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L’aube le soir ou la nuit

Yasmina Reza

mercredi 29 août 2007 par Alice Granger

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Yasmina Reza a-t-elle suivi, stylo et cahier de notes à la main, Nicolas Sarkozy sur la « scène » politique de la campagne électorale présidentielle ou bien, en vérité, en a-t-elle profité pour lui ouvrir une autre scène, et d’un angle insolite de cette autre scène regarde-t-elle un personnage singulier, unique, comme si elle était une écrivaine ayant toute la disponibilité du monde à la manière d’une mère pour laisser advenir un enfant d’une impatience si extrême que seul le futur semble l’intéresser ?

Tout est dans le choix des notes prises, et, parmi ces notes, celles que Yasmina Reza a gardées pour faire ce livre, qui est court, pour un an à suivre celui qu’elle appelle Nicolas. Celui qui semble avoir tout de suite su qu’il pouvait les yeux fermés se fier à elle, se confier à son regard parce qu’il le savait critique. Sa confiance en elle. Elle serait juste, impartiale, sans parti pris hormis celui de l’accueillir, à travers sa présence discrète et immensément curieuse, dans son extrême singularité, dans sa bizarrerie, dans son impatience. Fiable comme une mère ? Comme une sœur ? Le voyant vraiment ? Sans jamais se laisser influencer par les préjugés qui courent, par les jugements hâtifs et envieux, ni se laisser prendre à la passion politique ? Elle aussi singulière, dans sa mise en scène du personnage que, littéralement, en cette rentrée littéraire, elle donne à la lumière comme une mère donne au monde son garçon c’est-à-dire l’y abandonne à la vie, et cesse elle-même de le suivre pour le recueillir dans l’espace matriciel de son écoute. .

Lui, dès la première rencontre, il a compris qu’elle voulait être là. C’est lui qui l’agrée. Honoré d’intéresser Yasmina Reza ? Ou bien d’être le metteur en scène de sa présence discrète et attentive qui le mettra ensuite lui en scène, dans son livre, tel qu’il est dans ce regard autre ? Souvent, il dit, Yasmina viens, viens, et elle devient visible. Comme un petit garçon, il se tourne parfois vers elle, à la quête d’une approbation, est-ce que ça va moi, Yasmina ?

Il picore sans cesse, à toute vitesse. Il boite. Le haut du corps configuré pour la patience, les jambes affolées. « Je suis frappée par l’enfance ». Costume et cravate qui ne sont jamais de son âge, qui accentuent sa fragilité, elle a l’impression de voir un petit garçon. Son regard est contemporain d’un autre temps, tandis qu’elle suit le futur Président de la République.

Tout autour, et lui au centre, des gens, des prénoms, des voix, des paroles, lui qui dit un mot à chacun, puis oublie, oublie, cela s’évapore. Son impatience. Tout de suite la conclusion. Isolement que révèle certaines images. Peut-être parce qu’en vérité, c’est un autre temps qu’il vit ? Autre chose qu’il veut réussir ? Franchir la ligne d’arrivée, sans joie, mais serein ? Juste pour voir au-delà, par-delà les images d’une vie présidentielle qui feraient rideau de feu ? Ce qu’il verra au-delà, tandis que c’est sans joie qu’il accepte la victoire sortie des urnes comme s’il en avait été sûr et que ce n’est pas de ce pouvoir-là dont il avait rêvé de rester à jouir, il sera seul à le voir, comme une sorte de terre d’arrivée pour l’émigré. Il avait dit, je crois, je ne terminerai pas ma vie professionnelle comme Président, donc pour lui il y a une vie après. On dirait, et la lecture du livre de Yasmina Reza nous le confirme, qu’en visant, très jeune, la plus haute fonction, il en faisait le tremplin le plus efficace pour passer sur l’autre rive, en ayant littéralement épuisé le désir. Epuisé son propre désir. Comblé, gavé, les plus grands honneurs pour lui, et, sur l’autre rive, seul, prendre le temps de vivre ?

