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Enfances

Alain Mabanckou, Editions NDZE, 2006

lundi 12 mars 2007 par Alice Granger

Magnifique, ce recueil de nouvelles réunies par Alain Mabanckou ! Les auteurs, Alain Mabanckou, Ananda Devi, Florent Couao-Zotti, Eliane Kodjo, Raharimanana, Kangni Alem, Khadi Hane, Michel Cadence, Sami Tchak, dans le choix de leur nouvelle, nous ont tous livré le pivot, la pierre angulaire d’une enfance assurément pas vécue sous des cieux occidentaux. J’ai été frappée par l’exceptionnelle richesse de l’activité psychique de ces enfants, et par des récits ayant valeur initiatrice, d’épreuve structurante, d’invention pour se protéger, de mythe. Des nouvelles qui rendent si bien compte des cultures dans lesquelles ces enfances ont été vécues.

La première nouvelle, « Ma sœur étoile », écrite par Alain Mabanckou, s’écrit autour d’une absence centrale, celle d’une sœur née deux ans avant le garçon qui raconte, et qui est morte alors qu’elle avait une semaine. Sa mère, après avoir donné naissance à ce garçon, reste stérile, comme pour mieux sauvegarder l’événement de cette disparition comme la chose unique. Fidèle à sa fille disparue, nous imaginons que cette mère a aussi, d’une certaine manière, manqué à son garçon. Ce garçon, dès sa naissance, nous avons l’intense sensation qu’il n’était plus jamais dans le ventre de sa mère continué après la séparation originaire. Et, comme sa mère lui avait dit que sa sœur était au ciel, étoile parmi les étoiles, le petit garçon prit l’habitude de sortir dans la cour, la nuit, et très vite il a repéré dans le ciel l’étoile qui était sa petite sœur. Cette étoile était en somme l’écriture dans la nuit de sa propre séparation d’avec sa mère à jamais fidèle à sa fille perdue qui avait emporté une partie d’elle-même. Cette Sœur-Etoile était donc pour le petit garçon l’écriture de la séparation d’avec sa mère matricielle. Dans le ciel étoilé, sa Sœur-Etoile dessina pour son petit frère seul dans le désert de nuit un mouton, comme pour le Petit Prince seul dans le désert. Cette nouvelle écrit superbement comment une mort a le pouvoir de restructurer la vie de ceux qui restent. Et même d’être le paradigme de la seule chose que chaque humain devrait être certain d’avoir perdu, ce placenta, tandis que dans notre Occident si absurdement attaché à ce que « tout baigne » on voudrait au contraire nous persuader que ce placenta s’est métastasé partout. Elle est très exemplaire, la nouvelle de Mabanckou, dans laquelle le petit garçon a même réussi à prouver l’existence de sa Sœur-Etoile à son copain. Ainsi, il n’est plus un petit malheureux qui n’a ni frère ni sœur ainsi qu’il avait dit à sa Sœur-Etoile que Nestor le voyait. En somme, avoir des frères et des sœurs, nous lisons entre les lignes de cette nouvelle que cela ne peut se faire que si des garçons et des filles se sentent seuls eux aussi dans la nuit, dehors pour toujours, et repèrent parmi les étoiles dans le ciel celle qui représente ce qu’ils ont irrémédiablement perdu en naissant, et qu’aucune fille ne déniera.

