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Cet incroyable besoin de croire

Julia Kristeva, Editions Bayard, 2007

jeudi 20 septembre 2007 par Alice Granger

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Il n’est pas superflu de le répéter encore, par ce livre qui est un recueil de textes et un dialogue inédit Julia Kristeva s’avère plus que jamais une pionnière. Elle ne cesse de nous inviter à la lire et à la suivre. Sur la base de son expérience à elle, singulière, unique. Et de sa foi inébranlable en une vie au-delà du deuil originaire, au-delà de l’exil, dans un recommencement qui est la vie elle-même au dehors, toute métastase d’un giron éternel dans lequel rester étant à jamais introuvable. Le sacré, cette foi en une terre sur laquelle vivre, et y parler une autre langue. Douleur de l’exil, certes, descente dans l’abîme de la perte, sevrage de toutes ces sensations et émotions du passé dans la souffrance, mais aussi joie d’un éveil des sens et de la capacité de penser sur une autre terre habitée d’êtres humains surprenants et bizarres mêmement séparés, vulnérable et handicapée par le manque de familiarité absolu avec les habitudes du nouveau pays, mais inimaginable et batailleuse force de vie, virtuosité avec la et les langues, les mots. Corps et esprit gourmands dans l’éclosion des choses autres, et pour cela ça vaut le coup d’avoir perdu. Ce qui est retrouvé est à la hauteur de ce qui est perdu. Cet « incroyable besoin de croire » est une foi en la vie au-delà de cet exil, de ce déracinement, qu’est la décomposition d’un pays matriciel, placentaire. C’est sacré, ce désir de vivre dans la lumière de cette terre autre, avec son corps, son âme, son esprit, et cette capacité géniale de penser, qui est déjà une capacité de penser la perte, la souffrance, la douleur, et de la sublimer c’est-à-dire la tourner vers les possibilités autres, ce don des autres choses qui s’offre lorsqu’on cesse de s’accrocher, de littéralement se « nider » en fœtus éternel dans une métaphore de l’enveloppe matricielle censée savoir fournir tout ce dont on a besoin.

Pionnière et écrivain de cette expérience intérieure, ce travail de la négativité, qui spécifie chaque être humain comme une personne singulière, ce que signifie la notion d’ ecceitas introduite par Duns Scot. Pionnière de cette capacité de penser qui se déploie à partir d’une séparation originaire que la traversée de la souffrance physique et psychique non entendue d’une manière morale permet d’intégrer à soi comme une écriture qui est une façon d’en prendre acte.

Julia Kristeva, se démarquant du discours fataliste sur la disparition de la fonction paternelle et sur la crise de l’autorité, propose ce père aimant dans un rôle séparateur, au commencement, n’assurant plus l’immortalisation d’une mère continuant de maintenir dans du tout baigne ses enfants en obéissance à la logique mercantile du calcul et des profits exploitant le fantasme maternel dans sa folie.

Ce père aimant, elle le précise, en s’intéressant à la question des religions et notamment la religion orthodoxe et la religion catholique, comme Père-Fils dans la passion du Fils et sa résurrection. Alors, il fait lui-même, en tant que personne singulière, l’expérience de l’abandon à la souffrance (séparation originaire, le fait qu’il n’y a pas de solution au statut de l’être né qui ne peut plus espérer l’état d’enveloppement matriciel, ce que signifie le mot « analyse »= il n’y a pas de solution, et le « Père, pourquoi m’abandonnes-tu ? » de la Passion du Christ)). Et il fait aussi l’expérience de la résurrection comme ce qui suit cette traversée de la mort qu’est ce deuil d’un état précédent enveloppé du corps et de l’âme. C’est un paradigme qui invite chaque être humain à advenir sur la terre où vivre après ce deuil du commencement, après ce traumatisme auquel personne n’échappe, même pas par sa dénégation.

