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Mes fragiles - Jérôme Garcin

Editions Gallimard - 2023

jeudi 19 janvier 2023 par Alice Granger

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On a l’impression, en lisant ce récit très émouvant de Jérôme Garcin sur la mort de son frère Laurent emporté par le coronavirus trois mois après la mort de leur mère, que cette maladie génétique dont était atteint ce frère, le syndrome de l’X fragile, a cristallisé une profonde réorganisation psychique familiale pour rendre moins ravageurs et insupportablement douloureux des deuils trop précoces après lesquels plus rien ne pouvait être comme avant, pour survivre, peut-être pour atténuer la culpabilité de n’avoir rien pu faire pour retenir la vie fauchée à moins de six ans du frère jumeau de Jérôme, Olivier, tué par un chauffard sous ses yeux, ni pour empêcher la mort du père dans un accident de cheval alors que Laurent avait huit ans, comme s’il n’avait pu s’empêcher dans une irrépressible chevauchée de rejoindre Olivier afin de ne pas le laisser seul dans la mort. Cette maladie génétique de l’X fragile a été transmise à Laurent par sa mère, faisant de lui un handicapé qui fut pour cette mère « le beau, le terrible, l’irrésistible souci ». Et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’en vouant sa vie à ce fils si fragile et différent, ce fut comme si, à travers lui né trois ans après la mort d’Olivier, elle s’était mise à accompagner son garçon mort, jumeau de Jérôme, aussi longtemps qu’elle vivrait, en étant l’ange gardien très pieuse du garçon vivant dans un « univers parallèle », dont le « regard sans cesse s’évade et s’égare », qui « est ailleurs », à cause de son « X fragile » qui semble rappeler sans cesse à cette mère combien sa protection maternelle avait été fragile, déficiente, puisqu’elle n’avait pas su sauver de la mort Olivier. Au moins, elle était toujours là pour veiller sur son garçon handicapé, vivant dans son monde parallèle, comme dans un monde entre la vie et la mort. Jérôme Garcin parle de Laurent, « conçu trois ans après la disparition d’Olivier », comme du garçon qui, dans cette famille démantibulée, fut « assigné depuis sa naissance à effacer le cauchemar de l’enfant qui n’aura jamais grandi », dont la photo était partout, un Laurent « sommé d’occuper la place fluctuante d’un songe… de survivre à un désastre qui l’avait précédé et dont il ne savait rien ». Un garçon indifférent, hors-sol, s’étant préparé, comme par hasard, dès sa naissance « à se soustraire au monde réel et à ignorer les écoles ». Ceci officiellement à cause de son handicap dont on ignorait que la cause était une anomalie génétique. Mais résonant tellement avec le désir inconscient de cette mère, voire de toute la famille, de pouvoir, à travers sa terrible fragilité, accompagner dans l’au-delà, dans le monde entre la vie et la mort, son fils mort, pour le retenir au bord du gouffre. Jérôme, qui avait vu son jumeau voler en l’air propulsé par la voiture du chauffard, n’avait pas vu son jumeau agoniser à l’hôpital, ni n’était là pour son enterrement, ses parents ayant voulu le protéger d’un trop grand déchirement, l’ayant même, pendant des mois, confié à sa tante afin qu’il ne soit pas confronté au cataclysme qui avait dévasté la famille. De sorte qu’il n’avait jamais vu son jumeau mort, restant amputé de son double, replié sur lui-même, mais peut-être pour lui-aussi, ce petit-frère vivant dans son monde parallèle a-t-il visibilisé un Olivier restant, de loin, encore visible, humanisant une douleur inhumaine ?
