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A propos de Dit Nerval de Florence Delay
lundi 16 mai 2005 par Calciolari

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Un critique littéraire nous a parlé de Dit Nerval(Gallimard, 1999, p.151, 4,70 €) de Florence Delay comme d’un essai. Et comme tel nous l’avons cherché. Le livre a bien gagné le Grand Prix du roman de la Ville de Paris 1999. En fait, celle du genre littéraire est une fausse question. Ce qui prime est ce qui reste d’un auteur, son texte, son cas, son Chiffre.

Et puis il y a des textes qui semblent des essais et des essais qui semblent des romans. Et encore plus, il y a des textes inclassables...
Florence Delay aborde la question du père, Jean Delay, et se retrouve avec un fils, Gérard Labrunie dit Nerval, qui « avait des affinités avec le Fils plus qu’avec le Père » (116).

De son vivant, le père de Florence Delay, médecin psychiatre et écrivain, a été une gloire nationale, élu à l’Académie française.
De son vivant, Gérard Labrunie dit Nerval, poète et patient psychiatrique, a été l’anti-gloire de sa famille, c’est-à-dire de son père, la mère étant morte à l’âge de vingt-cinq ans.

Florence Delay passe du docteur Delay au docteur Blanche, le thérapeute de Nerval. Et elle passe de l’intérêt de son père pour Gérard de Nerval à son intérêt à elle pour le même poète.

Il n’y a pas d’identification de Florence Delay avec Gérard de Nerval (ça serait une "faute technique". Mais dont l’émulation poétique serait très intéressante), il y a une convergence d’intérêts du père et de la fille pour le même auteur. Le rapprochement se termine ici : le père écrit sur Nerval un essai psychiatrique, la fille écrit une fiction.

Le roman de Florence Delay commence dans sa maison (qui est celle de la famille) par la visite d’un patient psychiatrique qui s’est enfui de Sainte-Anne, du service de psychiatrie dirigé par le docteur Delay. Peu après, dans le livre, il est question de Nerval, assis sur la même banquette à l’entrée de la même maison. "Il s’est enfui de la clinique du docteur Blanche. Et un autre docteur se tient entre nous".

Donc c’est le cas de cet autre docteur, son père, que Florence Delay doit analyser pour lire Gérard Labrunie dit Nerval. Et du premier patient il ne sera presque plus question. Il est sorti du scénario comme la flutiste du Symposium de Platon, comme le jardinier de la Philosophie dans le boudoir de Sade.

À Florence Delay reste un léger doute : "S’il s’était enfui de Sainte-Anne, c’est qu’il était fou". Cet homme a dit à la petite fille : "Il faut absolument qu’il sache, que je lui parle, je me suis enfui pour lui parler. Impossible autrement". Ceci reste à lire. La psychiatrie n’est pas une pratique de parole, et le colloque psychiatrique, comme chaque dialogue est la négation du Verbe. Il n’y a aucune mise en discussion de la psychiatrie et de la profession du père. C’est drôle qu’un écrivain n’affronte pas l’essentiel de la famille comme trace.

C’est trop beau ! Trop littéraire ! "L’un devint « fou », l’autre « psychiatre »". C’est exact, mais cette généalogie n’est pas analysée. Il y a pourtant tous les éléments, et même la maladie mentale présumée, la théomanie, selon le mot même de Nerval.

Mais, comment sommes nous en train de lire ? Nous lisons les documents, les livres de Gérard Labrunie dit Nerval par l’entremise du livre de Florence Delay. Et nous lisons, bien sur, le livre de Florence Delay, intéressé au Chiffre de son itinéraire d’écrivain et aussi à sa lecture de l’expérience de son père et de Nerval. Donc, nous lisons les documents du père de Florence Delay dans le livre de sa fille. C’est-à-dire que Florence Delay est en position d’archiviste.

Il y a une mise en scène des matériaux d’archives. Est-ce que c’est ça la fiction ? Tout semble comme blindé, plombé contre une lecture socialement normative. Une seule remarque ! - le préambule d’un doute - sur la profession du docteur Jean Delay, père de la psychopharmacologie et de la psychographie, situé tout de suite après Pinel et Esquirol : "la découverte des médicaments psychotropes fit tomber d’autres chaînes, au risque d’en forger de nouvelles".

Alors, il faut être clair : dès Pinel à l’anti-psychiatrie, de la psychanalyse à la psychothérapie, les chaînes sont celles du sujet, parce que la notion du sujet est celle même d’esclave. Le jeté-sous est le jété en chaînes. Peu importe qu’une classe décide si tel ou tel autre sujet est malade ou non, il reste que le sujet - de l’être pour la mort - est potentiellement malade. En tel sens, la psychiatrie est une bribe de l’ancien paradigme grec.

Le cas intellectuel de Gérard Labrunie dit Nerval reste à lire. Il faut la restitution de son texte, de son Chiffre sans pathos ni pathologie. Il faut lire l’ivresse païenne de Nerval :
« Gérard se lie et relie à tous les dieux cachés du monde avec une ivresse païenne, un enthousiasme tel qu’il va jusqu’à penser que c’est une maladie, sa maladie, qu’il baptise “théomanie”. Un réel dégoût du catholicisme officiel et de ses paroissiens allait de pair » (127).

Mais l’ivresse païenne est son anabase et sa catabase, son euphorie (accessoirement alimenté par l’alcool) est sa dysphorie. Et être tenté de se jeter (de se faire sujet de Satan) est la deuxième tentation de Christ. Pas une maladie. Et la leçon du Christ à ce propos est celle de l’anorexie intellectuelle : il n’y a plus d’appétit pour ce monde.

Notre tentation intellectuelle est celle de lire le texte de Gérard de Nerval et de restituer son cas sans plus de psychopathologie. C’est une hypothèse pragmatique. Si elle aboutissait, ce serait parce que nous aurions trouvé nos matériaux d’archive et des pistes à explorer dans le livre de Florence Delay. Et parmi les "livres d’archive" - ce qui fait la gloire de Florence Delay - Dit Nerval est écrit de façon admirable.

Pour nous qui avons réappris le français écrit en lisant l’oeuvre édite et inédite de Jacques Lacan, et qui peut-être a rendue encore plus compliquée "notre" syntaxe, lire Florence Delay revient à fréquenter un formidable cours de langue française, commencé avec -comme maître et ami - le poète Bernard Hreglich, qui comme Nerval a cédé à la tentation de se suicider. En tout cas, la faiblesse linguistique de l’élève laisse intangible la qualité des maîtres.

Nous répondons à une question posée par Florence Delay, à savoir si le cas de Gérard de Nerval est « un crime habillé en suicide ? ». Non. Pourquoi ? Parce que : « “Je” est une digression comme une autre, une variation au chant général, un lieu de rendez-vous » (68). Nous sommes proche de l’explication ironique de Florence Delay, mais nous disons sans ironie : La réthorique du « fils » Gérard Labrunie dit Nerval implique que l’unique façon pour le sujet de se tenir debout est de se pendre. Et ceci revient à n’être plus au rendez-vous du chant général, c’est-à-dire à se nier comme “Je”, en refusant d’être la variable d’une fonction sociale.



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