Variations scatologiques

Pour une poétiques des entrailles

La Musardine - 2005

Bob O’ Neill

 

Sujet délicat s’il en est, du moins dans notre société qui a perdu l’habitude de regarder en face sa réalité, traité ici à la manière universitaire, voire un peu scolaire, mais  l’ouvrage a le mérite d’exister et de remettre le sujet sur la table – si l’on peut ainsi s’exprimer !

 

On regrettera tout d’abord que l’éditeur n'ait pas jugé bon de séparer du texte, par une mise page différente, les quelques énumérations lexicologiques qui alourdissent la lecture même si elles ne manquent pas d’intérêt. On les repèrera facilement souvent en fin de chapitre et on les sautera pour revenir dessus à titre documentaire.

 

Comme toujours je me demanderai pour quelles raisons l’auteur aborde ce sujet, savoir de quoi on parle c’est bien mais savoir pourquoi on en parle c’est mieux.. Mais de quoi s’agit-il donc ?  Je pense qu’on en trouvera l’explication dans le dernier chapitre : la sodomie. Tout l’ouvrage semble construit pour amener ce plaidoyer. Dépassant les craintes de se salir ou de se déshonorer, faire, ne serait-ce qu’une expérience, serait profitable à tout un chacun et surtout à certains misogynes et contempteurs de l’homosexualité.   Et la tentation est grande alors de réduire ce livre à une déculpabilisation de la sodomie, ce qui serait infiniment réducteur. Mais d'avoir compris ce qui est en jeu rend ce livre infiniment plus intéressant.  Comment en effet comprendre que ce sujet n'ait pas été évoqué plus tôt alors que notre société accorde une telle place à la cause homosexuelle. Comment comprendre que l'on puisse parler de  "la merde" - la  quantité d'ouvrages cités en est témoin - même si le sujet reste marginal, que le tabou de la fellation soit tombé - notamment au cinéma - et que la sodomie ne puisse être évoquée sereinement.

C’est d’ailleurs bien ce qu’implore le sous-titre de l’ouvrage « Pour une poétique des entrailles ».

Bob O’Neill apporte quelques réponses dont les plus pertinentes - sans doute parce que les plus personnelles - sont certainement celles qui ont trait au corps. La non-acceptation du caractère impur de la vie et à l’inverse le surinvestissement de la propreté à laquelle notre société s’est attachée, conduise à ne plus rendre compte de la réalité du vivant.  On est loin désormais de l’humilité de l’homme fut-il pape devant la diversité de la vie.

Les premiers papes doivent s’asseoir non pas tant sur une pierre mais sur un siège maculé d’excréments. […] On insinue de la sorte la vertu de l’humilité devant la grandeur d’un dieu. (cité page 133)

Depuis l’invention du Purgatoire - la grande purge - passage obligé vers le ciel pur, jusqu’à l’avènement des détergents, à travers l’hygiénisme du XIXe siècle une grande entreprise de déréalisation est en marche qui parvient semble conclure Bob O’Neill à rejeter hors de toute représentation l’acte appelé bien faussement contre-nature.

 

J’ai lu entre les lignes de cet ouvrage l’étrange paradoxe d’un retour du refoulé là où on l’attendait peut-être le moins. Comme si la communauté gay avait gardé avec le tabou de la sodomie et du fait de sa marginalisation le secret dont notre société veut se défaire : nous sommes issus des entrailles de la chair d’une chair qui vit de la décomposition des matières et qui est appelée elle-même à se décomposer.

 

 

Penvins

04/01/2006