La mère n’a jamais su qu’elle avait dans ses gènes cette anomalie du X fragile, puisqu’elle n’avait pas de symptômes, et que le handicap de Laurent venait de ce qu’elle la lui avait transmise (mais sans doute avait-elle en elle l’inquiétude lancinante transmise à propos du mal inconnu frappant au cours des générations certaines personnes de la famille, ce non-dit, qui s’incarnait avec ce garçon différent, tel le secret de famille revenant se remettre sur le métier et forçant l’écoute, éventrant la forclusion dont il avait été l’objet ?). C’est Jérôme Garcin qui l’a su en 2010, et a aussi découvert qu’il en avait aussi hérité, mais sans symptômes, et qu’il pouvait la transmettre à ses filles, sa petite-fille. Secret familial, héritage venant des arrière-grands-parents maternels de Jérôme Garcin, dont les symptômes, sur quatre générations, avaient touché des garçons plus que des filles, handicap mental proche de l’autisme, difficultés scolaires, angoisse. Les symptômes sont souvent plus légers chez les filles que chez les garçons. Lorsque Jérôme Garcin apprend le terrible secret, il a l’impression « de forcer et d’entrebâiller, au sous-sol d’une très ancienne demeure familiale… une porte interdite et vermoulue derrière laquelle dorment, d’un sommeil agité… des dommages informulés, des souffrances inexpliquées ». C’est « le labyrinthe des miens ». Il s’étonne du silence sur ces dommages informulés sur des générations, alors qu’aussi bien côté maternel que côté paternel, il y avait tant de médecins ! Apprenant qu’il a transmis à sa fille ce syndrome du X fragile, et que lui-même a des risques de développer des troubles neurologiques, il a l’impression d’avoir un sang impur, d’où une culpabilité qui le ronge.
Cette mère qui sembla toujours danser, mère courage qui était une force de la nature, qui était aux yeux de son fils Jérôme « une flûte enchantée », « une fugue, une sonate pour piano », « une grâce mozartienne », avait négligé une ostéoporose galopante, et elle s’effondra d’un coup, arrivée à un grand-âge, puis se releva, s’effondra à nouveau, Jérôme aimant être auprès d’elle, la masser, prendre soin d’elle, lui montrer des photos de famille, l’emmener à la campagne dans la Cerisaie familiale, sentant qu’elle était en train de dire adieu. Ainsi, comme dans un départ au ralenti, Jérôme semble-t-il avoir vécu à travers sa mère aussi l’invisible départ de son jumeau Olivier, ne perdant, cette fois, aucun précieux instant. Même si c’était le spectacle de son supplice, de son calvaire. Eté de 2020, après le confinement, à l’hôpital, où ce fut atroce, où elle suppliait son fils de la ramener à la maison. Il était à la fois son fils, son mari, son père, il lui parlait « longtemps, à voix basse, dans l’espoir de la retenir sur le rivage du monde », voire, en la retenant entre la vie et la mort, retenir son jumeau comme il n’avait pu le faire, lui dire au revoir. Sa mère lui parla encore d’Olivier et lui, sur le tas de sable, elle était en effet contemporaine du temps où son jumeau et lui était encore ensemble, dernier témoin. Mais elle, à l’heure de mourir, c’est du sort de Laurent dont elle est terriblement obsédée. Jérôme avait décidé, sachant qu’il ne pourrait pas supporter de voir sa mère en train de partir, de tenir à l’écart Laurent, alors que pour elle, il était « le plus précieux », son « informulé », qu’elle refusait de voir vieillir. Elle s’accrocha à ce qui lui restait de vie, l’attendant, le réclamant, l’espérant. Jérôme lui promit de s’occuper de lui. Refusant d’être mise dans un EHPAD, parce que c’était disait-elle un mouroir, elle était en train de fermer les yeux sur le monde. Peut-être apaisée à l’idée que Jérôme sera l’ange gardien de Laurent, comme ayant inconsciemment compris depuis longtemps que ce serait aussi à travers lui accompagner Olivier, enfin en première personne.
Mais alors, Laurent semble lui avoir fait ce cadeau étrange, ne pas être un poids pour lui. Devenant au contraire léger, en se laissant être emporté par le coronavirus trois mois après sa mère, ses comorbidités liées à son handicap du X fragile ayant rendu fatale cette maladie. Jérôme se sent d’abord coupable, pensant que s’il s’en allait si vite, c’était parce qu’il n’avait pas été présent aux derniers instants de sa mère, et qu’il sentait qu’elle l’appelait auprès d’elle. Mais, inconsciemment, n’était-il pas parti parce que son rôle était fini, dans la famille cataclysmée ? Dans le monde parallèle où il vivait, il avait rendu visible le lent départ d’Olivier, du père, comme disant au revoir d’ailleurs pour eux, les rendant visibles dans leur départ alors qu’ils étaient morts brutalement, accidentellement. Laurent, par les symptômes de son X fragile, vivait déjà comme les deux disparus ailleurs, mais visibles, et la mère pouvait encore le choyer en ange gardien indéfectible, et Jérôme sentir la séparation, avec ce frère différent, vivant dans son monde, ce qui, peut-être, l’aida, sans qu’il s’en rende compte, à transformer le lien gémellaire fusionnel, en rendant plus humaine la séparation, moins brutale, ce petit frère étant là, et en même temps ailleurs.
