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La côte sauvage - J-R Huguenin
vendredi 30 novembre 2012 par penvins

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Roman à part, tant aujourd’hui que lors de sa parution en 1960, d’un écrivain à part que d’aucuns ont apparenté aux Hussards. Jean-René Huguenin ne nous aura pas laissé d’autre roman que celui-ci, ils auraient sans doute été de la même veine, loin, si loin de ce que fut Tel Quel qu’il fonda avec Jean-Edern Hallier et Philippe Sollers et qu’il quitta très rapidement. La lecture de son Journal le montre en effet bien plus proche de Nimier ou de Chardonne que de Sollers. Même Jean-Edern Hallier ne trouve pas grâce à ses yeux, s’ils semblent proches, Huguenin constate bien vite que Jean-Edern a gâché son talent dans le mensonge et la mythomanie.

Roman à part quant à son sujet, étrange. A propos de celui-ci Jean-René Huguenin écrit dans son Journal : Moi qui ait écrit un livre dont le héros rêvait d’aimer sa sœur comme une femme, voilà que je vis le drame inverse – et dont la tristesse, la torture, n’est pas moindre : ne désirer aimer une femme que comme une sœur. (Journal 16 avril 1961). On est en effet constamment au bord de l’inceste, jusqu’à cette nuit passée dans un hôtel de la Côte sauvage, sans que jamais rien de contraire aux bonnes mœurs ne se passe, pas même l’échec du mariage d’Anne auquel Olivier n’a de cesse de travailler. L’inceste ici reste une pulsion toute romantique, un désir de crime qui ne s’accomplit pas, qui ne peut s’accomplir tant le poids de la morale reste présent, laissant l’impression qu’Olivier jamais ne sortira de cette adolescence infantile, lui qui résiste de toutes ses forces pour ne pas se voir confisquer sa jeunesse et le bonheur de la relation fusionnelle qu’il a avec sa sœur.

Tout ce que je demande, c’est de redevenir, de demeurer un enfant (Journal 17 octobre 1956)

Berthe est là, comme une conscience, elle juge, remplace le père disparu
Papa est sacré pour lui du moment qu’il nous a fait souffrir [...] Quelque chose nous manque, je l’ai toujours su... Seulement ça ne se voit que sur moi... (C.S - p19)

On est au tournant du siècle quelques années avant Vatican 2 (1962—1965), Jean-René Huguenin est de la même génération que Sollers, il est né avant la Deuxième Guerre mondiale, il est de ceux qui ont encore la Foi, même si celle-ci s’accommode déjà d’une morale sexuelle étriquée. Son attachement à l’enfance familiale dont les vacances en Bretagne sont en quelque sorte le sceau qui va bientôt se briser - l’histoire de ce roman est bien l’histoire de ces dernières vacances d’été - le cantonne dans un état de prépuberté intenable qu’Anne, en dépit de la pression qu’il exerce sur elle, va bon gré mal gré dépasser.

Comment une rencontre avec Sollers a-t-elle pu se produire, et ce court chemin fait ensemble au sein de Tel Quel ? – Ph. Sollers n’aime pas mon roman ; bien que certaines de ses critiques soient justes, je le sens surtout offensé dans son amour de la banalité. (Journal 7 juin 1960). Ils sont en effet à mille lieues l’un de l’autre ! Il y a chez Huguenin une certaine forme d’idéal de pureté que Sollers ne peut pas comprendre. Son Journal dira à quel point ils sont éloignés : Mais sa passion se contemple trop elle-même. Elle n’est pas assez incarnée, héroïque. La mienne repose sur le sacrifice, la sienne sur le plaisir – il a le sacrifice en horreur. (Journal 2 décembre 1958). Et quelques jours plus tard : aucun accord n’est possible avec Sollers. J’ai beaucoup d’estime et de respect pour lui ; n’empêche qu’il est dans le prolongement d’une race que je hais, la race de l’intellectuel hanté par le langage, le mot pour le mot, replié sur soi comme une vis sans fin [...] protégé des superbes fécondes blessures de la colère, de l’amour et de l’honneur à vif. (14 décembre)

Le sacrifice, le jeu avec la mort tout cet attirail romantique doit certes faire sourire Sollers, la scène sur l’île de Griec où Olivier et Anne se livrent à un simulacre amoureux et morbide est à la fois magnifique et tellement infantile ! : Anne tu te souviens quand on jouait au mort ? (p 118)

En avance sur Sollers qui ne reniera le Nouveau Roman qu’après 1964, Jean-René Huguenin se démarque déjà des écrivains des éditions de Minuit : Guerre sans merci aux tièdes, aux esthètes du Nouveau Roman, aux prêtres de gauche, aux bourgeois, aux "jeunes gens du monde" (Journal 1er février 1961) mais son aversion pour Robbe-Grillet est tout à l’opposé des reproches que Sollers fera au Nouveau Roman et d’une certaine façon pas très éloignée de celle qui le sépare de lui et désormais de Tel Quel. Jean-Edern et la bande de Tel Quel : des techniciens, des spécialistes, aussi polarisés à vingt-cinq ans, aussi définitivement fermés que des ingénieurs ou des chirurgiens, avec cette différence qu’ils conservent l’illusion d’être des cerveaux universels. (Journal 29 juin 1961)

Au passage on aura relevé cette phrase dans le Journal : …en allant le plus droit, le plus loin possible (comme les Allemands en 40) (Journal 21 novembre 1956) ; sans doute une des explications de ce romantisme viril prôné par Jean-René Huguenin et tous ces écrivains plus ou moins apparentés aux Hussards, une sainte horreur de la faiblesse qui avait conduit à un Exode de sinistre mémoire et par contrecoup une surestimation de la force et du sacrifice héroïque comme valeur en soi. Mais bien sûr cette explication sociopolitique ne saurait être la seule, l’éducation catholique, et la Foi que revendique l’auteur, ainsi que paradoxalement cet attachement à l’enfance, sont dans la même lignée sacrificielle que la droite qualifie de défense des valeurs et que la gauche déteste. Rien n’est plus rare que la vraie souffrance.(Journal 14 février 1958). Cette affirmation justifie un roman qui met en scène le plus impossible des amours Les vraies amours sont les amours impossibles nous ne vivrons jamais ce que nous rêvions. (Journal 20 février 1958) Bien sûr Huguenin affirmera : Si le Diable m’attire tant, s’il est tout le sujet de mon roman, c’est pour le dénoncer, le démasquer aux yeux d’un monde qui ne veut plus le voir.(Journal 8 mars 1959) quoi de plus vrai mais aussi de plus faux, Huguenin est conscient de la monstruosité de son amour pour sa sœur et en même temps, contrairement à ce qu’il laisse entendre, non seulement il s’en accommode, mais il s’y complaît, rien ne peut laisser croire qu’il le dénonce. Et c’est même sans doute en raison de la morbidité de cet attachement qu’il y prend plaisir.

Reste un roman certes magnifique mais surtout totalement dans son époque – il fut d’ailleurs un succès – comme un point de repère, un phare après lequel le siècle et sa littérature prirent un nouveau cap et vers lequel il n’est pas inutile de revenir comme pour tout réévaluer.



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