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Rêver debout - Lydie Salvayre

Editions du Seuil, 2021

jeudi 17 février 2022 par Alice Granger

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Par des lettres fictives écrites à Cervantes, à propos de son « don Quichotte », feignant de croire que dans son œuvre, il le malmène, il se moque de sa folie, de son cerveau rempli des fadaises lues dans les livres, il l’expose à la risée de tous, il le montre grotesque, il en fait un épouvantail ridicule, Lydie Salvayre se met à rêver qu’il y ait aujourd’hui un chevalier errant de sa trempe, qui tente encore, comme le dit Antonin Artaud, « d’ouvrir cette porte abouchée à une réalité » si longtemps délaissée ! Elle s’insurge contre un affadissement de son personnage, juste bon à amuser les enfants lorsqu’il se bat contre des moulins à vent ! Alors que cette figure éprise de perfection, se battant contre la société injuste, est toujours d’actualité, il est notre « frère rêveur en un monde brutal, notre frère insurgé en un monde avachi, notre frère indocile, rageur, intempestif, tumultueux, incandescent », qui ouvre des brèches « dans les murs qui nous cernent » afin « que notre monde reste encore vivable et encore désirable ».
Lydie Salvayre veut donc redonner toute son actualité à ce chevalier errant, qui se fait « le rempart et l’appui des déshérités de toutes sortes », qui est capable de « scruter l’obscur » et voir les abîmes, les horreurs, là où d’autres ne voient que leurs pieds, mais qui sait voir aussi des splendeurs auxquelles la plupart sont aveugles ! Car il voit le monde en poète ! Il voit dans le normal l’anormal, l’étrangeté dans le familier, il sait que c’est le rêve, l’imagination, la soif de choses nouvelles, qui permettent de s’avancer dans la nuit noire, d’aller vers des horizons insoupçonnés, des terres inviolées, les plus belles découvertes étant nées des explorations de l’impossible ! Personne mieux que don Quichotte n’a été conscient que c’était la carence d’utopie de ceux qui nous gouvernent qui nous mène au pire. Don Quichotte, c’est un nouveau don qui déboule dans le paysage et change tout ! Sa générosité est sans demande de contrepartie, il était marxiste avec quelques siècles d’avance, se battant contre les horreurs du travail à la chaîne, contre l’aliénation au travail, mais la noblesse de ses gestes s’attirait tellement de haine ! Le détestait-on pour son élévation ? Et pensait-on que ses actes généreux était « le symptôme d’une âme molle, la preuve d’une nature peu virile, délicate, romantique, lettrée, encline à l’irréalité, d’une nature féminine, en somme » ? Voilà ce qui, dans le portrait que fait de lui Lydie Salvayre, va en effet le plus loin : l’esprit de mission du chevalier errant don Quichotte, dont notre époque brutale et inégalitaire a un besoin urgent, semble féminin aux dominants dont la logique est celle des plus forts ! En somme, la mutation qui mènerait à un monde accueillant à chaque humain sans exclusion, le voyant en poète, se heurterait à la peur de la féminisation ! Vision d’une terre de partage, d’une terre-mère dirait Edgar Morin. Octavio Paz, dans « La labyrinthe de la solitude », dit que les différents empires pyramidaux de la Méso-Amérique, avec sa déesse Terre-Mère de la fécondité et de la fertilité et son dieu solaire et de la guerre, avaient évolué vers une entente, des échanges entre les cultures, un métissage, mais que la peur de la féminisation avait déboulé, stoppant cette évolution, et les Toltèques, préparant l’usurpation par les nomades Aztèques eux-mêmes préparant la colonisation par les Espagnols, sont revenus en arrière, à un seul empire pyramidal solaire, viril. Cette mutation qui avait commencé, les humains s’intéressant les uns aux autres, à leurs cultures différentes, se regardant, s’accueillant, s’intégrant, fut stoppée, et là s’est décidé le gel en adolescence non seulement des Mexicains, dit Octavio Paz, mais de l’humanité entière, dont la pyramide est encore l’archétype archaïque.
