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Candide ou l’optimisme, Voltaire
jeudi 21 septembre 2017 par Alice Granger

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Dans ce conte philosophique de Voltaire, est-ce un hasard si le personnage nommé Candide est un habitant de Westphalie, un Westphalien ? Faut-il, alors qu’il est question dans ce conte du « meilleur des mondes possibles », entendre en surplomb les traités de Westphalie qui avaient mis fin à la guerre de 30 ans en 1648, qui avait signé l’émergence de l’Etat-nation avec le principe de souveraineté nationale, remodelé l’Europe et réorganisé l’Allemagne aboutissant à ce que le Saint Empire romain germanique soit morcelé en 350 petits Etats ? « Tout est bien dans le meilleurs des mondes possibles », comme le dit le philosophe Pangloss qui habite chez le riche baron du conte et éclaire l’enfance de Candide, serait-il une possible référence à cette paix de Westphalie qui a donné un système international inter-étatique toujours en vigueur, dans lequel il n’y a aucune autorité au-dessus d’un Etat lui-même souverain sur son territoire et pour sa population, chaque Etat étant l’égal d’un autre Etat, avec un principe de non-ingérence d’un Etat par rapport à un autre Etat, et un équilibre des puissances ?

La paix de Westphalie se combine-t-elle dans ce conte sur « le meilleur des mondes » avec l’harmonie pré-établie de Leibniz qui avait contribué à brouiller la longue liaison de Voltaire avec Emilie du Châtelet ? En effet, Voltaire vit d’un mauvais œil que Mme du Châtelet renonce au matérialisme newtonien pour le déterminisme optimiste de Leibniz.

En tout cas, si nous gardons à l’esprit que dès avant la fin de sa liaison avec Mme du Châtelet, Voltaire commence en 1745 une liaison avec Mme Denis, sa nièce, avec laquelle il vivra jusqu’à sa mort, comme cultivant son jardin à Ferney, nous devons noter que Candide est, selon les « anciens domestiques de la maison », le « fils de la sœur de M. le baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser ». Le baron, qui est un des plus puissants seigneurs de Westphalie, a un château dans lequel est élevé Candide le neveu ! Déjà, ne pourrions-nous pas noter que cette sorte de souveraineté du baron en son château et domaine du fait de sa richesse est aussi quelque chose de westphalien, et que le statut de ce seigneur est celui du chef de famille, père puissant assurant à tous la jouissance d’un abri tout en harmonie et où rien ne manque ? Reliant alors l’harmonie pré-établie et la souveraineté dans la possession d’un lieu riche aux teintes très matricielles ? Candide, dans ce paradis de naissance, est juste accueilli, mais sa naissance un peu floue fait que sa « westphalité » reste à prouver, à ériger en quelque sorte, alors qu’elle est castrée elle doit s’identifier à un modèle, le baron… Le riche baron a une fille, Cunégonde, et, dans ce château qui est le meilleur des mondes possibles, selon la loi de la cause et de l’effet, celle-ci songea « qu’elle pourrait bien être la raison suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi être la sienne » ! Tout de suite dans le conte, nous comprenons que la relation père-fille est le modèle à suivre pour le neveu prétendant, s’il veut avoir la fille. Il faut que la relation Candide-Cunégonde tende à se rapprocher de la relation baron-Cunégonde en terme de jouissance du meilleur des mondes, mais évidemment sans se confondre, car il faut maintenir l’aplomb de la première relation sur la seconde, et la domination du pouvoir souverain du baron père de la fille sur le pouvoir souverain qu’arrive à avoir Candide dans son domaine qu’il partagera avec Cunégonde !

La logique des choses s’enclenche alors ainsi : leurs bouches se rencontrent derrière un paravent. La fille et le neveu du baron, cousins germains donc, dans le beau château de Westphalie où l’enfance les a réunis, sont dans le meilleur des mondes ! Sauf que c’est incestueux ! La fameuse harmonie pré-établie de Leibniz s’avère dans le conte de Voltaire de nature incestueuse ! Entre soi de l’enfance, « le plus beau et le plus agréable des châteaux possibles ». Dans ce conte, où Cunégonde reste du début à la fin la femme qui incarne le meilleur des monde à rejoindre enfin après un enchaînement de vicissitudes qui se jouent de la castration, aussi bien sa mère, sœur du riche baron, que la jeune fille que Candide aime et qui est sa cousine, sont de haute origine ! Hormis le baron, qui est un riche seigneur et qui incarne le westphalien qu’il faut être pour prétendre à une femme de haute condition, les hommes qui désirent faire leur vie avec elles, aussi bien le gentilhomme père de Candide que Candide lui-même, leur sont inférieurs, et cela ouvre la faille de l’impossible. Mais en même temps, cela fixe le meilleur des mondes à désirer, et quels moyens il faut avoir pour devenir souverain en un domaine comparable ! L’harmonie pré-établie ainsi que la Westphalie sont pour le jeune homme incarnées par une femme, et… se situent en inceste, c’est-à-dire ce lieu idyllique souverain d’enfance riche qui est la même référence pour Cunégonde et pour Candide ! C’est drôle que Voltaire soit en désaccord avec Mme du Châtelet à propos de Leibniz, mais que, dans le cadre des infidélités qu’ils s’accordent chacun de leur côté sans que cela n’entame vraiment leur histoire commune, il commence une liaison avec sa nièce Mme Denis avec laquelle il ira vraiment… cultiver son jardin, rejoignant une harmonie pré-établie qui, certes, n’aura jamais la brillance de la vie avec Emilie ! Voltaire devenu riche grâce à ses spéculations boursières peut être à Ferney à la hauteur du baron de Westphalie de son conte ! Comme le baron du conte père de Cunégonde, Voltaire devient riche, c’est lui qui paya les importants travaux chez Mme du Châtelet avec laquelle la relation fut triangulaire comme dans la situation oedipienne, puis lorsqu’il vit avec sa nièce Mme Denis à Ferney il achète un grand domaine et fait du misérable village une petite ville prospère, où l’élite européenne vient le voir comme dans une cour brillante et reconnue. Finalement, bien qu’en désaccord apparent avec Mme du Châtelet à propos de Leibniz, et paraissant dans son conte mettre en dérision la croyance en le meilleur des mondes où cultiver son jardin par le personnage de Cunégonde qui est une vieille et laide femme lorsque enfin Candide peut vivre avec elle, Voltaire prouve par sa volonté efficace de devenir riche qu’il a une idée très précise de ce qui sous-tend le fameux déterminisme optimiste de Leibniz et même de ce qui est westphalien…

Candide est chassé du château du baron parce que le puissant et riche père ne peut accepter pour sa fille un prétendant qui n’a pas de fortune. Le père de Candide n’avait pu pour les mêmes raisons épouser la sœur du baron ! Il faut avoir de la richesse pour assurer la matérialisation toute westphalienne de l’harmonie pré-établie… Candide est « chassé du paradis terrestre… il se coucha sans souper au milieu des champs entre deux sillons ». De même que Voltaire trouve refuge auprès de Frédéric II roi de Prusse, Candide, parce qu’il aime « tendrement le roi des Bulgares » c’est-à-dire des Prussiens, voit sa fortune faite et sa gloire assurée dans son armée. Mais comme Voltaire se brouilla avec Frédéric II, Candide fait tout foirer et doit la vie à la clémence du roi des Bulgares. On voit que Candide, tout comme Voltaire, est l’ami des monarques d’Europe, mais ne se satisfait pas d’être au service d’un roi… Nous comprenons que, comme Voltaire, ce qu’il vise, c’est d’être souverain chez lui, ne serait-ce que dans un charmant domaine visité par l’élite européenne éclairée…

