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Les Mœurs - Sade
mardi 17 décembre 2013 par Jean-Paul Gavard-Perret

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Editions de la Salle de Bain, Rouen, 12 E.

THEÂTRALISER LA LITTERATURE
PERVERTIR LE POUVOIR

Il faut toujours revenir à lui pour comprendre ce que la littérature engage. A lui : à savoir D.A.F. de Sade qui, plume en main, est devenu le Divin Marquis fascinant, révoltant mais pas toujours, opaque, inépuisable. Et depuis, au sein du champ dans lequel il eut bien du mal à faire sa place, on continue à cerner ce personnage, ses œuvres, son langage qu’il a répandu à flot envers et contre tout et tous. Sade le révolté, le névrotique, Sade le politique, le polémiste, le moralisateur, le fornicateur, l’athée, le sophiste et surtout le condamné laisse derrière lui (ou devant) une œuvre énorme. Mais on a trop souvent oublié l’écriture de ce discours sans mesure de cette hydre de mots. Pourtant, le marquis a encore beaucoup à dire et à mesure qu’elle se détache de son époque, son œuvre s’autonomise et permet de comprendre tout son sens. Car derrière le pouvoir que certains de ses héros font peser sur d’autres, l’œuvre elle-même est la plus fantastique machine désirante contre les pouvoirs : ceux de son temps, ceux de toujours.

La théâtralisation que le Marquis a opérée dans l’écriture illimite le langage en le laissant pénétrer les pouvoirs. Au moment même de la période révolutionnaire - aboutissement d’un siècle de démythification et de démystification - le Marquis écrit dans cet esprit qui animait la société mais qui chez lui dépasse la critique habituelle. Le pamphlet est chez lui une manière de désobéir à une organisation rigide et étroite. Et si la liberté d’écriture de l’auteur ne provient pas directement d’une volonté de renier les codes littéraires, elle constitue un choix délibéré pour transmettre des idées subversives.

Ajoutons que l’amour du spectacle et l’emprisonnement ont été décisifs dans l’élaboration d’une telle œuvre. Le théâtre a été pour Sade une réelle passion. Elle est même si déterminante qu’elle finit par s’imposer comme la constante de sa vie tourmentée. Son père déjà était fasciné par cet univers et chez les Jésuites - chez lesquels il reçut son éducation - ce genre se situait au centre de la pédagogie. Il n’abandonnera donc jamais le théâtre et à la mort de son père, il fit édifier une superbe scène à l’intérieur du château reçu en héritage. Par ailleurs - comme le rappel le film superbe Marat-Sade de Peter Weiss - le divin Marquis a choisi bon nombre de ses maîtresses parmi les comédiennes et joua le maître d’œuvre de ses pièces pour les représentations jouées par les résidents de l’hôpital de Charenton où il mourut.

Emprisonné à maintes reprises (De Miolans à la Bastille), l’auteur a très souvent vécu coupé de la société. Et c’est dans les geôles qu’il écrivit beaucoup de ses textes. La claustration eut un impact considérable sur son imaginaire. Et l’on peut aisément concevoir l’imbrication de sa critique du théisme et son appel à la république comme une sorte de répercussion de son statut de prisonnier puisque, étant reclus et réduit au rang de spectateur passif des remugles du monde, il perçut de loin le monde tel un vaste théâtre, un jeu dont il ne faisait plus partie mais qu’il pouvait observer avec l’œil du spectateur.

Il put donner une vision de l’extérieur d’un monde organisé et au sein duquel chacun joue un rôle, où tout réside en une lutte perpétuelle des corps constitués dans l’écrasement du peuple. Sade prisonnier s’est livré à une longue réflexion au sujet des mécanismes politiques et religieux. L’isolement les lui a fait apparaître avec plus de clarté. L’écriture du Marquis devient une mise en scène du matérialisme newtonien capable de déchirer les forces politiques de la société et révèle l’hypocrisie sociale ainsi que des façades du pouvoir. Il matérialise aussi les régions de l’inconscient. Une telle écriture va du corps à l’esprit, du conscient à l’inconscient pour faire exploser ce que le pouvoir veut contenir et étouffer par la mort qu’il donne et veut donner. En ce sens Sade pollue le dialogue philosophique par ses pamphlets afin de conduire à une réflexion majeure pour délivrer une leçon anti-morale, anti-sociale.

Le livre « Les Mœurs » trouve le moyen de s’opposer au dualisme âme/corps - substrat du pouvoir politico-religieux - en penchant pour une entité indivisible où tout fonctionne de manière interactive. Toute pensée vient de l’expérience et vice-versa. Le Marquis parvient donc à élaborer un discours spécifique où se combine l’expression de la chair et de l’esprit en un cycle ininterrompu. De la considération rationnelle l’on passe à l’accomplissement du corps avant de retvenir à la dissertation logique jusqu’à ce que de nouveau la matière corporelle fasse retour, le tout sans dislocation possible.

Dans Les infortunes, il avoue : “ Instruire l’homme et corriger ses mœurs tel est le seul motif que nous proposons dans cette anecdote ». « Les Mœurs » sollicite l’aptitude de l’être à raisonner, afin qu’il sente le caractère indivisible de sa personne. Ce pamphlet devient un révélateur d’une nature que masquent les conventions et les préjugés religieux et sociaux. Avec lui la littérature se détache de ses habituelles manières de dire et de montrer qui la liaient à un genre. Il force par ce biais l’homme entier à se découvrir, un homme qui déborde de ses contraintes religieuses en vue du “contrat social ” sur lequel repose la possibilité de vivre ensemble. Un tel pamphlet reste un brûlot des pouvoirs qui ont enfermé l’auteur. Il leur rend - jusque dans leurs fondements - plus que la monnaie de leurs pièces.



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