Ceci ne va pas sans un véritable discours sur la maternité, dont, écrit Julia Kristeva, nous manquons tellement aujourd’hui. Nous sommes, dit-elle, la première civilisation « qui manque de discours sur la complexité de la vocation maternelle ». Quant à elle, ce discours sur la maternité, elle le développe de manière géniale, sur la base de sa propre expérience. Elle nous rappelle comment les mythes religieux ont tissé leur toile sur le clivage de la passion maternelle entre l’emprise et la sublimation. La femme est un « trou » (sens du mot hébreu « nekeva »), ajoutons alors qu’il n’est pas possible pour l’enfant de rester dedans, le placenta et l’enfant tombant dans ce trou, emportés par le processus de séparation. Ce trou rend irrémédiable la perte, et le deuil à faire. La femme est aussi une reine dans la Bible. Trou et reine. « La Vierge est un trou dans la trinité chrétienne père/fils/saint-esprit et une reine de l’église ». « C’est à la vocation-clé de la mère que je voudrais m’arrêter : celle qui consiste à se dépassionner, pour ainsi seulement transmettre le langage avec la capacité de penser ». La « bonne mère » est celle qui permet à « l’infans » de créer l’espace transitionnel lui permettant de penser. Pour une femme, et pour une mère, il y a « de l’autre » dès le début, il n’y a rien d’idyllique, cela s’écarte du fantasme de relation fusionnelle. Bien sûr, si une mère se met à penser sa passion, cela peut lui permettre d’élaborer une destructivité passionnelle qui sous-tend toute espèce de lien. Bref, cette activité de pensée, pour une mère, ne commence-t-elle pas par la pensée d’une destruction du placenta à la fin de la gestation, par un deuil de cet organe non éternel qu’est ce placenta, par la pensée qu’elle n’en est pas pourvue, en s’inclinant devant cette évidence anatomique d’un manque, ce qui met dehors son enfant, cet autre, et la prive elle, la mère, de cet « organe » bizarre de la toute-puissance maternelle ? Pensée inaugurale d’une mère, d’une mère redevenant femme : je n’ai pas, je n’ai plus, est-ce moi qui avais, ce que j’avais ne s’est-il pas tissé en moi par la mise en acte d’une procédure reproductive qui vient de plus loin que moi dans l’impératif qu’a l’espèce de se continuer et que chaque humain se mettant du point de vue de l’espèce doit reconduire comme un passage de relais ? Souvent, la sexualité féminine « s’abrite dans la maternité pour vivre sa perversion et sa folie, ce qui peut être aussi la chance de les perlaborer. Séductions, fétichisation du corps de l’enfant et de ses accessoires...il n’est pas rare que la possibilité même de penser se trouve menacée sous l’emprise d’une telle passion chez la mère ».