La guerre éclate entre le roi des Bulgares et le roi des Abares c’est-à-dire de France, et Candide s’enfuit, traversant l’un après l’autre un village abare détruit par les Bulgares et un village bulgare détruit par les Abares ! La paix westphalienne n’est pas encore au point… Candide s’enfuit en Hollande, « ayant entendu dire que tout le monde était riche dans ce pays-là », et étant sûr qu’on l’y traiterait comme dans le château de son oncle le baron ! Mais, dans ce pays où tout le monde était chrétien, seul un anabaptiste vient à son secours lorsqu’il demande du pain ! C’est alors qu’il rencontre un gueux, qui n’est autre que le philosophe Pangloss, théoricien du meilleur des mondes et de la loi de la cause et de l’effet ! Candide se demande pourquoi le philosophe n’est pas resté « dans le plus beau des château » ! Et seul un conte peut se permettre de relier le fait que Candide soit chassé de ce paradis terrestre avec le fait qu’alors ce paradis se détruise, comme si le départ de l’un était la cause secrète de l’effet de destruction du château où auprès de son père le baron Cunégonde était gardée au paradis. Non, tout est détruit ! Cunégonde est morte éventrée après avoir été violée par les soldats bulgares, le baron a eu la tête fracassée et la baronne sa femme coupée en morceaux ! Quant au frère de Cunégonde, il a subi le même sort que sa sœur. Cette destruction a été accomplie par les Bulgares, mais les Abares ont fait de même chez les Bulgares ! Belle paix westphalienne ! Mais le conte ne nous dit-il pas autre chose ? Que cette richesse, qui fait défaut à Candide, ne peut rester à Cunégonde par les bons soins de son père ! Que la fille et le fils du riche baron soient violés et éventrés, cela ne représente-t-il pas l’envie que suscitent ces enfants à papa westphaliens ? Tous les Bulgares désirent avidement s’en emparer ! Et toute l’harmonie pré-établie de ce monde paradisiaque d’enfance est détruit, aux yeux de Candide ! Et ce qui est arrivé au philosophe Pangloss, devenu un gueux, a de quoi mettre en garde le candide garçon contre l’attrait sexuel de la gente féminine ! Paquette, la jolie suivante de la baronne, lui a transmis une infection sexuelle qu’elle-même tenait… la généalogie de la maladie vénérienne remonte à Christophe Colomb et c’est hilarant ! Mais cet effet désastreux dont la cause est le sexe, s’il fut causé par Colomb, en tout cas la découverte de l’Amérique par celui-ci a eu surtout pour effet d’avoir du chocolat et de la cochenille, sous-entendu toute la richesse apportée par le commerce alimenté par les colonies ! Alors, Pangloss est guéri par l’anabaptiste, même si dans l’affaire il perd un œil et une oreille ! Et le charme d’une Paquette est une sombre impasse dans laquelle un jeune homme ne doit pas s’engager ! Tout ce qui arrive dans ce conte aux femmes comme viols, même aux plus nobles, semble manifester de la part de Voltaire une sorte de sadisme libidineux visant à les castrer de leur beauté, de leur ascendant, de leur pouvoir : si elles attirent les hommes, alors que cette cause subisse la conséquence la plus destructrice ! Comme s’il voulait souligner qu’il fallait autre chose, que le sexe, à lui seul, conduit à une chute de ce qui est aimé, à une sorte de ratage, la princesse s’avère une femme laide, tout comme la jolie Cunégonde s’avèrera une laide vieille femme.

Donc, le monde tremble, comme Lisbonne où ils arrivent, avec la découverte par le récit du philosophe que l’aboutissement sexuel entre un homme et une femme est infectant, il altère l’idée d’une harmonie possible et pré-établie entre un homme et une femme, comme si ceux-ci l’avaient connu ensemble, tels Candide et Cunégonde en Westphalie. Alors que le meilleur des mondes voudrait que le fantasme d’une telle harmonie ne soit jamais détruit, surtout pas par cette maladie vénérienne qui nous vient de Christophe Colomb, voici que la terre tremble à Lisbonne ! Comme le meilleur des mondes sous les coups d’un réel impossible à refouler, alors que des hommes ont « un peu corrompu la nature ». En vue de Lisbonne, la tempête en mer est terrible ! Candide et Pangloss en réchappent, et voient les ruines de Lisbonne. Ne pourrait-on pas dire que dans ce conte, c’est l’envers de la chute des femmes, de l’altération de leur image par l’infection qu’elles transmettent. Tout tremble, si elles n’incarnent pas l’harmonie, si « une traînée de soufre sous terre depuis Lima jusqu’à Lisbonne » symbolise l’aspect sulfureux de l’attirance des sexes qui secoue et détruit les rêves, les fantasmes, tout cet aspect paradisiaque d’une enfance fantasmée qui a été transféré directement sur la femme élue, et patatras ! Mais Pangloss soutient envers et contre tout que tout est bien, que le volcan n’est qu’ici, à Lisbonne ! Ce qui fait surgir, logiquement, un familier de l’Inquisition ! Car la philosophie de Pangloss nie la chute, le péché originel, la perte de l’harmonie pré-établie que l’on pourrait entre les lignes de Voltaire entendre comme une sorte de temps incestueux jamais perdu car retrouvable alors même qu’il a perdu Mme du Châtelet, catastrophe comparable à un tremblement de terre ! Bien sûr, avec le sens de « rien ne manque » au mot « incestus », ce qui rime avec le souci de Voltaire de se faire une fortune, et donc matérialiser un domaine qui sera un abri à la réputation élitiste ! Pour Pangloss, la chute de l’homme fait partie du meilleur des mondes possibles ! En effet, nous constatons au long de ce conte que là où, au commencement, c’est Cunégonde qui, grâce à son père, est riche, à la fin du conte Cunégonde n’a rien, même pas sa beauté, et c’est Candide qui a quelque chose même si les vicissitudes ont fait que les prétentions se sont revues à la baisse ! Tout le conte vise à ce que le pouvoir du père, qui installe tout le monde en son château et ses jardins, qui avec des yeux d’enfants est vu comme idyllique, passe à l’époux, mais dans une vision réaliste ! « … il était nécessaire que nous fussions libres », dit Pangloss. Libres par rapport à un fantasme, par rapport à une dépendance à l’enfance, par rapport à une croyance infantile en le pouvoir souverain du baron ? Le tremblement de terre de Lisbonne a tout lézardé, tout est en ruines. Alors, reste la liberté ! Comme si l’harmonie de l’enfance était en ruines dans la mémoire, voici que reviennent dans le conte comme de mauvais souvenirs ! « Candide fut fessé en cadence, pendant qu’on chantait », et Pangloss est pendu, celui qui parlait du meilleur des mondes !

Une vieille femme prend soin de Candide. Il est étonné de cette charité ! Comme annonçant par sa vieillesse que la Cunégonde qui partagera sa vie sera vieille elle aussi, que par exemple leur vie commune ne se fera pas autour de la procréation, ce qui était déjà annoncé par la maladie vénérienne qui empêchait la génération, la vieille femme emmène Candide dans « un cabinet doré » ! La dorure réapparaît en pleines ruines post-tremblement de terre ! Et là, il retrouve… la belle Cunégonde ! Qui lui explique qu’on ne meurt pas toujours d’avoir été violée et d’avoir eu le ventre fendu ! Même si, naïvement, Candide la dévore des yeux, Cunégonde semble lui expliquer à demi-mots qu’une femme de haute condition comme elle, à entendre qui a eu le riche baron westphalien comme père qui l’a rendue à jamais attachée à cette harmonie pré-établie, sait parfaitement qu’une vie avec celui qui viendra après son père auprès d’elle avec le même pouvoir de lui offrir cette harmonie n’est en rien remise en question par cette folle voire délirante histoire d’attraction sexuelle qui, lorsqu’elle se déchaîne sur la femme la plus désirable et la plus excitante, viole et fend le ventre, comme pour prouver par cette violence fantasmatique la réalité du pouvoir séducteur de ladite fille ! Cette Cunégonde a de la suite dans les idées, elle qui a été aussi élevée dans les idées du philosophe Pangloss ! On pourrait peut-être dire que Voltaire, avec toute sa richesse en plus de sa notoriété européenne d’écrivain auprès des monarques et de l’élite éclairée, sait que sa nièce ne se perdra pas dans les pièges sexuels que ses attraits lui offriront, elle saura choisir celui qui lui donnera accès à l’harmonie pré-établie ! Donc, la belle Cunégonde confirme à Candide que ses parents sont morts ! Dans la logique du conte et de l’histoire, afin que ce qui a commencé dans le meilleur des mondes finisse aussi dans le meilleur des mondes en bouclant le cercle, il faut évidemment que rien ne fasse plus espérer le possible retour en arrière, dans l’abri parental ! Tout est détruit ! Tout repose sur Candide, désormais, aux yeux de Cunégonde, qui a survécu au viol et au ventre fendu !

