Ton bonheur n’est pas le mien, roman de Christiane Roederer

Ouvrage paru aux éditions "Les Petites Vagues" en 2008

dimanche 18 octobre 2009 par Françoise Urban-Menninger

Christiane Roederer, auteur d’une quinzaine d’ouvrages, présidente de l’Académie d’Alsace, signe avec son dernier livre une magnifique ode à la vie qui traverse les couloirs du service de long séjour pour toucher avec justesse notre intellect et notre coeur.

L’héroïne de ce roman "Aimée", au prénom prédestiné, est médecin, fille du grand patron du service de gériatrie Carl-Emmanuel, Carlam pour les intimes. Ce dernier vient de disparaître laissant sa fille seule et désemparée, tant leur relation était fusionnelle.
Le premier réflexe d’Aimée consiste à se replier sur elle-même, à fuir son amant le docteur Victor Nielsen, à ne plus répondre aux attentions de Suzel qui s’est occupée d’elle et de la maison depuis le départ de sa mère alors qu’elle était encore une toute petite fille et à nier le besoin que les soignants et les malades ont d’elle. Mais au fil des jours, Aimée va se ressaisir et paradoxalement, ce sont les malades qui vont l’y aider. Il y a Monsieur Bardol qui cherche Dieu partout, Madame Legal et sa sempiternelle ritournelle :" Je ne suis pas ce que l’on pense, je ne suis pas ce que l’on dit...".
Aimée entreprend un voyage vers les pays scandinaves qu’elle interrompt lors d’une prise de conscience qui la ramène auprès de ses malades. Sur le chemin du retour, elle rencontrera un couple et ses enfants qui deviendront "sa nouvelle famille".
Mais plus que tout, ce sont les phrases de Carlam qui vont la guider et l’aider à choisir sa voie. La "compassion", terme cher au médecin, est la clé de cette thérapie dont il use avec ses patients en prétendant qu’elle est "la moitié de la médecine". Une main tendue vers l’autre avec tendresse ou apposée sur un front fébrile ne remplace-t-elle pas un médicament ?
C’est dans cet esprit que nous entrons dans le service de "long séjour" où les âmes et les corps en peine errent dans l’antichambre de la mort.
Avec Aimée et sur les traces de Carlam, nous renouons avec nos angoisses et nos interrogations les plus secrètes. Car qui n’a pas été confronté aux problèmes du grand âge et de la dépendance, qui n’a pas été un jour amené à confier un proche dans un tel service ? Et qui pourra dire comment il abordera sa propre vieillesse ?
Le quotidien peu affriolant s’illumine pourtant lorsque les regards se croisent et que le contact s’établit entre les malades et les soignants.
Mais dans le livre de Christiane Roederer, il y a aussi en filigrane l’histoire d’une femme qui se reconstruit. Et on prend plaisir à suivre Aimée qui renaît et réapprend la vie et peut-être choisira l’amour auprès de Léonard lorsqu’elle se sera totalement détachée de l’emprise de son père...
Ce livre écrit avec finesse et sensibilité nous tend avec infiniment de justesse le miroir de nos faiblesses mais aussi de nos grandeurs d’âme. C’est un livre écrit sans fausse pudeur qui nous apprend bien plus sur la nature humaine que bon nombre d’opuscules de psychologie ou de psychanalyse ! Et quand à son tour, Suzel, atteinte de sénélité, rejoint le service de long séjour, on sait que la boucle est bouclée. On sait que comme nous l’enseignait déjà Montaigne, il serait temps pour nous "d’apprivoiser notre mort". Christiane Roederer nous y aide en réveillant les consciences endormies par notre société de consommation, elle nous éclaire dans une écriture simple et limpide et c’est en cela que découvrir ce roman devient un vrai bonheur.

Françoise Urban-Menninger

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