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Discours Parfait, Philippe Sollers

Editions Gallimard, 2009

vendredi 26 février 2010 par Alice Granger

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En pleine nouvelle période de déliquescence, Philippe Sollers nous fait dans ce recueil d’articles qu’il a écrits redécouvrir des prédécesseurs, des « Voyageurs du Temps », d’étranges individus qui ont enterré pour plus tard leur pensée essentielle, tel cet écrit hermétique grec du début du IVe siècle après JC, le « Logos Teleios » c’est-à-dire le « Discours parfait », en latin « Asclépius », que Saint Augustin avait lu. La version copte avait été découverte par hasard par des paysans en 1945. Des articles qui, écrit Sollers, préparent une Renaissance. Résistance passionnée, et passionnante, lorsque le néant sous forme maintenant d’une distraction persécutrice menace de toutes parts de nous engloutir, de nous plonger dans une anesthésie profonde. Bataille défensive, immunitaire, résistante, pour une résurrection par la pensée, la parole, l’écriture, qui s’épanouissent telles des fleurs. Orage immunitaire, qui, comme le dit Baudelaire, rajeunit les fleurs.

L’écriture de Sollers accueille les personnages vivants, résistants, à travers leurs œuvres immortelles. Ces personnages continuent de vivre à travers le temps, accueillis par ce lecteur qui ne fait pas table rase d’avant sous prétexte qu’aujourd’hui ça distrait et ça occupe à mort par le progrès, la technique. Les articles réunis dans ce livre, au contraire, prennent le temps d’écouter des prédécesseurs dont les œuvres témoignent du lent et sûr enrichissement de l’activité du cerveau, et suscitent l’émerveillement du lecteur. Aujourd’hui, il ne faut s’extasier, de cette manière si puérile et si ennuyeuse, que de l’éveil d’enfants hyper-activés qui n’ont plus aucune chance de s’émerveiller de la parole complexe de personnages arrivés avant eux sur terre et ayant donc logiquement entraîné et structuré leur activité cérébrale pour ériger une singularité époustouflante.

