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Les jeunes filles (quatre tomes), Henry de Montherlant

Editions Folio

jeudi 1er décembre 2011 par Alice Granger

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Montherlant dit-il du mal des femmes, est-il misogyne ? Croit-il vraiment qu’elles sont des inférieures, devant se reconnaître « d’une race misérable », qu’elles sont trop infirmes « pour supporter la réalité », et ainsi de suite leurs tares, la lèpre, les furoncles ?

Les jeunes filles, dont j’ai lu attentivement les quatre tomes, nous présentent un personnage très discret, le jeune garçon fils secret du personnage principal Pierre Costals, qui me semble être une bonne clef pour entendre la logique à l’œuvre dans ce que l’on peut hâtivement prendre pour de la misogynie. Montherlant conclut d’ailleurs Les jeunes filles par une histoire concernant l’amour d’un professeur pour l’un de ses élèves. Ce professeur l’aimait tellement fort qu’il le persécutait… Peut-on comprendre ce que dit Montherlant des jeunes filles et des femmes, par la plume de son personnage principal, écrivain comme lui, sans tenir compte du fait que, par ailleurs, en matière d’amour, son étoile fixe, c’est ce jeune garçon ? « Quant à moi, j’ai un fils, et il est ce que j’aime le plus au monde. C’est pourquoi j’ai voulu qu’il fût préservé de la mère. J’ai fait en sorte que sa mère n’eût aucun droit sur lui. Et j’ai mis auprès de lui une femme qui n’est pas sa mère ; comme cela, il a chance de s’en tirer… J’ai peut-être empêché mon petit d’être dévoré. » Les grands fils aussi savent bien les bourdes de leur mère à leur sujet, mais n’en disent rien, par pitié pour les femmes… Pitié pour les femmes, tome 2 des Jeunes filles. Et Les lépreuses (tome 4) ne réussissent pas à contaminer le personnage principal…

Voilà qui est organisé pour toujours : pour sauver le jeune garçon (c’est-à-dire le garçon éternel en Montherlant alias Costals) de la mère dévorante, de l’amour maternel monstrueux et maladif, (dont on devine qu’aucun père, qu’aucun homme ne vient l’interdire, ne vient arracher l’enfant à une sorte d’entité matricielle collée à lui), il n’y a que la mise radicale à distance. L’infériorisation des femmes est certes une défense efficace, un travail de refoulement primaire, un processus implosif d’apoptose, une sorte de lente maladie involutive dont la mère ne se relève pas. Comment peut-on alors craindre un être aussi déchu, qui s’autodétruit de dérision, de sentimentalité, de dolorisme ? La toute-puissance est ainsi décapitée. Le jeune garçon est donc sauvé par ce processus de dévalorisation en règle. Qui se poursuit par la mise à distance : or l’ambiguïté totale fait rentrer par la fenêtre ce qui a été chassé par la porte, car on n’éloigne que ce qui reste extrêmement dangereux par le mirage narcissique qu’il éternise…

En fin de compte, jamais le jeune garçon, c’est-à-dire aussi celui qui reste le jeune garçon dans l’homme adulte (celui-ci s’aime lui-même lorsqu’il aime le jeune garçon, et aussi des camarades, des autres lui-même) ne se sépare, ne se sèvre, de l’amour maternel ! Au contraire, son problème c’est d’empêcher la disparition implosive de l’être qui le regarde avec cet amour total, monstrueux, unique. Alors, il le fait perdurer en substituant à la mère dévorante, inquiétante de non limite mais aussi par l’ombre de la mort qui est sur elle, une femme qui n’est pas sa mère. Car en effet, quelle est l’importance de cette mère qui ne se releva jamais vraiment de ses couches sur le jugement que Montherlant porte sur les femmes ? Quelle monstrueuse culpabilité est tapie au plus profond d’un garçon dont la naissance a cloué au lit cette mère qui fut jusque-là la jeune fille la plus singulière de Paris ? Cette femme de substitution, intacte, totalement au service du garçon secret de Pierre Costals, mais parfaitement gérée et debout, pour qu’il ne manque de rien, pour que le sans limite perdure, est la première d’une série infinie de femmes, chacune disponible et interchangeable, à l’image de la mère disponible mais, à la différence d’elle, sans ombre de la mort pour la plomber et rendre son amour monstrueux. Une série infinie de jeunes filles, dont le modèle secret pourrait être la jeune fille qu’était la mère avant son garçon, refoule la terrifiante jeune mère qui n’en finit pas de s’étioler en même temps que son amour massif pour l’enfant qui lui reste, aspire celui-ci à l’intérieur d’une matrice mortelle. Dans cette situation, il est logique que le jeune garçon ait été avec sa mère à la fois atroce et très complice…

