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Le baiser et la morsure, Yasmina Khadra

Editions Bayard, 2018

dimanche 17 juin 2018 par Alice Granger

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Dans ce livre, Yasmina Khadra conte son histoire et celle de sa famille, en répondant à des questions de Catherine Lalanne. Nous comprenons ainsi à quel point l’écriture, proche de la poésie pour cet auteur, jaillit de la perte, de l’exil, de l’éloignement, de la coupure douloureuse et définitive du cordon ombilical, pour dire une renaissance en voyageant en soi-même comme au cœur d’une humanité aux prises avec ses contradictions, ses violences, ses blessures. Plus qu’un autre, Yasmina Khadra nous montre que l’énergie créatrice se libère à partir des épreuves, en ne se soumettant jamais. Le grand-père de l’auteur s’était senti tellement blessé et coupable de n’avoir pas su défendre sa tribu contre l’armée colonisatrice française ! D’avoir été forcé de se soumettre. Le petit-fils, lui, forcé d’entrer dans l’armée par son père, ne se soumet jamais, à l’intérieur de lui-même, à la langue de la force, mais s’évade par les mots, en prenant des risques, et retrouve ainsi ses ancêtres et sa tribu de poètes ! En quelque sorte, il répare la culpabilité et la blessure de son grand-père en redonnant à la tribu des mots, des contes et des poèmes, toute sa fierté ancestrale ainsi que sa sagesse, puisque seuls les mots peuvent livrer une guerre pour la paix !

Arraché à sa mère par son père, à l’âge de neuf ans, pour entrer dans une école militaire, puis faire une carrière militaire, c’est par l’écriture que Yasmina Khadra retrouve donc la tribu des poètes d’où il a été exilé, et renoue avec des ancêtres qui « privilégiaient la force des mots à la force du poignet. » Cette tribu s’est implantée au nord-ouest du Sahara algérien, en un lieu qui fut un carrefour de civilisations, « une terre de rencontres et de partage ». La tribu de Yasmina Khadra est la plus prestigieuse. Sa dynastie a régné sur la Saoura pendant six siècles, jusqu’à l’arrivée de l’armée française. Donc, Yasmina Khadra est né dans une tribu de conteurs, dont la page blanche était le désert ! Sa mère lui disait : « Les poings peuvent vaincre sans convaincre, les mots peuvent convaincre sans qu’il y ait de vaincus ». A partir du moment où son père l’arrache à la tribu d’origine pour le confier à l’armée, inscrivant une coupure radicale d’avec sa culture ancestrale, faisant s’effondrer le monde d’avant, comme réitérant l’arrivée de l’armée française colonisatrice en Algérie, Yasmina Khadra est double et entre en résistance intérieure : d’un côté l’armée où les « poings peuvent vaincre sans convaincre » et de l’autre l’écriture toujours poétique, où « les mots peuvent convaincre sans qu’il y ait de vaincus » ! Mais l’écriture est une activité secrète et risquée, que l’armée ne doit pas savoir ! Et lorsque cela se soupçonnera, la carrière militaire sera freinée dans son avancement ! La culture d’avant revient autrement, de manière clandestine, puisque Yasmina Khadra sait très bien que sa force à lui ne peut rien contre la force dominante qui le fait obéir et le circonvient dans un cadre si étroit ! Il y a dans l’écriture résistance de Yasmina Khadra sans doute l’impératif vital de ne pas se soumettre à la colonisation, quelle qu’elle soit, d’origine étrangère ou intérieure, intégriste. La langue française n’est pas, pour Yasmina Khadra synonyme de colonisation puisque, face à l’arabisation forcée menée par les intégristes, elle est la langue des livres qui racontent l’histoire de l’Algérie au peuple ! Et puis, c’est la langue de Camus !

En tout cas, fidèle à sa tribu, Yasmina Khadra (pseudonyme formé de deux des prénoms de son épouse) donne à voir et à comprendre le monde d’aujourd’hui, ses errements, ses folies, ses violences, ses corruptions, en trouvant le mode poétique et romancé pour le dire d’une manière humaine, toujours à l’écoute des contradictions qui sont en nous. Reprenant, on dirait, une tradition de la tribu, dire les choses de manière posée, afin qu’il soit possible de faire la paix.

