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La Prière, Jean-Marc ROBERTS

Editions Flammarion, 2008

jeudi 13 novembre 2008 par Alice Granger

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Ce n’est pas, à mon avis, la vision de la jeune femme de chambre musulmane enceinte surprise agenouillée en prière sur le tapis de bain par le jeune adolescent de quinze ans, dans la suite de l’hôtel Carlton à Londres, qui inscrit durablement l’impression dans la mémoire du garçon. Cela, c’est déjà de la reconstruction, de la part de Jean-Marc Roberts.

Ce qui est important est en amont : ce père américain, qui a invité pour un week-end son ancienne compagne et leur fils de quinze ans dans une suite de l’hôtel Carlton à Londres (indication des moyens de ce père américain, donc aussi de tout ce qu’il a fait perdre d’une vie de rêve à la mère et au fils, n’accordant que des miettes dans ce petit intermède), a abandonné la mère et le fils. Il vit aux Etats-Unis, où il a un autre fils, Jimmy, demi-frère d’Antoine. C’est l’écriture dans le réel de cet abandon qui est important. Manquera toujours dans la vie d’Antoine, le garçon abandonné par son père américain, le lieu de l’attachement éternel, matriarcal par excellence. Car la mère d’Antoine, comédienne puis marchande de fleurs, ne pourra plus jamais incarner le lieu de cet attachement éternel pour son garçon. D’où l’impression d’Antoine d’être toujours ailleurs, déplacé, sans convictions définitives, sans femme qui l’aime vraiment, sans profession qui le passionne (il est un médiocre médecin). Du fait d’un père américain riche, mais parti, ne s’intéressant pas à son fils français, Antoine croit au lieu attachant, matriarcal (au sens d’un matriarcat qui, pour exister, a besoin d’être assuré par le père), il est seulement dévasté par l’abandon du père, il est situé ailleurs, aux Etats-Unis, il est pour le demi-frère. C’est la grossesse de la femme de chambre musulmane de l’hôtel Carlton qui est importante, c’est-à-dire cette sensation d’être dans un abri. Antoine est éternellement nostalgique de cet abri, c’est un abri que le père lui a enlevé, mais qui est éternel, il y croit. La femme de chambre est aussi une femme enceinte seule, il n’y a pas le père, elle accouchera d’une fille sans père, une fille à laquelle la mère inventera une histoire pour dire l’absence de ce père, c’est un terroriste en prison, un poseur de bombe. Mais la vraie bombe, qui fait tout voler en éclats, qui détruit le lieu abrité, matriarcal, c’est ce père qui abandonne la fille. Voici la figure d’une fille non assurée par son père, non pourvue de père. Qui sera à son tour poseuse de bombe, celle qui détruit le lieu originaire. Le roman de Jean-Marc Roberts oscille entre un garçon dont le père n’assure pas le lieu de l’attachement éternel (métaphore du ventre maternel qu’il serait possible de ne jamais quitter en le retrouvant assuré partout sur terre par la richesse du père à disposition par le signifiant américain) et une fille dont l’intérieur, l’organe en creux, le ventre métaphorique, n’est pas assuré par le père. La bombe terroriste détruit le placenta métaphorique, s’attaque au nom du père comme assureur de l’éternisation du lieu abrité matriciel jamais quitté, l’éternisation d’un temps fœtal, symbolisé par la suite luxueuse dans l’hôtel Carlton de Londres.

Antoine Risser ne s’attache vraiment aucune femme, comme si aucune d’elles ne le lassait vraiment entrer dans sa vie : elles ne l’aiment pas, certaines s’offrent à des jeux érotiques, à l’âge adolescent par exemple, mais on ne peut pas dire qu’elles le laissent pénétrer leur vie. Le seul axe important est celui de l’attachement d’Antoine à son fils Paul. Comme si c’était, inversé, la visualisation de son attachement à son père américain. Presque une symbiose entre père et fils. Antoine voudra réitérer avec son fils Paul le week-end à Londres dans la suite de l’hôtel de luxe. Et… assurer son fils d’un lien en symbiose, ombilical, entre eux. Faisant du même coup ressortir son attachement secret, invisible, à son père américain. Peut-être totalement imprégné du rêve de sa mère, autrefois, d’être installée par l’Américain dans l’abri de rêve, telle une fille par son père. Mais la bombe de la vérité détruit. Il n’y a nulle part ce lieu, ce ventre éternel. Même si le ventre arrondi de la jeune musulmane le promettait, si séducteur. Fixation de Jean-Marc Roberts à ces maternités répétées, comme si à force d’être refait par enfants interposés il allait enfin le réintégrer, le retrouver non détruit, ce lieu par excellence.

