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La traversée de l’été, de Truman Capote
jeudi 25 octobre 2007 par Marisa Corbin

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Curieuse histoire que cette apparition d’un manuscrit inédit de Truman Capote chez Sotheby’s en 2004.

Lorsqu’il quitte son appartement vers 1950, Truman Capote demande au concierge de son immeuble de vider son logement et de mettre ses affaires sur le trottoir, pour que la voirie les emporte. Intéressé, un locataire de l’immeuble décide d’en récupérer une partie.

Fin 2004, l’héritier de cet homme se manifeste auprès de Sotheby’s. Parmi les biens récupérés figure le manuscrit d’un roman inédit de l’écrivain, Summer Crossing, qui est aussitôt vendu aux enchères, les héritiers de Truman Capote restant propriétaires des droits.
Grasset décide de publier ce roman en 2006.

On retrouve dans les archives de Truman Capote des preuves de l’existence de ce roman. On sait que l’écrivain a commencé sa rédaction à dix-neuf ans (1943), l’interrompant sans cesse pour se consacrer à d’autres projets. Mais ce roman le tient particulièrement à cœur : « Je compte beaucoup sur la Traversée de l’été. Quand j’y travaille, j’ai l’impression d’être vivant et d’en avoir le droit. » [1]

Inspiré d’une personne qu’a connue Truman Capote, Grady, jeune fille de dix-sept ans, choisit de rester durant l’été à New York pendant que ses riches parents partent en vacances en Europe. Elle fait ce choix pour vivre pleinement son amour avec Clyde, un modeste gardien de parking.

Vivant librement cet amour qu’elle garde secret, elle transgresse les limites qu’on lui a toujours imposées. Refusant le carcan social dans lequel on veut l’enfermer, elle choisit un être qui lui est totalement opposé, en toute liberté.
Malheureusement, avec l’éloignement de ses parents croît l’irresponsabilité de Grady. Au moment de partir en Europe, sa mère angoissée est prise de regrets : « On n’abandonne pas une enfant inaboutie, incomplète. » [2]

Prévisibles, les ennuis surviennent, le tragique se dessine, l’atmosphère se fait de plus en plus inquiétante et lourde, à l’image de la canicule qui frappe New York cet été-là : « La chaleur ouvre le crâne de la ville, exposant au jour une cervelle blanche et des nœuds de nerfs vibrant comme les fils des ampoules électriques. L’air se charge d’une odeur surnaturelle dont la puissance âcre imbibe les pavés, les recouvrant d’une sorte de toile d’araignée sous laquelle on imagine les battements d’un cœur. » [3]

À trop vouloir se libérer du monde auquel elle appartient, Grady quitte le réel, en prise à des pulsions autodestructrices. « On ne fuit pas les gens, dit-elle à Clyde, on se fuit soi-même. » [4] Car Grady couve en son sein du tragique et du morbide : à sa naissance, elle reçoit le prénom de son oncle mort à la guerre, prénom dont avait déjà hérité son grand frère, mort-né. Enfant de remplacement, comblant un vide, « Grady n’avait jamais été Grady, l’enfant que sa mère désirait. » [5]

Tout au long du roman, le lecteur est frappé par la singularité des rapports tissés entre les personnages, source constante de malaise. Page après page, Truman Capote excelle à traduire le caractère vain de ces rencontres, la vacuité de ces instants de liberté qu’on devine éphémères et fatals. À l’image du héros de La Fureur de Vivre, Grady se précipite irrémédiablement vers un funeste destin.

Sombre roman que celui-ci.

Capote aurait-il voulu le publier en l’état ? Ce roman possède bel et bien une fin, dramatique et forte. Mais qu’en est-il de son achèvement sur le plan littéraire ? Lorsqu’on connaît l’œuvre de Truman Capote et le rapport qui le lie à l’écriture (écrire était pour lui une souffrance permanente), on peut s’interroger sur la perfectibilité de ce roman sur le plan stylistique.
En effet, Truman Capote a toujours été obsédé par l’usage du mot juste, le travail du phrasé et le choix de l’expression.
Certains passages souffrent de lourdeurs par le poids de comparaisons et de métaphores parfois indigestes, (on pense à la phrase de Gore Vidal : « Capote ? Je ne peux pas le lire, car j’ai du diabète. ») qui nous font réfléchir à l’opportunité d’avoir publié un manuscrit que Truman Capote aurait pu juger perfectible.

À propos de son style, ses contemporains étaient unanimes : Capote était un esthète du mot et de la phrase. Norman Mailer disait que Capote possédait « la phrase la plus impeccable, mot après mot, rythme après rythme. » [6]
William Styron, lui, déclarait : « C’était un maître incontesté du verbe avant même qu’il fût en âge de voter. J’en étais presque malade d’envie. Il avait le don de faire danser et chanter les mots, de changer mystérieusement les couleurs, d’accomplir des tours de magie, de provoquer le rire, de vous donner le frisson, de vous toucher le cœur. »
 [7]

Pourquoi Truman Capote a-t-il abandonné son roman ? Voici ce qu’il en dit : « J’ai détruit un livre entier. C’était un roman assez court. D’ailleurs, il n’était pas mauvais et tout à fait publiable.[…] C’était un roman dramatique et, par endroits, très drôle. Avec une fin tragique, néanmoins, mais il y avait quelque chose qui clochait pour moi dans le récit. Et un jour, sur un coup de tête, je l’ai détruit. Je savais que si je ne le faisais pas, je le publierais. » [8]

Nous ne sommes pas plus avancés.
Pouvait-il supposer que son manuscrit allait un jour faire l’objet d’une publication ? L’aurait-il voulue ? Assez de doute persiste pour ressentir un malaise par rapport à cette édition : respecte-t-elle la mémoire de l’écrivain ?

Laissons le dernier mot à son avocat et ami, Alan U. Schwartz : « Je gardais à l’esprit que, selon toute vraisemblance, Truman ne voulait pas que ce roman fût publié, mais j’espérais aussi y découvrir Truman sous un nouveau jour, celui du jeune auteur qu’il avait été avant d’écrire son premier livre majeur, les Domaines Hantés. […] Certes, ce n’était pas une œuvre aboutie, mais elle témoignait de l’émergence d’une voix originale et d’un écrivain au talent aussi étonnant qu’efficace. C’était une œuvre assez mature, dont les mérites propres se suffisaient à eux-mêmes, et les prémices du style et du métier à venir […] étaient trop précieuses pour être ignorées. Je ne savais ce qu’en aurait pensé Truman, et j’avais conscience de ma responsabilité dans cette décision. Il y eut de longues discussions, mais pour finir nous étions tous d’accord : il fallait publier ce livre. » [9]


[1Lettre du 1er avril 1949 à Robert Linscott, extrait de Un plaisir trop bref (lettres), Truman Capote, 10/18, Paris, 2007, p.92

[2La Traversée de l’été, Paris, Grasset, 2006, p. 45

[3Ibid., p.124-125

[4Ibid., p.186-187

[5Ibid., p.29

[6Nouvelles-Romans-Impressions de voyages-Portraits-Propos, Truman Capote, Gallimard, 1990, p.VIII

[7Conversations avec Truman Capote, Lawrence Grobel, Gallimard, 1987, p.84

[8Ibid.

[9La Traversée de l’été, Postface, p.203-204



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