La deuxième nouvelle, celle de Ananda Devi, « L’enfant du banian », tourne autour de la gémellité. Là aussi, il s’agit d’une fiction qui « traite » la séparation d’avec la mère. Pour mieux souligner qu’en naissant l’enfant est irrémédiablement séparé de sa mère tout en restant avec elle, l’auteur invente que la mère enceinte est allée chercher du bois dans la forêt, et que là elle sent qu’elle va accoucher plus tôt que prévu. Elle se met à l’abri des bêtes sauvages à l’intérieur d’un arbre creux, le banian, et là, surprise, ce n’est pas un bébé qui arrive, mais deux. Bien sûr, cette mère s’endort, fatiguée, et à son réveil, il manque un bébé. Elle le cherche partout, en vain. C’est ce bébé-là qui, plus tard, écrit. Bien sûr. Celui que la mère a perdu. Celui qui a eu l’intense sensation de ne plus avoir de mère, au sens strict, la mère placentaire, la mère matricielle. Celle qui a osé prendre le risque d’aller en forêt, alors qu’elle pouvait accoucher...La mère, fatiguée, dormait, elle n’a pas entendu celui, des deux nouveaux-nés, qui pleurait. Une chienne sur le point d’avoir des chiots est arrivée, l’intérieur creux du banian était son chez elle, d’abord elle gronda parce que des intrus avaient osé s’installer chez elle, puis les pleurs du bébé l’intriguèrent, elle le lécha puis l’emporta. Elle revint lorsque la mère et le nouveau-né qui lui restait furent partis, elle mit bas quatre chiots, et l’enfant était le cinquième à téter son lait. Cet enfant, contrairement à son jumeau, continua à marcher à quatre pattes, détail qui représente une sorte de désir de rester à l’état fœtal, le désir de ne pas se mettre debout, de ne pas aller vers la vie des humains. La fiction invente une chienne qui ne veut pas se séparer de ce « chiot » pas comme les autres. Nouvelle qui met en scène un désir de rester dans la « forêt », dans une sorte de matrice, alors que le jumeau, l’autre aspect de lui-même, est en train de se mettre debout, et de s’intégrer aux humains. L’auteur s’est inventé une mère, à travers cette chienne sauvage, qui ne voudrait jamais le perdre.

La troisième nouvelle, « L’enfant aux pieds rouges », est écrite par Florent Couao-Zotti. Trois enfants, cousins ou frères, sont, dans leur village, insultés par les autres enfants parce qu’ils portent des chaussures, et les autres enfants non. Pour ressembler aux autres enfants, ces trois-là vont gambader les pieds nus dans la poussière rouge du chemin. Bien sûr, ils le font lorsque leur mère, qui est sage-femme, travaille. Les chaussures semblent représenter le désir de cette mère de mettre ses enfants à l’abri de la poussière rouge. Elle est sage-femme, mais donne-t-elle vraiment ses enfants à la lumière et à la poussière rouge de dehors, si elle persiste encore à ce qu’ils soient, par les chaussures, et contrairement aux autres enfants, préservés. Eux, ils veulent ressembler à dehors, à la poussière rouge du village. Ils ne sont pas d’accord avec cette mère qui veut, exceptionnellement, que des enfants ne portent pas la couleur de dehors. C’est jeudi, il n’y a pas école, et ces trois enfants veulent suivre Prosper, leur cousin, dans les ruelles les plus secrètes du village, pour aller voir les revenants, ces morts qui veulent dire aux humains de ne jamais cesser de les honorer. La sortie de ces revenants est toujours une fête pour le village. Ce matin-là, le garçon qui, plus tard, fera le récit de cette aventure, saute les marches comme si en bas il allait prendre un trésor à lui destiné, et suit son cousin jusqu’au cœur de la forêt, là où il y a le couvent de ces revenants. En quelque sorte, ils vont violer un secret. Des sons tristes se font entendre. Puis un cri. Les garçons se cachent. Des fourrés, ils voient surgir un jeune garçon poursuivi par des hommes. Ils le plaquent à terre, il doit subir la punition réservée aux curieux qui ont violé un interdit. Car on ne vient pas dans le couvent des revenants sans être initié. Sur son tee-shirt, le jeune garçon porte inscrit : « N’aie pas peur du monde, enfant. » Il urine sur lui de peur, les hommes se moquent de lui. Les garçons en embuscade ont reconnu le grand frère d’un de leur camarade. Ainsi, il a voulu connaître le secret ? Mais il n’a pas pu passer sans accepter l’initiation par les aînés...S’intégrer à la communauté humaine ne peut se faire sans, d’abord, prendre acte de l’existence des aînés, et du passage du temps. Les aînés ne sont pas encore dans l’autre monde, d’où ils reviendraient de temps en temps...Les garçons en embuscade se font repérer. Gare à eux...Quarante coups de fouet marquèrent leurs fesses, et bien sûr le narrateur ne se plaignit pas à sa maman...L’existence des hommes adultes s’écrivit par les marques sur son derrière. Jusqu’à ce récit, le narrateur ne parla jamais de cette « castration » initiatrice.