Laurent et la mère ne sont pas partis sans rien laisser à Jérôme. Car tous les deux étaient peintres, et leurs tableaux sont à écouter, à lire, à travers lesquels ils restent vivants, s’adressent à lui. Il reste avec les tableaux que Laurent peignait pour se réinventer et se sauver. Il se rend compte à quel point, si dans la vie il était taciturne, Laurent exposait de joie sur la toile, aussi léger que l’air, cessant… d’être fragile ! Les tableaux de la mère représentent toujours les jours heureux, paysages d’avant la disparition brutale de son mari et d’Olivier !
Sa mère a été la première morte que Jérôme Garcin a vue. Il a du mal à accepter. Il voudrait, sentant manquer soudain de la protection contre la cruauté de la mort, que ce soit comme avec son frère jumeau et son père, qu’il n’a jamais vus morts. De sorte que pour lui, « Olivier reste alors cet enfant joueur qui me donne la main dans le jardin sablonneux de Notre-Dame, d’où il ne veut pas partir, d’où je ne veux pas qu’il parte », et « mon père, cet homme cravaté qui galope dans la forêt de Rambouillet sans souci du lendemain ni l’envie de mettre pied à terre. » D’avoir vu sa mère morte, est-ce que cela le force aussi à voir, enfin, son frère et son père mort, alors qu’il a tant de difficulté à croire à leur disparition ? Et donc à pouvoir les retrouver autrement, si vivants par exemple dans leur peinture, mais aussi dans le destin qu’ils se sont dessiné ?
Trouvant des lettres que ses parents s’écrivaient, il réalise à quel point sa mère ne montrait que son merveilleux sourire, alors qu’elle souffrait d’insomnies, luttait la nuit contre ses démons, ses cauchemars, ses pensées noires. L’avenir de Laurent lui faisait-il peur ? Mais sa grande spiritualité la sauvait. Et aussi, le jardin, « son perpétuel refuge, pour écouter les chants des oiseaux », qui, le soir, lui parlaient du Ciel. Jérôme, en lisant, découvre l’autre qu’elle était aussi. Qui luttait contre l’anéantissement, qui réussissait à vivre, aussi, une vie plus forte que la mort, retrouvant par intervalle le contact direct avec la nature, les choses sensibles.
Juste après l’enterrement de sa mère, il s’en va, comme logiquement, comme si c’était la direction de retrouvailles où elle lui dirait ce que c’est vivre selon la science des sensations, dans la maison de Normandie, où elle « aimait tant pastelliser », et, par exemple, dessiner au crayon « la colline d’en face, où poussaient le blé, le maïs, et couraient les chevreuil ». Les chants des oiseaux allaient le consoler, il la retrouvera à travers ce qu’elle aimait, trilles des mésanges le matin, staccato des rouges-gorges, et les bruits de la nature, le bruit d’eau cristallin que font les ramures des peupliers, et les pommes tombées de l’arbre dans l’herbe, qu’elle adorait, jaunes, bistres, vert pâle, dont elle faisait des compotes, des salades, des jus. Avec les chevaux, Jérôme retrouve aussi son père. Ces chevaux avaient déjà sauvé son père à la mort de son frère jumeau Olivier, déplaçant « le centre de gravité de son chagrin », permettant, plus encore que fuir sans se retourner, de prendre sur lui tous les risques, et en effet ces chevaux le conduisirent à la mort, ou plutôt lui permirent de rejoindre Olivier. Jérôme Garcin, juste après la mort de sa mère, est pressé de monter son cheval, lui-aussi, afin de ne pas tomber, de « partir au fond des bois » avec lui, car « seuls comprennent les chevaux et porteraient ce que je ne pouvais plus porter », et surtout avec lui, au galop, il serait emmené « vers le pays transparent et venté de mes fantômes ». Or, soudain apparaît Anne-Marie, son épouse, « sans laquelle je n’aurais jamais supporté tout ce qui m’accablait… sans laquelle je serais redevenu un jumeau désemparé », (et il nous semble entendre qu’entre les lignes, elle répare l’anomalie génétique du X fragile, qu’avec elle ce X est fort !), tel l’ange gardien, mais qui, paradoxalement, lui annonçant que son cheval à elle, Danseur, « celui de sa vie », était mort d’une crise cardiaque, lui dit que le cheval aussi est mortel. Comme si elle lui disait que, sa mère étant partie rejoindre son mari, ne laissant que cette nature si belle, et les chants des oiseaux, la musique des arbres, la saveur des fruits, il n’avait plus de cheval l’emmenant du côté du passé, des fantômes. Mais aussi, cette passion d’Anne-Marie pour les chevaux, c’était quelque chose qui le retenait, lui, au passé, car retenant le fantôme de son père, ce… danseur chevauchant qui avait brusquement disparu. Or, avec la mort du cheval de la vie d’Anne-Marie avait fait que, pour Jérôme Garcin, « tout expirait et tout, en même temps, devenait passé ». « Et Dieu que c’était triste qu’il n’en restât plus rien. Sauf les souvenirs, qui s’éteindront avec nous ». Désormais, il serait face à du passé ne passant pas.
