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Père-fille

Didier Lauru, Editions Albin Michel, 2006

lundi 16 octobre 2006 par Alice Granger

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C’est fou comme ce livre du psychanalyste Didier Lauru se lit rapidement, facilement ! Par de nombreux exemples tirés de son expérience, il nous parle de l’importance du père pour la fille et de « la fonction essentielle de son regard dans l’épanouissement de la féminité de celle-ci ». Il se demande : « Comment le père anticipe-t-il chez sa petite fille la jeune fille puis la femme qu’elle va devenir ? » Le verbe « anticiper » mérite d’être souligné... Cette femme qu’elle va devenir...qu’est-ce qu’elle voudra ? Puisque, comme le rappelle Didier Lauru, la réponse à la question de Freud « Que veut la femme ? » reste encore ouverte...Cela entretient le mystère...le continent noir...la féminité qui se construit à travers le regard que le père porte à sa fille... Cette féminité que beaucoup de femmes ont du mal à assumer...

D’abord, dans cette histoire, rôle très important de la mère. Celle-ci apparaît avec tous les pouvoirs, à l’intérieur du couple parental, le père la regardant d’abord elle, cette mère, « C’est à elle qu’il revient de créer l’atmosphère indispensable à l’enfant pour élaborer sa personnalité sur de solides ‘assises narcissiques’ ». Si on comprend bien, le regard du père sur la mère l’assure elle d’abord, comme préalable, d’être capable de « créer » cette atmosphère, donc ce père installe le personnage de la mère sur l’autel d’un narcissisme royal... Cette mère dont l’enfant est né, qu’il soit fille ou garçon, a perdu l’enveloppe placentaire dans lequel le fœtus était à l’abri. Mais voici qu’elle est à nouveau capable de « créer » cette atmosphère...Sans changement radical de registre ? Sans inscription de la perte d’enveloppes matricielles ? Comme si le père l’assurait d’être encore pourvue de ça, d’être encore propriétaire de ça ? Quelles sont ces fameuses « assises narcissiques » ? Lorsque l’enfant est né, garçon ou fille, la femme d’où il est définitivement sorti est-elle encore « pourvue » de quelque chose ? Est-il encore possible de retourner en son sein continué à l’extérieur, presque métastasé à l’extérieur ? Et si oui, cette femme pourvue de ça en retire-t-elle un bénéfice narcissique inimaginable ? Et un pouvoir... ? Que veut la femme ? Veut-elle ça ? Veut-elle vraiment ça, être vue pourvue de ça ? Veut-elle posséder cet attribut placentaire en dehors d’elle comme la poche kangourou ? Continue-t-elle vraiment cette logique de grossesse après la naissance de l’enfant ? Le nouveau-né, dans sa prématurité, a un besoin vital de sentir autour de lui un environnement sûr, une sorte de terre humaine désirant cette vie nouvelle, aimant cette vie renouvelée et faisant tout pour qu’elle puisse s’élancer vers la lumière. Mais cet environnement qui accueille la vie nouvelle peut-il si facilement se focaliser sur le mot mère et sur le mot père ? Est-ce si simple ? Ou bien, le mot « mère » et le mot « père » peuvent-ils sans se sentir terriblement à l’étroit être circonscrits à la cellule familiale ? Ces mots doivent-ils être à ce point contaminés par la logique de grossesse ? Ce fameux regard du père, ne pourrait-on pas déjà le surprendre en train de regarder la femme qui n’a plus les moyens de garder en elle l’enfant, en train de regarder la femme qui n’est plus pourvue de quelque chose, en train de regarder...une fille, et alors ce père, face à celle qui, passé le temps de grossesse, n’est plus pourvue, apparaît comme le garçon qui est pourvu, comme le garçon qui déplace les choses du côté de la terre où vivre, qui déplace vers une autre logique, où il s’agit de saisir le nouveau-né et de s’en occuper avec des moyens terrestres ? Ce regard du père sur la mère la voyant non pourvue, la voyant fille, l’amènerait à faire le deuil de ce pouvoir total qu’elle avait, et à se voir dans le miroir non pourvue, à s’accepter fille...

Mais voyons, je divague...La relation mère-fille ferait des ravages si le père n’intervenait pas rapidement, non seulement pour en limiter les effets, mais aussi pour un amour essentiel à la fois au père et à la fille. Ce père "fait avec sa fille une expérience d’amour unique vers un être féminin, puisque ce lien filial si intense ne peut se traduire dans la sexualité. C’est précisément cet interdit de l’inceste qui garantit la qualité de ce lien. En le respectant, le père autorise sa fille à échapper à son emprise pour devenir une femme et aimer un autre homme, accomplissant ainsi sa féminité y compris dans sa dimension sexuelle ». Le verbe « autoriser » est à souligner ! La fille commence par aimer sa mère, de même que le garçon et celui-ci n’en sortira jamais, sauf que rencontrant son père comme rival inscrivant la loi de l’interdit de l’inceste il finira par se tourner vers une autre femme en laquelle il retrouvera un peu de sa mère...C’est dire si cette mère est toujours pourvue...Quelles assises narcissiques ! Risque de symbiose incestueuse entre mère si puissante assurée par le regard du père et la fille qui l’aime et veut lui faire un enfant. Heureusement, il y a le père, et la fille va pouvoir s’écarter de sa mère pour être la petite princesse du père, celui-ci retrouvant ...la fille et se sentant lui-même garçon ?...et la petite fille rêve de supplanter sa mère auprès de ce père, elle va se formater par rapport à l’image de sa mère que le regard du père assure, elle rêve de lui faire un enfant, mais bien sûr jamais la mère n’est éliminable aux yeux du père, alors la fille, déçue, va se tourner vers un autre homme...qui ressemblera à son père...ou qui devra être à la hauteur de celui-ci... ou bien en tout cas qui saura la regarder comme son père regardait sa mère...qui saura la pourvoir de cette féminité dont sa mère était pourvue, et de ce mystère...puisque cet homme, en tant que garçon, de la mère il n’en est jamais...sorti...Et voilà...