Cependant, Cunégonde raconte à Candide « une chose d’usage » qui lui arrivé au château de son père. Bien sûr, apparemment c’est une scène brutale inhérente à la guerre, l’ennemi tue, viole. Cependant, là, parions qu’il s’agit d’entendre quelque chose de sexuel ! Un grand Bulgare, très bien fait, à la peau blanche, avant d’enlever la belle, tue symboliquement son père le baron et sa mère la baronne. Autant dire que le gaillard fort bien fait apparaissant, la belle retire à ses parents tous ses attachements d’enfant, comme s’ils étaient tués par la lame de la sexualité en éclosion de manière fulgurante qui est comme un coup de couteau dans son flanc gauche ! Et il l’emmène dans son quartier comme une prisonnière de guerre ! Il la trouvait fort jolie, elle lui faisait la cuisine, bref la banalité masquée par la sexualité. Mais voilà que ce beau gaillard se lasse d’elle ! Et, puisqu’il la vend à un Juif trafiquant en Hollande et au Portugal, qui aimait beaucoup les femmes, n’est-ce pas l’argent qu’en définitive il veut d’elle ? Toujours cet argent ! Celui qui rend souverain dans son domaine, sur ses terres ? Et Cunégonde, elle, dans cette fantaisie d’être achetable par des hommes riches qui aiment les femmes, n’attend-elle pas aussi de la part des hommes cet argent ? A noter que Voltaire lie les Juifs à l’argent ! Bien sûr, Voltaire met en scène dans son roman une Cunégonde qui résiste à un Juif, elle qui n’avait pas résisté à un Bulgare ! Mais ce Juif l’emmène dans un château encore plus beau que celui de son père ! Nous voyons à la richesse de ce château que Cunégonde n’a rien perdu de ce qu’elle incarne ! La richesse du Juif est à la hauteur de sa valeur à elle ! On voit en effet qu’on ne meurt pas d’avoir été violée et le ventre fendu ! Dans ce très beau château, le grand inquisiteur la voit, et, évidemment, lui dit que sa haute naissance fait qu’elle ne peut appartenir à un… Israélite ! Et oui, Voltaire… Le grand inquisiteur veut que le riche Israélite la cède à Monseigneur, mais devant le refus il est convenu que chacun des deux hommes qui la convoitent l’auraient elle et la maison en commun, se partageant les jours ! C’est dire l’importance de la belle jeune fille ! Etre tirée d’un côté par un riche Israélite et de l’autre par Monseigneur ! Des personnages paternels ! Mais Cunégonde affirme à Candide que jusque-là, elle n’a cédé ni à l’un ni à l’autre ! Témoin de la fessée que Candide reçut, et de la pendaison de Pangloss, Cunégonde a la tête remplie de toutes vicissitudes qui lui sont arrivées, pensant que Pangloss l’avait bien trompée, et surtout lui revenait le baiser que Candide lui avait donné derrière le paravent ! Alors, tandis que Candide est devant elle, dans sa maison, elle décide de le présenter à l’Israélite ! Qui ne peut tolérer qu’à présent ils soient trois à devoir se partager Cunégonde ! A ce moment-là, Voltaire appelle Candide le Westphalien ! La vieille lui avait donné l’épée et l’habit complet ! Comme le faisant apparaître dans les habits… d’un baron ? L’épée, cette arme westphalienne qui est désormais entre les mains d’un jeune homme qui dévore des yeux la belle Cunégonde, transperce d’abord l’Israélite, puis le grand inquisiteur ! Aux yeux de la belle Cunégonde, des personnages ayant encore un peu sur eux une partie de la puissance paternelle chère à la fille ne tiennent plus ! Candide ose se mesurer à ces figures puissantes ! « Ma belle demoiselle, quand on est amoureux, jaloux et fouetté par l’Inquisition, on ne se connaît plus. » Ils voyagent avec la vieille vers Cadix, évidemment pays où « il fait le plus beau temps du monde » ! Mais évidemment, le but n’est pas encore atteint, puisque Candide est sans rien ! Quant à Cunégonde, née dans le beau château de Westphalie, elle se demande qui lui a volé « mes pistoles et mes diamants » qu’elle tenait du Juif et du grand inquisiteur ! « Il ne vous reste donc plus rien du tout, ma belle Cunégonde ? », lui demande Candide. Mais celui-ci, arrivant à cheval, avec la prestance de celui qui a servi chez les Bulgares, se voit donner une compagnie d’infanterie à commander ! Nous comprenons qu’à défaut d’avoir de l’argent, avoir eu quelques positions chez les Bulgares alias Frédéric II, cela aide pour s’acheminer vers l’encore incertain meilleur des mondes ! Nous entendons les relations de Voltaire avec les monarques européens ! La philosophie de Pangloss se vérifie ! « Nous allons dans un autre univers, disait Candide ; c’est dans celui-là sans doute que tout est bien » ! Voyant que dans cet autre univers, ce sera Candide, et non plus le baron son père, qui sera souverain en un beau domaine, Cunégonde déclare qu’elle l’aime de tout son cœur !

