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Conversations - Christian Jaccard
vendredi 27 avril 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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CHRISTIAN JACCARD LE « PYROMANE »

Christian Jaccard, Conversations, coll. Ecrits d’artistes, Les Editions des Beaux-Arts de Paris.
Christian Jaccard, « Agrégations », 8 juillet – 14 août, CAC Meymac.

Jaccard développe depuis des décennies la technique de la combustion en laissant fumée et flammes tracer sur la toile leurs empreintes et effluves picturales. Dynamiteur des conventions, le peintre affronte la toile et non seulement en ses effets de surface. Le support devient lui-même un élément dynamique de déconstruction (à tous les sens du terme) et de reconstruction. Posant parfois ses immenses toiles composées au gel thermique à même le sol il crée un questionnement et un dialogue avec d’autres œuvres. D’où l’importance chez lui de la notion même de « conversations » qui d’ailleurs est devenu le titre parfait de son dernier livre à entrées multiples.

Mais ces « conversations » ont commencé au-delà de ce livre par la confrontation de deux de ses toiles avec un tableau de George Hendrik Breitner pour un hymen a priori improbable entre deux siècles et deux techniques. Sont mis ainsi en évidence tant le processus d’ignition que de l’érosion prouvant par là que l’émergence créatrice n’a pas de fin et que l’art a toujours son avenir devant lui. A la charnière de l’éphémère et de l’intemporalité Christian Jaccard ne cesse de jouer avec le feu et à tous les sens du terme. Il sait combien il possède cette qualité unique que les forgerons et les fondeurs connaissent bien : celle de pouvoir modifier la nature d’un matériau tout en laissant la chimie de la fusion et de l’infusion se jouer du désir de l’homme. Pour autant de ce jeu naît une œuvre au sens plein dans laquelle l’expression de l’aléatoire est aussi un processus physique provoqué. De plus, et même si l’imposition des résidus d’une combustion sur un support représente une manière aléatoire et paradoxale de traduire, de cristalliser l’état d’un délitement, par son transfert sur une trame de soie puis sur un chromolux, celle-ci perd son statut éphémère et sa duplication redevient comme l’écrit l’artiste « une forme de sédimentation, c’est-à-dire la transposition cavalière d’une trace originelle ».

L’important demeure les états des traces pulvérulentes, des formes soufflées puis laissées par les flammes issues du gel thermique. De telles empreintes conservent un caractère ambivalent et se chargent de la symbolique de la poussière. Pour Jaccard cette dernière est d’abord synonyme de « force créatrice » au même titre que la semence ou le pollen des fleurs. « Dans la Genèse, l’homme est dit formé de la poussière du sol et sa postérité comparée à la poussière » écrit l’artiste. Mais, d’autre part, cette poussière possède tout autant une valeur de mort et de fin : « Certains peuples couvraient de poussière leur crâne en signe de deuil et on fait allusion à la poussière de la mort » poursuit-il. L’aspect « noir » de la cendre est donc l’autre emblème des marques laissées par la combustion. Mais – sous forme de synthèse de cette ambivalence - la suie cendrée est une materia prima qui absorbe la lumière sans la restituer vraiment. Elle évoque donc l’obscurité des origines, la grande nuit abyssale. Celle qui précède la nuit sexuelle. Mais elle incarne tout autant la terre fertile, le réceptacle qui prépare les germes de la vie.
Au travail du feu s’adjoint celui du détournement. A l’aide de peintures anonymes parfois des plus quelconques retrouvées dans quelques brocantes ou décharges, Jaccard entreprend un travail de restauration puis de brûlures. Il permet de faire jaillir une imprévisible lumière que leurs créateurs anonymes ne soupçonnaient même pas. Par le trou qu’opère le feu dans la toile une libération se produit. Elle va encore plus loin lorsque l’artiste, quittant son atelier, s’empare de l’espace afin de créer ses tableaux éphémères en se confrontant à une friche industrielle ou à une ancienne mine. Ces « performances », ces « actions painting et burning » ont pour objet de brûler les murs et édifices afin de solliciter chez le spectateur une véritable expérimentation de l’acte créateur dans un processus bien plus complexe qu’il n’y paraît.