Pierre Costals est un homme qui vit de ses rentes comme un fœtus dans sa matrice. Et il s’en sent discrètement castré… Alors même qu’il vit en homme parfaitement libre. Costals alias Montherlant retrouve donc à travers les jeunes filles du monde qui lui sont disponibles sa mère régénérée, jeune fille, mondaine, joyeuse. Le célibataire semble gros de sa mère jeune fille. Costals fidèle à la jeune fille. Mais en même temps dévoré par cette mère et dépendant d’elle comme d’un miroir. Parasité par elle qui, à travers les jeunes filles, devient, comme le dit Dante, vierge mère, et fille de son fils. Ainsi, le garçon, fils de cette mère, reste amoureux de lui-même, éternel Narcisse.

Le point central est donc que, comme par hasard, dans cette œuvre, Les jeunes filles, le personnage central Pierre Costals ne cristallise autour de lui, les attirant comme un aimant, que des personnages féminins sans homme, courant après lui comme pour se nidifier dans sa vie ou dans son oeuvre. Jamais de rival sérieux, qui le détrônerait. Jamais non plus de personnage féminin qui se présenterait sevré de lui, laissant tomber. Au contraire, un attachement hystérique, massif, tenace, exclusif, voire mystique. Lui qui entend jouir sans limite de femmes jeunes (c’est un point très important) qu’il voit dans la rue (par exemple à Gènes, où il se trouve pourtant avec Solange) ou dans le monde, voici qu’il limite les manifestations maladives, hystériques, tenaces, d’amour de ces femmes qui lui écrivent, tout en jouant avec elles comme un torero avec son taureau. Celles-ci reviennent de plus belle comme des hydres, très collantes (Andrée Hacquebaut est leur prototype, son amour scriptural repousse sans cesse malgré le silence et les mauvais traitements épistolaires de Costals). Une sorte de vague d’amour hystérique revient sans fin sur lui comme le fait un taureau titillé jusqu’au sang mais ne pouvant résister au foulard rouge que le torero agite de manière perverse. Costals torée de manière épistolaire, il est très habile pour mener la bête jusqu’à la mort juste en agitant le foulard rouge du sentiment !

Pendant ce temps, il jouit sans limite de femmes jeunes disponibles, qu’il cueille à sa guise, en jeune garçon à qui rien ne manque. Solange elle-même, alors qu’il est celui qui la rend femme, il fait très attention de la laisser jeune fille, ne l’épousant pas.

D’un côté, au fil des quatre tomes des Jeunes filles, la bête finit par être mise à mort (Solange Dandillot se marie et Costals lui écrit qu’elle lui est indifférente, Andrée Hacquebaut n’est plus intéressée par lui), et on pense à cette mère de Montherlant morte jeune, idem le père. De l’autre, reste Costals le garçon éternel, avec la série infinie de jeunes filles intactes pour le toréador.

Aucun rival sérieux ne vient jamais inscrire une limite dans la jouissance sans limite de cet homme entendant profiter pleinement des quatre saisons, et aimant plus que tout au monde le jeune garçon. Aucun personnage féminin n’apparaît non plus dans l’œuvre comme laissant tomber, comme n’accrochant pas. Il y en aurait sûrement, pourtant… Le bruit de la chute, de la destruction, du sevrage, serait la chose la plus intelligente à entendre…

L’axe très inquiétant mère/garçon, que Montherlant ne remet jamais en question, se contentant de l’aménager tout en continuant tranquillement à en jouir sans limite, par quoi est-il nourri ? Qu’est-ce qui le fait tenir ? Qui est derrière cette mère si inquiétante, si dévoreuse, maladivement toute à son garçon ? On pourrait certes dire que toute mère est emboîtée dans sa propre mère comme deux poupées russes très puissantes (Solange et sa mère sont en symbiose lorsque la perspective du mariage tombe à l’eau), mais encore ! Plus encore que la mère dévoreuse, le père certes aimant mais très sombre devant ce monstre qu’est pour lui son garçon, ce père qu’on imagine stupéfait devant l’œuvre terrible de la machine de la reproduction qui a métamorphosé une belle et vivante jeune fille en mère s’étiolant à jamais, ne serait-il pas cauchemardesque pour le fils ? Le mariage, auquel l’homme dit oui, accomplissant l’impératif de la reproduction humaine, inscrit une terrible bascule vers la mort, tout cela pour les beaux yeux du jeune garçon, ce monstre. Comment l’hippogriffe nuptial ne serait-il pas la bête noire de l’écrivain Costals, c’est-à-dire de Montherlant ? Tout sauf ça, on le comprend !