Le père aimant dont Julia Kristeva parle ouvre un espace dans lequel chaque personne humaine, singulière, ressuscitée après la traversée de la mort à un état précédent qu’on peut qualifier de fœtal, va vivre. Il offre, désigne, l’étendue infinie de cette terre et les ressources incroyables des rencontres entre humains. C’est donc un père qui certifie la séparation irrémédiable, cette analyse, ce « sans solution », et même ce « il n’y a plus de liquide amniotique » comme solution et donc la logique du « tout baigne » ne tient plus. Julia Kristeva, dans sa parole, sa parole de femme, de mère, de psychanalyste, d’écrivain, et aussi dans sa parole de fille, nous parle de ce père qui reste par-delà cet anéantissement du commencement, ce père, on pourrait ajouter, qui n’assure pas l’immortalisation de la mère matricielle, mais au contraire la laisse se décomposer pour que puisse être donné à la lumière le nouvel être humain qui perpétue, et c’est une joie pour la communauté humaine, l’espèce, une sorte de baume contre l’angoisse de mort. Elle désigne ce père qui assure qu’il y a quelque chose après. Sur terre. La terre n’est pas une métaphore matricielle pour le triomphe des profits, des calculs, des techniques faites pour gaver les humains d’objets avant même qu’ils les demandent. La terre n’est pas une métastase invasive de cette enveloppe matricielle qui ne se serait détruite à la naissance qu’après avoir lancé, à l’aide d’un fantasme maternel fou, ses cellules malignes immortelles partout sur la terre afin que le petit humain se croit « au sein de » toute sa vie. Ce n’est pas cette terre-là envahie par la malignité que le père aimant assure. Au contraire c’est une terre indemne de métastase, de malignité envahissante. Dans le discours de la « bonne mère » il y a ce père aimant qui sépare et incarne le paradigme d’une vie ressuscitée ailleurs, sur la terre. Alors, cette femme trouée et non pourvue de matrice qui la rendrait toute puissance va réapprendre le langage en même temps que l’enfant apprend à parler. La capacité de penser et de parler de l’enfant, cette activité sublimatoire, se jumelle avec la capacité que se reconnaît sa mère de penser la décomposition de cet organe creux qu’elle possédait à l’intérieur d’elle-même, au sein d’elle-même, et qui la glorifiait tellement d’avoir l’extravagant et fou pouvoir d’abriter en ce sein une nouvelle vie. Mettant cet événement négatif en mots, en pensée, ce qui est travail de deuil, faisant dévaler dehors des chairs en décomposition qui ne servent plus à rien puisque le petit étranger qui s’y abritait soudain s’est exilé pour toujours de ce dedans, cette mère a la chance inouïe d’apercevoir pour elle-même, corps et âme, la lumière, l’ouverture, la terre sur laquelle vivre, l’éclosion des choses. Elle-aussi, pour elle-même, recommence à vivre, faisant le deuil de sa toute-puissance. La vie joyeuse, suave, gourmande, curieuse de rencontres, ne se vit pas par délégation dans celle de l’enfant, et c’est une très bonne nouvelle. Julia Kristeva parle de matricide symbolique, pour dire cette décomposition du placenta et cette disparition de la manière folle, presque délirante, dont cette mère en gestation se représentait elle-même, provisoirement capturée par l’image idéale que l’impératif de reproduction de l’espèce lui avait « perversement » proposée.

Julia Kristeva évoque justement ce Philippe auquel le Christ dit, après la Cène et avant la passion : « Tu me vois et tu ne vois pas le Père. » Elle insiste : « Les protestants et les orthodoxes accordent apparemment plus d’attention à cette ‘descente ( du Père lui-même) dans les parties les plus basses de la terre’. Elle souligne quelque chose de personnel : « La langue grecque la désigne (cette descente) par le substantif kénose, qui a beaucoup marqué mon enfance, et qui signifie ‘non-être’, ‘néant’, ‘inanité’, ‘nullité’ ; mais aussi ‘insensé’, ‘trompeur’ (l’adjectif kénos signifie ‘vide’, ‘inutile’, ‘vain’ ; le verbe kénoun ‘purger’, ‘couper’, ‘anéantir’) ». L’Homme de douleur, dit-elle, pense jusque dans sa souffrance à mort, et c’est parce que le Père et l’Esprit sont mortels, prennent acte que quelque chose prend fin, de même que le temps fœtal a une fin, qu’ils peuvent renaître. La pensée s’élance avec la joyeuse sensation qu’il y a quelque chose après, la sensation du corps et de l’esprit d’être réellement donné à la lumière, au dehors en lequel avoir foi. La pensée peut en effet recommencer une nouvelle vie, dans une logique différente. Ce père aimant a les attributs des deux parents. Il sépare, tel le père, et il donne la terre et ses habitants au nouveau membre de la communauté humaine et c’est autre chose qu’un sein. La traversée de cette négativité qui nous constitue, cette souffrance, cette expérience de la mort, du deuil, cette acceptation d’aller conduire au cimetière une certaine figure, matricielle, archaïque, de la mère, est en regard de la lumière qui s’ouvre une joie, une douloureuse joie, cet oxymore, une merveilleuse joie, si l’enchantement est la sublime surprise après. La divine surprise. Julia Kristeva écrit : « Nous sommes tous et chacun le résultat d’un long ‘travail du négatif’ ». « Pour avoir mis en scène cette rupture au cœur même du sujet absolu qu’est le Christ, pour l’avoir présentée sous la figure d’une Passion, comme envers solidaire d’une résurrection, le christianisme ramène à la conscience les drames essentiels internes au devenir de chacun ». Le résultat de ce long « travail du négatif » peut par exemple prendre la forme d’un exil, d’un changement de langue, acceptation d’une déchirure irrémédiable, et advenir sur la terre des Lumières, mais aussi de la lumière, et des lumières que sont chacun des êtres singuliers et leur génie propre.