L’histoire de la vieille, que Voltaire écrit dans son conte, serait-il une allusion à la disparition du Saint-Empire romain germanique ? En tout cas, il la présente comme la fille d’un pape et d’une princesse, « et une de mes robes valait mieux que toutes les magnificences de la Westphalie ». Evidemment, un si beau parti ne peut que se marier avec un prince souverain ! Dans ce cas, le prétendant est à la hauteur de la princesse ! Mais celui-ci meurt pendant les fêtes du mariage ! Voltaire voudrait-il souligner que dans ce cas de figure, l’époux ne peut jamais être sûr que c’est lui qui assure la souveraineté et l’harmonie pré-établie dans le meilleur des mondes, puisque l’épouse est déjà dans le meilleur des mondes par ses hautes origines ? La princesse, quant à elle, lors d’une traversée, est dépouillée de ses diamants, et vendue comme esclave au Maroc après avoir été violée par un corsaire. L’imagination foisonnante propre à un conte permet à Voltaire d’écrire cette chute du statut de la belle lorsque l’homme qui l’obtient ne peut incarner celui qui lui donne accès au meilleur des mondes ! Le mariage, la sexualité, cela devient dépouillement et viol par des corsaires, esclavage. « … j’étais pucelle ; je ne le fus pas longtemps : cette fleur qui avait été réservée pour le beau prince de Massa-Carrara me fut ravie par le capitaine corsaire » ! Voltaire épilogue : « Mais passons ! ce sont des choses si communes qu’elles ne valent pas la peine qu’on en parle. » On dirait la destruction du rêve de princesse et de prince juste après la fête du mariage. Pour devenir, comme théâtre sexuel aux teintes sado-masochistes, une scène de guerre civile au Maroc, et comme revenant à elle après une entretuerie que l’on pourrait lire comme une métaphore d’acte sexuel, « J’ouvris les yeux, je vis un homme blanc et de bonne mine qui soupirait, et qui disait entre ses dents : ‘O che sciagura d’essere senza c… ! » Elle s’était assoupie, les « sens accablés », et en se réveillant elle voit l’homme qui « s’agitait sur mon corps ». Celui-ci se plaint de la catastrophe d’être sans c. ! Evidemment, il est eunuque, ayant été chaponné pour avoir une voix plus belle que celle des femmes. Mais nous entendons autre chose, l’impuissance d’un homme lorsque sa femme n’a pas besoin que son mari lui ouvre le meilleur des mondes, ayant déjà le plus beau par sa famille ! On sent que pour Voltaire, c’est important de s’enrichir, pour ne pas connaître la « sciagura d’essere senza c. » ! L’espèce d’orgie sexuelle figurée par le massacre de la guerre civile au Maroc ne refoule jamais cette sorte d’idée fixe qui court le long du conte, connotant l’harmonie pré-établie et le meilleur des mondes ! L’homme sans c. vend la jeune fille, qui est quand même fille d’un pape, au dey de la province d’Alger ! Là, elle devient pestiférée mais n’en meurt pas ! Evidemment, celle qui rappelle l’impuissance, c’est une pestiférée ! Déchéance de l’objet d’amour, reste qui tombe d’un acte sexuel d’où l’homme se réveille sans être souverain d’un domaine qu’elle lui devrait ! La fille du pape est vendue comme esclave, plusieurs fois. Comme si la haine de l’impuissant, de l’eunuque, se vengeait en ne la voyant que comme quelque chose qui lui est soumis, par exemple sexuellement. L’ascendance de cette femme est castratrice, et pour résister, l’homme la rabaisse, en fantasme, en esclave, et c’est lui le maître. La fantaisie va jusqu’au cannibalisme ! « Au bout de quelques jours, ils résolurent de manger les femmes » ! Mais on ne leur mangea, grâce à un imam, qu’une fesse chacune ! D’un côté un castrat, de l’autre une femme qui a perdu une fesse, un partout ! Puis la fantaisie continue. La femme à une fesse est à Moscou, où un bovard fait d’elle sa jardinière, et la fouette chaque jour. La chute continue, s’acharne ! Elle fuit à travers la Russie, et se retrouve servante chez le riche Juif, où elle rencontre Cunégonde. En fait, Cunégonde, c’est l’autre version, celle qui permet à l’homme d’éviter la « sciagura d’essere senza c. » ! C’est la fille qui a perdu le meilleur des mondes westphalien paternel et tout ce qui ensuite tentait de le faire revenir dans une chute interminable ! Cunégonde, c’est la femme à laquelle Candide alias Voltaire pourra ouvrir le domaine prochain en lequel sa richesse le fera souverain ! « Cunégonde, ayant entendu l’histoire de la vieille, lui fit toutes les politesses que l’on devait à une personne de son rang et de son mérite. »

A Buenos Aires, un gouverneur, qui a une très belle moustache ( qui n’est pas sans c. !), veut épouser la belle Cunégonde ! Cet homme rappelle le baron de Westphalie ! Il est le « plus grand seigneur d’Amérique méridionale » ! La vieille conseille à Cunégonde d’accepter de l’épouser, et ainsi de faire la fortune de… Candide ! Autre manière de ramener l’argent, et… le meilleur des mondes ! Il ne faut pas oublier que ce ménage à trois, Voltaire l’a vécu pendant les quinze années de sa liaison avec Emilie du Châtelet, qui avait un mari complaisant ! Sauf que Voltaire paya les travaux de la maison de Mme du Châtelet ! Il voulait prouver qu’il en avait…

En fuite à nouveau, et tandis que Cunégonde et la vieille restent chez le gouverneur, Candide se retrouve au Paraguay, avec le métis à lui dévoué Cacambo. Candide est conscient qu’il a abandonné Cunégonde au riche gouverneur, imaginant les noces ! Mme du Châtelet… Cacambo le rassure : « les femmes ne sont jamais embarrassées d’elles ; Dieu y pourvoit ». Il propose à son maître d’aller avec lui faire la guerre avec les jésuites, lui qui fut si bien formé chez les Bulgares ! Toujours sous la plume de Voltaire cette distinction protectrice et ouvrant les portes d’avoir côtoyé Frédéric II de Prusse ! « … ils seront charmés d’avoir un capitaine qui fasse l’exercice à la bulgare » ! Et « vous ferez une fortune prodigieuse » ! Toujours ce but ! « … vous allez être le plus heureux des hommes ». Le jeune Voltaire fut formé chez les jésuites, et par-delà l’attitude critique à leur égard, n’y aurait-il pas autre chose, une idée sur comment faire fortune ? Alors, voici Candide face à un très beau jeune homme, qui s’avère connaître le château westphalien du père de Cunégonde ! C’est le frère de Cunégonde ! Il raconte qu’un jésuite le prit en très tendre amitié… et ils partirent pour le Paraguay. Avec la réapparition de son frère, qui a une situation enviable faisant écho à celle du baron westphalien leur père, Cunégonde menace de réintégrer sa position dominante et castratrice à l’égard de Candide ! Et effectivement, dès que le frère, jésuite puissant, apprend que Candide veut épouser sa sœur, il s’identifie à son père pour l’interdire à un homme inférieur ! Toujours, la situation supérieure d’une femme du fait de la position de sa famille est castratrice pour l’homme qui ne peut, ainsi, prouver qu’il est celui qui lui ouvrira le domaine où il est souverain ! Candide tue ce frère et enfile ses vêtements de jésuite qui lui permettront de passer sans encombres la frontière, avec Cacambo.

Ils s’enfoncent dans un pays inconnu et sans route ! Mais avec le désespoir de ne plus jamais revoir Cunégonde, puisqu’il a tué son frère ! Spectacle hilarant de deux singes courant après deux filles, dont ils sont les amants ! Sentiment d’être des singes, aux yeux des filles ? Ceci se passe au pays des Oreillons ! Qui veulent manger du jésuite, et comme Candide est habillé en jésuite, la marmite est en train de bouillir ! Le mot « oreillons » serait-il sous la plume de Voltaire une allusion à ce qui arrive à la virilité des hommes lorsqu’ils attrapent les oreillons un peu tardivement ? Est-ce encore une allusion à l’impuissance ? Se voir en singe courant après les filles est aussi une dégradation moqueuse de la virilité ! Les singes peuvent être des amants, mais de faire fortune afin d’acquérir un domaine figurant le meilleur des mondes n’est pas leur souci ! Apprenant que Candide et son valet ont en fait tué un jésuite, les Oreillons leur font fête… et leur offrent des filles ! Ouf ! Les Oreillons ne les ont pas attrapés ! Les filles en témoignent !