La chance d’être né dans cette tribu de poètes et de sage pour laquelle les mots sont au commencement a été pour lui bousculée par la malchance d’en avoir été exilé ! Voilà le baiser et la morsure ! Mais, pour survivre à la perte, à la blessure, au silence, il apprend à vivre avec cette malchance ! Par les mots ! Pour réinventer la joie. D’ailleurs, la vie hors de l’abri matriciel tel que semble fonctionner la tribu pour Yasmina Khadra est forcément pleine d’épreuves à traverser, où il s’agit de ne jamais perdre son âme, mais où il s’agit de réussir à faire la paix en temps de guerre !

Son père a la malchance de perdre sa mère très tôt. Donc, pour lui déjà, la coupure, l’effondrement, et ensuite, il faut se débrouiller ! Il a le sentiment que sa tribu ne l’aime pas ! Il est venu au monde vieux de deux mille ans, écrit Yasmina Khadra ! Il doit travailler très jeune pour subvenir aux besoins de sa tribu et gagner sa place au sein de sa tribu. Notons que ce n’est pas donné d’avance, que cette tribu n’est pas un abri pour lui ! Travail harassant dans une houillère, emplettes pour les dames du quartier européen, toutes sortes de petits boulots. Ce père aimait le cadre de vie des Européens et leurs femmes ! Il s’énamoure de Denise, mais c’est un sacrilège pour la tribu, car cette jeune Française ne fait pas partie de la communauté ! En fait, le grand-père, culpabilisant aux yeux de la tribu parce qu’il avait été vaincu par l’armée française, et parce que pour cette honte ses fils s’étaient volatilisés, a mis le veto à cet amour avec une Française ! Le père, à 14 ans, s’était mis en tête de ramener ses oncles dans la tribu ! Mais, échouant, il a à son tour fait pire que ses oncles : « il s’enrôla dans les troupes indigènes de l’armée française » ! Un peu plus tard, s’engageant à son tour, ce grand-père connu le pire des sacrilèges pour un cheikh : il se trouva sous les ordres d’un de ses fils ! Le socle du clan s’écroule ! Ayant perdu sa mère, ce père chercha toujours à la retrouver chez les femmes, et en perdant Denise, la blessure s’est accentuée ! Blessure des hommes de cette tribu ? Que l’écrivain va réussir par son talent de conteur à transformer, redonnant à travers lui la fierté à ses ascendants ?

La mère de Yasmina Khadra, très importante pour lui, est une noble de Tombouctou, musicienne et lettrée. En conteur, il nous dit que sa mère a subi le traumatisme amoureux de son père « qui cherchait sa Denise là où il aurait dû rencontrer ma mère ». On l’a mariée alors qu’elle avait treize ans ! Mais les tribus se connaissaient, on épousait le nom et pas la personne ! Comme ils s’admiraient beaucoup, ses parents se sont quand même aimés. Grâce à eux, Yasmina Khadra a appris « à inventer mon bonheur à partir d’une volute de fumée » ! En poète ! Pour lui aussi, cela a été un mariage arrangé ! Et ils ont réussi à cultiver leur amour ! De même qu’au début, le mariage de ses parents a été heureux. Car son père était fier de sa femme. Celle-ci voulait qu’il marche la tête haute. Elle avait compris la blessure ! Mais la guerre de libération les a séparés. Ce père, très séduisant, et devenu officier, plaisait aux femmes. Il aimait les femmes modernes, maquillées, alors que sa femme restait une rurale. Il finit par la répudier.

Yasmina Khadra a la volonté d’être heureux ! C’est pour cela qu’il n’en a jamais voulu à son père de l’avoir mis dans une école militaire. Le lien n’est jamais coupé. Par contre, par rapport à sa famille, il est devenu un étranger. Coupure du cordon ombilical ! Ce n’est pas en revenant en arrière qu’il peut renouer avec sa culture ! Lorsqu’il venait, on le traitait en invité ! Ses vrais frères, ce sont les cadets de l’école militaire ! Il a ri avec eux, et fait rire ! C’est dans le cadre très étroit de cette école militaire qu’il ressent le besoin de s’évader, de regarder par la fenêtre, de découvrir le monde. L’école est presque une prison, et cela le rend fou. Il lui manque l’espace, entrant en résonance avec la page blanche du désert ! Pour déserter, littéralement, il se met à écrire ! Paradoxalement, l’étroitesse de cette école militaire lui redonne le sens du désert ! Autrement, il l’a à nouveau devant lui, qu’il nomme, ce silence, cette page blanche ! Enfant d’une tribu de poète, il trouve l’issue dans les mots ! Il se sent renaître « à l’ensemble de ses fantasmes » ! Il est le roi du monde qu’il invente ! A dix ans, il écrit sa première nouvelle ! Bien sûr, dès le début, qu’il écrive fait de lui un paria de l’armée ! Immensité de l’écriture, immensité du désert ! Une grotte est devenue plus tard sa retraite, dans le désert. Là, souvent il part seul, pour faire le vide, vivant nu, parlant seul, courant, se noyant dans des couchers de soleil sublimes ! Il retrouve ainsi sa liberté sauvage. Ensuite, expurgé, il retourne à la civilisation.

