S’en fout la vie - Jacques d’Arribehaude
lundi 3 novembre 2008 par penvins

Jeunes gens lisez monsieur d’Arribehaude, vous en prendrez pour 20 ans, vous allez être choqués – au sens médical – et vous n’en reviendrez pas. Bien sûr vous n’adhérerez pas à toutes ses convictions, mais vous comprendrez à quel point les vôtres sont déterminées par l’Histoire et loin d’être aussi libres et objectives que vous le pensez. Jacques d’Arribehaude se plait à dire qu’il est réactionnaire, donc résistant, il dit cela dans l’Encre du salut au moment même où explose sous ses yeux l’écran de fumée de 68. Résistant c’est bien sûr celui qui résiste à la marche du temps vers des jours prétendument meilleurs, vous aurez là-dessus très certainement un regard psychanalytique qui se justifie tout à fait, parfois même jusqu’à la caricature, et vous ne comprendrez rien à son attachement à sa mère qui semble d’un autre âge, vous qui faîtes semblant d’être devenus adultes en vous réfugiant dans toutes sortes de jouets de consommation et gadgets de votre mère la FNAC mais vous comprendrez peut-être qu’un autre monde a existé et qu’il n’était sans doute pas si détestable que l’on a bien voulu vous le faire croire.

Ce dernier ouvrage de Jacques d’Arribehaude débute sur ses années à la télévision en 1981, autre année charnière – comme le dernier avatar de 68 – la fin de la grandeur gaullienne – souvenez-vous jeunes gens ce grand monsieur qui n’avait pas peur de mettre ses grands pieds dans le plat : Vive le Québec libre, si ça vous dit encore quelque chose. Parce que tout cela 68 et 81 l’ont définitivement rangé au placard inventant un autre langage, d’autres valeurs qui comme toutes les valeurs se disaient universelles et qui ne sont bien entendu que circonstancielles, historiquement déterminées.

Ainsi donc il y a eu un autre monde avant 68 et avant 40, un monde auquel Jacques d’Arribehaude est resté attaché et qu’en tant que conservateur il nous restitue au fil de son Journal. On pourrait évidemment remonter plus loin il y a eu un autre monde avant 89, une France aristocratique que Jacques d’Arribehaude retrouve dans l’Angleterre d’aujourd’hui insistant sur sa force et sur notre faiblesse. Ce sont là les raisons profondes de l’homme, la motivation essentielle, de son combat et de son écriture dont il dit à plusieurs reprises que si elle ne peut être publiée aujourd’hui elle doit être écrite pour les générations futures – comme témoignage d’un monde disparu. Je vous vois sourire, appeler Freud à la rescousse et dire que vous voyez bien de quel monde il s’agit – et alors !- l’essentiel dans toute vie et dans toute œuvre ce n’est pas le moteur, c’est le chemin parcouru, l’œuvre accomplie.

Et cette œuvre-là dont l’essentiel n’est encore qu’en gestation au moment où Jacques d’Arribehaude écrit le Journal qui va lui servir de canevas pour ce « S’en fout la vie » cette œuvre-là qui aurait pu tout aussi bien disparaître ou ne pas exister, elle est considérable. Un Journal qui s’étend de 1951 à 1986 et dont nous attendons la suite.

Ce volume qui s’étend sur les années 81 à 86 commence donc par les années télévision, celle où l’auteur s’ennuie dans un placard doré, affublé d’un supérieur incompétent et rêve du jour où il pourra se remettre à écrire. Il s’achèvera avant que Jacques d’Arribehaude se soit remis au travail.

Ce volume est donc celui de l’attente et de la longue gestation de ce travail de mise en forme du Journal qui aboutira quelques années plus tard à la publication tout d’abord d’Une saison à Cadix en 1997, puis des autres volumes.

Durant ces années d’attente – de mûrissement de l’œuvre – Jacques d’Arribehaude fait le point sur ses idées politiques et l’arrivée de la Gauche est un merveilleux révélateur de son ancrage réactionnaire. Cette Gauche qui revient au pouvoir fait resurgir celle de 36 et remet au jour la formidable impréparation de la France qui a conduit à la cinglante défaite de 40.

