Stricte intimité, Régis Jauffret

Julliard, 1996

 

Un soir d’été d’une chaleur oppressante, une vieille femme entre dans sa chambre à coucher et retrouve son mari mort sur le lit conjugal. Commencent alors trois jours de folle errance et de soliloque. Comme désinhibée par le drame, la veuve de très fraîche date va tout d’abord harceler une voisine, puis la concierge de l’immeuble, enfin  n’importe quel inconnu dans la rue, à la recherche pathétique d’un peu de réconfort. Toujours très vite refoulée, la défunte se noie dans un flot ininterrompu de projections conditionnelles qui lui permettent, croit-elle, de fuir les conséquences que ce décès provoque. Dans son délire, la veuve cherche notamment à fuir le bal macabre des croque-morts qui apportent matin et soir des pains de glace pour conserver le corps du mort, les obsèques de son mari, ainsi que la muflerie de ses enfants, dont elle est sûre qu’ils seront peu concernés par un décès qui ne peut que venir déranger un quotidien petit-bourgeois réglé comme du papier à musique. Résignée, la vieille finira par retourner auprès du corps de son mari, espérant être entraînée, en stricte intimité, dans une douce et lente descente vers la mort.

 

Initialement publié par Julliard en 1996, réédité en poche en 2009, Stricte intimité est un livre prometteur qui aurait mérité à n’en point douter de connaître un meilleur sort que celui qu’il connut. Même s’il n’a pas encore la verve des textes qui suivront (Univers, univers, Asiles de fous ou encore le foisonnant Microfictions), Stricte intimité est un texte extrêmement intéressant dans la mesure où l’on découvre les prémices du style singulier de Régis Jauffret. On y retrouve la folie de l’univers de l’auteur marseillais et ses héros à la froideur clinique dont on dirait que le cerveau baigne dans du vitriol. Ici, comme dans les romans qui ont suivi, le lecteur est entraîné dans la tête de personnages qui imaginent des scénarios tous plus délirants les uns que les autres, procédé habile permettant de mettre en lumière de façon radicale l’absurdité du quotidien, y compris dans des heures dramatiques durant lesquelles on attendrait plutôt du sang-froid et de la rationalité. Régis Jauffret a fait de ce créneau sa marque de fabrique et il l’exploite avec talent.

 

Florent Cosandey, 27 décembre 2009