Alors, Candide et Cacambo (un valet, comme on pourrait dire que Candide est celui du baron père de Cunégonde qui le domine dans le processus de l’identification ?) son bon conseiller partent vers la Cayenne. « … jetons-nous dans cette petite barque, laissons-nous aller au courant ; une rivière mène toujours à quelque endroit habité… nous trouverons des choses nouvelles… recommandons-nous à la Providence. » Ils voguent entre des bords comme si c’était l’image d’une naissance inversée ! Comme si Candide était en train de s’inventer une naissance comme on dit être de bonne extraction ! Il retourne à un endroit idyllique comme jamais on ne lui avait dit qu’il en venait puisqu’une bâtardise entachait sa généalogie ! « … il fallut se traîner de rocher en rocher pendant une lieue entière ; enfin ils découvrirent un horizon immense, bordé de montagnes inaccessibles. Le pays était cultivé pour le plaisir comme pour le besoin ; partout l’utile était agréable… de gros moutons rouges qui surpassaient en vitesse les plus beaux chevaux d’Andalousie… » L’horizon qui s’ouvre est évidemment immense, puisqu’à partir de cette sorte de réinvention du lieu d’où il vient, matriciel, et réparé, c’est une autre logique qui commence ! Il n’est plus en position bâtarde et d’infériorité par rapport à autrefois, à Cunégonde ! Alors, Candide peut s’écrier : « Voilà pourtant… un pays qui vaut mieux que la Westphalie » ! Ce n’est pas par hasard que ce pays est d’emblée comparé à la Westphalie, où Candide est né, où une blessure lui fut infligée comme une castration ! Dans ce pays, l’Eldorado, les enfants jouent avec de l’or, des rubis, des diamants. La moindre des maisons est construite comme les palais d’Europe ! La nature est d’une espèce différente de celle d’Europe ! C’est dans cet Eldorado ( qui évoque peut-être ces colonies et leurs richesses pouvant alimenter de juteuses opérations boursières ) que Candide prend conscience que tout allait en fait mal en Westphalie ! Et ces filles westphaliennes, aussi, filles à pères puissants, filles ayant une relation avec le pouvoir ! Cela va mal en Westphalie à cause de ça, de filles dont la position est castratrice, et qui titillent l’impuissance d’un jeune homme à leur offrir un domaine dont il serait souverain mieux que leurs pères puissants ? Candide et Cacambo sont dans l’ancien pays des Incas, Ceux-ci sortirent imprudemment de chez eux pour aller subjuguer le monde, et furent massacrés par les Espagnols. Les princes qui réchappèrent du massacre « ordonnèrent… qu’aucun habitant ne sortiraient jamais de notre petit royaume ; et c’est ce qui nous a conservé notre innocence et notre félicité. » Voltaire imagine cet Eldorado protégé de « la rapacité des nations de l’Europe, qui ont une fureur inconcevable pour les cailloux et pour la fange de notre terre ». Bien sûr, il y a une prise de position contre cet Occident qui va conquérir, piller, coloniser. Mais bien plus, Voltaire semble immobiliser quelque part le meilleur des mondes, qui est décrit comme un lieu matriciel jamais quitté, « entourés de rochers inabordables et de précipices. » Candide retrouve pour lui-même ce paradis où les habitants n’ont rien à demander à Dieu « il nous a donnés tout ce qu’il nous faut », et le seul lieu où rien ne manque est l’utérus en fonction… Candide, enfant, était accueilli dans le plus beau des château, il ne pouvait pas totalement le croire sien, et il en a eu la preuve en étant chassé. En Eldorado, il a enfin rejoint ce lieu qu’il ne doit pas au baron son oncle ! ( Il ne faut pas oublier que Voltaire prétendit ne pas être le fils de son père, d’où peut-être le désir de réussir par lui-même, devenant homme de lettres et non pas notaire comme son père, comme s’identifiant à un autre père ? C’est peut-être aussi l’intuition qu’un garçon, face à la fille liée au pouvoir, aura à s’identifier au père puissant de celle-ci, s’il veut accéder à la souveraineté en son domaine ?) Là on ne brûle pas les gens qui ne sont pas du même avis, tout le monde est à égalité, il n’y a pas de seigneurs plus puissants, qui puissent humilier les moins puissants. L’Eldorado permet à Candide d’oublier son originaire infériorité ! Et logiquement, Voltaire lui fait dire : « Ceci est bien différent de la Westphalie et du château de monsieur le baron » ! Il faut voyager pour s’en rendre compte ! Et Voltaire sans doute en côtoyant hors de France les monarques d’Europe a-t-il acquis une réputation ! En Eldorado, le palais du roi est incomparable, tout est d’une richesse et beauté indescriptible, et surtout dans ce pays il n’y a pas de cour de justice ! Voltaire sans doute songe à la Bastille où il fut jeté, et à ses exils… Si « le château où je suis né ne vaut pas le pays où nous sommes », dit Candide, « mais enfin Cunégonde n’y est pas » ! De plus, « Si nous restons ici, nous n’y serons que comme les autres » ! Et oui, à travers le personnage de Candide, Voltaire ne veut pas être comme tout le monde ! Il a côtoyé les monarques et leur cour, cet homme des Lumières n’est pas un homme du peuple ! Et Cunégonde incarne la femme de haute condition, l’épouser étant la preuve que lui l’heureux prétendant a réussi à pouvoir l’installer dans un endroit souverain, le meilleur des mondes ! Ce n’est pas du tout un révolutionnaire ! Et l’Eldorado, même si en ce lieu on ne sait qu’en faire puisque rien ne manque, est rempli d’or et de pierres précieuses ! Ce qu’il faut viser, c’est la fortune, symbolisée par cet or et ces pierres précieuses ! C’est ce que demande Candide, qu’accompagne son valet Cacambo, au roi : « quelques moutons chargés de vivres, de cailloux, et de la boue du pays », boue qui est jaune ! Et les cailloux sont des rubis, des diamants… Le roi répond qu’ils peuvent emporter tout ce qu’ils veulent ! Nous imaginons que dans l’esprit de Voltaire sont chassés toutes les réticences à propos du désir de faire fortune, à propos de ses opérations spéculatives ! Ils vont partir à la recherche de Cunégonde avec des moutons rouges chargés de richesses, une machine ingénieuse pour les guider hors du royaume. Ces trésors doivent d’abord servir à pouvoir… acheter Cunégonde, et peut-être de quoi faire la fortune de plusieurs monarques ! Comme quoi il faut être riche pour avoir cette femme, maîtresse favorite de monseigneur ! Bien sûr, Voltaire ne manque pas, au Surinam, de nous faire rencontrer un nègre qui nous dit quel est le prix en mauvais traitement qui nous permet de manger du sucre en Europe ! Et la morale est sauve, puisqu’en cours de voyage ils ont perdu une bonne part des richesses emportées. Le principe de réalité rabote sévèrement la prétention à la fortune, et il faut revoir à la baisse par rapport aux fantasmes ! Candide semble un instant perdre son optimisme à propos du meilleur des monde, cette « rage de soutenir que tout est bien quand on est mal » ! Mauvaise conscience par rapport au nègre maltraité par les Hollandais ?

C’est Cacambo qui est envoyé à Buenos Aires pour y acheter très cher Cunégonde, tandis que Candide va les attendre à Venise, « pays libre où l’on n’a rien à craindre ni des Bulgares, ni des Abares, ni des Juifs, ni des inquisiteurs ». Que d’ennemis pour Candide, alias Voltaire et sa liberté de parole inconfortable ! Candide alias Voltaire où peut-il situer ce meilleur des mondes si l’écrivain et philosophe des Lumières a dû au cours de sa vie en effet beaucoup changer de pays, de cours de monarques… Il est volé de presque toute sa fortune faramineuse, fantasmatique, avant même de quitter le Surinam, car évidemment il avait suscité des convoitises ! Faire sentir sa richesse n’est pas sans risques ! « La méchanceté des hommes se présentait à son esprit dans toute sa laideur » ! Métaphore de la compétition violente entre les hommes ? Pas si simple de s’ériger, à l’image du baron père de Cunégonde qu’il faut réussir à égaler dans l’esprit de sa fille, comme le plus riche des seigneurs ! Voltaire a beau avoir de bonnes idées en faveur des maltraités des conquêtes coloniales qui offrent le sucre, les épices et les pierreries à l’Europe, son but c’est d’arriver à être lui-même comme le baron père de Cunégonde, et comme les puissants qu’il côtoit. Cette fille à son seigneur de père érige un tuteur pour Candide, mais sur la route de l’identification et de la réussite matérielle, il rencontre les envieux, les jaloux, et ceux qui peuvent le dépasser en fortune !