[…]notre gouvernement disposait de toutes les informations pour savoir qu’un affrontement avec l’Allemagne en 1939 était voué à la défaite […]

C’est – politiquement – mais la question politique n’est sans doute pas la question essentielle – la raison fondamentale de la résistance que Jacques d’Arribehaude oppose au discours officiel d’après-guerre. Comme il le dit :

En règle générale, les lecteurs français n’aiment pas être dérangés dans ce qui leur tient lieu de confort intellectuel pour tout ce qui concerne leur propre histoire durant le siècle et tout particulièrement les années noires. La France a glorieusement tenu sa place parmi les vainqueurs, point.

Et c’est cela qui le révolte – ce mensonge – cette falsification de l’histoire qui n’a voulu retenir – comme le rappellera le titre d’un roman de Willy de Spens La loi des vainqueurs que la version de ceux qui ont gagné la guerre, incapable de tirer un trait sur les erreurs des vaincus – de tout ceux qui se sont trompés et ils furent nombreux – préférant à la juste compréhension des choses , l’anathème et la culpabilisation. Jacques d’Arribehaude rappelle l’attitude des Italiens qui après avoir condamné Mussolini surent ne pas s’attarder sur la vengeance.

On peut ne pas partager toutes les idées de Jacques d’Arribehaude, il n’en reste pas moins que le regard qu’il porte sur une France tellement affolée à l’idée d’admettre que sous la botte hitlérienne elle n’a pas toujours été héroïque et qui sous l’effet de cette peur ne cesse de caricaturer le passé et d’en rajouter sur les bienfaits d’une démocratie de plus en plus portée à la médiocrité mérite d’être au moins écouté sinon entendu.

Aucun regard n’est objectif et celui de Jacques d’Arribehaude part d’un présupposé aristocratique mais on saura lui reconnaître une pensée cohérente et honnête quand il n’hésite pas à dire le bien qu’il pense de Mitterrand et de son attitude humaine et littéraire – je laisse le lecteur découvrir dans quelles circonstances - mais c’est très certainement l’absence de naïveté politique et la sérénité de l’homme face à son passé et au passé de la France, son acceptation de la réalité et non d’une fiction virginale qui outre le savoir-vivre de l’homme-écrivain lui vaut cette reconnaissance.

Cet ouvrage est également pour Jacques d’Arribehaude l’occasion de revenir sur ses regrets de non paternité. On mesure à la répétition la douleur profonde tant pour lui-même que vis à vis de ses parents. On sourit à le voir affolé devant les contraintes qu’aurait supposé cette paternité quand sa fille adoptive lui impose la garde de son propre fils. Il se dit alors qu’au fond cela aurait été un lourd fardeau qu’il n’aurait pu supporter qu’en le laissant totalement à la charge de la mère tout au moins dans les années de la petite enfance, ce qui par parenthèse était le lot commun avant 68 et donnait au père le rôle tout à fait indispensable de séparer le moment venu l’enfant de la mère.

On est au centre de la question, l’absence du rôle du père, la mort du roi, la fin des mandarins, la mise en avant de la Fraternité (républicaine) font l’identité d’une France que Jacques d’Arribehaude voit faible et il se souvient que cette faiblesse a été la cause de la défaite qui a mis fin au monde ancien.

Reste ce qui nous paraît être au centre du livre, les relations de l’auteur avec Sonia et la fille de Sonia : Tatiana. Relations avec Sonia dont il ne cesse de dite qu’elles sont une sorte de devoir – on pourrait presque entendre - tant il insiste – de devoir filial, une scène entre Sonia et la mère de Jacques d’Arribehaude vient d’ailleurs renforcer cette impression et d’un autre côté relations avec Tatiana qui restent toujours chastes mais sur la corde raide et qui comme soulignant un paradis perdu – celui de la vie de l’auteur avant sa rencontre avec Sonia – sont d’une certaine façon une tournée d’adieu avant d’entreprendre le travail, le vrai travail d’écriture, le livre se terminant par : Il faudra bien que j’y arrive.

Comme nous le savons aujourd’hui, Jacques d’Arribehaude y arrivera, nous laissant un témoignage capital sur un monde disparu.

Penvins



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