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Comme une image
dimanche 11 juin 2006 par Ahmed Maroud

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"Comme une image" est une production au vernis richissime qui prétend compatir à la cause des défavorisés, tous problèmes confondus: le genre de réalisation à travers laquelle on crée un film pour démontrer une idée. On a donc une théorie sur laquelle on greffe une histoire. De la propagande artistique. Je préfère les films qui ont un scénario original, ou même classique, et d'où les idées découlent naturellement. ‘Frida’, par Julie Taymor, la réalisatrice, en est un excellent exemple. À partir d’un récit vécu, bien que taraudé par l’engagement communiste radical des figures centrales du film, en l’occurrence le peintre Diego Rivera, son mari, et Léon Trotski, dont les portraits sont brossés sous un jour héroïque, l’art cinématographique, ici, frappe agréablement nos sens par une atmosphère surréaliste, à la manière des toiles de Frida Kahlo. C'est une réussite totale et je trouve cette façon artistique de procéder tout à fait légitime et adéquate car elle permet de soustraire notre jugement, le temps de la projection, à la polémique des dessous historiques pour le moins naïfs, sinon cruels et désastreux de toute cette aventure, pour profiter du contenu qui est un régal.

Ce que je venais tout juste d'écrire au sujet de la BD s’applique aussi au cinéma : "En général, ces illustrés commencent bien, l'originalité des images aidant. Puis, ça se gâte par la banalité ou l'excentricité gratuite." Dans le cas de ‘Comme une image’, c'est un marteau et un gros clou qu’on utilise pour enfoncer, tout ce qu’il y a de plus sérieux, les stéréotypes. Pour faire l'affaire, on n'a trouvé rien de mieux qu'un beau maghrébin, Rachid, une grosse fille passionnée de chant et complexée "au boute" (qu'on s'efforce de faire passer comme une laideur infinie dans nos sociétés évoluées, du moins en est-elle convaincue); il y a les grosses têtes d'éditeurs; l'écrivain déterminé au succès à tout prix; et même un ex-terroriste délicat aux manières des plus politiquement correctes, réhabilité pour la bonne conscience des croyants de la révolte guerrière. Un peu niais, tout de même. C'est le seul personnage tragi-comique de cette production dont la caricature s'accorde bien avec le ridicule des situations décrites. Il ne manquait qu'un gai pour brosser un tableau complet. Pourtant, ce dernier est une des pièces maîtresses de l'échiquier social.

"Comme une image" nous martèle encore et encore que c'est la faute du père, de l'argent, de l'avidité pour le succès et la renommée, etc., qui sont la cause de nos malheurs. Ces privilégiés sont indifférents à l'amour véritable, à la vision de la beauté non explicite, aux qualités qui n’alimentent pas le plaisir de leurs goûts, toutes choses fort décevantes pour l’harmonie de la société, surtout lorsque l'homme en est le protagoniste –de surcroît bourgeois et capitaliste. Au fur et à mesure que "Comme une image" défile sur nos écrans, davantage le scénario doctrinaire devient insoutenable. Sous prétexte de s'intéresser au sort des défavorisés, les réalisateurs font retentir sans complexes la sonnerie du tiroir caisse sous forme de voyeurisme réjouissant de la vie mondaine. Ils empochent par la même occasion un plus grand nombre d'entrées. On est sans aucun doute, face à des créateurs de la haute bourgeoisie qui ont trouvé la manne pour dorer leurs blasons : le peuple en admiration.

Au cinéma, une facture classique, tel ce film, est extrêmement exigeante. Même si on a pas lésiné sur les moyens professionnels tels que le décor et la mise en scène très réussis par ailleurs, même si les enjeux sociaux font la substance de cette histoire et portent allègrement les acteurs dans leur rôle, c'est globalement moyen avec des scènes lamentables; les personnages s'auto-détruisent en gageant sur la compassion du spectateur. Ainsi, ces infortunés n'en finissent pas de se sacrifier à la destinée qui les a jetés dans ce monde ingrat. Ils deviennent du même coup des héros.

Fort heureusement pour notre héroïne, Rachid est beau gosse et, au contraire des occidentaux obnubilés par le standard formaté de la beauté promotionnelle, il les préfère bien en chair, comme tous les orientaux, à ce qu'il paraît. Mais Rachid, à l’instar de tout maghrébin qui se respecte, est un dur doublé d'un romantique. Il s'excusera auprès de son hôte avec laquelle il dînait dans un restaurant de ne pas avoir tabassé le garçon de café aux manières un peu rude. Comme il a le rôle du révolté, il refuse l'emploi offert sur un plateau en or par son futur beau-père qui croule sous le fric. Mais ce que le film ne dit pas c'est ce qu'il adviendra de lui?

Quoique la résistance et la rébellion, selon la bohème utopique, soient sensés agir comme une thérapeutique pour l'individu, les résultats sont décevants. Que font-ils, en fait, après l'âge de la révolte? De la jeunesse? Ils entrent tous dans le moule, de la droite ou de la gauche, comme on dit. Pourquoi ? Parce que "la civilisation se construit sur notre disposition à accepter les règles et à renoncer à la satisfaction de nos intérêts personnels par déférence pour les besoins et les intérêts des autres". La plupart de ceux que j'ai connus des années 70, roulent dans des voitures rutilantes et vivent dans des demeures cossues, tout en s'objectant au capitalisme et en tenant des propos anticonformistes.

À la Micheal Moore, un exemple on ne peut plus parfait puisqu’il représente une des idoles de la contre-culture. Ce dernier prétend vouloir réformer les institutions néo-libérales mais vit comme un bourgeois de haut standing. Malgré cela il obtient la majorité du vote populaire! Débile.

Et Jacques Attali nous rappelle, pour mieux faire avaler la pilule, une phrase du marquis de Sade: "Il y avait à Athènes une loi qui séparait l'homme de l'opinion qu'il annonçait, et l'auteur de l'ouvrage qu'il publiait." Une conception très prisée par nos contemporains.

"En fait, l'un des traits pernicieux de la critique de la société de masse, écrit le philosophe Joseph Heath, c'est qu'elle a fait paraître beaucoup trop facile le fait de se dégager de la société de consommation. Elle veut nous faire croire qu'il peut exister une solution alors que nous sommes devant un phénomène naturel de consommation concurrentielle, motivée par la quête d'une distinction propre à susciter l'envie –une façon de se distinguer de la masse ou de prouver qu'on n'est pas un raté."

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