Laurent était justement hypermnésique, faisait des tirades en apnée, ce serait un des symptômes possibles du syndrome de l’X fragile, un cerveau débordant, « un trop-plein d’intelligence », un esprit suractif. Après la mort de la mère, il allait servir la messe à l’Eglise de Saint-Séverin, le dimanche, et la semaine, il allait donner un coup de main à la pizzeria voisine, mais le reste du temps, nul ne savait ce qu’il faisait, il déambulait dans le Quartier latin comme un « Zombie pesant et hagard », fuyant l’appartement où tout restait comme lorsque la mère était là. Puis il rentrait dans son petit appartement empoussiéré. « Il avait appris à vivre avec lui-même, en marge du monde réel, dans un marmonnement déroutant ». Jérôme lui fait visiter un lieu de vie qui pourrait l’accueillir, « Les Jours Heureux », mais à peine entré, il se rétracte, s’éclipse, cherchant comme toujours la voie de sortie. Comme s’il s’ignorait asocial, « fragile », il voulait être autonome. Refusant même le soutien de son frère. Dans cet après décès de leur mère, il ne voyait plus que la sortie, tel un acteur qui joue en réussissant cette sortie la partie la plus importante de son étrange rôle dans cette famille si fragilisée. Dans ces trois mois lui restant à vivre, comme par hasard, en émettant l’idée d’une exposition pour ses tableaux, il se montra en artiste à son frère Jérôme. L’artiste qui l’était au point le plus élevé de sa création en disparaissant, sachant depuis toujours le texte à jouer de son destin, le peignant de son corps ne se laissant pas mettre dans « Les Jours Heureux », plus encore que sur la toile. Il n’était jamais réellement né, ce que racontaient ses tableaux, débordants, exprimant « davantage son monde intérieur, onirique, fantasmé. Un monde amniotique d’avant la naissance ; un désert de sable d’avant l’humanité ; un paradis africain d’avant la colonisation ». Une collection d’art brut. Comme il était joyeux, léger, sur la toile. Plus rien ne menaçait, ni la tragédie, ni la mort, tel un secret de famille libéré de sa forclusion. Vibrant à l’unisson avec les tableaux de la mère, qui éternisait ainsi des moments suspendus de félicité, de béatitude, visibles par la fenêtre ouverte sur les frondaisons printanières, les collines où gambadaient main dans la main les jumeaux. Peignant, elle était tout entière dans le présent.