Mais d’abord, se sentir au centre de tout, et tout autour ça l’attend, ça le saisit, ça lui parle, ça le critique, ça l’aime, ça le hait, ça l’exècre, telle personne célèbre tu as vu, Yasmina, elle est là, et celle-là, et encore celle-là, le garçon exulte, ses yeux brillent elle est belle la Rolex, il est porté et se développe tel un fœtal Président de la République au sein de l’enchaînement incessant des événements, des gens, des situations, du staff autour de lui très obéissant et protecteur mais jamais assez comme il veut qu’il travaille, c’est toujours lui qui est aux commandes et les autres l’enveloppent de sollicitude, d’attention, de réflexions, de discours qu’il corrigera, d’idées dont il prendra une partie et rejettera le reste, de paroles d’amour ou de haine, d’ambiguïté, de contradictions, il dit que l’amour c’est tout et on entend que, dans la partie qu’il joue effectivement il est au sein d’un amour qui le porte lui jusqu’à la victoire. En ce sens, lorsqu’il parle de l’amour, il parle de quelque chose d’actuel, de quelque chose qui, en ce moment, reste là à le porter en son sein comme l’enfant à naître Président de la République, reste là à le sentir dedans, le dedans la campagne électorale qu’il faut à la lettre vivre comme dedans soi, en son sein, et lui qui, dedans, sur cette autre scène, bouge tellement, hyperactif, impatient, ne cessant d’être à la fois en phase au quart de tour avec les moindres des attentes de chacun en allant sur le terrain comme sentant en lui-même les problèmes des autres et carrément lointain, pas en phase, disant se taper des dizaines et des dizaines de kilomètres pour entendre ce connard réclamer une prime pour ses brebis... Ce besoin vital de se sentir au sein de cette attente, les mains qui se tendent pour le toucher, les mots qui se jettent sur ses oreilles pour qu’il voit ceux qui les ont prononcés et donne le sentiment que le moindre des citoyens compte pour lui, et en même temps il s’écarte, il se tient au plus loin.

Yasmina Reza écrit que ce qui l’intéresse c’est de contempler l’homme qui veut concurrencer la fuite du temps. Le verbe « contempler » est à souligner. On entend, l’arrêter au sein de son écriture, dans le réseau de ses notes. Pourrait-on contempler quelqu’un qui ne s’arrête jamais ? Il concurrence la fuite du temps mais ne s’attarde-t-il pas, aussi, dans la discrète attention que lui a offert la célèbre Yasmina Reza ? Concurrence-t-il vraiment la fuite du temps, impatient et pressé, n’écoutant pas vraiment, oubliant tout de suite, ne se laissant jamais aller à jouir de l’instant présent, des beaux paysages, d’une jolie ville, ou bien a-t-il trouvé l’étrange moyen de transport qu’est la politique jouée très tôt à ses plus haut niveaux pour arriver à ce lieu inconnu que rien, dans son désir, ne peut égaler, au point qu’il ne peut s’arrêter nulle part ? Arrivé au sommet, il réalisera ses promesses, pour être quitte, pour tel le fruit mûr se détacher, pour que ça le laisse aller, pour que ça le lâche. C’est ça dont on a l’étrange impression. C’est un homme qui ne veut pas perdre de temps parce qu’il sait où il veut arriver, et là, cela semble s’écarter du lieu d’activité de la présidence qui est comme un passage, quelques années pour s’acquitter, pour donner à son désir, désir fou d’enfant, sa satisfaction absolue. C’est pour cela que parler de lui comme d’un homme qui concurrence la fuite du temps me semble bizarre. Je dirais plutôt que c’est un homme qui est d’autant plus impatient et décidant de tout sans jamais de langue de bois, avec une certaine brutalité, qu’il voit, qu’il est le seul à voir déjà la ligne d’arrivée, et cette ligne d’arrivée n’est pas ce que tout le monde croit. A lire Yasmina Reza, on n’est pas sûr que c’est le pouvoir qui l’intéresse. Mais la possibilité d’un passage vers autre chose. C’est pourquoi, au soir de sa victoire, il se dit serein mais sans joie. Il lui reste à s’acquitter de ses promesses, ce qui est une tâche difficile, risquée, et immense, pour être...quitte.

On a l’impression que, quitte, ce sera une autre vie. Et que c’est ça qui compte.

Mais cette autre vie, invisible, sans mot ?

Il dit que le passé n’est rien pour lui, que ce qui compte est devant.

