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Manette Salomon - Les frères Goncourt
jeudi 7 janvier 2021 par Meleze

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Les frères Goncourt sont d’actualité étant donné que vient de paraître l’édition complete de leur journal. La première édition, malgré la célébrité du prix accordé par l’académie qu’ils avaient fondée, n’était paru qu’en 1953.
Manette Salomon est un roman sur l’esthétique qui commence dans un atelier d’artiste pour finir dans la ruine de l’un d’entre eux.
C’est un livre dont on parle peu parce qu’il pose la question de savoir si les frères Goncourt étaient antisémites. Il semble confirmé que le livre a été écrit à 4 mains.
Le pitch est très simple. Un peintre rencontre un modèle féminin d’origine juive, vit avec elle quelques temps puis s’installe dans le concubinage après la naissance d’un enfant.
En fait c’est une œuvre inachevée car l’intrigue devrait conduire à un amour entre Manette et Anatole, rencontre qu’on attend tout le livre et qui ne se produit jamais.

Les Goncourt divisent. Déjà leurs affirmations antisémites paraissent absurdes (trois extraits sont en notes [1]). En outre en matière de goût ils sont passé complètement à coté de l’impressionnisme et on leur reproche aussi de ne pas avoir compris G.Courbet. Ils sont amis de Zola mais n’ont jamais vu un Cézanne. Les goûts des Goncourt en matière de peinture c’est un « palmarès à l’envers » comme il a été déclaré à l’émission de france-culture qui leur était consacrée..

En revanche ils ont visité l’Algérie de telle sorte que tous les peintres de leur livre sont des orientalistes et que c’est sous ce terme générique « d’orientalisme » qu’on trouve le plus de références sur internet.

Un spécialiste a identifié les peintres qui apparaissent autour de Manette, des peintres qui ne représentent que quelques écoles de peinture du milieu du 19°. [2]

La comparaison de Baudelaire et de Goncourt, tous les deux ayant lancé la mode de la critique artistique des salons de peinture, est intéressante. Le grand salon de Baudelaire est celui de 1845 tandis que pour les Goncourt c’est 1851/53 et 1855.

L’esprit français consiste à organiser des classifications qui brisent l’expression du génie comme si le monde artistique appartenait à une administration à laquelle il faut demander l’autorisation de créer. C’est tout à fait dans cet esprit que les Goncourt étudient la peinture, méprisent les principaux artistes de leur époque, et créent leur prix littéraire, dont il faut bien se demander s’il facilite la création ou bien la hiérarchise.

C’est une chance que le groupe d’artistes gravitant autour de Manette se déplace tout un été à Barbison et donne lieu à de longues conversations, qui ont lieu à l’auberge Ganne (un musée aujourd’hui) dans lesquelles les peintres Garnotelle et Coriolis exposent leurs principes. Ils s’étalent sur plusieurs chapitres. Le héros Anatole reste en retrait. Il est appelé « le désireur ».

Car dans ces exposés il n’est jamais question de femmes alors que la peinture est un médiateur très simple pour le peintre d’affronter sa timidité de façon à fréquenter des modèles. Le nu qui est l’objet du scandale de l’époque n’appartient pas aux Goncourt critiques d’art macho, qui ne connaissent que des hommes, hors le fait qu’ils donnent un nom de femme à leurs livres. Un exposé de machisme n’a jamais été fait dans une aussi belle langue. Le style est à l’œuvre dans la répression du féminisme. [3]

Le style est aussi éblouissant dans la description de la forêt de Fontainebleau. [4] Cette école est la seule à trouver grâce au yeux d’Edmond Goncourt, qui va finir le livre, seul, après la mort de Jules.

Méleze


[1« Manette ressemblait aux juives de Paris. Chez elle, la juive était presque effacée ; elle s’était à peu près oubliée, perdue, usée au frottement de la vie d’Occident, des milieux européens, au contact de tout ce qui fusionne une race dépaysée dans un peuple absorbant, avant de toucher aux traits et d’altérer tout à fait le type de cette race. » (p 804)

