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Rem Koolhaas et le « Métabolisme ».
mardi 28 février 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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Rem Koolhaas ”Project Japan, Metabolism Talks…” ‘écrit avec Hans Ulrich Obrist et édité par Kayoko Ota (édition originale japonaise) puis par Taschen (New-York, Paris, Londres, Berlin).

Quand Rem Koolhhass le célébrissime architecte hollandais ( qui reçut entre autres le prix Pritzker en 2000) invente ses édifices, par les moyens les plus sévères il donne autant l’impression de sobriété que de délire. On peut bien sûr en chercher les causes dans ses intentions. Toutefois il faut se garder d’interpréter toute la tectonique de l’architecte en fonction de concepts d’ordre « sentimental ». On a plutôt affaire à une forme de construction en prise sur son temps et ses problématiques. Le créateur aménage celui-ci à sa façon et l’adapte à ses fins propres. Elles prennent naissance dans deux temps et deux époques : le New York du début du XXe siècle et le Japon de l’Après-Hiroshima.

Au début comme à la fin provisoire de son parcours deux livres le prouvent. Le créateur se fit connaître au départ par un ouvrage devenu culte « New York Delire ». Il y expliquait comment New York s’était « monté » - à tous les sens du terme - selon les perspectives et les curiosités du parc d’attractions qui jouxtait le New York du XIXème siècle à Cosney Island. Reprenant une nouvelle perspective et changeant de lieu celui qui s’est intéressé à la décontextualisation des mégalopoles offre avec son « Project Japan » des éléments capitaux afin de comprendre l’architecture du Japon après la Seconde Guerre mondiale.

Le livre est riche de centaines d’images inédites (plans directeurs de la Mandchourie à Tokyo, clichés intimes des Métabolistes). Maquettes d’architecture, extraits de magazines et d’incroyables visions urbaines de science-fiction retracent l’histoire du Japon du XXe siècle à travers son architecture, de la table rase de la Mandchourie colonisée des années 1930 au Japon dévasté d’après-guerre, en passant par la fondation du Métabolisme à la Conférence Mondiale du Design de 1960, jusqu’à l’ascension de Kisho Kurokawa (premier grand architecte nippon) et l’apothéose du mouvement à l’Expo ’70 d’Osaka. Surgissent les moments d’une architecture qui relevait plus du public que du privé. Le tout est complété par une « Histoire orale » par Rem Koolhaas et Hans Ulrich Obrist et des interviews approfondies de Arata Isozaki, Toshiko Kato, Kiyonori Kikutake, Noboru Kawazoe, Fumihiko Maki, Kisho Kurokawa, Kenji Ekuan, Atsushi Shimokobe, Noritaka Tange.

Rem Koolhaas lui-même et son OMA (Office of Metropole Architecture - Amsterdam) doivent beaucoup au Métabolisme. Parmi ses réalisations emblématiques on peut citer la tour CCTV à Beijing ou la Casa da Musica à Porto. Ce dernier est un des bâtiments les plus délirants qui soient. Ses perspectives rappellent les films expressionnistes allemands. L’architecte néerlandais conçut le « Casa » (comme sa maison « Girafe » de la banlieue parisienne) avec une petite occupation au sol afin que sa création ne soit pas trop lourde pour l’environnement - un des soucis majeurs. Dans un tel bâtiment l’on passe non d’une pièce à l’autre mais de surprise en surprise, comme dans une succession de décors ludiques, esthétiques, pétillants – mais pas forcément pratiques.

C’est d’ailleurs là un des seuls reproches que l’on peut porter parfois au passif de l’architecte avide de « spectacle ». Rem Koolhaas a d’ailleurs suivi des études de scénariste, avant celles d’architecture. Il a même écrit un script pour Russ Meyer, le réalisateur de « Faster Pussycat Kill Kill » (maître de la série B devenu culte). Rappelons que l’OMA fut et reste une pépinière de créateurs de renom : Zaha Hadid ou encore le grand architecte paysagiste français trop tôt disparu Yves Brunier (pour le Stedeljik Museun de Rotterdam) en ont été les hôtes prestigieux.

Rem Koolhaas montre comment une nation partie en guerre vit, après avoir conquis un continent, son propre territoire détruit par des bombes atomiques. Les vainqueurs imposèrent alors la démocratie aux vaincus. Pour un groupe d’apprentis architectes, artistes et designers, entraînés par un visionnaire, la situation désespérée de leur pays ne représenta pas un obstacle. Au contraire. Cela devint pour eux une invitation à réfléchir et à planifier. Quoique très différents quant à leurs options esthétiques et architecturales ils travaillèrent en étroite collaboration pour réaliser leurs rêves. Ils furent à l’époque soutenus très fortement par une administration d’Etat étonnante car très encline à la créativité. En quinze ans ces architectes surprirent la planète avec une nouvelle architecture : le Métabolisme.

Cette vision proposa un changement radical du pays tout entier. Les journaux, magazines et la télévision ont alors fait de ces architectes de véritables héros. Ils devinrent des penseurs résolument modernes. Par leur travail acharné, leur discipline et l’intégration de toutes les formes de créativité, le Japon devint un exemple brillant. Et lorsque la crise du pétrole a marqué le déclin de l’Occident, les architectes japonais se sont déployés à travers le monde pour définir les contours d’une esthétique post-occidentale.