Le quatrième récit est celui d’Eliane Kodjo, « L’enfant de la lune ». Kuna est un garçon différent, objet de curiosité à l’extérieur, car il est albinos, alors que tout le monde a la peau noire. Il n’a jamais été heureux d’aller à l’école. Son père, qui a toujours professé l’amour du prochain, lui donne un conseil insolite. Qu’il devienne un élève brillant ! Qu’il se distingue ainsi au milieu de ses camarades, en plus de sa particularité d’albinos. Kuna signifie enfant de la lune. Sa grand-mère Asta est toujours là lorsqu’il est complètement vidé, alors elle le prend sur ses genoux comme un bébé. Elle lui dit d’écouter les conseils de son père, et que si les autres enfants sont si méchants avec lui, c’est qu’ils se demandent s’il est un enfant à part entière. Les études brillantes lui ouvrent la porte de l’amitié. Alors, l’amour peut aussi devenir une deuxième arme, étonnante. Kuna veut vraiment être compté du nombre des enfants, alors que la couleur de sa peau, de ses cheveux et de ses yeux fait qu’il n’est pas compté d’emblée. Alors que ses succès en classe ont fait qu’il peut commencer à se sentir du nombre, il remarque un garçon qui est encore plus malheureux que lui. Freddy est malade. Un vieux pêcheur prend soin de lui. Kuna est tout excité à l’idée de proposer à Freddy et au pêcheur de les accompagner, le lendemain jour de vacances, à la pêche. Le vieux pêcheur le nomme par son prénom, et Kuna en est suffoqué. Le pêcheur avait donc déjà pris acte de son existence. Du coup, Kuna n’ose pas faire sa demande, du point de vue de l’intérêt pour l’autre le vieil homme l’avait déjà devancé, il n’était sur ce terrain pas premier, c’était une leçon violente. Ce n’est que le lendemain qu’il peut vraiment leur proposer de les accompagner. Le vieux pêcheur commence l’initiation. Il faut marcher en silence pour ne pas ralentir la marche. Le garçon albinos se plie devant l’aîné. Dans la pirogue, avec le vieux pêcheur, Kuna se perd dans la contemplation de ce nouveau monde. A sa grande surprise, le filet est plein de poissons. L’amour a été très fécond... Kuna est le héros du jour. Puis Freddy entraîne à l’écart Kuna et lui demande : « Est-ce vrai que les Albinos sont différents ? ». Kuna est abasourdi. Ainsi, ce petit malade, que la maladie rend aussi différent, est encore capable de noter une différence encore plus irréductible que la sienne ? Un Albinos est encore plus autre qu’un malade ? Kuna pensait, un peu fanfaron tout de même, se faire valoir aux yeux de Freddy par son acte d’amour. Et là, alors, c’est en tant qu’autre, en tant que différent, qu’il doit gagner la bataille, pour être agréé comme ami par Freddy. Ce n’est jamais facile, l’autre...Mais c’est gagné : la maman de Freddy veut connaître l’enfant de la lune ! Après avoir réitéré l’exploit du filet plein de poissons en accompagnant un ami du pêcheur, Kuna est unanimement reconnu comme portant exceptionnellement chance. Alors Freddy dit, oui, Kuna, ton sang est de la même couleur rouge que le mien, mais toi, avec ton don pour remplir le filet de poissons, peux-tu nier que tu es un enfant de la lune ? Voilà : la morale de cette nouvelle, c’est que Kuna veut bien être du nombre, avoir le même sang rouge que tout le monde, mais en même temps, il veut se mettre en relief comme quelqu’un...