Il se disait proche des moines, à la fin de la campagne électorale, de leur solitude, lui si entouré, et aussi attiré par le brillant, les célébrités, les riches. On s’attendait à ce qu’il prenne quelques jours de repos dans un endroit sobre, retiré, comme un moine. Et puis le voilà qui se fait surprendre en famille sur un luxueux yacht prêté par un riche ami. Ce « détail », moi, m’a évoqué son père, devenu riche, vivant dans le luxe, et qui n’avait jamais vraiment accueilli ses fils dans sa vie de luxe. Le yacht de cet ami ne valait-il pas une porte que ce père riche et si élégant lui aurait ouverte ? Est-ce un hasard, cette envie comme irrésistible que la porte d’amis riches s’ouvre pour l’accueillir, avec sa famille ? En tout cas, curieuse coïncidence...Le petit garçon que le père ne fait jamais entrer dans son monde ne reste-t-il pas dans l’homme politique à qui le fait d’être arrivé au sommet permet que des portes s’ouvrent ? Un désir de petit garçon ne peut-il pas se réaliser par la ténacité de sportif de haut niveau de l’homme adulte ?

En tout cas, on pourrait aussi imaginer que le petit garçon avait tellement rêver que son père lui raconterait comment quitter pour toujours son pays, laissant à jamais son passé, pour arriver sur une terre inconnue, et y vivre une autre vie. On pourrait imaginer que l’aventure de la présidence est en vérité ce passage, et que, de l’autre côté, quelques années après, ce sera, comme pour son père, une autre terre, une autre vie.

Dans son livre Yasmina Reza, à la fin, le laisse, ils ne se verront plus même si lui l’invite à rester autant qu’elle veut. Elle, on dirait qu’elle prend acte de quelque chose, et c’est très beau. On dirait que, littéralement, elle a senti la coupure, l’altération de la passion, qu’il n’est plus au sein de. Ensuite, elle ne sait plus rien. L’aube le soir ...ou la nuit. La nuit pour dire qu’ensuite c’est autre chose. Et qu’elle prend acte d’une fin.

Mouvements de jambes, ondulations discrètes. Il regarde les ventes de son livre, il veut savoir, c’est une drogue. Quand j’avais de l’ambition...il y aura donc un jour où il n’en aura plus... « Plusieurs fois, je l’ai entendu dire, quand j’en aurai fini avec l’ambition...il y a un lendemain de l’ambition. » Je crois que cela seul compte, en effet. Comme si, pour lui, le sevrage avait déjà précédé l’addiction. Il dit : « L’ambition transforme le désir en incandescence. Il y a des moments où j’aspire à moins d’incandescence...Je ne suis plus avant. »

Elle écrit encore : « ...l’homme que je veux voir et entendre est inatteignable ». Déjà. Il se laisse contempler, à portée de mains des notes prises, et il est déjà inatteignable. Milan Kundera le définit comme « un homme au-delà des clichés ». Et oui...

Il dit à Bouteflika : « Il faut que ça marche là. »

Il réfute la solitude. C’est sûr, il a besoin d’être au sein de quelque chose qui le met en route...De se sentir saisi, nidé dans le tissu matriciel de la campagne électorale. Ensuite, ça se développe envers et contre tout, ponctué d’incessants événements, et face à la rivale, la madone souriante. Pas anodin que ce soit une bataille serrée entre lui, une sorte d’enfant destiné au plus haut poste de l’Etat, et cette figure sacralisée de mère au sourire en train de devenir légendaire. Elle, elle semble vouloir prétendre être une mère capable de garder en son sein tous les citoyens de France. Lui, au contraire, il veut les mettre dehors où il faut travailler, être responsable de sa propre vie, inventer. Comme lui se met dehors.

Une certaine bascule de l’humeur, chez lui. Alors, il est séparé des autres, et personne n’ose briser le silence avant lui.

« Je veux vous dire sans arrogance que je suis la priorité. » Pas de résistance, autour. Yasmina Reza écrit que c’est dangereux pour lui. L’état de grossesse, cette grossesse toute politique, n’est-ce pas, justement, tolérer totalement un être qui est antigénique, que le corps de la mère ne devrait pas tolérer, et les signes d’intolérance existent par-delà cette tolérance contre-nature, ce sont les si nombreuses attaques, qui manifestent ce caractère étranger, menaçant l’ordre actuel, et annoncent la restructuration radicale que sa venue à la lumière va provoquer.