À toutes ces approches « Conversations » offre un complément « d’enquête » majeur et pluriel. Les textes croisés de ses correspondances ou de ses rencontres - avec des personnages aussi variés que Harry Bellet, Pierre-André Boutang, Jean Daive, Joëlle Gonthier, Anne Dagbert, Gérard-Georges Lemaire, Natacha Pugnet entre autres - ouvrent encore les perspectives de l’œuvre et permettent de comprendre comment Jaccard agit pour épurer le cœur de la peinture. Il explique comment au fil du temps celui-ci a été recouvert et empesé par les lois des normes et des techniques. L’artiste réinsère donc du ludique dans l’art sans pour autant estimer que l’art n’est pas sérieux. Au contraire. C’est parce qu’il est pour Jaccard une activité suprême qu’il se doit d’en rouvrir le jeu par des gestes iconoclastes, primitifs, rupestres dont l’apparent non-sens cache une stratégie ambitieuse. La suie sombre des traces y devient voluptueuse et la calcination provoque d’étranges volutes. Elles inventent un nouveau clair-obscur et une vaporisation, une hantise de l’air.
Entre les volutes des fumées et « les merveilleux nuages » dont parlait Baudelaire une jonction se produit. Dans les deux cas, la déformation incessante des éléments volatils sollicite l’imaginaire par les perceptions aléatoires qu’elle produit. Elle laisse une place au hasard auquel l’artiste doit parfois se plier pour l’intégrer dans sa démarche. Car le feu n’est pas un complice qui se laisse dompter. Et si Jaccard s’est laissé porter par exemple vers l’œuvre « nuageuse » de Hendrik c’est parce qu’il y avait là une confrontation avec ce qu’il cherche dans tout son travail. Ce que Breitner fixe, Jaccard le laisse vacant pour regarder ailleurs et voir autrement ici-même, ici-bas, sans propension mystique.

Si mysticisme il y a c’est uniquement celui que produit la matière elle-même en ses effluves aussi telluriques qu’aériens. Et si Jaccard insiste volontiers sur le rôle que joue les rêves sur sa pensée, le créateur ne veut que les sublimer dans son alchimie particulière. Ce qui est recherché n’est pas une extase divine mais un plaisir physique. Toutefois la première n’est pas forcément absente. Parlant de ses tableaux éphémères l’artiste précise que leur précarité « est à l’image de ma pensée fragile, dont les ombres légères et pulvérulentes me rappellent les faiblesses de la mémoire. Mais c’est aussi dans ce lieu consacré et hanté par le spectre du buisson ardent, l’autre métaphore désignant la brûlante révélation de la présence divine ».

La poussière chez lui n’est pas ce qu’elle est pour Parmiggiani à savoir « l’emblème métaphysique parfait pour nos temps de destructions majeures » comme l’affirme l’artiste italien. Elle n’a rien à voir non plus avec « l’élevage de la poussière » cher à Duchamp pour lequel cette matière ne devient une matière d’observation et de réflexion que comme processus à part entière de réflexion. Jaccard par la fumée ne radicalise pas l’absence jusqu’au néant : il ramène l’idée métaphysique à un face à face matériel, tactile que l’on peut entretenir avec un seul pan de mur qui d’une certaine manière peut symboliser l’infini. L’empreinte n’est pas une matière de fuir et elle doit être pensée au-delà de toute métaphysique. Elle oblige à penser la destruction en paradoxalement renonçant aux prétendues puretés du néant. Devant de telles traces il est impossible d’affirmer qu’il n’y a plus rien : la survivance des cendres devient la sur-vivance de l’art qui lui-même réfute par essence et nature le néant.

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