Le cinquième récit, « Le vol de La tempête », est écrit par Raharimanana. Un garçon de neuf ans fréquente une école situé près d’un village qui fut autrefois le lieu où le roi venait se reposer, mais maintenant ne l’habitent que des pauvres, et le bus refuse de s’y arrêter. Les égouts se déversent dans ce village. L’odeur est pestilentielle. Le père du garçon avait contribué à créer l’école fréquentée par son fils. Ecole qui appartient à l’Eglise, laquelle s’est approprié les terrains, ne laissant rien aux villageois. Les enfants adorent jouer au bord des rizières. Libellules, nids d’oiseaux, poissons. Mais ils sont intimidés par le silence régnant dans le fameux village et n’osent pas s’aventurer trop loin. Se profile une sorte de lieu interdit... Des histoires de malédiction planent...des corps flottant auraient été retrouvés dans ces marais...Le garçon aime cette peur. Il voudrait traquer ces disparitions, connaître les légendes...Goût des récits, des livres, qui s’inaugure à partir de cet interdit...Un jour il se demande :Dieu n’aime pas ces marais, alors pourquoi le couvent, le cimetière et le petit séminaire se trouvent-ils tous ici ? Et pourquoi l’évêque fait-il toujours sa retraite là ? Punition pour avoir traîné dans les marais. Silence pendant plusieurs jours ! Mais, au sein de ce silence, il rencontre un fou, et il le suit jusque dans les marais, bien plus loin que d’habitude. Sauf qu’il s’y embourbe jusqu’aux aisselles, et que seul le fou le tire de là. Mais de là le goût d’aller, par la lecture, dans les endroits où il est possible de se faire peur, et aussi de s’embourber. Pas question de laisser seuls ces gens d’Eglise en profiter. Alors, le jeune garçon va repérer leur bibliothèque, et peu à peu il va y subtiliser les livres, jusqu’à « La Tempête », de Shakespeare... Ce qu’ils interdisent aux enfants et aux fidèles, ils se les gardaient pour eux...C’étaient là, les trésors...alors qu’ils soutenaient que seule La Bible est véridique...La bibliothèque de son père n’est pas suffisante au petit affamé de légendes, heureusement il y a celle de l’école religieuse. Choc des lectures ! Le jeune garçon s’y engage loin comme si c’était des marais dont il n’a plus peur, il y a toujours un fou pour le tirer de là...Le Livre ne réussit plus à faire barrage aux livres...

Kangni Alem a écrit la sixième nouvelle, « Le nain volant ». Le jeune Bonito, lorsque les lampadaires chaque soir s’allumaient, s’écriait : les lampadaires sont en train de naître ! Il était très curieux de savoir qui, chaque soir, allumait les lumières de la ville. Un magicien invisible ? A la tombée de la nuit, une fronde dans les mains, Bonito et ses copains bombardaient les chauves-souris. Mais à un certain moment, Bonito se trouva à court de munitions, plus de cailloux, plus de noyaux, plus rien. Alors, il trouva un brin de bois. Il envoya le curieux projectile en direction des chauves-souris, et se produisit quelque chose d’étonnant : de l’autre côté de la rue il y avait un terrain vague, où autrefois les esclaves étaient emportés vers les Antilles et l’Amérique. Sur cette place, trônait un vieux lampadaire qui ne s’allumait jamais. Mais là, miracle, il s’allume, le projectile bizarre a atteint sa cible. Le lampadaire s’allume-t-il sur la traite des Noirs d’autrefois ? Le projectile, poussé par une curiosité d’enfant, s’est-il étrangement orienté dans une direction qui semblait n’intéresser personne, puisque ce lampadaire ne s’éclairait pas ? Mais d’abord cela semble juste une illusion. Ensuite, le noir habituel... Ce lampadaire avait été mis là à l’occasion de la venue d’un grand cirque international, deux ans plus tôt. A l’époque, le jeune garçon se faisait une joie d’aller au spectacle. S’annonçait une journée palpitante comme il n’en avait jamais connue. Mais, le jour du spectacle, sa mère a un malaise, et il ne peut y aller... Le lendemain, à l’école, ses camarades lui racontent les tours, et en particulier ils parlent du nain volant et de son numéro, la marche au plafond. La place resta pour le garçon liée à Kim, ce nain extraterrestre. Le soir où ce lampadaire se ralluma frappé par la brindille d’acacia, le jeune garçon n’arrive pas à s’éloigner. Brusquement, il aperçoit au sommet du lampadaire le fameux nain volant. Une échelle lumineuse permet au garçon de grimper. S’allume alors le chapiteau d’un cirque, et le nain voltigeant pour lui tout seul. Exercices de voltige de sa pensée, de ses fantaisies...On ne tombe pas, on a des ailes...

