Filles de Mexico, de Sami Tchak
dimanche 10 janvier 2010 par Liss Kihindou

Le dernier roman de Sami Tchak, Filles de Mexico, est pour moi ce que Le Temps Retrouvé est à La Recherche du Temps perdu. Aboutissement.
Filles de Mexico, univers féminin ? Pas seulement. Tous les âges de la vie se croisent et se font face dans ce roman : l’enfance, la jeunesse, la vieillesse. A Mexico. A Bogota. Comme partout dans le monde. Tous les mondes sont d’ailleurs évoqués : monde africain, monde européen... ou plutôt monde noir, monde blanc, monde sud-américain, monde métis... Quel rôle joue la peau dans le destin de chacun ? « La Race » - c’est même le titre d’un chapitre – a une place prépondérante dans ce roman.

Au-delà de la race, c’est une interrogation sur la vie que nous offre l’auteur. Qu’est-ce, la vie ? Une « fête des masques » ? (p. 53) ; une « comédie » ? (pp. 166, 168...) ; un « enfer » ? (p. 168) Pour ceux qui naissent du mauvais côté de la vie, du mauvais côté de la peau, la vie a tous les délices des enfers. Mais ceux qui ne sont nullement dans le besoin, comme Deliz, intellectuelle colombienne, comme Hector Zarate, gérant d’un bar ; ceux qui ont encore la jeunesse en partage, sont-ils à l’abri du souci ? D’un côté comme de l’autre, nous sommes tous désarmés contre la toute puissance du temps. Faut-il craindre la vieillesse ? Faut-il craindre la mort ? Elle nous guette partout, prête à se saisir de nous, quand bon lui semble, et souvent au moment où on s’y attend le moins.

En fait qu’est-ce qui sauve la vie de son absurdité ? Qu’est-ce qui fait qu’elle vaut la peine d’être vécue ? La rencontre, sans doute, déclare Djibril Nawo, dit Djibo, le personnage principal. Ecrivain, il a été invité à présenter une série de conférences à l’Université de Mexico. Mais il a aussi envie de rencontrer les habitants de cette ville, de tisser des liens avec des individus : « J’aime les aventures parce qu’elles aident à aller au-delà des murs, des apparences, elles aident à faire des rencontres. » (p.18)

Oui, mais la rencontre, a-t-elle véritablement lieu ? car «  il n’y a jamais de rencontre entre deux personnes, il n’y a rencontre qu’entre quelques-unes de leurs facettes. » (p. 135)
Djibo a envie de connaître la ville qui l’accueille, pas seulement à travers ses habitants, mais aussi à travers ses quartiers, même ceux réputés dangereux.

« Ici, ce n’était pas le quartier dangereux que je voyais, mais un lieu d’affluence, un lieu populaire, un lieu comme tant d’autres qu’il m’a déjà été donné de visiter ailleurs dans le monde. Ces lieux qui sont comme les ventres des océans. Entrer dedans en explorateur, prendre tout son temps, avoir la patience nécessaire pour décoder les énigmes des dangers et des beautés. Mais même les dangers sont beaux. [...] Entrer dedans comme un petit poisson, se glisser dans la vastitude du grand bleu où on peut finir dans une gueule, dans un museau, dans une panse. Entrer dedans, se mêler à la grande danse, à la grande fête des masques. » (p. 52-53)

Sans les avoir lus tous, j’ai l’impression que toutes les œuvres de l’auteur se font écho dans ce roman : « fête des masques » (p. 53), fragilité des destins des « chiots errants » (p. 59), ces enfants livrés à la rue, prostitution...

Question d’identité, question de vie ou de mort, question de survie, Filles de Mexico est un roman de questionnements, un roman où tout est ambivalent. Surtout les relations. Même les relations entre père et fille. Le complexe d’Œdipe est souvent présent chez Sami.

Entrer dans l’univers romanesque de Sami Tchak, c’est monter dans une embarcation qui vous emporte sur la mer des incertitudes, voguant entre rêve et réalité, entre fiction littéraire et réalité, entre désirs et fantasmes...



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