Melania G. Mazzucco : Un jour parfait.

Flammarion, 2009 ISBN : 978-2-0812-1456-9

mercredi 12 mai 2010 par Georges-André Quiniou

Un jour parfait
Couverture

Si l’on devait réduire un roman à l’histoire qu’il raconte, Un jour parfait serait celle d’Emma, une séduisante romaine d’un milieu populaire qui, à l’approche de la quarantaine, a raté la carrière de chanteuse dont elle rêvait, a raté son mariage et, revenue habiter chez sa mère dans un triste deux pièces de banlieue, se bat, de petit boulot en petit boulot, pour élever tant bien que mal ses deux enfants.

Ou plutôt non : ce serait l’histoire de ce député berlusconien à la veille d’une déroute électorale, Elio Fioravanti, qui pressent que sa carrière est finie et comprend trop tard qu’il aurait mieux fait de consacrer davantage de son temps à sa famille, ses enfants, sa nouvelle jeune femme, si élégante et mondaine, Maja.

Ou encore l’histoire de Maja, justement ; mariée toute jeune fille au riche et célèbre député qui l’a comblée de toutes les facilités d’une vie factice, faite d’hypocrisie et de faux-semblants.

Peut-être aussi l’histoire d’Aris, son beau-fils, issu d’un premier mariage d’Elio ; un fils à papa qui aurait mal tourné, dreads teints en violet et piercings à la narine, impliqué dans des attentats contre les restaurants MacDonald, symboles d’un système consumériste qu’il abhorre.

Mais il y a aussi l’histoire d’Antonio, l’ex-mari d’Emma. Un policier d’élite affecté comme garde du corps du député Elio ; bel homme, athlétique et autoritaire, passionné d’armes à feu et qui, fou d’amour et de jalousie depuis leur séparation, passe toutes ses nuits en faction sous la fenêtre d’Emma.

A moins que ce ne soit l’histoire de Valentina et Kevin, leurs deux enfants. Celle du petit Kevin, affublé d’un sparadrap sur l’œil pour corriger sa vue et que Camilla, la fille du puissant député, élira comme son « fiancé » lors de sa fête d’anniversaire. Ou celle de Valentina, préadolescente qui se cherche au sein du désastre familial, entre le père absent, la mère qui se voudrait présente et la charge de son petit frère qui lui incombe trop souvent.

Et puis il y a Sasha, le jeune professeur d’italien de Valentina. Lui, il a sublimé ses velléités d’écriture dans l’exercice ingrat de son métier ; il ne vit que dans l’attente des rares moments de bonheur passés avec son amant, un présentateur vedette de la télévision, marié et jamais disponible. Ce jour-là, il parcourra Rome en compagnie d’Emma à la recherche du petit Kevin, enlevé par son père à la sortie de la fête d’anniversaire.

Toutes ces histoires, bien entendu, s’enchevêtrent, se recoupent, se recouvrent partiellement l’une l’autre (puisque tous les protagonistes se connaissent, malgré les différences de conditions sociales) dans un subtil tissu narratif qui n’a que l’apparence d’une stricte structure chronologique. Car si le roman est divisé en 24 chapitres – correspondant aux 24 heures de ce « jour parfait » - pratiquement aucun de ces chapitres n’est exclusivement dédié à l’un des personnages. Leurs points de vue respectifs s’y succèdent, s’y rencontrent, se mêlent, évoquant non seulement leurs faits et gestes à cette heure donnée, leurs paroles, mais aussi leurs pensées, leurs regards sur les autres, sur leur vie, dans une sorte de style indirect libre mais tellement libre qu’il devient pour ainsi dire flottant de l’un à l’autre. C’est ce qui confère à la narration de Melania Mazzucco cette fluidité et cette finesse incomparables dans l’appréhension des êtres et du monde, de la qualité de la lumière nocturne dans telle rue de Rome, de la vie pour tout dire.

Il n’y a donc pas de « narrateur » au sens où nous l’entendons habituellement dans Un jour parfait, mais une constellation de points de vue narratifs que l’auteur semble accueillir – ou recueillir – dans la transparence de sa narration, sa presque disparition en tant qu’auteur. Et, outre l’intérêt – psychologique, social, humain – de ces histoires, c’est bien cela qui constitue l’attrait si précieux de ce livre remarquable.

Un jour parfait, 24 heures que le lecteur a l’impression de vivre en temps réel (le temps de la lecture pouvant effectivement coïncider avec la durée fictive), on pourrait d’abord comprendre ce titre par antiphrase puisque rien n’est parfait, bien au contraire, dans cette journée, pour aucun des protagonistes. Il peut aussi être pris dans son sens étymologique : un jour "parfait", per-fectum, qui est allé jusqu’au bout de son accomplissement. Cet accomplissement tragique, dont l’imminence entretient une sourde angoisse tout au long du roman, il n’est bien sûr pas question de le révéler ici.



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