Don Quichotte, souligne Lydie Salvayre, s’arrache à sa bibliothèque et ses romans où tout était merveille, on dirait maintenant le hors-sol des élites où règne le bon goût, la beauté, l’art, la culture, pour se confronter au monde, « le prendre à bras-le-corps, l’étreindre, le goûter, le toucher, le humer, sentir battre son pouls… l’empoigner pour de bon avec tous les aléas et les dangers que cet empoignement engendre ». En poète, il va au contact direct des choses oxymoriques. Il s’engouffre dans l’humaine cohue, dit Lydie Salvayre, avec sa sensibilité entière, comme restée naissante, et il sent toutes sortes de vivants, « des bergers, des muletiers, des laboureurs… des ducs, des duchesses… des paysannes », bref il n’y a plus de hiérarchie, de discriminations, il est curieux de tous ! Il a faim de l’altérité, de paysages humains qui le dépayse, de liens humains nourriciers lui offrant de l’inconnu, du nouveau, à intégrer. C’est l’utopie qu’il veut réaliser, sa vocation sur terre, son esprit de mission de chevalier errant ! En engagement qui, Lydie Salvayre le souligne, va être pour lui une rupture radicale, un saut vertigineux ! Saut hors de sa littérature lui offrant un monde idéal mais cruellement privé de présences humaines, de paroles vivantes, de beauté d’un regard, du grain d’une voix. Il ne veut plus de cette littérature morte ! Lui, la littérature de la bibliothèque non pas l’a enfermé dans le hors-sol élitiste, mais l’a jeté dans la vie, à l’air libre, pour la faire trembler ! La vraie poésie était dans l’action, en se battant pour les exclus, les souffrants, les humiliés ! Don Quichotte va greffer « son rêve libre, inutile, mystérieux et fluidique sur une réalité concrète, brutale, exiguë, parfaitement calibrée, et très souvent détestable » ! Il va élargir cette réalité à la dimension de son rêve, il va rêver debout, et donc s’attaquer à cette brutalité du monde, comme depuis longtemps le penseur occidental ne le fait plus, ne va plus se salir les mains ni le corps ! Il ne veut plus rester à la porte du monde ! Il veut l’habiter, il va se battre pour qu’il soit vraiment vivant, accueillant à chaque humain, pour que les hommes et les femmes soient vraiment de chairs et de songes. Il veut aller réaliser son esprit de mission pour pouvoir se regarder dans la glace en se disant qu’il aura laissé son empreinte dans l’Histoire ! Fini les fallacieuses promesses, les aventures par procuration, finies les intentions louables jamais tenues qui n’engagent à rien. Lui le rêveur magnifique « va endosser tout le poids de la réalité et l’éprouver en son âme et son corps » ! Il veut exister, se cogner au vivant, s’y blesser souvent !
Cervantès prend-t-il plaisir à martyriser son héros, qui est bastonné, écrabouillé, bafoué, lynché ? Pourquoi cette mise en relief d’un sort si cruel ? Est-ce pour découragez des émules éventuels, des personnes singulières, intrépides et libres qui n’ont pas peur d’ouvrir des bêches « dans l’étouffoir organisé ? » Pour réduire au silence ces émules prenant de la graine de lui ? Pour intimider ceux qui s’écartent des chemins balisés ? Cervantes serait-il lâche ? C’est vrai qu’il écrit à l’époque de l’Inquisition espagnole ! Ou bien, ce qu’il fait au contraire ressortir, c’est la détermination impressionnante de don Quichotte, qui est inflexible, son « infatigable force d’insurrection qui l’anime » », en effet ? Rien ne l’intimide ! Il repart toujours au combat, trouve force et ressources en lui-même à terre roué de coups ! Inébranlable et fidèle « au pacte qu’il a passé avec lui-même, avec cette exigence insensée qui est incompréhensible aux autres », regardée par ceux-ci comme de la démence, alors que pour lui, sans elle la vie ne vaudrait rien ! Il « se sent requis par la volonté impérieuse d’améliorer le monde, une volonté que rien ni personne ne saurait infléchir » ! Il ne rend jamais les armes, seule la mort peut éteindre sa passion ! Gare aux malfaisants qui abusent des faibles. « Il va au combat sans aucun pourquoi ni aucun parce que » ! Sans assentiment d’aucun pouvoir, sans aucune accréditation, tutelle, autorisation ! Jamais il ne se réclames de puissances, comme si celles-ci n’avaient aucune prise sur lui, car étrangères à son idée de la grandeur ! Il n’a rien à perdre, ni position, ni installation, ni abri ! Il est juste poussé par une nécessité intérieure, une énergie sauvage, un emportement, un feu qui a mûri dans le rêve chevaleresque, qui a fait de lui un homme dont l’amour de la liberté et le sens de la justice sont sa chair-même. Il ne cherche aucune promotion, ni flatterie, ni gratitude, il est désintéressé et sincère !