« Project Japan, Metabolism Talks » permet d’illustrer comment il n’existe plus en Hollande, en France ou aux USA, etc… d’architecture hollandaise, française, américaine etc... Un seul pays déroge à la règle : le Japon. Il y existe toujours une architecture japonaise. « C’est la dernière nation avec une architecture qui a de l’influence » écrit Koolhaas. À cela et selon lui une raison majeure : les architectes japonais ont un lien plus sophistiqué avec le passé. « Ce qui est à la fois un poids et un don » ajoute l’auteur. Les deux sont synthétisés par le mouvement japonais « Métabolisme ». Selon cette école sans école, l’architecture est un phénomène presque organique, en perpétuel mouvement.

Le mouvement remonte à 1960. À l’époque y avait un optimisme sur le rôle de la technologie. Ces architectes ont créé un vocabulaire architectural. Il se perçoit par exemple de manière fortuite dans « Lost in Translation » de Sofia Coppola lors des déambulations de Bill. Murray ou Scarlett Johansson Le livre par des interviews, retrace tout le contexte de ce mouvement. C’est aussi un livre sur l’humain. En ce sens il représente un véritable travail de mémoire et de transmission. Document culturel majeur il devient un acte poétique puisqu’il montre comment modifier le monde en mettant en exergue ce moment de l’architecture avant que le marché ne devienne sa force dominante. Il prouve enfin que les architectes ont toujours dû être plus que des architectes. Soit architecte-businessman, soit architecte-sociologue etc. mais aussi des rêveurs dont la qualité majeure n’est pas forcément la douceur…

Koolhaas prouve par son analyse tout ce qui lui est le plus cher et fonde son esthétique : Tout architecte doit anticiper, détecter des évolutions en cours afin de se reposer la question du lieu de leur présentation. Cela peut et parfois doit aller jusqu’à la constitution de nouveaux lieux inédits ou à la déstructuration de lieux existants. Il montre aussi comment l’exploitation désormais classique de reconversion et de recyclages de lieux qui ont perdu leur rôle originaire (usines désaffectées par exemple) ne doit pas faire place forcément à d’autres constructions « muséales ». Il faut à tout architecte l’ambition d’un devenir. Elle passe par une nouvelle dynamique (comparable à celle que le Métabolisme inventa) afin que le regard ne soit pas seulement absorbé par une enveloppe certes prestigieuse et parfois originale mais qui mange l’objet même pour lequel elle est conçue.

Les architectes japonais l’avaient compris. Et face aux errances vers la « monumentation » de certains architectes, Rem Koolhaas développe ce que lui ont appris les architectes nippons. Il offre comme eux des propositions qui tiennent de l’utopie. C’est le prix à payer afin que l’image-espace continue de muter et que l’omniprésence des citadins se mette à bouger. Au lieu de demeurer un repère à bobos, à retraités, à touristes ou à écoliers contraints et forcés la ville peut alors s’investir d’autres ambitions et offrir des qualités moins spéculatives et plus ludiques.

Elle peut aspirer un autre public que ceux qui sont assujettis à « la condition fœtale » qu’évoque Ernesto Neto. De nouveaux effets d’assemblages, de chevauchement entre environnement, architecture créent des fécondations qui prennent en compte l’évolution des sociétés. Le « White Cube » (cube que l’on « déplie » en fonction de l’œuvre à présenter) pour « La force de l’Art 02 » par Philippe Rahm est à ce titre un parfait prolongement de l’esthétique du Métabolisme. Dans ce type d’interaction non seulement l’architecture demeure vivante mais elle ne peut qu’avancer vers de l’impensé de la société dans sa recherche du « sens impossible » auquel les murs - et quelle
qu’en soit leur nature - peuvent offrir une possibilité.

Pour Koolhaas toute architecture doit garder en elle une valeur de laboratoire. Elle ne se limite pas au rôle de marqueur et d’affichage de prestige pour les politiques. L’utopie peut se conjuguer selon d’autres critères que celui de l’ostentation et du prestige. Il convient donc de laisser rêver les architectes à leurs propres lieux et leur permettre d’échanger de manière singulière entre eux. La séance reste ouverte. Le Chichu Art Museum comme le Miho Museum prouvent que cela est possible : la beauté n’est pas seulement dans les œuvres recelées dans un lieu mais dans son architecture elle-même.

Toute les considérations historiques de l’architecture sont exposées par le créateur afin de ramener cette histoire à celle de l’expression. On cherche dans l’œuvre et le lieu de chaque architecte sa personnalité et on reconnaît dans la grande évolution des formes une réaction provoquée par des mouvements diversement enracinés. Ils constituent une conception du monde et le sentiment de vie propre à une époque. Mais précise en substance Koolhaas comparer l’architecture à un miroir réfléchissant serait fallacieux. D’abord parce que le travail de l’architecte ne saurait être comparé à un reflet et parce qu’il s’agirait alors d’un miroir qui serait chaque fois d’une structure nouvelle. Et c’est là qu’il importe de bien voir et de comprendre afin de séparer le bon grain de la création de l’ivraie des suivismes.!

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