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10, de Kiarostami
mercredi 22 septembre 2004 par Philippe Nadouce

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Film choquant, sans l’ombre du doute, 10 de Kiarostami nous montre qu’une vie existe là où notre curiosité n’en avait jamais soupçonné la présence...

L’univers présenté ici par Abbas Kiarostami existe-t-il vraiment ? En effet, rien de ce que nous avons appris à l’école où chez PPDA ne ressemble à ces dix coups de projecteur sur le monde musulman...

Nous sommes décidément dépaysés. Où sont les manifestations d’excités, les terroristes enturbanés, les mères pleurnicheuses, les voyous lanceurs de cailloux auxquels nous étions habitués ?

Séquence numéro 1, par exemple. Que des images choquantes ! Une femme au volant d’une voiture ! Un gosse d’une rare intelligence qui l’engueule, une vivacité, une souffrance, des conflits qui n’appartiennent qu’aux humains ! C’est ébaubi que l’on assiste à cette tragédie familiale. On croit rêver !

Avec Kiarostami, l’ethnocentrisme européen nous revient sans crier gare en pleine figure. Et pour rester français, nous qui les connaissons si bien ces musulmans, eux qui nous doivent tout et que nous protégeons par devoir, nous avons beau faire appel à nos références ethnologiques, celles qui s’enracinent dans la guerre d’Algérie -en avons-nous d’autres ?-, et dans les services rendus à la France par les paras du 10e DP, nous ne trouvons aucune clé pour nous expliquer un tel film.

Ceux qui rendirent ces services à la France ont aujourd’hui soixante cinq, soixante dix ans ! Fringants retraités ! Leurs souvenirs, nourris d’un essentialisme fixiste qui ne fut jamais véritablement étudié si ce n’est pas les théoriciens de FN, en sont restés au fellagha égorgeur, enculeurs de chèvres, qui se torche le cul avec une pierre. Ce pan d’histoire, son interprétation, se sont fossilisés. Les avalanches de savoirs qui depuis ont recouvert l’histoire des humiliés n’y ont rien fait. Les Iraniens, les Egyptiens, par exemple, seront toujours pris pour des Arabes ! Cette ignorance-là, savamment distillée, n’a rien d’un anachronisme...

A cette couche de sédiment de la honte est venue s’ajouter celle -non moins abjecte- de la propagande américaine du 11 septembre. De nouvelles représentations racistes sont venus étoffer celles du cru, peignant presque toujours des pratiques vouées à être aperçues comme injustifiables et criminelles.

Au milieu de cette confusion, Kiarostami en est repoussé d’autant dans les oubliettes du paradis audiovisuel mondial. Nous comprendrons alors le choc que produit la séquence de la prostituée !

L’éveil auquel Kiarostami veut nous faire prendre part est une tâche ardue, nous venons de le voir ; c’est à peine si nous pouvons saisir tout le poids des paroles lancées par ses femmes en luttes pour l’égalité, la signification de la « mutilation » symbolique de l’une d’entre elles, le rôle de cette vieille femme qui n’a que la prière, etc., le tout dans un espace réduit. confiné ; un des seuls où puisse s’exercer la liberté d’expression sous ces latitudes : l’intérieur d’une voiture ; élément particulièrement significatif chez Kiarostami. Un espace dont l’utilisation est particulièrement choquante dans ce film.

Le plan fixe délibérément utilisé ici comme élément authentique, épuré, « anti-narratif », loin d’un cinéma opulent et mièvre, castré par une fausse complexité hollywoodienne en irritera plus d’un. C’est du documentaire diront-ils !

Pour les mêmes raisons, nous éviterons d’employer ici le terme road movie. L’habitacle de la voiture, répétons-le, est une métaphore. Une parole fluide et lumineuse s’en échappe. Pendant une heure trente - à de rares exceptions près- nous voyons cet espace en mouvement, circulant partout, s’introduisant partout, roulant sans arrêt, le jour, la nuit ! Loin de faire du sur-place, cet habitacle se fraye un chemin sur les routes les plus tortueuses...

10, est un film difficile qui ne prétend pourtant pas faire école. On l’aime tellement qu’on aimerait le voir « dépassé », rétro... En effet, dans un monde où ces femmes auraient enfin ce qu’elles veulent, où les libertés seraient garanties, ce film aurait encore un indiscutable pouvoir de ravissement tant l’humanité qui s’en dégage est unique.

Londres, le 22 septembre 2004

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