L’étranger - Albert Camus
mercredi 25 novembre 2009 par penvins

On peut lire ce livre avec tout l’appareil critique universitaire sur l’œuvre de Camus, on peut aussi le lire simplement en oubliant les théories philosophiques qui s’y rattachent.

Qui est Meursault ? Un être insensible comme on serait tenté de le penser, un étranger au monde social dans lequel il vit ? un fataliste qui reçoit les événements comme ils viennent ? – ce n’est pas ma faute répète-t-il - ce qui retient l’attention ce n’est pas seulement son côté résigné c’est aussi son refus de prendre parti, et son absence de réaction lorsque ses interlocuteurs s’étonnent de son insensibilité. Il pourrait donner le change, faire semblant de vouloir voir une dernière fois sa mère, cela ne l’intéresse pas et il se fiche de savoir ce que l’on en pense. Voulez-vous auparavant voir votre mère une dernière fois ? J’ai dit non. Des fils qui ne veulent pas voir leur mère dans son cercueil il y en a d’autres bien sûr mais ce qui caractérise Meursault c’est qu’il ne fait même pas semblant d’en avoir honte.

Meursault n’est pas seulement insensible aux douleurs de la vie il l’est également aux considérations sociales, il n’a pas conscience de ce que représentent ses actes vis à vis de la société. Ainsi quand Raymond lui demande d’écrire une lettre pour accuser sa maîtresse il accepte sans se poser d’autres questions : il voulait savoir ce que je pensais de cette histoire. J’ai répondu que je n’en pensais rien mais que c’était intéressant. Meursault est toujours d’accord avec ses interlocuteurs mais ne se rend pas compte de ce à quoi il s’engage.
Ce refus de contrarier son ami Raymond va le conduire à épouser sa cause – malgré lui – et finalement à tuer

La deuxième partie du livre commence après le meurtre.

Il y a d’abord l’interrogatoire du juge d’instruction qui voudrait bien que Meursault rentre dans le rang : sa conviction était qu’aucun homme n’était assez coupable pour que Dieu ne lui pardonnât pas, mais qu’il fallait pour cela que l’homme par son repentir devînt comme un enfant dont l’âme est vide et prête à tout accueillir. Le juge d’instruction en quelque sorte le supplie de jouer la comédie de l’homme normal, qui exprime par des pleurs sa douleur de la mort de sa mère. Ce qui influence la décision du jury dit A. Camus dans un autre texte (Réflexions sur la guillotine) c’est l’attitude de l’accusé qui ne lui est favorable que si elle est conventionnelle* c’est à dire comédienne, la plupart du temps

Puis viendra le procès. Lorsque les jurés entrent dans la salle du tribunal Meursault se fait cette réflexion : J’étais devant une banquette de tramway et tous ces voyageurs anonymes épiaient le nouvel arrivant pour en apercevoir les ridicules. Ce qui est en jeu ici à travers le ridicule, c’est la normalité, Meursault est avant tout un être qui ne se conforme pas aux rites sociaux. Peut-être est-cela l’étranger, quelqu’un qui ne se soumet pas aux codes sociaux du milieu dans lequel il se trouve. C’est bien sûr ce qui va la conduire à sa perte. Parce que le procureur a beau jeu de souligner qu’il n’a pas pleuré à l’enterrement de sa mère dont il ne connaissait même pas l’âge exact. Devant un parterre de jurés le procureur souligne à quel point l’accusé est différent et ce dernier ressent immédiatement combien [il est] détesté par tous ces gens-là.

Albert Camus nous donne ainsi indirectement le sens de la peine de mort. Ce pourquoi elle est faite et qui n’a rien à voir avec une punition ou une mesure de sécurité publique. La peine de mort rétablit l’unité sociale, elle retranche de la communauté celui qui ne veut pas se conformer à ses lois. Non pas simplement les lois de sécurité – celles qui bannissent les crimes de sang - mais également toutes les autres, celles tacites sur la façon de se comporter, sur ce qu’il est bien de faire et sur ce qui n’est pas bien.

Ainsi ce procès devient la revanche des biens-pensants, la cohésion sociale se refait autour de L’étranger celui qui refuse nos codes et nos lois. Le plus important, ce à quoi la société tient le plus finalement – Albert Camus le souligne magnifiquement – c’est la figure de la mère, c’est l’image sacrée, celle à laquelle il ne faut pas toucher, l’image qui a pendant des siècles hanté l’occident chrétien avec la vierge-mère et qui continue aujourd’hui de hanter notre imaginaire de manière plus subtile à travers notre désir de ne jamais manquer et notre façon d’exploiter la terre – mère nourricière – en refusant de la voir autrement qu’ immortelle. Tout l’occident baigne dans cette idéologie et que dire de l’Afrique du Nord où vivait Camus et qui considère toujours la mère comme l’intouchable absolu.

Que celui qui refuse de s’incliner devant cet absolu soit éliminé ! Ce que met en cause Meursault finalement c’est le rêve d’immortalité et son affrontement avec l’aumônier de la prison le dira bien Que m’importait […] l’amour d’une mère, que m’importait son Dieu,…Meursault refuse de se laisser bercer d’illusion c’est pour cela qu’il met en danger et qu’il doit disparaître.

* C’est moi qui souligne



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