Alors, pour sa traversée vers l’Europe, il veut pour compagnon un vieux savant accablé de malheurs ! Ainsi, aucun risque de compétition, de comparaison de réussites ! Un homme castré par le destin, c’est mieux ! Face au malheureux, qui n’a rien à espérer, lui, il peut encore espérer Cunégonde, puisqu’il lui reste encore… de l’or et des diamants ! Mais bien sûr, au vu des difficultés rencontrées, Candide se dit qu’à part en Eldorado, sorte de paradis intérieur matriciel fermé sur lui-même par des rochers infranchissables (que Voltaire se créera en quelque sorte dans son domaine de Ferney qu’il acquiert en 1759), Dieu a abandonné le monde à quelque être malfaisant ! « Je n’ai guère vu de ville qui ne désirât la ruine de la ville voisine, point de famille qui ne voulût exterminer quelque autre famille » ! Et oui, il a découvert que les humains n’étaient pas bons par nature… « … dans les villes qui paraissent jouir de la paix et où les arts fleurissent, les hommes sont dévorés de plus d’envie, de soins et d’inquiétudes qu’une ville assiégée n’éprouve de fléaux » ! Voltaire, comme Candide, ne veut-il pas profondément fuir tout ce qui peut attaquer ce qu’il est en train de construire, une vie à la fois élitiste et de seigneur souverain en son domaine, retrouvé dans la partie tendant vers le crépuscule de la vie comme elle était au commencement, paradis de l’enfance ! Revenir cultiver son jardin, comme s’il n’avait jamais quitté ce commencement où cela s’achève !

Par bonheur, alors que deux bateaux se battent et coulent ensemble, comme les hommes se battent entre eux férocement, Candide retrouve un de ses moutons, celui que le pirate hollandais lui avait volé ! Pour garder sa fortune, faut-il éviter les pièges des confrontations de narcissismes, de situations enviables ? En vue de Paris, Voltaire fait dire au pauvre compagnon de Candide : « la principale occupation est l’amour, la seconde de médire, et la troisième de dire des sottises… c’est un chaos, c’est une presse dans laquelle tout le monde cherche le plaisir, et où presque personne ne le trouve… j’y fus volé en arrivant… je fus huit jour en prison… retourner à pied en Hollande. Je connus la canaille écrivante, la canaille cabalante et la canaille révolutionnaire… » On sent un Voltaire qui a épuisé son désir de Paris, son monarque, sa cour… On est mieux ailleurs, surtout si on est riche ! Et Candide vise Venise (comme Ferney ?) « on y reçoit très bien les étrangers quand ils ont beaucoup d’argent ». Et oui ! En fait, en suivant la logique de l’identification au baron, le riche seigneur père de Cunégonde et surtout sa façon d’être souverain en son domaine suivant le principe westphalien, Candide alias Voltaire veut s’acheter le domaine dans lequel, en seigneur, aux côtés de Cunégonde alias Mme Denis, il va pouvoir attirer l’élite éclairée d’Europe, en ayant échappé aux guerres des rivalités et des jalousies parisiennes par exemple ! On l’a vu mépriser les gens de cette ville-là dans la bouche du pauvre savant !

Candide, en faisant en quelque sorte le deuil de la ville lumière, qu’il ne veut plus voir puisque rien ne peut plus égaler l’Eldorado c’est-à-dire une représentation fermée sur elle-même du meilleur des mondes telle que la fortune peut l’offrir, se désole de la passion des hommes, qu’il fuit peut-être comme autant de tentations : « Croyez-vous, dit Candide, que les hommes se soient toujours mutuellement massacrés comme ils le font aujourd’hui ? qu’ils aient toujours été menteurs, fourbes, perfides, ingrats, brigands, faibles, lâches, envieux, gourmands, ivrognes, avares, ambitieux, sanguinaires, calomniateurs, débauchés, fanatiques, hypocrites et sots ? » Toutes les passions humaines réunies on l’imagine dans la ville lumière, son monarque, sa cour, et les autres cours européennes ! Candide imagine qu’il a le libre arbitre… Nous pensons qu’il a aussi quelques pierreries qui lui permettront d’être seigneur souverain en son domaine, en prenant donc ainsi le large par rapport aux passions des hommes, se réfugiant dans son Eldorado, son abri, en rabotant ses propres passions dans la routine des échanges un peu consanguins de l’élite éclairée.

Pourtant, ce n’est pas si simple de renoncer à Paris ! Candide veut la voir ! Comme une sorte de descente aux enfers pour mieux en sortir pour toujours ? Car tout le monde veut voir Paris ! En y entrant, il « crut être dans le plus vilain village de la Westphalie » ! Peur de ne pas avoir de souveraineté ? La fatigue le prend, et il ne prend pas garde au fait que le gros diamant à son doigt attire à lui du monde ! Et lorsqu’il guérit, il a bien sûr une très bonne compagnie à souper chez lui ! La richesse attire les amis ! Candide est conduit au théâtre, apprend qu’à Paris « on s’y plaint de tout avec de grands éclats de rire ; même on y fait en riant les actions les plus détestables… ces serpents de la littérature qui se nourrissent de fange et de venin… » On l’emmène chez une dame de qualité, la marquise de Parolignac ! Elle lui fait donner un jeu de cartes, afin de lui faire perdre beaucoup ! Médisances, appropriation de l’esprit des autres, bref que de vanités ! Ne manque évidemment pas l’homme de goût, et Candide croit être en présence de Pangloss ! Mais, à la différence de celui-ci qui dit que tout est bien dans le meilleur des mondes, l’homme de goût dit : « je trouve que tout va de travers chez nous, que personne ne sait quel est son rang, ni quelle est sa charge, ni ce qu’il fait… tout le reste du temps se passe en querelles impertinentes… gens du parlement contre gens d’église, gens de lettres contre gens de lettres, courtisans contre courtisans, financiers contre le peuple, femmes contre maris, parents contre parents. C’est une guerre éternelle. » On pourrait dire, rien n’a changé ! Evidemment, ce Paris où l’on ne peut jamais être sûr de son rang, de sa place, de son image, de son pouvoir, de son degré de souveraineté, cela ne peut que faire partir Candide alias Voltaire !

Comme il raconte son histoire à une marquise, et notamment qu’il aime Cunégonde, celle-ci s’écrie : « Vous me répondez comme un jeune homme de Westphalie ; un Français m’aurait dit : ‘Il est vrai que j’ai aimé Mlle Cunégonde ; mais en vous voyant, Madame, je crains de ne la plus aimer » ! Le Westphalien ne perd jamais de vue le père de la belle, puissant seigneur qu’il s’agit d’égaler, par une fortune permettant d’acquérir le domaine souverain ! Cunégonde est l’aiguillon qui permet au jeune westphalien de réussir, elle lui présente sans cesse le tuteur qui le mène au but par l’identification ! Le Westphalien est à jamais attaché au plus beau des mondes, l’abri de l’enfance, ce qu’il réussit à construire égalise le paradis du commencement, et en fin de compte, même s’il a beaucoup voyagé, c’est comme s’il avait fait du sur-place ! Il ouvre les yeux, et voit qu’il cultive modestement son jardin, avec sa vieille Cunégonde incarnant la chute vertigineuse des ambitions ! Cependant, Candide s’égare un peu, en offrant des diamants à la belle marquise, qui l’a eu en lui parlant de la belle Cunégonde ! Il raconte à la marquise l’histoire de cette belle Westphalienne, cette fille qui aime le domaine souverain, et celui qui le lui ouvre à la hauteur de son père ! Et il se fait avoir par une fausse lettre de Cunégonde, dans laquelle elle se dit malade et ayant besoin de son aide. Evidemment, il abandonne une bonne partie de l’or et des diamants qui lui restent dans la main pendante d’une fausse Cunégonde si malade qu’elle est au fond de son lit dans un hôtel voisin ! Une aventure contée qui semble permettre à Voltaire de dire l’importance de la fortune, toujours, pour offrir la Westphalie à sa Cunégonde, domaine surplombé par le paradigme eldorado du paradis de l’enfance magnifié, l’harmonie pré-établie qui est le modèle unique pour le meilleur des mondes à rejoindre, que seule la richesse permet de construire. En vérité, le domaine de Ferney fonctionnera longtemps pour Voltaire comme sa propre cour, où il attirera l’élite européenne éclairée ! Comme si les traités westphaliens, à l’origine de la création des Etats-nations, étaient aussi entendus d’une manière plus individuelle, chacun pouvant se refermer sur son domaine souverain, avec sa propre cour, son propre pouvoir, son confort de riche, et tout cela requérant d’avoir les moyens ! Et tout cela se construisant sur la philosophie de Leibniz concernant l’harmonie pré-établie, c’est-à-dire l’harmonie supposée, fantasmée, et pourtant matérialisée peut-être aux yeux de Voltaire par ces cours européennes et leurs monarques, du lieu de l’enfance où le pouvoir du baron, du seigneur, du monarque, bref du père est vraiment souverain ! Il ne faut pas oublier que dans sa jeunesse, à cause de sa liberté de parole, Voltaire fut refoulé de cette cour pour être emprisonné puis exilé, que lorsqu’il eut une idylle avec une jeune fille à la Haye où il travaillait dans une ambassade il se fait jeter dehors ! Bref, le Candide de Voltaire, peu à peu, nous montre qu’en ayant les moyens d’avoir son propre domaine, et dans lequel il est souverain car s’étant fait une solide réputation comme membre éminent des Lumières il a en quelque sorte autour de lui une cour faite des élites d’Europe ! Bref, il a chez lui ce que, jusque-là, il n’avait pu approcher que par intermittences, et il est… Westphalien ! Car non seulement sa réputation fait qu’on respecte le domaine où il est souverain, mais il est maître chez lui, et comme à égalité avec les autres cours puisque l’élite éclairée qui vient le visiter va aussi ailleurs !