Ensuite, tous les problèmes qui, souvent, conduisent chez le psychanalyste ou le médecin prescripteur de psychotropes, viennent d’une manière ou d’une autre d’un manquement à la loi de l’interdit de l’inceste. Mère incestueuse, père incestueux.

Comme c’est curieux ! Etre une fille, être un garçon, c’est-à-dire être sexué, semble ne se définir que par rapport à cette mère qui a un tel pouvoir de « créer » l’atmosphère si maternelle. La fille doit s’en séparer, ne plus en être « pourvue », pour se tourner vers le père, tandis que le garçon en reste « pourvu » mais il doit la retrouver dans une autre femme. C’est fou, cette non séparation du garçon d’avec sa mère, qui ensuite va nourrir ce regard du père sur la femme s’épanouissant et sur la femme devenant mère ! La fille, dans l’histoire, n’est vue séparée de sa mère que pour mieux y être précipitée, devenir cette mère ! Où est passée la fille ? La féminité épanouie serait-elle autre chose que le passage de relais des mains du père à ceux d’un autre homme qui va la regarder en lui offrant par son regard l’image de la première femme de sa vie, sa mère, qui va donc la pourvoir de l’aura de cette mère qui lui permettra de s’épanouir, de retrouver de solides assises narcissiques ?

« Le regard du père va assurer à sa fille un statut d’être pensant autonome mais aussi un certain capital de séduction et le plaisir d’être une femme qui l’accompagne. » Regard « plus ou moins ambiguë ». « ...un chemin qu’elle ne peut accomplir si son père n’a pas renoncé à l’amour fou qu’elle lui porte, pour la laisser devenir la femme épanouie qu’elle peut être ». Il faut souligner ce « renoncement » de la part du père ! La fille doit renoncer à son amour pour son père, mais le père doit aussi accepter que sa fille lui échappe.

« Les plaintes de la fille envers sa mère sont comme celles d’un petit enfant qui aurait le sentiment qu’elle ne lui a pas assez donné à manger ». A l’heure de l’anorexie et de la boulimie... ! Mais ne serait-ce pas vrai, que cette mère qui sait « créer » l’atmosphère, comme régénérer son placenta à l’extérieur, ne lui a pas assez donné à manger ? Lui a-t-elle vraiment donné à manger de la vraie nourriture terrestre, de la nourriture du dehors, de la nourriture comme celle des êtres nés ? La fille anorexique ou boulimique n’attendrait-elle pas en vain la nourriture d’une fille réellement née, pas celle qu’une mère ferait encore venir par voie ombilicale ? Une fille craindrait-elle d’être castrée de cette mère pourvue si elle était sûre que sa nourriture vient de la terre du dehors généreusement assurée par un désir qu’elle vive ?

Enfin, j’ai voulu laissé entendre, en saisissant le prétexte de ce livre de Didier Lauru, que les mots, par exemple père, mère, femme, homme, fille, garçon, n’ont peut-être pas un sens si convenu, si étroit, et que par exemple le mot « mère » à propos du ou des personnages qui prennent soin du nouveau-né a peut-être un sens totalement différent du mot « mère » à propos d’une femme enceinte. Enceinte, elle s’occupe de l’enfant comme malgré elle, cela l’a colonisée et cela se fait par-delà elle, elle tolère pendant un temps précis ce qui devra être un beau jour l’objet d’un rejet immunitaire. Alors, au temps de la grossesse, il y a de la mère dans la suspension d’un processus de rejet immunitaire, dans une colonisation qui aura une fin prévue, ceci pour étendre la vie. Ensuite, la femme qui a donné à la lumière l’enfant peut très bien ne pas être celle qui en prendra soin, pourvu que cet enfant soit entouré d’un désir qu’il vive, et accueilli comme un membre nouveau et singulier de la communauté humaine qui incarne une victoire sur la mort. En ce sens, celle qui prend soin de l’enfant va le faire au nom de la vie, et non pas, strictement parlant, pour un motif narcissique, et pour posséder la chair de sa chair. Sa chair, la chair matricielle, elle n’en est plus pourvue. Elle est une...fille. Ne serait-ce pas, enfin, très important, de se sentir fille ? De se sentir non pourvue ? Que veut une femme ? Un regard qui la verrait non pourvue ? Et par conséquent qui la verrait invitant un homme à venir non pas dans la mère, mais dans la vie ?

Voilà, je l’ai senti très normalisateur, ce livre de Didier Lauru. Passant des mains de la mère à celles du père, puis à celles d’un autre homme, la fille n’a pas grande liberté de se sentir fille...Quant au garçon...La grande référence reste la mère, aussi bien pour une femme épanouie qu’un homme épanoui. C’est curieux qu’on ne puisse pas en sortir...La fille serait-elle toujours définie par le postulat selon lequel le garçon serait toujours attaché à sa mère quitte à la retrouver dans une autre femme fleurissant dans l’aura de l’éternelle première ?

Alice Granger Guitard



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