« Humblement, à pas rampants, la juiverie se glissait, montait à la dérobée dans la maison, l’enveloppait par-dessus, y mettait l’air de ses habitudes et la contagion de ses superstitions. Les deux cousines, conservées par la province plus près de leur culte et de leur origine, défaisaient peu à peu, dans Manette, l’indifférence et les oublis de la Parisienne. Elles la renfonçaient aux pratiques et aux idées du judaïsme, fouillant, retrouvant, ranimant dans la juive vieillissante la persistance immortelle de la race, ce qui reste toujours de juif dans le sang qui ne paraît plus du tout l’être. » (p 832)
« Car Manette, comme une femme et comme une juive, ne jugeait la valeur et le talent d’un homme qu’à cette basse mesure matérielle : l’achalandage et le prix vénal de ses œuvres. Pour elle, l’argent, en art, était tout et prouvait tout. Il était la grande consécration apportée par le public. Aussi travaillait-elle infatigablement à mettre dans la carrière de Coriolis la tentation de l’argent. Elle comptait, faisait sonner à son oreille les gains des autres : elle l’étourdissait, l’humiliait des gros prix de celui-ci, de celui-là, des revenus de chaque année de la peinture de Garnotelle. Elle approchait encore de lui des ambitions mesquines, des aspirations bourgeoises, des velléités de candidature à l’Institut, toutes sortes d’appétits tournés vers le succès. » (p 843)

[2« Ainsi Chassagnol est Chenavard, Garnotelle Flandrin, Langibout Drolling. Encore est-il à noter que plusieurs peintres peuvent entrer dans la fabrication d’un seul personnage. Le maître de Barbizon, dans le roman, Crescent est un patchwork de Jacque, poulomanie oblige (4 terme utilisé par Goncourt), de Millet et de Théodore Rous-seau. Quant à Coriolis, des traits de Delacroix, de Chassériau, de Decamps, de Boudin, et aussi de Courbet, se reconnaissent sans grande difficulté. »

[3« Car, malgré leur métier et leur habitude, ces femmes ont de ces hontes. La créature bientôt publique qui va se livrer toute aux regards des hommes, a les rougeurs de l’instinct, tant que son talon ne mord pas le piédestal de bois qui fait de la femme, dès qu’elle s’y dresse, une statue de nature, immobile et froide, dont le sexe n’est plus rien qu’une forme. Jusque-là, jusqu’à ce moment où la chemise tombée fait lever de la nudité absolue de la femme la pureté rigide d’un marbre, il reste toujours un peu de pudicité dans le modèle. Le déshabillé, le glissement de ses vêtements sur elle, l’idée des morceaux de sa peau devenant nus un à un, la curiosité de ces yeux d’hommes qui l’attendent, l’atelier où n’est pas encore descendue la sévérité de l’étude, tout donne à la poseuse une vague et involontaire timidité féminine qui la fait se voiler dans ses gestes et s’envelopper dans ses poses. Puis, la séance finie, la femme revient encore, et se retrouve à mesure qu’elle se rhabille. On dirait qu’elle remet sa pudeur en remettant sa chemise. Et celle-là qui donnait à tous, il n’y a qu’un instant, toute la vue de sa jambe, se retournera pour qu’on ne la voie pas attacher sa jarretière. »

[4Une émotion, une émotion presque religieuse le prenait chaque fois, quand, au bout d’un quart d’heure, il arrivait à l’avenue du Bas-Bréau : il se sentait devant une des grandes majestés de la Nature. Et il demeurait toujours quelques minutes dans une sorte de ravissement respectueux et de silence ému de l’âme, en face de cette entrée d’allée, de cette porte triomphale, où les arbres portaient sur l’arc de leurs colonnes superbes l’immense verdure pleine de la joie du jour. Du bout de l’allée tournante, il regardait ces chênes magnifiques et sévères, ayant un âge de dieux, et une solennité de monuments, beaux de la beauté sacrée des siècles, sortant, comme d’une herbe naine, des forêts de fougère écrasées de leur hauteur : le matin jouait sur leur rude écorce, leur peau centenaire, et passait sur leurs veines de bois les blancheurs polies de la pierre. Coriolis se mettait à marcher sous ces voûtes qui éclataient au-dessus de lui, à des élévations de cent pieds, en fusées de branches, en cimes foudroyées, en furies échevelées et tordues, ayant l’air de couronnes de colère sur des têtes de géant. Il marchait sur les ombres couchées barrant le chemin, qui tombaient du fût énorme des troncs ; et en haut, le ciel ne lui apparaissait plus que par des piqûres du bleu d’une fleur et de la grandeur d’une étoile, par de petits morceaux de beau temps que la verdeur de la feuillée faisait fuir et presque pâlir dans un infini d’altitude.



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