Mais, pour le docteur Antoine Risser, le lieu reste non rejoignable. La vérité est renvoyée au père par le fils : Paul ne réclame rien à son père, pas d’attention supplémentaire. Et l’époux de Naïma la femme de chambre musulmane n’a en réalité commis aucun attentat terroriste, un homme ne peut être coupable de ne pas assurer un ventre matriciel éternisé, au contraire il doit signifier que la grossesse a une fin. Le roman de Jean-Marc Roberts, mine de rien, à travers la fiction du terrorisme, ne s’attaque-t-il pas à la culpabilité du père absent ? Et, en fin de compte, ne réussit-il pas presque à la mettre en question : le père n’a pas à assurer métaphoriquement l’éternisation du ventre plein de la mère, au contraire. Donc, la bombe de la vérité, qui fait exploser la vérité de la fin du temps de grossesse, n’est pas un acte terroriste, le père n’est pas un terroriste lorsqu’il prive la fille d’un super organe en creux, une fille n’est pourvue de rien. La mère d’Antoine, si comédienne, n’est plus qu’une vendeuse de fleurs lorsqu’elle a fait le deuil de son rêve américain d’être entretenue donc d’être pour son fils pourvue du super organe creux dans lequel le choyer. Le lieu de l’attachement éternel n’existe plus, la vie dehors est très différente. Même si Antoine, s’attardant dans la dénégation de cette vérité déracinante, préfère se laisser aller passivement aux amours occasionnels, avec des femmes peu farouches, certaines des patientes, avec des femmes soumises, dilapide l’héritage laissé par son père. Son fils Paul gagne beaucoup d’argent comme trader à la City de Londres. Antoine se laisse faire par la jeune Gaëlle. Qui finit par le laisser. Antoine, avec la forte somme laissée par son père américain, joue avec son fils et sa femme Béatrice l’Américain riche et généreux, façon de réécrire son enfance. Mais c’est un fiasco, parce que la vérité n’est pas celle-là. Elle est celle de la mise en question radicale de ce lieu familial métaphore matricielle. Paul et Béatrice semblent n’en plus finir d’attendre que cela s’écrive, qu’Antoine décide enfin de s’en aller, en entendant pour la première fois l’acte d’abandon de son père comme celui qui précipite une naissance. Il résiste encore par les antidépresseurs. Plus tard, il épouse une femme enceinte d’un autre homme, réparant l’abandon. Paul est étrangement soulagé. Son père est si rajeuni. Pour une histoire de portable perdu et retrouvé après avoir été secrètement programmé pour faire exploser la bombe, à Londres, Antoine est accusé de terrorisme. La fille de Naïma avait sans doute programmé le portable. Cette fille désigne le coupable de l’acte terroriste détruisant le lieu matriciel : Antoine, qui subit aussi la peine d’emprisonnement en place de son père. La morale de l’histoire est qu’un père ne peut décidément pas laisser se détruire l’intérieur de ce super organe en creux dont son pourvues les femmes qui sont des mères en puissance. Antoine Risser, dans le roman de Jean-Marc Roberts, est un homme qui accepte la culpabilité, et de payer par la mise en prison. Cette prison étant aussi une métaphore… de ventre, d’intérieur matriciel qui garde en son sein, image idéalisée du ventre rond des femmes. La fille de Naïma, Feriel, la terroriste, a retrouvé son père, à Doubaï, dans un fauteuil roulant, elle a découvert que sa mère avait inventé tout un roman pour son géniteur. Fereil a préféré rester dans le roman : elle a créé son père terroriste, Antoine dont elle a programmé le portable pour faire exploser la bombe, c’est lui le coupable. Paul et son frère adoptif Edgar, privés de leur père emprisonné, pleurent devant la Tamise. Reste la vérité des dégâts visibles, imprimés, de la bombe, de la vérité. Cet homme, Antoine, pour la première fois, est mis par une fille en demeure de prendre et d’inscrire sa responsabilité : il certifie la destruction placentaire symbolisée par les dégâts infligés par l’explosion d’une bombe. Il s’agit de voir enfin, et d’admettre, cette destruction originaire. Les fils orphelins aussi. Ils avaient cru en un père aux traits… maternels.

Comme toujours, dans ce roman Jean-Marc Roberts a mis en jeu les fantasmes que nous lui connaissons, avec toute l’importance insistante de ce père américain absent.

Alice Granger Guitard



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