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Lionel Jospin : « Le mal napoléonien »

Si Napoléon demeure la personnalité préférée des Français, le bilan de son règne n’en est pas moins très lourd. C’est ce que fait apparaître l’essai iconoclaste de Lionel Jospin

jeudi 2 octobre 2014 par Jacques Lucchesi

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Osons le dire d’entrée de jeu : les hommes d’aujourd’hui continuent de valoriser la force sur l’intelligence. Constat amer s’il en est. Devant l’engouement populaire que suscitent toujours des aventuriers mégalomanes, on se demande parfois à quoi ont pu servir les terribles leçons du siècle précédent. Pour peu qu’ils flattent habilement le désir de grandeur d’une nation, d’une ethnie ou d’une religion, ils trouvent toujours de jeunes brutes inemployées prêtes à mettre une énergie destructrice à leur service.

Cette longue lignée de putschistes et de dictateurs a un modèle tutélaire : Napoléon Bonaparte. Près de deux siècles après sa mort, il demeure la personnalité historique préférée des Français ; l’onomastique de nos rues et de nos places en fournit une bonne preuve. On reste stupéfait devant la multitude de sociétés et d’associations que la figure de l’Empereur a générées, non seulement dans notre pays, mais aussi dans le monde entier. Ce culte de l’homme providentiel, mélange d’énergie et d’intelligence rationnelle, n’est pas moins prégnant chez ceux-là mêmes qui devraient pourtant s’en défier : les intellectuels. Dans un récent numéro de « Technikart », l’académicien Jean-Marie Rouart disait ouvertement qu’il avait puisé chez Napoléon sa propre ambition littéraire. A chacun ses idoles, même si de tels propos ont de quoi laisser pantois. Sous l’angle de l’édition et de la librairie, l’Empereur fait toujours vendre ; et l’on ne compte plus, chaque année, les biographies – ou plutôt les hagiographies – consacrées à sa personnalité. De ce concert planétaire de louanges, « Le mal napoléonien » de Lionel Jospin se démarque salutairement. On ne présentera pas ici l’homme politique qu’il fut, à présent reconverti en essayiste. Car il s’est publiquement défendu d’avoir fait, avec ce livre, œuvre d’historien. Son projet, bien plutôt, a été de discuter des prétendus apports de Napoléon à la France et à l’Europe de son temps. Dans cet examen, point par point, étape après étape, de son parcours militaire, politique et familial, la balance – faut-il le dire ? – ne penche guère en sa faveur. Grand lecteur de Rousseau et des philosophes des Lumières, Bonaparte à ses débuts souleva beaucoup d’espérances, tant en France qu’à l’étranger. Mais l’audacieux général se transforma vite en despote guère éclairé (malgré un Code Civil dont il fut l’inspirateur), organisant les conditions de son propre culte, censurant la presse et les libertés individuelles, pratiquant un népotisme familial effréné, recréant une noblesse d’empire en lieu et place de celle abolie par la Révolution, quelques années plus tôt. Hors des frontières françaises, ce fut pire et le libérateur attendu se révéla vite un conquérant brutal, notamment avec l’Espagne et la Prusse. Cette dernière devait garder longtemps la mémoire de ses exactions. Elles ne furent pas de peu dans les guerres franco-allemandes qui devaient s’ensuivre en 1870, 1914 et 1939. Avec ses soldats (qui, pourtant, l’admiraient), Napoléon ne fut pas plus économe de leur sang, les poussant à de nombreux sacrifices au cours de ses campagnes successives. Sous son règne, la médecine militaire ne fit d’ailleurs aucun progrès. Au final, son appétit insatiable de conquêtes aura causé la mort d’au moins 600 000 conscrits et fait autant d’estropiés, provoquant pour plusieurs décennies une chute de la natalité en France.

Un tel homme aurait dû logiquement être abhorré par les générations suivantes. Il n’en est rien et lui à peine disparu, sa légende allait prendre le relais dans l’imaginaire collectif, entrainant des répercussions politiques rapides. C’est que Napoléon, malgré un bilan lourdement négatif, avait redonné aux Français la fierté et la confiance en leur valeur. Peu ou prou, ils se sentaient tous héritiers de sa prétendue grandeur. Dans la seconde partie de son essai, Lionel Jospin s’attache ainsi à recenser toutes les manifestations du bonapartisme après Bonaparte : résurgence de l’Empire à travers son neveu, Louis-Napoléon, exaltation du colonialisme, apparition d’hommes se voulant au dessus des partis comme le général Boulanger ou, plus tard, le maréchal Pétain. De ce dernier, on peut dire qu’il pratiqua un bonapartisme de repli dans une époque dominée par d’autres personnalités toutes atteintes du même mal napoléonien. Reste De Gaulle qui fut, à sa façon, un autre avatar du héros national ; mais il sut néanmoins ne pas céder au vertige du pouvoir absolu et de l’expansion indéfinie de la France, tout au contraire.

Au bout du compte cet ouvrage, vivifiant et intelligent, s’avère être autant un exercice de déconstruction mythographique qu’un plaidoyer pour un système politique plus pragmatique et plus social. On ne peut qu’en conseiller la lecture à tous ceux qui, affamés de grandeur nationale ou personnelle, restent nostalgiques de l’épopée napoléonienne.

(Editions du Seuil, 234 pages, 19 euros)

Jacques LUCCHESI



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