Khadi Hane a écrit la septième nouvelle, « La maison sur la colline ». Cette maison, avec ses vastes fenêtres ouvertes sur la mer, comporte une vaste pièce centrale où se réunit la famille, notamment cette vieille grand-mère édentée que la petite dernière aime tant, une grand-mère chiquant le tabac et dont l’odeur lui reste inoubliable. Les mouettes chantent le matin sous les fenêtres. La maman est très exigeante avec ses enfants. Même la petite dernière doit obéir. La mémé, qui est Peule, raconte en peule des histoires aux enfants, et notamment à la petite dernière qui est la narratrice. La très gentille maîtresse parle à ses élèves du pays où il fait froid. Elle raconte des livres de là-bas, mais elle ne connaît pas les histoires d’ici...Ensuite, la petite fille entend parler des esclaves noirs vendus aux Blancs. Puis lui vient aux oreilles l’histoire des Tirailleurs Sénégalais venus défendre la France lors de la Deuxième Guerre Mondiale, et que la France n’a pas payés...Ils se révoltent, mais, pour tous paiement, ils sont mitraillés. La petite fille, nous la sentons bouillir de colère. Mais, pour le moment, elle semble ne voir que la mer, devant sa maison, qui lui tend les bras. Un soleil éclatant chauffe l’eau. La petite fille curieuse veut aller voir les secrets que la mer garde dans son ventre, et que les hommes, s’ils savaient, ne se gêneraient pas d’aller voler. Elle se met à nager loin, loin. Puis, soudain, elle se souvient que sa mère lui a interdit de nager seule. Elle veut revenir, mais son pied s’engourdit. Elle ne doit sa survie qu’à un pêcheur qui passe par là. Rentrée chez elle, toute la famille, affolée, est au courant. La mémé raconte alors à la petite une histoire : la reine de la mer, qui vit dans les profondeurs, ne permet pas qu’on trouble son sommeil sans permission. Avant d’y aller, il faut faire des sacrifices... Sinon, elle est féroce. Si on lui fait des offrandes, elle reste bleue et calme. Nul doute que la petite fille a compris la leçon...Il s’agit d’être diplomate pour s’aventurer dans la mer des paroles et des humains jusque dans les pays où il gèle...il y a la manière de dire sans provoquer la colère de la reine...

