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Eureka Street
jeudi 6 octobre 2005 par Florent Cosandey

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Robert Mac Liam Wilson, Eureka Street

Si vous avez besoin d’être convaincu de l’absurdité des conflits et du ridicule des acteurs qui les enveniment, courrez acheter Eureka Street de Robert Mac Liam Wilson. Dans ce roman publié en 1996, soit la même année que le deuxième cessez-le-feu de l’IRA, le jeune auteur nord-irlandais s’attaque avec un humour féroce et déjanté à tous ceux qui pourrissent le quotidien des habitants de Belfast qui n’aspirent qu’à vivre tranquille. Sont particulièrement visés : les dogmatiques du Sinn Fein (Nous seuls en gaélique...), les bigots unionistes ou les paramilitaires de l’IRA catholique ou de l’UVF protestante. Mac Liam Wilson évoque l’Irlande du Nord et ses tourments avec une sensibilité et un sens de l’à-propos rares. Paradoxe suprême : la plume de ce natif d’un quartier républicain (catholique) de Belfast est trempée dans un encrier d’humour british pur jus !

Ce roman foisonnant est bâtit sur la description de la vie de deux habitants des quartiers populaires de Belfast, Jake le catholique et Chuckie le protestant, que des religions différentes n’ont pas empêché d’être les meilleurs amis du monde. Jusqu’au seuil fatidique de la trentaine, leur existence est relativement similaire : ennui, célibat souvent forcé, beuveries, emplois précaires, désintérêt total pour la guerre civile qui se déroule sur leur pas de porte. Bref, aucun des deux hurluberlus ne trouve sa place dans la société nord-irlandaise. Pourtant, du jour au lendemain, sans explication rationnelle, leur destin évoluera de façon radicalement différente.

Tout d’abord, niveau emploi. Jake, le narrateur, travaille dans une entreprise de récupération d’objets non-payés, en compagnie de deux protestants écervelés, Crab et Hally. Ne pouvant plus supporter de dépouiller de misérables familles, il démissionne et se fait engager dans une entreprise de ferblanterie-couverture. Jake passe des journées entières à rénover le toit de l’Hôtel Europa, qui détient un triste record : celui d’être l’hôtel le plus plastiqué d’Europe... Chuckie, de son côté, peut compter sur une bonne étoile : roi de l’esbroufe, il commence par faire fortune en vendant des godemichés géants par correspondance. Sa technique est imparable : les godemichés n’arriveront jamais aux destinataires. Bien sûr, ceux-ci pourront se faire rembourser, mais à condition d’aller encaisser dans une banque un chèque sur lequel apparaît en grosses lettres le nom de l’instrument sexuel commandé... Le fanfaron parviendra ensuite à convaincre différentes banques ou service de l’Etat de lui attribuer des fonds pour des projets tous plus fous et fictifs les uns que les autres. La machine s’emballe et l’adipeux protestant devient en quelques semaines le véritable nabab de Belfast.

Les vies sentimentales de Chuckie et Jake suivent également des chemins opposés. Le premier rencontre une splendide Américaine qu’il conquiert on se demande encore comment, vu son physique ingrat. Le second, de son côté, « tombe amoureux tous les cent cinquante mètres ». De Sarah, de Mary, de caissières, de passantes, bref de tout être aux formes féminines. Sans succès notable... Jake semble condamné à être éternellement éconduit...

Si Jake et Chuckie sont les personnages centraux du roman, ce serait faire injure à Mac Liam Wilson d’oublier la palette d’individus tous plus extravagants les uns que les autres. On citera notamment : Aoirghe, la petite bourgeoise nationaliste au nom gaélique imprononçable. Jimmy Eve, la parodie délirante de Gerry Adams, le leader du Sinn Fein. Le poète barbu Shague Ghinthoss « qui écrit sur les grenouilles, les haies et les pelles à long manche ». Roche, le gamin des rues dont la vulgarité verbale est le résultat des coups reçus par ses parents. Ou encore Peggy, la mère de Chuckie, qui découvre sur le tard les plaisirs saphiques.

Le risque majeur en lisant Eureka Street, c’est de se faire éclater la rate. Les scènes surréalistes et cocasses se succèdent à un rythme effréné. Seul le onzième chapitre décadre totalement dans cette symphonie de joyeusetés. L’auteur y décrit avec un réalisme effrayant l’avant, le pendant et l’après d’un attentat à la bombe dans une vulgaire sandwicherie de Fountain street, en pleine pause de midi. Là, on pleure à chaudes larmes. Rien ne nous est épargné : les cris, les bouts de corps épars, le traumatisme des survivants ! Une horreur ! Mais une horreur salutaire qui empêchera définitivement quiconque d’avoir une vision romantique des mouvements de libération nationale et de leurs actions terroristes. Dans ce chapitre magistral, on réalise également à quel point l’Histoire avec un grand « H » que tentent d’écrire une minorité d’ultras peut briser net une multitude de belles histoires avec un petit « h ».

Le roman vaut également la peine d’être lu pour la minutieuse description de Belfast. Robert Mc Liam Wilson est profondément amoureux de chaque centimètre carré de sa ville, une ville où la politique ne se résume pas à des débats futiles sur la fiscalité, les crédits routiers ou la réfection de canalisation. Belfast, c’est un véritable puzzle dont les pièces protestantes et catholiques peinent à s’imbriquer. Belfast, c’est une des dernières zones de l’Europe à 25 dans laquelle la libre circulation des personnes n’est pas garantie. Belfast, c’est une ville où les murs racontent les haines ancestrales, glorifient les mouvements paramilitaires et se couvrent d’acronymes belliqueux. C’est une ville où les différends se règlent à l’Armalite et à coups de feu dans les rotules. Mais Belfast n’est pas peuplée que de terroristes en armes assoiffés de sang. Elle grenouille également d’habitants, comme Jake et Chuckie, qui se moquent de leur religion comme de leur première brosse à dents et qui se sentent peu concernés par les soubresauts de l’Histoire. Ils aspirent à une vie paisible agrémentée d’activités banales comme boire des bières entre amis, lire Erasme, nourrir leur chat ou partager un bol de céréales avec leur tendre et chère. "Toutes les histoires sont des histoires d’amour", déclare Robert McLiam Wilson en préambule de son chef d’œuvre. Eureka Street est effectivement une magnifique histoire d’amour, qui apprend à jouir du quotidien à pleines dents !

P.S Nul besoin d’être au fait du conflit nord-irlandais et de l’ambiance qui règne dans les quartiers nationalistes (Falls Road, Ballymurphy, etc.) et loyalistes (Shankill, Sandy Row, etc.) de Belfast pour aborder Eureka Street. Il suffit en gros de savoir que l’Irlande du Nord est peuplée d’une majorité de protestants souhaitant rester au sein du Royaume-Uni et d’une minorité de catholiques plutôt encline à la réunification avec la République d’Irlande. L’intrigue du roman pourrait en fait se dérouler dans n’importe quelle zone urbaine déchirée par un conflit.

Le lecteur désireux d’en savoir plus sur le conflit nord-irlandais trouvera une multitude d’informations sur le site web http://cain.ulst.ac.uk
Le dossier de ce site sur les Murals, peintures murales à caractère politique qui ornent les pignons des maisons des quartiers populaires de Belfast, donne également un éclairage instructif de ce qu’a pu être le quotidien de l’auteur du roman.
http://cain.ulst.ac.uk/mccormick/index.html



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