Elle comme la vie - Jean Dewever

Edition e/dite

mardi 7 avril 2009 par penvins

Une écriture parfaitement maîtrisée autant que l’est l’érotisme de ce roman politiquement très incorrect, c’est ce qui rend ce livre intéressant en dépit des conventions du genre. Quand on écrit un roman érotique on est toujours au bord du lieu commun, et quand - pire encore - on s’engage dans le sado-masochisme, on court le risque de s’engluer dans un rituel qui n’intéresse que les adeptes.

Jean Dewever avait certainement conscience de tous ces pièges qu’il a su déjouer pour nous entraîner bon gré mal gré dans une histoire profondément dérangeante. Comment ne pas être dérangé en effet par ce déni de liberté qui s’exerce sur "La Femme" ainsi qu’est désignée l’héroïne dans le roman, sans doute pour éviter de dire qui elle est, maintenir le suspense sur son identité bien sûr, mais plus certainement encore pour dire qu’elle représente le genre féminin en son entier ce qui rend le propos encore plus inacceptable. Evidemment Jean Dewever ne manque pas de jouer sur les rapports sado-masochistes et de rappeler que la victime à un moment ou à un autre comprend son bourreau – son bourreau qui est appelé "l’Homme" - pire trouve dans son comportement des raisons de se croire aimée pour elle-même. La logique est poussée jusqu’au bout de sorte que ce qui peut un temps faire penser à une réalité subie par des femmes bien réelles, glisse petit à petit dans le fantastique non pas l’impossible – malheureusement – mais le difficilement imaginable, ce qui ressort du fantasme ou du symbolique.

C’est là que le roman de Jean Dewever peut échapper au genre, le sublimer, pour devenir une fable sur un monde où les femmes étaient prisonnières des hommes et/ou le sont encore. Elle comme la vie, le titre le dit, d’un côté il y a la vie, de l’autre ce monde qui lui ressemble fortement. C’est pourquoi le roman se déroule sur deux niveaux, et l’écriture elle-même sur deux registres bien différents.

Les lettres d’Anne à son mari ou à ses amies, lettres empreintes de romantisme sont entrecoupées du récit de la mise en esclavage de La Femme sur un ton neutre descriptif : On a l’impression de lire d’un côté les Liaisons Dangereuses et de l’autre un roman de Robbe-Grillet. Ce décalage, cette rupture de ton permet au récit de ne pas tomber dans la monotonie du rituel sado-maso et donne au récit toute sa force. Tension entre le réel et le fantasmé. Entre la vie et Elle. On est en 1952 la libération des femmes se sera pour bientôt mais il est bon de rappeler que cela se fera en dépit des fantasmes de l’Homme, du Maître et sans doute aussi et surtout de ceux de la Femme. La vie et la sexualité s’alimentent d’un rapport de force bien réel, que la vie romantique n’est qu’apparence et mensonge, elle débouchera sur un esclavage, voilà peut-être ce que dit cette fable.

Anne n’a jamais su ce que vivait Pierre, a-t-elle seulement voulu savoir – au fil de ses lettes elle devient la Toutoune de son toutou, son chien bien sûr. Anne a trompé Pierre, puis a accepté de Pierre qu’il dispose d’elle et la mêle à ses jeux. L’auteur est très précis quant à la chronologie, Anne a moins de 24 ans et la Femme entre 25 et 30, une scène laisse à penser qu’Anne est devenue la Femme, celle de l’Homme - Ta femme quoi qu’il arrive - dit-elle dans sa dernière lettre.

Plus qu’une éducation sentimentale et érotique, ce livre me paraît être une éducation politique, où l’on la naïveté et le romantisme – Anne se traite elle-même de godiche - mènent à la soumission. Un livre très étonnant ! et très politiquement incorrect !

Penvins



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