Le premier article, que j’aime particulièrement, « Fleurs », est dédié à Gérard van Spaendonck ( 1746-1822 ), dont la réputation considérable en botanique et en représentation de fleurs n’a pourtant pas fixé l’étrange histoire d’un aventurier végétal et plastique, puisqu’on sait peu de choses de lui. Avec lui, pour la première fois, les fleurs sont observées pour elles-mêmes. Cette pensée : je voudrais être cette fleur observée pour elle-même, à des années-lumière du traitement de masse. Connaissance des différences comme des détails, affluence des espèces nouvelles qui peuvent aussi entrer, de partout, cette fleur de Virginie est mauve, elle vient entretenir de climat, d’insectes, d’eau, de papillons, par son silence. En 1795, Spaendonck est nommé directeur de l’Iconographie botanique du Muséum d’histoire naturelle. Il dessine, peint les fleurs, cette fleur, pas n’importe laquelle, cette tulipe, cette rose, tandis que passent à côté de la Nature tellement d’aveugles qui n’ont jamais ouvert les yeux de la naissance et l’ignorent. « Nul n’entre ici s’il n’est jardinier de lui-même. » Ou petite paysanne… Dessins, peintures, planches, qui témoignent de l’apprentissage à voir la nature se faire. On ne peut plus ignorer distraitement la flore et que la Nature attend d’être dite pour se révéler. Peindre les miracles de tous les jours. En prendre le temps ! Rien à voir avec des photographies ! Car la mains s’y fait sentir, et le cerveau qu’elle implique ! Sollers cite Pascal : « A mesure qu’on a plus d’esprit, on trouve qu’il a plus de fleurs originales. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les fleurs. » Sollers : « Tulipe est un mot turc. » Les iris de Van Gogh ! Ceux de mon enfance, avec l’arc-en-ciel au cœur ! Les rosiers grimpants dans le prunier très haut, un rose, un blanc, jamais taillés. Plonger dans leur parfum subtil, et pour ce plaisir se laisser griffer par leurs épines. Le coquelicot dans les blés mûrs, au cœur noir, c’était une gitane avec une longue, soyeuse, délicate robe rouge flamboyant. Molly Fleur, dans Ulysse de James Joyce, « j’étais jeune fille et une fleur de la montagne… », et oui, il y avait aussi dans la montagne une petite paysanne fleur, Reine des Prés, Centaurée, Millepertuis, Coquelicot, Myosotis, Pervenche, Bouton d’Or, Matricaire, Serpolet, Pensée, Rose ensauvagée, Eglantine, Lilas, Capucine, Marguerite, Primevère, Colchique, Narcisse, Jonquille, Muguet, Rhododendron, Pâquerette, Bardane, Perce-Neige, Fleurs de cerisier, de pêcher, de pommier, de poirier, de prunier, fleur d’acacia, ces parfums, papillons, abeilles, bourdons… Fleur de la montagne… La fleur cultivée la dédaigne, et monopolise les regards… La Fleur de la montagne s’épanouit dans le temps ouvert et silencieux de l’abandon aux sens déployés et jamais saturés par de malignes circonvenantes satisfactions imposées toujours sans jamais être désirées. Une Fleur s’épanouit toujours dans l’abandon à elle-même…Ce qu’une petite fille d’aujourd’hui, entre les mains de sa mère parfaite, n’aura aucune chance de savoir, corps et cerveau circonvenus ! Erotisme floral à travers les âges, le Cantique des Cantiques, « il paît son troupeau parmi les lys », l’Hortus conclusus, « Elle est un jardin bien clos, ma sœur, ma fiancée… », j’entends elle s’est fermée à l’envahissement entreprenant de la saturer avant qu’elle désire quoi que ce soit, alors elle s’épanouit de curiosité, elle est déflorée par l’abondance de sensations. Frère et sœur dans cette expérience native. Dante. Paradis terrestre. Au lever d’un jour de printemps, une douce brise, des chants d’oiseaux. Séjour où la joie s’éternise. Intellect d’amour. Ardeur qui fait éclore les fleurs. Rose céleste. « L’amour, à partir d’une fleur, meut le soleil et les autres étoiles. » Angelus Silesius : « La rose qu’ici voit ton œil intérieur » ; « Qui décore les lys ? Qui nourrit les narcisses ? » Dieu qui habille de la sorte l’herbe des champs ! Ronsard. Shakespeare (Le Songe d’une nuit d’été) : « Il faut à présent que j’aille chercher des gouttes de rosée. » La Bruyère : « Une personne à la mode ressemble à une fleur bleue qui croît de soi-même dans les sillons, où elle étouffe les épis, diminue la moisson, et tient la place de quelque chose de meilleur… » Voltaire. Langage des fleurs. Rousseau, parlant des plantes, mais jamais d’une fleur particulière. Baudelaire et ses Fleurs du Mal. La rose céleste a disparu, je suis un vieux boudoir plein de roses fanées. Chercher la Beauté ailleurs, « Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre/Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs » : toujours la question du jardin qui se clôt pour refouler l’envahissement qui sature. « Baudelaire, après avoir récusé sa mère, ouvre la poésie à une tout autre aventure » et « Retrouve l’ambroisie et le nectar vermeil. » Rimbaud, premier horloger de la planète, les saisons obéissent, « Que le monde était plein de fleurs cet été ! » Mallarmé, coup d’arrêt métaphysique et économe à Rimbaud. Proust : les fleurs sont des mots, les mots sont des fleurs, les fleurs des premières émotions intenses restent les seules vraies fleurs. Adolescence et surgissement, surabondance, mystère des aubépines. Proust herboriste humain. Colette, femme-fleur : « j’entends l’iris éclore ». Genet, Ponge, Beckett, la Chine : Du Fu ( Au bord du fleuve, miracle des fleurs, sans fin), les peintres, Van Gogh, Manet.

« …depuis que j’ai ouvert La Divine Comédie, elle ne me lâche plus, elle se récite en moi, elle revient sans cesse, elle est là, ici, maintenant, dans un présent perpétuel. Il suffit d’écouter. Musique. » « Le Paradis est embrasé, l’Enfer est de plus en plus glacé. » « Point-clé : l’amour vient après l’acte intellectuel. Intellect d’abord, effusion amoureuse ensuite. »

Shakespeare : « Une grande tempête pour arranger les choses, une pensée musicienne pour changer de ciel. » Repousser, refouler violemment la circonvention généralisée, résister. L’amour est « un joyau suspendu dans une affreuse nuit ».