La huitième nouvelle est écrite par Michel Cadence. « La pointe Denis » raconte l’histoire d’un petit garçon, Denis, qui ne veut pas être vendu par le chef du village ivrogne auquel il osa refuser d’obéir. Le chef du village lui avait demandé de dire à sa sœur de lui apporter de l’eau. Le garçon avait été choqué que ce vieux chef ose les prendre pour ses esclaves, il ne se plie pas devant l’humiliation. Sa sœur n’est pas son esclave. Une nouvelle qui raconte une désobéissance à tout ce qui veut faire plier, un chef, s’était dit ce garçon, ne me castrera pas, ni ma sœur ne sera à portée de mains. Disposition très précise face à la vie, le garçon étant persuadé que ce n’est pas le chef qui fera la loi... Dès lors, pour toujours, le garçon qui a choisi de fuir sera condamné à rester caché, obéissant à son...initiateur. Fuyant le long de l’eau dans le noir, manquant à chaque pas d’être happé par un crocodile, par un hippopotame, d’être étouffé par un python, d’être entraîné vers l’Estuaire où il se noiera à coup sûr, tous ces dangers qui incarnent le risque de castration qui le poursuit, le garçon, de justesse, se glissant par un passage étroit, découvre un vieux solitaire, dans une maison construite sur l’eau, insoupçonnable. Ce vieil homme se décide à lui faire confiance, et le conduit de l’autre côté du fleuve jusqu’à un endroit où il va lui confier un secret pour s’en tirer, ce lieu s’appellera « La pointe Denis ». Là, il lui fait assister à l’arrivée des tortues pondant des tonnes d’œufs qu’elles enfouissent sous le sable. Les tortues sont protégées par une instance féminine qui hurle dans la nuit. Le vieil homme, avant de quitter le garçon, lui dit qu’il peut aller vendre ces œufs en échange de légumes et autres denrées, Elle la présence féminine ne le maltraitera pas. Voilà : le garçon n’a pas été vendu par le chef ivrogne qui voulait avoir à son service sa sœur, mais au contraire, des tortues vont lui laisser des œufs à vendre, il construira sa hutte à l’orée de la forêt, là où il n’y a que de gentilles gazelles...Pourquoi le chef avalant ses mots tellement il est ivre continuerait-il a croire que les filles sont à son service ?... Plus loin, dans un endroit insoupçonnable, il y a des tortues qui pondent...Mais enfin, le vieux solitaire est une figure initiatrice, autre représentation du chef, qui assigne aussi à résidence...Dans la nouvelle, la sœur est restée au village, et on ne sait pas si, finalement, elle a apporté de l’eau au chef...Son frère n’est plus là pour s’y opposer. Les œufs des tortues ne lui auraient-ils pas quelque peu cloué le bec ? Et reste le chef assoiffé...Cette nouvelle ne donnerait-elle pas la main à l’instance féminine qui hurle sur le fleuve, menaçante, aux gentilles gazelles, aux tortues qui pondent leurs œufs... ?

La dernière nouvelle, enfin, est écrite par Sami Tchak. « Une très bonne nouvelle » commence par l’annonce de la mort d’Oncle Salami, qui plonge un garçon de le chagrin, ainsi que sa mère et toute la famille. Ce garçon, le préféré de sa mère, part avec elle aux funérailles. Brillant élève, le directeur de l’école lui avait certifié qu’il ira loin. Dans son rôle d’homme, le garçon ouvre le chemin à sa mère. Le garçon songe au dernier séjour chez son oncle, un homme riche. Possédant une mobylette, il incarnait le rêve de tous les paysans, et, disait-on, il attirait à lui toutes les femmes mariées et toutes les jeunes filles. Tout le monde lui devait de l’argent, mais il acceptait qu’on abuse de lui. C’est lui qui avait...Maintenant, songeait le garçon, ce Tonton est mort...Au village, on aurait dit que la mort de cet homme avait réussi à tout immobiliser. Quel pouvoir ! En arrivant, un détail frappe le garçon : il y a vingt bœufs sous les orangers derrière la maison ! D’où viennent-ils ? Il s’évanouit, et revient à lui dans le beuglement des bœufs. Ensuite, avec son cousin, ils se rendent dans la chambre du mort. Et, oh surprise, le cadavre n’est pas là ! En sortant de la chambre, il entend une voix féminine qui chante de manière mélodieuse. Et l’oncle est là, bien vivant ! Ces bœufs, il les avait achetés pour la fête qu’il avait préparée. La fête de la réconciliation. Ceci pour réparer une faute commise à l’égard de sa sœur quinze plus tôt, quand il l’avait laissé être accusée d’un vol. Et, bien entendu, c’est cette sœur qui va le faire renaître...Au nom de leur mère partie depuis des années...Cette nouvelle s’incline sur cet autel...

Des nouvelles splendides, qui, en quelques pages, tracent peut-être l’orientation psychique propre à chacun des auteurs, depuis leur enfance. Chacun d’eux a su trouver une sorte de récit fondateur.

Alice Granger Guitard

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