Pourquoi autant d’échecs, demande à Cervantes Lydie Salvayre ? Car ils intriguent ! Est-ce parce qu’il ne peut pas évaluer les rapports de force ? Ou qu’il ne veut pas comprendre que la force ou la faiblesse sont le nerf de la guerre ? Lui, il « veut la fin sans disposer de moyens » ! Alors, il s’attaque à une réalité très casse-gueule ! Il oppose un défi gigantesque à des forces sans communes mesures avec les siennes ! Ambition titanesque : il brave l’univers entier ! L’asservissement des faibles, l’injustice des puissants, l’immunité des salauds ! Qui, à part don Quichotte, s’aventurerait « à défendre une certaine dignité humaine » ? D’où une solitude sans nom ! Et c’est un combat sans fin ! Et, se demande soudain Lydie Salvayre, don Quichotte échoue-t-il comme nous, nous échouons devant la sauvegarde de la planète ! Il voulait triompher, mettre ses lauriers aux pieds de Dulcinée, et au contraire il chute, frôle le désastre ! La réalité brutale triomphe ! Il ne peut pas faire mordre la poussière aux géants de la terre ! Il y a un abîme entre le monde des rêves et le monde avec lequel il se cogne ! Il ne peut pas être l’homme providentiel ! Avait-il trop pris la littérature à la lettre ? L’avait-elle trompé ? Tout s’effondre. Il est dégrisé. C’est la chute. Il n’est plus qu’un homme comme un autre, meurtri, misérable, plein de fêlures et de défaites ! Sa croyance que les hommes pourraient être meilleurs se dissipe, un instant ! Mais il se redresse. Il reste debout dans les revers, les coups reçus. Il endure sans geindre. Et n’a ni ressentiment ni esprit de vengeance. C’est étrange. Il est un looser magnifique ! En regard de son but, il a en effet échoué ! Sa réussite serait-elle ailleurs, et par sa chute même ?
Car justement, s’il échoue, pourtant, partout où il passe, il a réussi à créer du vivant, il a déstabilisé les routines, interrogé, fait trembler les repères, délié les langues, mobilisé les affects, avivé les soifs, créé des appels d’air ! L’émulation se propage ! De nouvelles forces émergent ! Partout où il passe, il éveille les esprits ! Et la vie surgit, bouillonnante, imprévisible, contradictoire. Ainsi que le feu, la fièvre, tout ce qui oblige à penser ! C’est un artiste du tumulte ! Il emporte les êtres au cœur de l’ouragan ! Selon le temps de don Quichotte, l’été soudain peut surgir en hiver, l’enfance fleurir à l’âge adulte ! Il chamboule tout ! Et donc, il réussit à mettre debout les humains qui, d’habitude, sont exclus, n’ont aucune importance collective, dirait Céline ! C’est ça sa réussite !
Le chevalier errant n’est pas tenté par les concupiscences matérielles qui sont devenues aujourd’hui une raison de vivre et d’accumuler les profits ! Et il est étranger aux catégories sociales, et même sa Dulcinée est une paysanne ! Et il estime que Sancho, paysan, a l’étoffe d’être gouverneur ! Il veut qu’il soit fier de ses origines ! Si bien que l’on voit Sancho ne pas se gêner pour chambrer son maître, à égalité avec lui !
