nouvelle que ça) selon laquelle : quiconque empêche un enseignant de faire son métier, n’aura aucune excuse, et qu’un devoir et qu’un droit : s’effacer et disparaître.

Confrontées à un environnement difficile, souvent violent, les enseignants auraient-ils sombré, à l’instar de leurs élèves, dans le fatalisme, le désintérêt, le mépris, le défaitisme et la colère ? Mais à une différence près - et elle est de taille -, car, s’ils ont à faire face à des enfants ou des ados parfois totalement démotivés, en revanche, ces élèves ont bien pour référents des adultes éduqués et instruits, des adultes capables de discernement et de sang froid, quand bien même ils l’auraient oublié depuis qu’à Noël, ils se font offrir, tous ces adultes enseignants ou pas, les mêmes cadeaux que leurs progénitures, à savoir : ordinateurs et jeux vidéo, entre autres.

"Entre les murs" a bien failli ressembler au film des Tavernier père et fils : "Ca commence aujourd’hui", dans lequel on sermonne les pauvres ; et notamment, une mère - à la fois, actrice et non actrice ; mais... on ne sait plus avec ce type de production -, qui élève seule, dans la vie et dans le film, ses enfants.

"Entre les murs" ?

Entre... ces murs, les profs n’y feront pas de vieux os, le temps pour eux d’accumuler les points nécessaires à une mutation dans un établissement et une région et un département de leur choix (Bégaudeau quant à lui, a déjà quitté l’enseignement).

***

Au contact de ces vrais-faux/faux-vrais élèves, difficile de ne pas penser, tout en le déplorant, à tout ce qu’il leur manque, tout ce qu’il leur a manqué, tout ce qu’il leur manquera, tout ce dont ils sont privés, tout ce à quoi ils n’auront jamais droit, et les conséquences pour eux dans les années à venir... alors qu’il est inconcevable qu’ils aient pu ou qu’ils puissent mériter un tel sort... car à 13 ou 14 ans, qui peut bien prendre la décision de vous couper les ailes !

Monopolisant les temps de parole et d’images, Bégaudeau devient très vite insupportable ; les élèves en revanche, sont tellement plus intéressants (sans démagogie) car, ces élèves-là sont des "effets" vivants dont il aurait fallu interroger les causes.

Et puis, une fois la première heure passée, force est de constater que l’on ne sait plus très bien ce qu’on nous donne à regarder, où commence le jeu, où il finit ou bien, où il s’interrompt, le vrai-faux élève retrouvant son autonomie. A ces gosses, leur fait-on jouer ce qu’ils sont, ce qu’ils seront, le fait qu’ils soient déjà en échec, sur le plan scolaire ? Avec eux, à quoi joue-t-on en les mettant en scène ?

Si "Entre les murs" est sans aucune doute une production malsaine, toutefois, une belle ironie se dessine : tout du long, on ne peut pas ne pas voir le documentaire qu’il aurait été possible de tourner, même si ce documentaire-là n’aurait fait que traiter les effets et non les causes, alors qu’aujourd’hui, il y a urgence : ce sont les causes qu’il faut aller chercher, exposer et attaquer ; et une fois qu’on les a saisies, les mâchoires serrées, comme un chien : ne pas les lâcher.

***

Vous l’aurez compris : plus on parle de "Entre les murs", plus on s’éloigne et du cinéma, et du documentaire, et des films et de tout le reste...

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Vite, rapprochons-nous des frères Dardenne et de... Lorna et de son silence capable de couvrir le brouhaha d’un "Entre les murs" finalement, complaisant et bavard.

Vous y retrouverez par la même occasion, Bresson et Cassavetes dans leur dernier film puisqu’ils les emportent toujours avec eux en tournage, tout en prenant soin de nous épargner le Godard qui oublie souvent le cinéma en cours de route, trop occupé à vouloir, à tout prix, nous expliquer qu’il est d’une intelligence bien supérieure à la moyenne de ceux qui servent le même Art que lui - le 7è du nom ; et alors que personne n’ose le contredire de peur de passer pour un imbécile.

Certes ! Godard a le mérite de chercher... même s’il lui est souvent arrivé de tourner alors qu’il n’avait rien trouvé. Et là... mon Dieu, là... une heure trente, c’est long.

Pour revenir à Lorna, sachez que les frères Dardenne ne nous ont pas rapporté des Balkans un mannequin mais une femme, une vraie, et comme beaucoup d’autres, imparfaite, comme nous tous...

Et puis... non ! Bien meilleure, tout compte fait ; et sans flatterie, qu’elle soit une femme y est sans doute pour beaucoup puisque Lorna décidera de porter en elle, même symboliquement, comme pour ne jamais plus s’en séparer, toute l’humanité dont nous sommes capables, et plus encore quand on a bien failli penser pouvoir s’en défaire... de cette humanité, en construisant un projet de vie qui devait reposer sur la mort et l’assassinat d’un innocent, et qui plus est, du dernier des hommes, le plus faible d’entre eux : un jeune toxicomane qui croyait en être sorti et... s’en être sorti grâce à la compassion et au soutien d’une femme qui porte le nom de Lorna et qui, semble-t-il, l’aura, finalement, trahi.

***

Toujours aussi inspirés les frères Dardenne !

Déjouant tous les pièges de leur Art ; ceux de la production, ceux qu’un scénario peut cacher et ceux du succès.

Pourvu que cela dure !

Car, si un jour les frères Dardenne nous laissent tomber, qui nous relèvera ?

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