Tracy Chevalier, américaine installée à Londres depuis 1984, excelle à imaginer la genèse des grandes œuvres. Après le tableau de Vermeer " La jeune fille à la perle ", elle s’est intéressée à la célèbre tapisserie conservée au musée de Cluny à Paris : " La Dame à la licorne ".

L’histoire de cette tapisserie reste mystérieuse, et le roman est pure fiction, mais l’écrivain rend admirablement, dans un style précis et coloré, l’atmosphère de la vie à la fin du Moyen Age et les sentiments contrastés des personnages.

Les tapisseries furent redécouvertes dans un triste état en 1841, au château de Boussac, par Prospère Mérimée alors inspecteur des monuments historiques. George Sand réclama leur restauration et l’Etat acheta les tapisseries en 1882.

******

L’histoire des tapisseries débute sous le règne de Charles VIII en 1490. Le peintre de la Cour, Nicolas des Innocents, reçoit du noble Jean Le Viste une commande d’une série de six tapisseries.

Le thème de la guerre, initialement prévu, devient celui du conte populaire de la Dame à la licorne, sous l’influence de l’épouse et de la fille Claude du commanditaire :



" La Dame pourrait séduire la licorne. Chaque tapisserie représenterait une scène où l’on verrait la Dame dans les bois, charmant si bien la licorne par de la musique, des friandises ou des fleurs qu’à la fin celle-ci poserait la tête sur les genoux de la Dame ".

****

" Claude tombe amoureuse de l’artiste; lors d’une présentation des ébauches, elle se reconnaît dans un dessin intitulé " Mon seul Désir " :

" Je me tenais entre un lion et une licorne, une perruche était posée sur mon doigt ganté. Je portais une robe somptueuse et un collier, un simple voile recouvrait mes cheveux dénoués.

Je regardais la licorne du coin de l’œil, souriant d’un sourire mystérieux. Bel animal blanc et bien en chair, la licorne se dressait sur ses pattes de derrière, pointant haut sa longue corne torsadée. Elle se détournait de moi comme si elle eut craint d’être envoûtée par ma beauté ".

La jeune fille devra se contenter d’être l’inspiratrice des célèbres tapisseries de " La Dame à la licorne " aux sous-titres évocateurs : le Goût, l’Ouïe, l’Odorat, le Toucher, la Vue, et A mon seul désir.


Le roman nous conduira de Paris à Bruxelles, lieu du tissage.

Tracy Chevalier a choisi de donner la parole, en tant que narrateurs, à tous les personnages les uns après les autres. Ce choix, qui présente l’intérêt de la diversité des points de vue, est aussi une gêne car il nécessite une adaptation répétée pour savoir qui est le narrateur, au détriment de l’unité du récit.

Un reproche plus grave pourrait être fait : le thème du livre est intéressant par le mythe qu’il représente, son symbole ou sa poésie. Ces aspects sont escamotés par l’écrivain qui s’attarde sur les états d’âme et les aventures de trop nombreux personnages, d’une manière trop simple négligeant la réflexion.

L’écriture " visuelle " de Tracy Chevalier et sa description précise des lissiers du Moyen-Age en font néanmoins un roman divertissant et agréable.

*****