Elle poursuit : « Et si c’était seulement à travers la kénose que le divin pouvait revenir à la conscience la plus belle de son recommencement ? La plus ‘belle’ car, à côté de la souffrance com-passion, la souffrance souveraine de la kénose, paradoxalement, est un dépassionnement : elle désérotise le souffrir ». « ...avec la kénose, nous sommes confrontés non plus au religieux,mais au ‘sacré’, entendu comme une traversée, par la pensée, de l’impensable : du néant, de l’inutile, du vain, de l’insensé. »

Ce « besoin de croire » fonde notre capacité d’être en parlant, écrit Julia Kristeva. Elle poursuit en notant que le christianisme a rendu accessible à la figuration et à la littérature « la nécessité que j’éprouve de tout mettre en question -depuis les abîmes de l’enfance jusqu’à l’inconnu ». Splendide allusion à son expérience d’exilée et à l’étonnante force de vivre que l’on sent être la sienne. C’est toute la question de ce que la psychanalyse appelle la sublimation. « L’écoute paternelle aimante donne sens à ce qui serait, sans cela, un trauma indicible : excès sans nom des plaisirs et des douleurs. » Mais cette identification primaire se construit par l’intermédiaire de la sensibilité et du discours de la mère aimant le père.

« L’être parlant est un être croyant ». « Je me voyage » (« Meurtre à Byzance »).

Cette investigation sur « cet incroyable besoin de croire » prend acte de l’urgence à refonder l’humanisme. De quelle vérité s’agit-il dans cet incroyable besoin de croire ? « Il s’agit d’une vérité ‘qui me tombe dessus’, à laquelle je ne peux pas ne pas adhérer, qui me subjugue totalement, fatalement, que je tiens pour vitale, absolue, indiscutable...Une vérité qui me tient, qui me fait être. Plutôt qu’une idée, une chose, une situation, serait-ce une expérience ? » J’ai envie d’ajouter, en lisant ce texte, que cette vérité pourrait être que le désir d’enfant, s’il s’incarne dans une famille et se nide dans une femme, n’en est pas moins celui de la communauté humaine, il dépasse les personnes, et déploie une joie infinie pour accueillir le petit humain qui certifie la perpétuation de l’espèce. Je veux dire qu’il doit y avoir une joie immanente, qui attire le petit être à soi, l’arrache à la matrice où il s’est formé, et cette naissance se célèbre par tout le dehors, à la lumière.