Or, une chose intrigue Lydie Salvayre. Pourquoi, alors qu’il a inventé un don Quichotte qui veut faire advenir un monde où plus personne ne serait diminué, son autre personnage, Sancho, est-il si pataud, son apparence trahissant qu’il est issu du bas-peuple ? Alors qu’on voit que don Quichotte a noble prestance ! C’est pour que, peu à peu, Sancho s’affirme, s’autorise à parler, retrouve de l’amour-propre, de la fierté, à côté de don Quichotte ! Qui l’élève. Germe l’amitié. Deviennent un couple inséparable. Un couple d’équilibre. L’un est doté d’un sens rude de la réalité, a les pieds sur terre, l’autre a les yeux dans les étoiles, et court vers « l’inaccessible azur » ! L’un fait reculer les bornes, l’autre a de la mesure. Don Quichotte est incompris de son temps, Sancho est parfaitement intégré, a une épouse, une fille, un âne. Sancho l’exhorte à remonter la pente chaque fois que don Quichotte est pris de mélancolie, il est celui qui le rattache à la communauté humaine ! Il connaît toutes les imperfections humaines ! Autant don Quichotte est un errant, un exilé, autant Sancho est un havre où il peut déposer ses fardeaux, il est sa maison humaine ! Mais pour Sancho aussi don Quichotte est une chance ! Il lui a offert un dépaysement incessant, l’ouverture à un autre monde, lui a permis de se découvrir autre, de vivre d’autres vies ! Ils sont comme deux enfants perdus ayant lié amitié. En vérité, Sancho est le double de don Quichotte, celui qui a le sens de la réalité oxymorique, qui fait comprendre à son maître qu’il ne peut pas être l’homme providentiel, que sa réussite est autre, qu’il faut qu’il chute de son rêve d’être l’homme qui changera le monde, afin que ce soit les humains qu’il aura mis debout, qui seront grâce à lui capable de rêver, imaginer, penser, juger, et construire, prendre leur place dans l’intérêt général, qui s’uniront pour construire un monde meilleur, en le suivant comme tête de proue.
Puis il y a la question de l’amour ! Si don Quichotte est « religieusement » amoureux, pourtant, il fuit constamment l’objet de son amour, ayant intelligence de ce que la séparation donne son essor à l’amour ! Il « fallait que Dulcinée restât une fiction merveilleuse, une image sans tache, un songe au paradis des songes ». L’amour domestique, il l’avait compris, ne reste jamais dans les cimes ! Il ne se laissera pas égarer ! En quelque sorte, son amour pour Dulcinée lui est littéralement monté à la tête ! Sexualité sublimée ! Son amour cérébral est intense, il constitue la valeur suprême ! Il est pur don, « à l’image de son projet de rédimer le monde » ! C’est un amour qui décuple le sens du merveilleux ! Cette Dulcinée est une fille de la campagne, qui ne sait ni lire ni écrire, et quels que soient ses ancêtres, elle est sans pareille, puisqu’il l’aime ! « Le lyrisme du Quichotte chantant l’éblouissante beauté de Dulcinée… n’est-il pas une façon subtile de nous dire que tous les visages sont beaux ? » Mais pourquoi la fuit-il, se demande Lydie Salvayre ? Est-ce vraiment un délit de fuite ? Alors même qu’au contraire, le chevalier errant, plutôt que l’installation avec Dulcinée, plutôt que la sexualité sédentaire – qui réduirait cette Dulcinée à un objet de satisfaction sexuelle toujours sous la main, à un statut domestique - est disponible pour accueillir l’imprévu, il s’ouvre le monde inconnu oxymorique, merveilleux et dangereux, et surtout il accueille les humains sans en exclure aucun, il va au choc frontal avec le monde inégalitaire, brutal, humiliant ! L’énergie qu’il n’investit plus dans une vie installée selon une économie de la sexualité, auprès de Dulcinée, répétitive, fermée sur les mesquins intérêts personnels, est libre pour s’engager dans sa mission. Comme l’écrit si justement Lydie Salvayre, « Aurait-il pressenti que rien n’est plus triste qu’une vie sans dehors, sans ailleurs, sans mystère, sans rien qui la déborde et qui l’égare » ? Aurait-il pressenti - comme Arthur Rimbaud évoquant dans « Mes petites amoureuses » les laiderons de toutes les couleurs auprès desquels les hommes au ventre de curé se démènent sous les couvertures - que la pulsion sexuelle qui ramène à la niche, aux intérêts personnels et leur