Donc, il est logique que, pour se faire emmener jusqu’à Venise, Candide accepte de donner encore quelques diamants ! De même que Voltaire dut partir en exil en Angleterre, voici que le bateau hollandais (clin d’œil à la Haye) qui l’emmène arrive vers les côtes d’Angleterre. France et Angleterre se battent pour quelques arpents de neige au Canada… Candide ne veut pas s’arrêter. Il arrive à Venise.

Point de Cunégonde, ni de Cacambo ! Evidemment, cette sorte de passage à vide mélancolique, où Candide se dit « qu’il valait mieux rester dans le paradis du Dorado que de revenir dans cette maudite Europe », d’une part confirme la souveraineté du modèle originaire du meilleur des mondes à rejoindre, mais d’autre part que « pas une dame ne lui donna la moindre tentation » ! En vérité, seule une femme en quelque sorte consanguine peut lui convenir, avec laquelle partager une sorte de lieu matriciel souverain et westphalien c’est-à-dire dans un statut d’égalité avec chaque autre lieu souverain telles les cours monarchiques que les Lumières embellissent !

Comme pour faire ressortir l’avantage pour une femme de préférer cette sorte de lien consanguin (dans le sens du mot inceste comme ne manquer de rien, donc désignant un lieu abri comme dans une matrice seul endroit où rien ne manque, et donc un homme souverain dans son domaine par sa fortune et par sa haute réputation le liant de manière westphalienne à d’autres hauts lieux qui partage cet abri avec une femme consanguine, une femme connaissant de manière native ce même lieu que lui !) aux aléas sexuels où ce serait comme de la prostitution ! A Venise, Candide retrouve Paquette, qui avait transmis à Pangloss sa maladie vénérienne ! Et celle-ci déplore « d’être obligée de continuer ce métier abominable qui vous parait si plaisant à vous les hommes, et qui n’est pour nous qu’un abîme de misère… J’ai été hier volée et battue par un officier, et il faut aujourd’hui que je paraisse de bonne humeur pour plaire à un moine. » Bref, Candide alias Voltaire se convainc que ce que veut une femme, c’est d’être installée, mise à l’abri, se retrouvant ensemble exactement comme s’ils partageaient la même douceur du paradis d’enfance ! D’où la question de la nièce Mme Denis ! Quant à frère Giroflée, rencontré auprès de Paquette, il raconte qu’au couvent la jalousie et la discorde règnent, que le prieur lui vole la moitié de l’argent et que l’autre moitié lui sert à entretenir des filles…

Sur une gondole, les gondoliers semblent chanter sans cesse, mais : « Vous ne les voyez pas dans leur ménage, avec leurs femmes et leurs marmots d’enfants… » Voltaire ne vise pas une vie ordinaire, un couple faisant des enfants ! Au contraire, il vise un couple qui, en quelque sorte, revient en enfance, dans le meilleur des mondes, mais en y étant souverain et reconnu à égalité avec d’autres meilleurs des mondes !

C’est alors que Candide visite le seigneur Pococuranté, noble Vénitien qui n’a jamais eu de chagrin. Or, ce noble très riche qui a tout, des jolies filles qui viennent dans son lit mais qui le lassent, des tableaux de maîtres comme Raphaël qui ne lui plaisent pas, de la belle musique qui n’est que du bruit pour lui, qui a renoncé depuis longtemps à « ces pauvretés qui font aujourd’hui la gloire de l’Italie, et que des souverains paient si chèrement », que les livres les plus illustres ennuient alors que « Les sots admirent tout dans un auteur estimé » et qui ne lit jamais Cicéron », n’aime que les choses utiles. Ce seigneur vénitien affirme : « je dis ce que je pense, et je me soucie fort peu que les autres pensent comme moi. » A Pococuranté, rien ne peut lui plaire, il est dégoûté de tout ce qu’il possède. On dirait en effet que, dans ce conte, Voltaire veut affirmer que ce n’est pas la possession qu’il vise dans le meilleur des mondes, ce n’est pas toute cette prodigieuse culture, cet art le plus reconnu, ainsi que les plus belles filles, bref tout ce que l’on peut avoir lorsqu’on a un statut élevé, non ce n’est pas cette pléthore de culture et d’art si raffinée et signe extérieur du haut rang auquel on appartient ! Ce qu’il veut, c’est retrouver Cunégonde !

Candide retrouve Cacambo, qui est esclave, mais pas Cunégonde, qui est à Constantinople ! Il faut bien que l’objet du désir échappe longtemps ! Surtout si à la fin, il s’avèrera être une vieille femme ! Le manque entretient sa valeur unique ! C’est carnaval à Venise. Et là, comme dans une mascarade de carnaval, Candide, appelé Sa Majesté, est invité à prendre place dans une barque pour aller à un souper où six étrangers sont également appelés Sa Majesté ! Nous voyons bien où veut en venir Voltaire, sous couvert de conte ! Il veut avoir le même statut que Sa Magesté, ces différents monarques qu’il a rencontrés en Europe, et selon un spécial traité de Westphalie, il veut avoir lui-aussi son domaine souverain, à égalité avec eux, et sans qu’il y ait ingérence dans les affaires intérieures de chacun ! Or, chacune de ces six Majestés a été d’une manière ou d’une autre destituée ! Les rois déchus décident de donner quelque chose au plus déchu d’entre eux, le roi de corse, mais Candide est celui qui se fait remarquer : il donne « un diamant de deux mille sequins » ! Les autres se demandent : « Quel est donc… ce simple particulier qui est en état de donner cent fois plus que chacun de nous, et qui le donne ? » La réponse est peut-être le traité de Westphalie, qui met à égalité les états souverains et interdit l’ingérence d’un état dans un autre état, et qui fonctionne comme paradigme pour la propre vie de Voltaire, où la Westphalie semble aussi paradis de l’enfance, harmonie pré-établie dont il ne prend peut-être conscience qu’après avoir perdu Mme du Châtelet alors que c’était elle qui s’était tournée vers Leibniz ?