De par son éducation au sein d’une tribu ancienne, Yasmina Khadra est un homme à principes. C’est pour cela qu’à l’armée, il n’est pas dans l’insubordination, mais dans le refus de l’arbitraire. Officier discipliné, il refuse simplement l’abus d’autorité. Il est profondément sensible à ce qui dénature l’être humain ! Et ce dont il a souffert, c’est plus de n’avoir pas pu se défendre que des blessures elles-mêmes. Les personnages de ses romans sont des victimes dont il fait des héros ! L’adulte meurtri a en lui l’enfant rêveur qui lui dit que tout est encore possible ! « Ce besoin d’écrire me venge de ce que j’ai tu en moi lorsque j’étais enfant : la nécessité de se reconstruire, de réapprendre à aimer et à croire dans le meilleur. Tous mes romans sont des réponses aux interrogations qui m’interpellent » ! Se défendre par les mots ! Se retrouver par les mots !

Son écriture se nourrit du contraste absolu entre la langue de l’armée et celle du monde dont il vient. Sa culture est celle du grand désert, une langue qui a recours aux images, aux métaphores, à la poésie, à la musicalité des mots, pour faire passer des messages. Certains officiers vont l’appeler « le Balzac des sources mortes » ! On le méprise ! Il devient Yasmina Khadra, un pseudonyme qui réussit quelque temps à ne pas éveiller de soupçons !

Son écriture, qui commence à l’école militaire, s’appuie non seulement sur le sentiment d’être à l’étroit, en prison, mais aussi sur sa singularité. Alors que tous les autres élèves sont des orphelins, lui, il a toute une tribu ! D’où sa solitude ! Il apprend à se conduire en orphelin, mais avec l’effondrement de son monde d’avant par la séparation, il l’est ! D’autant plus que personne ne vient le voir au parloir. Sauf son père, un beau jour ! Mais il le regarde de loin, sans geste d’affection, confirmant la cassure ! Le saluant comme un petit militaire ! En sortant de cette école militaire, il n’est plus un enfant, mais un soldat ! Extrême dureté, d’avoir dû grandir avant l’âge, mais ces souffrances l’ont blindé ! Les souffrances sont chez lui toujours sources d’énergie, comme le phénix renaît de ses cendres ! Pour écrire ! Et pour savoir ne pas rester une victime !

Yasmina Khadra s’est toujours soucié de dénoncer le mensonge, y compris lorsque ces mensonges salissaient l’armée ! Les jihadistes passaient pour des héros, tandis que les vrais héros étaient traités en criminels ! Mais l’intox était la plus forte. L’armée algérienne était accusée de tuer les civils ! Plus il disait la vérité, moins on le croyait, plus il se réfugiait dans son maquis intérieur ! Descente aux enfers ! Mais c’est pire lorsque sa véritable identité est connue, en arrivant à Paris en 2001 : la polémique s’est déclenchée. Du côté même de l’écriture, parce qu’il était dans l’armée, l’enfer se précipite. Le téléphone ne sonne plus ! Ses rencontres publiques sont chahutées, les lecteurs se détournent ! Rejeté par le monde littéraire ! La pire des choses ! Accusé de rien de précis, il est soupçonné de tout ! Il veut rentrer en Algérie et renoncer à la littérature ! En écrivant, comme cadeau d’adieu, « L’attentat » ! « Et le miracle eut lieu. » Succès énorme ! Yasmina Khadra s’est relevé, renaît de ses cendres !

