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Huis clos - Régis Schleicher
lundi 7 décembre 2009 par penvins

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Voilà un roman comme on n’en lit pas souvent, un roman qui vient d’une exigence de dire Il faut qu’il parle. Pas une exigence, une nécessité, le besoin d’exprimer. C’est bien de cela qu’il s’agit, nous sommes en présence de morts mis dans l’incapacité de communiquer avec le monde des vivants et Régis Schleicher parvient avec une grande force à dire l’univers de la prison sans jamais en parler. Pourtant on en finirait plus de citer les phrases se rapportant à la société des morts et qui semblent s’ajuster parfaitement à celle de la prison. C’est pour cela que ce roman est important il oblige le lecteur à se poser les vraies questions. Que devient un homme lorsqu’il entre dans cet univers dont il sait qu’il ne sortira pas ( de sitôt) ?

La réponse de Régis Schleicher est là. Il nous parle de huit morts, morts chacun de façons différentes – maladie, exécution, charge de la troupe contre des manifestants… – et ceux-ci se retrouvent dans le même caveau. Il nous dit comment le nouvel arrivant s’habitue, Oui mais il est encore […] en proie au syndrome du merle blanc, de l’oiseau rare, de l’énervement. Jusqu’à l’accoutumance avec derrière en toile de fond, un commencement d’abdication. Puis se ressaisissant Choisissait de geindre et de feindre l’humilité mais que nenni n’adhérait. Il nous dit aussi comment les anciens lui apprennent à tenir le coup : nous pourrons lui expliquer comment oraliser, et tout deviendra nettement moins compliqué. On a vraiment l’impression d’entendre Régis Schleicher parler de sa relation aux autres en prison.

Tout ceci est écrit dans une langue vivante qui ne craint ni les néologismes ni les constructions acrobatiques tel entre autres ce Bien plus tard encore que bien après ou encore ce Il mit donc ses sept sens en alerte, les cinq dont tout le monde dispose, plus le sixième, ainsi que le bon. Une langue facétieuse, à la fois irrévérencieuse et faussement savante, une sorte de pseudo-langage intellectuel comme pour se moquer.

Mais ce texte est surtout une allégorie de la prison et l’on y retrouve les visites des parents la petite vielle arrivait de son pas mesuré, son panier de provisions à la main.[…]Le père quant à lui venait infiniment moins souvent […] mais pour rien au monde il n’aurait manqué l’anniversaire de Jean. Les suicides auxquels les gardes-chiourme sont trop habitués. Les amours homosexuelles.

On y retrouve aussi la volonté de rentabiliser le parc immobilier au mépris des prisonniers, heureusement dans le cas présent les rongeurs, les vers et les insectes s’organisent en assemblée pour défendre le territoire menacé. Et l’on assiste à un extraordinaire morceau de bravoure où la gente souterraine victime de la formidable injustice d’être dépossédée de son territoire par des affairistes et des arrivistes part en guerre. Organisé militairement, s’en prenant tout d’abord aux réseaux informatiques puis grâce à une armée de blattes semant la terreur dans les milieux mondains le peuple de l’Underground et des souterrains remportera la bataille celle de la communication tandis que Dieu le Père haranguera la foule : Il est bien d’autre richesse que les accumulations de millions, chaque homme porte en lui tous les trésors de la création.

Le texte oscille entre ces pages purement romanesques où Schleicher invente des personnages sans doute à partir des hommes et des femmes qu’il a rencontrés en prison ou dont il a entendu parler et les pages de combat où le discours reprend le dessus mais avec une telle conviction qu’il entraîne le lecteur dans l’aventure. On a parfois l’impression qu’à travers cette fiction Schleicher s’invente une nouvelle forme de combat, trouve de nouveaux moyens de mettre à bas l’ordre bourgeois qu’il aimerait bien expérimenter. Témoin cette guerre qui démarre par la destruction des réseaux par une armée de rongeurs qui pourrait bien être une allégorie de ce que seront les nouvelles luttes du peuple de l’ombre.

Au détour des chapitres on est surpris que Jean veuille remonter le cours de sa vie jusqu’à sa source et se laver du dégoût de cet endroit où elle a chaviré … le prof de gymnastique… ses mains visqueuses… et lui dans le rôle qui restait : celui du con ! D’ailleurs c’est à ce moment qu’il avait commencé à déconner…

Rien d’autre à dire, que la force de ce texte où l’homme reste accroché à son combat et tente de dire à la fois ce en quoi il croit et ce qu’on lui fait subir depuis vingt cinq ans. Que douze mois sont longs à qui rêve de liberté. Et pour profession de foi : mieux valait lutter et succomber que de subir et se serviliser ! […] les regrets n’étaient pas de son côté.

Il y a là une langue tout à fait particulière - faite d’érudition et de dérision - qui touche bien plus que la langue ordinaire et le récit descriptif, apportant la preuve que c’est par le style que l’on parvient à dire l’indicible, ce que le lecteur ne pourrait comprendre ni admettre : derrière la caricature médiatique il y a un homme et derrière le crime une volonté de combattre l’injustice qui n’a pas faibli après vingt-cinq ans d’enfermement - de mort sociale.



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