Candide arrive à Constantinople. Dans le bateau, il avait retrouvé Cacambo, qui lui donna enfin des nouvelles de Cunégonde. Evidemment, sans Candide qui seul peut lui ouvrir le meilleur des mondes retrouvé, Cunégonde ne peut être qu’esclave lavant les écuelles d’un prince qui n’a que très peu d’écuelles… On dirait la vie domestique d’une femme mariée avec un homme qui n’a pas assez de moyens pour que ce qu’il lui offre soit de la même nature qu’un paradis d’enfance magnifié ! Cunégonde a perdu sa beauté, elle est très laide. Candide s’en étonne, il lui avait laissé beaucoup d’argent ! Hélas un pirate lui a tout pris, et Cacambo n’a pu la délivrer qu’avec les quelques diamants qui lui restaient. Toujours les diamants, dans ce conte ! Une galère les emmène dans le canal de la mer Noire (comprendre mère noire, le lieu où l’on est avant de voir le jour, utérin ? Donc voyage vers avant ?) Les deux rameurs sont Pangloss et le frère de Cunégonde ! Le voyage vers le passé retrouve les personnages de départ, le philosophe Pangloss qui instruisit l’enfance de Candide et de Cunégonde, et le frère de Cunégonde). Un conte permet de faire revivre des morts ! Evidemment, ce sont les diamants de Candide qui permettent de racheter les forçats à leur maître ! C’est la fortune qui permet de revenir au meilleur des mondes de l’enfance ! Afin d’avoir l’argent pour payer une galère qui va voguer vers Cunégonde, Candide vend encore un gros diamant à… un Juif ! Ce conte de Voltaire montre souvent des Juifs liés à l’argent…

On passe sur le récit des vicissitudes de Pangloss et du frère de Cunégonde, nommé maintenant… baron. Ce qui compte, c’est que dans sa conclusion, Pangloss pense toujours que Leibniz avait raison, « il ne me convient pas de me dédire, Leibniz ne pouvant avoir tort, et l’harmonie préétablie étant d’ailleurs la plus belle des choses, aussi bien le plein que la matière subtile ». Pouvons-nous penser que le nom Leibniz est là en place de Mme du Châtelet, avec laquelle Voltaire eut une longue liaison mais dans une situation triangulaire rappelant la situation oedipienne du fils amoureux de sa mère sous les yeux d’un père complaisant ? En tout cas, n’est-ce pas avec Mme du Châtelet, en ayant les moyens de payer les réparations nécessaires chez elle, que l’idée est née d’un Candide ayant assez de diamants pour payer l’installation de Cunégonde dans le meilleur des mondes, qui est un monde westphalien, où l’ont peut avoir chez soi une cour élitiste et éclairée à égalité avec les monarques et sans craindre désormais l’exil ou l’emprisonnement ? Face à la relation père puissant-fille, il y a la relation mère-fils où le fils a les moyens de sa relation comme Voltaire avec Mme du Châtelet femme mariée ayant valeur de mère par la situation triangulaire ! Comme pour être plus puissant que ce mari en position de père, Voltaire en position de fils devient riche et fait la preuve en payant les travaux de la maison qu’il est plus puissant que le mari ! Avec Mme du Châtelet, c’est un banc d’essai pour la suite…

Candide rachète la laide Cunégonde et la vieille. On pourrait se demander pourquoi Voltaire dans son conte enlaidit à ce point Cunégonde ! Pour dire que son désir de revenir vers le wesphalien paradis d’enfance est bien plus fort que la beauté d’une femme ? Pour dire que c’est une philosophie qui surplombe sa réussite, non pas la beauté d’une femme ? Pour dire que ce domaine souverain où il est en train d’entrer grâce à la suffisante fortune qui lui reste lui suffit, et que la beauté d’une femme, qui pourrait déranger cela, n’a plus aucun pouvoir ? Pour dire que dans le conte, ce qui dans Cunégonde a rendu amoureux Candide, ce n’était pas tant sa beauté que son statut dans le plus beau des châteaux grâce à son riche seigneur de père, statut que partageait Candide seulement par solidarité familiale du baron à l’égard de sa sœur et de son enfant ?

Il faut un ultime rebondissement pour pousser Candide vers le mariage, alors que la laideur de Cunégonde le fait hésiter ! Le frère de Cunégonde, baron, réitère le refus de son père, autrefois, de donner Cunégonde à Candide parce que pas assez noble ! C’est juste pour raffermir encore plus le désir de Candide d’atteindre pour lui-même enfin ce statut aussi élevé que celui de Cunégonde. Et ensuite, comme dans une secrète vengeance, l’épouser, mais qu’elle lui soit à jamais redevable de cela, la laideur l’ayant tellement rabaissée ! La castration, qui au départ avait atteint Candide, alors que Cunégonde paraissait en avoir tellement plus que lui, atteint maintenant par la laideur Cunégonde, et c’est lui qui en a ! C’est lui qui l’installe ! C’est Voltaire qui emmène avec lui sa nièce, à Ferney, avec cette idée d’une relation inégale, l’oncle reconnu parmi les Lumières et par les monarques et la nièce à laquelle il donne accès à la culture et au milieu des élites, un peu comme un père avec sa fille, et le baron avec Cunégonde !

On pourrait dire qu’une fois la conquête achevée, le désir réalisé, il y a une chute dans la réalité quotidienne, et que le meilleur des mondes n’étant plus idéalisé, fantasmé, cela devient une simple métairie, et sa femme Cunégonde devient chaque jour plus laide et acariâtre. Elle perd les attraits que lui donnaient le désir et les fantasmes. Tout était plus beau lorsque les vicissitudes les plus folles du conte repoussaient dans l’impossible la réalisation. Le meilleur des mondes s’avère un monde bien ordinaire, mais c’est parce que Candide ignore encore sa chance, et est nostalgique d’un ailleurs plus brillant. On apprend qu’un muphti a été assassiné, un bon vieillard explique que c’est risqué de s’occuper des affaires publiques, qu’il vaut mieux ne jamais s’approcher de la ville où se font les affaires publiques, mais cultiver son jardin et aller vendre fruits et légumes ! « Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes ». Donc, Candide comprend pourquoi il vaut beaucoup mieux cultiver son jardin que de trouver la métairie ennuyeuse et Cunégonde laide parce qu’ un ailleurs plus brillant et plus élitiste lui fait déprécier le lieu où il vit, et se rabaisser lui-même. En fait, il n’a pas encore compris qu’il lui fallait se mettre en valeur lui-même, devenir enfin seigneur souverain, cultiver son jardin c’est-à-dire faire de son domaine un lieu où vendre les fruits culturels et artistiques d’un esprit supérieur, bien accompagné par une femme accueillante et elle-même initiée comme par une figure de père ! Tant que Candide n’a pas donné la valeur westphalienne qui convenait aux fruits de ses idées, de sa culture, de sa pensée, de sa renommée, une valeur la faisant se vendre dans une cour, y attirant l’élite européenne, il s’ennuie, et voit tout de manière ordinaire. Dès lors qu’il peut être en sa métairie à hauteur, par sa notoriété d’homme des Lumières européen, des monarques, sûr de sa propre souveraineté, sûr qu’il n’y aura plus d’ingérence sous forme d’emprisonnement ou d’exil, tout redevient le meilleur des mondes ! Cunégonde devient une excellente pâtissière, bref c’est une excellente femme d’intérieur dans ce domaine spécial où il s’agit de recevoir l’élite, où se vendent les fruits d’un jardin culturel et philosophique à une cour venant les acheter !

Ce conte voltairien pousse jusqu’à ses significations les plus profondes, les plus humaines, les plus complexes, plus que les idées de Leibniz, l’analyse de ce qu’est, être Westphalien, avec en arrière plan les traités de Westphalie que Voltaire sans doute n’ignorait pas. On n’a peut-être pas assez noté cela dans ce conte voltairien ! Tout ce prolongement psychologique du traité de Westphalie, ainsi qu’une lecture de Leibniz beaucoup moins abstraite !

Alice Granger Guitard



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