C’est reparti de plus belle pour cet écrivain qui a une âme de troubadour ! La langue française lui prête sa magie ! Il a un contact presque physique avec elle, comme une interlocutrice attentive, une jumelle éclairée ! C’est son professeur de français qui, en lui faisant découvrir « L’étranger » de Camus, lui a fait renoncer à écrire des poèmes en arabe et à décider d’écrire des romans en français. En Algérie, l’histoire du pays est racontée à quatre-vingt pour cent en français ! Ce sont les dissidents et des intégristes qui, par l’arabisation à outrance, ont fracturé l’élite algérienne, et préparé le terrain à l’islamisme sanglant, explique-t-il ! Et aujourd’hui, « le peuple s’écrase devant une poignée d’arrivistes fortunés » ! Un peuple qui a tellement souffert, et qui baisse les bras ! « Qu’attendent les singes » montre comment le « régime a réussi à corrompre et les cœurs et les esprits ». Cette démission, comment Yasmina Khadra pourrait-il la comprendre, lui qui n’a jamais démissionné, même lors d’épreuves douloureuses ? Le régime a accéléré l’encanaillement, la corruption « est devenue monnaie courante ». On se rue sur les opportunités ! A l’école aussi règne la corruption ! Mais une élite naissante, à l’étranger, attend de pouvoir revenir et faire renaître le pays ! Yasmina Khadra voit toujours le verre à moitié plein ! Sans doute cette tribu des poètes, cette fierté secrète en lui !

Yasmina Khadra l’ami du féminin : le personnage de sa mère y est pour beaucoup ! Une femme qui a traversé énormément d’épreuves, mais a tenu bon ! Pour elle aussi, les épreuves sont des passages obligés. Son mari l’a répudiée, mais elle, dans sa tête, est restée aux premières années de leur idylle, lorsqu’il était un bel officier, qui l’a aimée et choyée. Elle a effacé le reste ! Dans la culture algérienne, la mère est au-dessus de tout. Cette mère est analphabète, mais « elle a l’âme d’une poétesse ». Elle peut être mélancolique, ailleurs, et puis sereine, vivant au jour le jour. Etant hypersensible à tout ce qui l’entoure, elle a accès à la poésie, et c’est une chance pour elle. Pour Yasmina Khadra, c’est sa petite fille, qui n’attend pas grand-chose de la vie, mais qu’il gâte. Elle reste pour lui une énigme dont il n’a pas le code. En tout cas, sa baraka ne quitte pas non plus son fils écrivain ! Mais à partir de neuf ans, il a disparu de son monde ! « L’armée me voulait pour elle toute seule » ! La faille le séparant de sa mère a grandi, cette coupure ombilicale ! Celle-ci, en fait, reste recluse dans son passé, volets fermés à l’intérieur et à l’extérieur, comme incarnant l’avant naissance inaccessible pour son fils. Ce fils veille sur elle, et elle l’aime à la folie. Mais c’est à travers cette femme qu’il a réalisé à quel point la femme est dépréciée en Algérie ! Femme vue comme un être subalterne et immature ! Cette mère est une résistante muette face à la répudiation opérée par le rabaissement des femmes. Elle a transformé cette répudiation en incarnant ce lieu inaccessible après la naissance, mais toujours là, sauf qu’on n’a plus le code, les clefs ! Peut-être la résistance qui est en son fils est-elle imprégnée de celle de sa mère ? Qui s’est évadée en arrière dans l’idylle éternisée vécue avec son mari, arrêtant un temps trop hostile aux femmes, mais comme inscrivant le rôle structurant de la séparation pour naître, cette épreuve originaire qu’il faut traverser pour vraiment naître ? En tout cas, pour Yasmina Khadra, avec son pseudonyme fait de deux prénoms de sa femme, « Aucune nation ne peut s’émanciper pleinement sans avoir, au préalable, libéré la femme ». Et « je n’ai pas vu ma mère en victime, mais en titan que les dieux tentaient de terrasser. Elle semblait puiser son énergie dans ses blessures. Son courage a été pour moi un exemple à suivre ». Cette mère, pourtant, n’a jamais manifesté beaucoup d’affection à son fils aîné, car la priorité était pour les plus petits ! Cependant, lui, il avait une tante belle comme une amazone, une conteuse qui a été le soleil de son enfance !