Croire. Credo veut dire « donner son cœur, sa force vitale (et en effet les humains qui sont déjà sur terre sont à l’affût de cette force vitale nouvelle qui va renouveler les forces sur terre), en attendant une récompense », et désigne un « acte de confiance impliquant restitution » (c’est vrai qu’à son tour ce nouvel être aura la joie de voir se renouveler la force vitale sur terre par une nouvelle naissance, et ainsi de suite par le passage de relais), l’acte de « confier une chose avec la certitude de la récupérer ». Benveniste insiste sur la correspondance entre la croyance et la créance. Freud parle de « sentiment océanique », il s’agirait « de l’union intime du Moi et du monde environnant, ressentie comme une certitude absolue de satisfaction, de sécurité », il y aurait une sorte de contenant qui serait fait de la joie humaine à son renouvellement, non pas un contenant matriciel mais au contraire terre de naissance, dans ce dehors où les cinq sens vont se déployer affamés de curiosité. J’évoque cela comme la certitude de n’être pas morte à la naissance parce que cette joie-là, joie de voir arriver une force de vie renouvelante dans deux petites filles pourtant maigrichonnes, était certaine et elle nous a saisies vivement pour nous mettre à l’abri. Cette expérience originelle du Moi, donc, ce vécu pré-linguistique ou trans-linguistique, dominé par les sensations, qui étaye la croyance. Cette croyance au sens d’une certitude inébranlable, plénitude sensorielle et vérité ultime. Ce que je pourrais dire par cette impression si forte d’être née sous une bonne étoile et cette confiance en moi envers et contre tout, se sentir soi-même comme unique et maillon irremplaçable à sa place. Bien sûr, ce sentiment océanique, cet étayage de sensations, fait suite au déracinement irrémédiable, à l’avalanche originaire, aux fracas de la mise dehors, il ne s’agit pas du tout d’une dénégation de la naissance, mais c’est la merveilleuse surprise après cette descente traumatisante, cette sorte de mort. Alors cesse l’abolition catastrophique de soi, il y a résurrection, renaissance, recommencement, renouvellement de la vie sur terre par une force vitale neuve.

Moi confondu avec la chair du monde, en faisant un clin d’œil à Colette. Eclosion du monde.

Père aimant de la pré-histoire individuelle, à l’aurore de l’individuation, qui est une bouée de sauvetage qui me décolle du contenant maternel engloutissant, et qui est un garant de mon être. Paternité oblative, dotée d’une capacité sublimatoire qui, par son amour reconnaissant l’être symbolique du nouveau-né, lui confère sa dignité d’être. Etayage fondamental. Identification primaire qui est au fondement de l’autorité. Et transmet la conviction « d’être ».

Donc, écrit Julia Kristeva, il y a ce besoin de croire pré-religieux. Qui est constitutif du sujet parlant.

Dans ses pages sur les adolescents, elle nous dit que l’adolescent est un malade d’idéalité, c’est un sujet qui croit à l’existence de l’objet érotique, convaincu que « ça » doit exister, c’est un croyant, alors il en éprouve cruellement l’impossibilité, puisqu’il ne trouvera jamais vraiment l’objet nouveau pour une satisfaction libidinale absolue. Seule la sublimation est une issue à l’échec du syndrome paradisiaque, sinon la dépression, l’ennui, la toxicomanie. L’idéalisation du couple bourgeois est aussi une pérennisation du syndrome paradisiaque, dans la croyance à l’existence d’un objet sexuel absolu. Les rites d’initiations étaient si importants pour instaurer l’autorité symbolique. Le roman bourgeois , avec sa stabilisation du couple dans le happy end illusoire du mariage, perpétue le syndrome d’idéalité. On peut s’y ennuyer à en mourir. Les objets incendiés dans les banlieues sont toujours des symboles enviés, les adolescents les voient comme des objets dont jouir que possèdent les adultes, et ils les détruisent pour les prendre en négatif et en jouir, ils en restent à des sensations retenant leurs corps et leurs esprits, ils ne sentent tout autour d’eux que des choses leur faisant ou pas du bien, du plaisir, des choses virtuellement à portée de mains et faites pour leur jouissance, pour les gaver, les perfuser, un objet de jouissance absolu censé les attendre encore. Reste à faire le deuil de cette croyance, aucun objet absolu ne viendra jamais les prendre en son sein. Même à saccager tous les lieux d’autorité. Manque une sorte de destruction symbolique de cet objet idéal qui est, dans notre société de consommation, du spectacle et de la technique, littéralement halluciné. Ce qui est à « saccager », pour réitérer et certifier la destruction de la matrice à la naissance, c’est justement, à l’adolescence, cet objet de satisfaction absolue halluciné partout. Cela ferait autorité. Les adolescents saccagent quelque chose de malin qui aurait dû l’être. Or, dans notre société, tant d’adultes se croient branchés à rester ados... Le nihilisme adolescent ne s’attaquerait-il pas aussi aux « doudous » dont sont encore affublés tant d’adultes ? Et ne disent-ils pas si souvent : j’hallucine, c’est hallucinant ! Il y a tant de drôles d’objets qui restent visibles, mais qui ne sont que des métastases malignes d’un tissu matriciel jamais totalement décomposé. Julia Kristeva nous parle de « cette poignante maladie d’idéalité qui déferle sur nous et qu’expriment les adolescent de ces zones de non droit ». Elle se définit comme une pessimiste énergique qui n’apprécie dans la pensée que l’intelligence active, ou l’actualité de l’intelligence. Son énergie voyage, toujours disponible, et c’est génial !