Conversation entre Philippe Sollers, François Meyronnis et Yannick Haenel. Retour des gnostiques. Kafka dit : « J’écris pour faire un bond hors des meurtriers. » « Les gnostiques affirment que nous sommes ‘jetés’ dans un monde voué au mal et à la lourdeur, où nous serions étrangers. » C’est ainsi lorsque tout est ordonné à la mort, corps et cerveau addicts. Il faut une autre naissance, liée au souffle et à la parole, cette parole qui est la résistance en acte, la coupure du cordon ombilical, la fin du règne placentaire. Les gnostiques enseignent à passer de la mort (non-né) à la vie, à coïncider avec le point de résurrection (sentir les poumons se déployer pour un premier souffle vrai, libre). Mais prévaut encore, hélas, sur la planète, tant d’êtres qui s’hystérisent par le sommeil, qui se laissent prendre par l’anesthésie générale. Trépidation stérile qui est le contraire de l’éveil, libre. Evangile de la vérité. Les gnostiques mettent en question la fabrication du monde lorsque la création est un bousillage. Philippe Sollers appellent les Gnostiques Les Voyageurs du Temps. Le salut vient du dedans. Sollers dit : je pars de la singularité (non pas de la masse, du traitement de masse), je vais vers l’unité, et tout cela n’est pensable que dans l’universalité. Le gnostique répond à un appel qui transit sa singularité. Entendre l’appel exige la place vacante, tout le contraire de l’entreprise de saturation, de distraction, de sur-activation. Résurrection comme deuxième naissance. Répondre à l’appel de la parole. « L’essentiel consiste à être à l’écoute de ce qui appelle dans la parole. » « Bonheur de s’extraire du bourbier. » Se désengluer du social, du traitement de masse, comme si les choses se présentaient comme le corps d’une grosse truie aux mille mamelles ordonnant aux petits de téter. Il vaut mieux une baleine blanche…

Montaigne. Mitterrand président. Montaigne partout avec son livre, son corps devenu livre, un livre nourri de livres puisque lire et écrire forment un même tissu sanguin. Vie divine.

Avec Philippe Sollers, la rencontre avec les Voyageurs du temps est infinie : Baltazar Gracian, Saint-Simon (qu’il faut lire pour comprendre la Révolution), Joseph de Maistre (terroriste absolu contre la Terreur : Il y a dans la Révolution française un caractère satanique qui le distingue de tout ce qu’on a vu et peut-être de tout c qu’on verra), Chateaubriand (carrefour crucial de l’histoire de France, de l’Europe, du monde), Mouvement des Lumières (Des écrivains, soudain, se mettent à penser, ils ne demandent pas l’autorisation, ils sentent que la situation est urgente, ils luttent contre l’amnésie), Mirabeau, Le sexe des Lumières (des hommes enfin au parfum), Rousseau (inventeur d’instants), Buffon (qui devient à son gré renard, écureuil, singe, castor, oiseau), Goethe (professionnel des couleurs), érotisme français (un peuple favorisé par la nature), Nietzsche (L’esprit de vengeance est le ressentiment de la volonté contre le Temps et son ‘il était’) un marcheur, un coureur, un danseur, un musicien, qui a passé sa vie dans des sauts, des embardées, dans la montagne, dans les cavernes, Sade (qui a enlevé deux filles au contrôle souterrain de leur mère), tant d’autres : Flaubert, Rimbaud, Simone Weil, Beckett, Lacan, Joyce, Marilyn Monroe, Picasso… Cela se lit à l’infini, on écoute Sollers à travers chaque Voyageur du Temps qui entre dans sa lecture, on ouvre le livre pour tel et tel être d’exception, encore et encore et encore voici dans sa lecture Philippe Sollers, si émerveillé de chacun de ces prédécesseurs venant à sa rencontre, se rencontrant, étonnamment vivants. Un livre de chevet, de voyage, pour se baigner dans l’eau baptismal de l’intellect d’amour, avec des Fidèles d’amour. La lecture se poursuit, à l’infini, répondez à l’appel de la parole !

Alice Granger Guitard



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