Comme un enfant, il adore faire quelque chose, aller quelque part. Il aime les gens qui ne sont pas lisses, qui sont difficiles. Echo à sa singularité. « J’aime les fêlés, ils me rassurent. ». « Ils te rassurent de quoi ? » « Je ne sais pas...C’est le propre de l’inquiétude, tu ne sais pas d’où ça vient. » « Si on te mettait avec Cécilia et les enfants à Maubeuge, tu te jetterais dans la rivière. » « Je deviendrais le roi de Maubeuge en deux ans ! » C’est extraordinaire ! Il est en train de dire son époustouflante capacité à se nider dans une sorte de tissu social, et aussi amoureux, capable on pourrait l’imaginer de faire revenir Cécilia en suscitant la fibre qui ne saurait dire non et résister, tissu se mettant à nourrir le futur roi à l’état de fœtus dont il se trouve gros. Il engrosse autour de sa propre personne prodigieusement agrippeuse, vorace de réseau matriciel, et ça ne peut que revenir, que rester avec lui dedans, inimaginable promesse d’autre chose, de renouvellement, de chamboulement, et de paroles directes qui ne craignent aucune intimidation.

Il dit : « Je veux parler pour celui qui pense qu’il n’a pas d’énergie en lui. » « J’ai payé cher pour être ici...Je ne suis pas là par hasard ».

Elle écrit : « Il appartient à tout le monde »

Les images du passé : d’inutiles écorchures.

Il répond gentiment, mais la nappe voltige secouée par les rafales violentes des jambes. Il donne des coups de pieds dans le vide.

Un troupeau féroce tenant micros et caméras...

« J’appartiens à mon public... »

« Toutes les semaines, je vais dans les usines, je monte sur une caisse et je leur parle ».
« Ils veulent le voir, le toucher, lui faire la bise...Vous allez l’étouffer les gars ! Ho ! il est encore petit ! »

« Parce que ma vie et l’histoire de ma vie, c’est de partir de tout en bas pour aller tout en haut. Il ne me reste qu’une marche... »

« Parlant de la gestion de la douleur il dit, quand ma maman a accouché...Plus tard il dit encore, quand ma maman a acheté son appartement...Ma maman ? De quel épuisement surgit cette curieuse formulation ? » Voilà, Yasmina Reza se tient là d’où il faut l’écouter, et peut-être faire commencer l’histoire.

« Je fais plus de bisous et de photos que Mickey lui-même à Disney. »

Elle dit, quel lien sérieux entre le Nicolas qu’elle connaît et Jeanne d’Arc... ? !!!

Il dit, la fragilité, c’est ce qui rend la solidité supportable.

Il est vraiment le garçon qui a piqué, à Bercy, la loge de Johnny et qui n’en revient pas.

« Je vais être au milieu de dix connards en train de regarder une carte ! »

« Il a déjà gagné. Une victoire annoncée par la morne dramaturgie du papier, distillée par tous les faiseurs de bruit, un sort attendu dont il cherche désespérément à préserver la magie obscure. »

Elle parle de cette inclinaison à vouloir s’émanciper des êtres, à se mettre hors d’atteinte.

Le jour de son entrée à l ‘Elysée, devant le parterre qui est déjà une cour, elle assiste à ce qui ressemble à une calcification de l’être. Ce qui est aberrant. Famille bien lisse, des êtres beaux, et puis lui qui glisse vers ses journées de chef d’Etat.

« Je suis content en profondeur, mais je n’ai pas de joie. »

Elle écrit : « Il lui faut sortir, s’en aller dehors, déjouer l’encerclement des murs, leurs silencieuses manœuvres ».

Ultime rencontre : « Je ne peux pas te dire que je suis malheureux...Me voilà enfin débarrassé de ce fardeau... »

Voilà. Yasmina Reza nous a vraiment fait le cadeau d’un tout autre regard sur Nicolas Sarkozy. Bravo. Et chaque homme n’a-t-il pas le droit d’être écouté dans son caractère unique, bizarre, singulier, même si les paroles haineuses cherchent à faire avorter quelque chose de nouveau, étranger à la langue de bois, même si le goût du clinquant lorsqu’il est sorti du contexte de son histoire peut longtemps lui valoir des ennemis ?

Alice Granger Guitard



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