gestion, dans un labyrinthe sans issue, si l’homme reconnaît à la femme un autre statut que celui ramené à son vagin et son utérus, s’il la conçoit comme un être humain libre et indépendant, s’il la conçoit même immaculée en ce sens qu’elle ne fait ainsi pas chuter dans la triste vie répétitive de l’installation, alors l’énergie de cette pulsion sexuelle reste libre, pour aller s’investir dans l’intérêt pour la réalité oxymorique, à la fois brutale par ses inégalités, ses souffrances, ses humiliations, ses discriminations, et merveilleuse de beautés dépaysantes, d’inconnu. Voir la femme dans sa distance d’être humain libre, l’amour courtois l’avait fait, et Dante aussi, avec Béatrice ! C’est donc logique que don Quichotte dédie sa mission chevaleresque à Dulcinée, puisque son statut différent introduit un vrai saut logique ! Se tenant à distance des formes que les hommes lui donnent afin de mieux avoir sous la main l’objet de satisfaction sexuelle, lui, un homme, peut s’ouvrir le monde tel qu’il est avec sa réserve infinie d’inconnu et d’humanité, et qu’il n’aurait jamais vu s’il s’était fermé sur ses petits conforts, ses ambitions, son entre-soi. Il n’aurait jamais été intéressé par les souffrants, les exclus, il ne les aurait même pas vus ! Là, au contraire, il se découvre des dons d’accueil ouverts aux vulnérables, aux humains dans leurs différences, leur complexité, leurs contradictions, leur ambiguïté, leur cruauté, leur égoïsme, comme les femmes ont des dons d’accueil nourricier. D’où l’impression, que les autres ont, qu’il se serait féminisé. En fait, c’est parce que sa pulsion virile ne s’est pas installée dans la sédentarisation sexuelle, dans l’économie de la sexualité, qu’elle se sublime et s’ouvre le monde, intègre le nouveau, accueillant l’humain et les beautés dépaysantes du monde. C’est une mutation de sa virilité qui a été rendue possible par la mutation du statut de la femme ! Et ainsi, comme le dit Toni Morrison, il est un homme qui a les mêmes dons nourriciers que la femme, ces dons n’étant pas seulement ceux du chromosome x, le chromosome y aussi les a ! Don Quichotte est un errant qui aurait pu faire le choix d’une vie privilégiée installée, avec Dulcinée, d’habitude les hommes errants sont des pauvres, des vagabonds, mais ce n’est pas son cas. Il se soustrait à l’installation, il largue les amarres « à ce qui d’ordinaire arrime solidement les hommes et quelquefois les cloue : le gentil foyer où la pensée s’entartre, les gestes casaniers, la vie réglementée… les goûts propriétaires… le refuge douillet à l’intérieur d’un groupe ». Il est vrai qu’il vit à l’époque de l’aventure, de Christophe Colomb qui découvre l’Amérique.
Lydie Salvayre se dit enchantée par le stupéfiant féminisme de Cervantes dans « Don Quichotte », trouve son combat « d’avant-avant-avant-avant-garde », et on est plus que d’accord avec elle ! Il a même reconnu aux femmes que si elles pouvaient exister en tant qu’être humain libre, donc larguant les amarres d’avec leur statut dans un monde où le socle est la sédentarisation sexuelle, cela changerait tout, et le désir insensé d’un monde meilleur peut-être ferait rêver debout ces humains auxquels un esprit chevaleresque aurait reconnu de la dignité, aurait redonné de l’amour-propre, de l’imagination, et alors s’uniraient-ils autour de l’intérêt général de construire une planète de partage, afin que chaque vie soit poétique ?
Mais bien sûr, Cervantes, de son vivant, n’a pas pu appartenir au sérail littéraire. Il n’a pas été reconnu par ses contemporains (qui déconsidéraient aussi Shakespeare) ! Mais, ajoute Lydie Salvayre, la même intolérance sévit aussi aujourd’hui… Elle nous a donné, par son intelligence de don Quichotte, le désir de le voir débouler dans notre monde toujours aussi oxymorique, afin de réussir à faire se lever les humains souffrants, et qu’eux aussi, en rêvant debout, osent dire qu’ils ont des idées, ont le sens de l’intérêt général, sont capables de jugement, ont de l’imagination, et ne se laissent plus piéger dans le consumérisme qui fige dans les intérêts personnels et donc dans la logique des plus forts.
Alice Granger



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