Son père est devenu un notable à Oran, et, lorsque Yasmina Khadra lui demande de lui chercher une épouse, suivant la tradition de la tribu, c’est plus facile, car il est invité à toutes les tables ! Il nous étonne en nous disant la réussite de ce mariage qui a d’abord été arrangé par les deux pères ! Au début, il partait souvent avec l’armée, et son épouse s’ennuyait ! Là aussi, l’écriture apporte une issue à l’épreuve de l’ennui ! Le mari absent écrit des histoires pour sa femme ! En vrai conteur ! C’est son épouse qui a proposé que ces histoires soient publiées, signées de ses deux prénoms ! Pendant des années, elle va se présenter comme l’auteur des romans ! Ce pseudonyme est aussi une marque de reconnaissance à l’égard d’une épouse, qui « est son vrai grand rêve », qui l’a toujours lu, soutenu ! Yasmina Khadra n’a de cesse à dire que les femmes sont exceptionnelles depuis la nuit des temps, et même dans le pays du déni et de la barbarie, « la femme demeure la gardienne du bon sens ».

Justement, chez ses ancêtres, poètes et croyants, qui étaient sunnites courant maliki, l’islam qu’on pratiquait était fraternel. Le patriarche l’incarnait, sa foi était faite de modération et d’émulation. Les femmes étaient libres, elles interpellaient les hommes en pleine rue. Rien à voir « avec la radicalisation observée aujourd’hui où la foi, instrumentalisée en secte et en idéologie séditieuse, est en train de ravager les pays musulmans au Maghreb et au Machrek ». Dans sa famille, chacun était libre ou non d’aller à la mosquée. Personne ne l’a obligé, enfant, à faire ses prières. A l’école militaire, pas d’imams. Yasmina Khadra raconte l’islam du temps de son enfance, lorsque l’Algérie était encore un Etat laïc. La mosquée n’était pas seulement un lieu de prière, mais aussi un lieu d’accueil pour les démunis. Il n’y avait pas de prêche, mais plutôt une éducation civique puisant non seulement dans le Coran mais aussi dans la vie de tous les jours, des règles de droiture et de fraternité ! C’est très important pour entendre un autre islam, qui est pour la paix des hommes ! Et Yasmina Khadra rappelle combien tout est sujet à interprétation, et que la lecture a plusieurs niveaux ! Ce qui se passe de terrible dans le monde, notamment le terrorisme, relève de la diablerie des hommes, non pas de la religion, et, dit Yasmina Khadra, « Nous avons tous été manipulés… nous avons renoncé à notre libre arbitre, nous nous livrons corps et âmes aux prêches des gourous et aux diatribes des va-t-en-guerre » ! A propos des attentats, il martèle de dissocier « ces criminels de la religion, de les isoler de l’idéal dont ils se réclament, de rappeler qu’ils n’incarnent que leurs méfaits et rien d’autre » ! Seule la solidarité citoyenne peut, ajoute-t-il, avoir raison « de la bêtise meurtrière » ! Il a la foi, mais ne croit pas détenir la vérité, au contraire il est dans le doute permanent !

Sa patrie algérienne est en lui. Donc, la France « ne me déleste de rien » ! Et elle est la terre de sa résurrection !

Amal, l’épouse de Yasmina Khadra, est depuis leur mariage son « copilote » ! Rien d’un statut subalterne, au contraire l’égalité ! Ils partagent les lectures, il l’aide à s’instruire. Ils ont grandi ensemble, comme deux copains, deux amoureux. Ils ont chacun adopté le clan de l’autre. On pourrait dire que ce sont les principes en vigueur dans leurs tribus qui perdurent ! Elle a parfaitement saisi le traumatisme qu’il a vécu à neuf ans, cet arrachement, cet effondrement. Sans doute font-ils revenir ensemble, comme des siamois, ce temps-là, cette culture originaire, au rythme de l’écriture tandis qu’elle a donné à son mari deux de ses prénoms pour son nom d’écrivain ! Leur amour n’était pas là d’emblée, il s’est construit, il s’est écrit !

Yasmina Khadra fait partie de ces travailleurs de la paix dont le monde a besoin. Sur la base des retrouvailles avec sa culture originaire qui se sont faites en désertant de manière secrète l’armée qui n’était vraiment pas le lieu pour écrire, il conte les errements et tremblements du monde à travers ses romans, en ne cessant jamais d’espérer. Il nous montre par son propre cas combien nous pouvons sortir grandis des épreuves, en se retrouvant par les mots. Yasmina Khadra voyage à travers les humains, en les entendant à partir de leurs contradictions, de leurs violences, et en disant les choses qui peuvent être les plus bloquées, il les donne à voir, à comprendre, et ainsi fait espérer une issue !

Alice Granger Guitard



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