« La société du spectacle...favorise la régression hypnotique et l’ivresse des affects, en doublure de la pensée calcul qui domine avec l’essor de la technique, et au détriment de la pensée critique, de la pensée interrogation ».

Voilà : comme toujours, j’espère vous avoir incités à lire cette femme qui se dit, plutôt que féministe, scotiste, s’interrogeant sans cesse sur la singularité, et qui dit que si nous ne faisons pas le deuil des objets de satisfaction usuels en pléthore aujourd’hui, pourquoi tenterions-nous de nous reconstruire en reconstruisant le lien, un lien nécessairement amoureux et en même temps un lien de sens.

Avec elle, et son génie féminin, et dans le sillage de la géniale Colette, renaître n’est jamais au-dessus de nos forces !

Alice Granger Guitard



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Messages

  • Génial ! comme Colette, Kristeva, Alice Granger Guitard.

    • à J kristeva que j’écoute à F Culture ce matin ...

      je suis très sensible à cet absolu "besoin de croire" qui me travaille et m’oppose souvent à mon entourage, plutôt orienté sur les lumières du savoir, exclusive de ce besoin. N’y a t-il pas un "poison culturel" enraciné dans les lumières françaises et la laïcité républicaine de combat qui voudrait se passer de ce besoin ? çà me semble vain et dangereux comme vous ? je pense à cette parole de JP Dupuy dans "pour un catastrophisme éclairé" : "nous ne croyons pas ce que nous savons" d’où notre désarroi...
      mais j’ai une petite objection au principe du croire comme créance et attente d’un retour. pour moi l’amour tel qu’enseigné de manière inouïe par Jésus c’est plutôt l’amour désintéressé, sans idée de retour cad tout donner "jusqu’à la dernière goutte de son sang " comme le frère Laurent de la résurrection ! dans une sorte de défi à Dieu : pourra t-il faire un retour à la mesure de mon don ? et la réponse bien sûr est que dieu répond au delà des "espérances" et dès lors s’enchaine une spirale vertueuse. Mon intuition est donc que c’est l’homme qui doit amorcer, dans une acte de foi qui à la fois espère et dé-sespère ??, la pompe du dialogue avec dieu et là dieu est "coincé", il ne peut pas ne pas répondre et alors c’est, comme dit quelqu’un, "le bordel divin " !!!

      Ceci dit, et finalement je vous rejoins, pour se lancer dans ce don absolu de soi "quelque part" il faut "croire" que la réponse sera au rendez vous. Mais il faut risquer et se risquer et on rejoint là l’idée d’investissement sur les terrains personnel ou économique ou financier.. voir le "commerce des promesses " de PN Giraud
      A.M.

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