Après la mort de sa mère, de son frère Laurent, sans doute par leurs œuvres pleines de joie, de béatitude, comme racontant où ils sont partis, Jérôme a-t-il l’impression que plus « le temps passe et plus je sens la présence des morts ». Que quelque chose ne passe pas, et que la nature lui dit par ses choses sensibles - en accès direct maintenant que ses fantômes ne le retiennent plus dans le repli sur soi -, par sa beauté, sa musique, les saveurs qu’elle offre par ses fruits. « Je leur parle, en silence, depuis si longtemps. C’est une compagnie invisible, heureuse et bienfaisante. Ils n’ont jamais cessé de m’épauler, ou de me corriger ». Il a la conviction – peut-être en faisant désormais corps avec cette nature si maternelle, si belle et généreuse – que ces morts ont affaire avec les vivants (comme des prédécesseurs, compagnons, passeurs ?), ne se soustrayant jamais à ce que l’on attend d’eux, si patients ! Ainsi, dit Jérôme Garcin, « Mon jumeau fauché par un chauffard a attendu que je grandisse pour grandir avec moi. Mon jeune père désarçonné a guetté l’instant où je serais vraiment cavalier pour me rejoindre et m’accompagner, dans un galop à la limite de l’emballement… Et je sais que, bientôt, ma mère paysagiste et mon frère cubiste m’accueilleront, ensemble, dans leurs tableaux comme dans des maisons isolées sur des belvédères battus par le vent ». Ce sera lorsque sera passée la révolte qu’il sent en lui, dans l’église de Saint-Séverin, devant le cercueil de Laurent. Juste après avoir écrit ce témoignage, et comme pour tourner vraiment la page du passé, sa tante Christiane, sœur aînée de sa mère, qui avait fini par presque se confondre avec elle, meurt à son tour. Elle fut sa seconde mère, tandis qu’après son agonie son jumeau quitta la vie, et que les parents de Jérôme, pour l’éloigner du spectacle de la douleur, le confièrent à elle, comme si, dans cette nouvelle famille, l’absence de ce jumeau serait moins cruelle. Alors que ce fut le poids terrible du non-dit, et qu’il avait en tête « en boucle le bruit infernal d’une voiture qui écrase un enfant ». Il eut toute sa vie le sentiment d’être tenu dans l’ignorance des drames, qu’on lui jouait la comédie de l’insouciance. L’on entend entre les lignes, à cause du choix de sa profession, que cette tante s’était sentie dans l’œil du cyclone d’un secret de famille, et qu’elle avait décidé de s’attaquer de face à cet ennemi invisible, en se vouant à réparer les blessures qu’il infligeait à certains humains, en ange gardien si dévoué, comme aussi pour tenter de guérir à travers eux ceux qui, sur plusieurs générations, furent dans sa famille frappés, restant tels des fantômes ensemençant le poison d’une inquiétude abyssale dans la famille. Comme elle était médecin et orthophoniste, héritière directe de son célèbre père pédopsychiatre, Jérôme Garcin est maintenant sûr que dans les institutions où elle travailla, elle soigna beaucoup d’enfants handicapés mentaux parmi lesquels souvent des X fragiles ! Donnant du bonheur à ces « petits malheureux » ! Jérôme Garcin semble conclure son récit si émouvant car plongeant au plus loin et au plus profond dans le secret de famille, afin d’aller dénouer la fixation douloureuse aux fantômes à cause du non-dit, en disant entre les lignes que si lui, porteur pourtant de la mutation génétique du X fragile, n’a pas développé de symptômes, c’est grâce à cette tante, cette seconde mère, « un peu guérisseuse, un peu magicienne et un peu chiromancienne » ! Il vécut cette « guérison » auprès d’elle, n’en ayant pas conscience, tandis qu’il écrivait avec application des lettres à ses parents, « aux parents d’un enfant mort », justement pour leur témoigner de sa survie, pour les rassurer, « leur prouver que je vais bien, que je m’instruis » ! Il lit aussi des lettres que son père, en voyage, écrivait à sa femme. Dans lesquelles l’on sent qu’il s’inquiète tellement de Laurent, de ce fils qui lui échappe par sa différence, alors qu’il a déjà perdu un fils ! Dans une lettre écrite par sa mère à ses parents, Jérôme Garcin lit qu’elle veut les rassurer à propos de lui ! Elle dit que Jérôme… va bien. « Je suis tranquille. Jérôme aura été parfaitement entouré par ses vacances… Olivier n’est pas loin et nous en parlons souvent avec Jérôme, qui comprend tout ce que j’explique. Nous parlons du Paradis, des saints, des merveilles que Dieu a faites, si claires pour moi maintenant ». Etrangement, on dirait que ces phrases, elle les écrit maintenant à son fils Jérôme qui les lit après sa mort, de là où elle est, où il y a Olivier, le père, Laurent. Et que restent, avec la nature, les merveilles sensibles et poétiques, la beauté du monde. Tandis qu’en partant trois mois après sa mère, Laurent, écrit Jérôme Garin curieusement, « m’a affranchi » ! En ne pesant pas, l’a-t-il « affranchi » du poids du secret terrible, du X fragile, tandis que sa seconde mère l’en avait guéri ? Les tableaux de Laurent, ceux de sa mère, avec leurs couleurs, sont du passé qui ne passe pas, qui gardent bien la lumière, témoignant de ce que ceux qui ont peint « ces épiphanies » étaient, par-delà la douleur et le tragique, joyeux, inventifs et comblés. Un artiste : « quelle belle vie il a dû avoir, et combien il a été aimé » !

Alice Granger



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