L’hippogriffe nuptial, bête noire cauchemardesque de Pierre Costals, apparaît dans Les jeunes filles comme une sorte de vortex qui est sur le point de l’aspirer, mais en très habile toréador il saura toujours la déjouer tout en jouant sa mise à mort.

La grande question en embuscade dans les quatre tomes des Jeunes filles est celle du croisement à haut risque entre l’axe mère/garçon et l’axe fille/père sous la haute surveillance de la mère emboîtant en elle sa fille. Le père de la fille, cette jeune fille du monde si vivante, est à la hauteur : il toise le futur mari, juge s’il sera à la hauteur à son tour. La jeune fille peut-elle échanger sans risque son père, qui l’assure et l’enveloppe si bien, contre un mari ? Dans la scène entre le père de Solange, mourant, et Costals son éventuel futur mari, tout se passe comme sur des roulettes, et la jeune fille peut en apparence changer de mains ! Mais dans la famille Montherlant, la jeune fille, passant par mariage des mains du père à celles du mari, s’étiole en devenant mère d’un garçon. Le mari, qui n’a pas assez fait attention aux dangers de l’hippogriffe nuptial, qui s’est fait prendre, on l’imagine se sentant castré, impuissant, dominé par son beau-père, homme mondain modèle de vie d’un Costals. Le sentiment de castration, d’impuissance à faire le bonheur de sa femme comme son beau-père réussissait à faire celui de la jeune fille encastrée dans sa mère, se renverse en attaque de l’infériorité des femmes, de leur idiote recherche du bonheur en s’agrippant aux hommes. Qu’est-ce qu’elles ont besoin, ces inférieures, de tanner les hommes pour qu’ils fassent leur bonheur ?

Or, cette dépendance des femmes, si bien mise en scène par Montherlant, dans une écriture superbe, qui abonde en métaphores extraordinaires, est aussi un nuage de fumée masquant l’autre dépendance, celle du jeune garçon, qui est, lui, par une femme étrangère interposée, materné par son père ! Le garçon éternel prétend à une jouissance sans limite pour toute la vie, mais l’homme ne veut rien savoir de la même prétention d’une fille à rester jeune fille pour la vie derrière la mère du garçon qu’elle doit être. Rejetant l’hippogriffe nuptial tel un cauchemar à tuer comme un taureau, l’homme laisse la jeune fille à son père, ou à un mari complaisant. Tel un garçon éternel, il prétend jouir sans limite d’une mère jeune fille qu’un père mettrait éternellement à sa disposition, une mère plus jamais inquiétante par son étiolement… Ce n’est pas parce que Pierre Costals est un éternel garçon à sa jeune fille qu’il ne reste pas un petit garçon à sa maman… La grande question qui se pose dans Les jeunes filles, et dans le jugement que Montherlant porte sur les femmes, est celle d’une sorte de placenta éternel au sein duquel le jeune garçon pourrait jouir sans limites des quatre saisons, sans qu’il ait besoin de l’assurer lui-même. Or, comme par hasard, on sait désormais que le placenta est d’origine paternelle. Costals est un type sans cesse à la recherche de jeunes filles assurées par un autre homme, et lui n’a qu’à entrer en leur sein pour jouir. On peut épiloguer sur la question du nom du père chère aux psys. On peut rapprocher ce nom du père, qui est aussi nom marital, du fait que le placenta est d’origine paternelle.

Or, cette entité cauchemardesque qui poursuit Costals, qui revient sans cesse sur lui d’une manière si tenace, si délirante, comme quelque chose d’immortel, de cancéreux, bref ce placenta fou, à la naissance il se détruit. Le cauchemar de l’hippogriffe nuptial au cœur des quatre tomes des Jeunes filles nous le présente au contraire comme ne disparaissant jamais. Le jeune garçon est dedans. Garçon unique. Il ne peut laisser tomber ce en quoi il entend se lover pour l’éternité… L’infériorisation en règle qu’il fait subir aux femmes ne serait-elle pas le masque de son sentiment d’impuissance et de son addiction narcissique au garçon éternel ?

En conclusion, Les jeunes filles, œuvre si intelligente et tellement en avance par rapport au maternalisme ambiant, pose la question d’un sevrage originaire des filles et des garçons. Pour qu’ils sortent de ça. Il y a quelque chose de très fou dans l’écriture de Montherlant. Par la plume de Costals, il ne cesse de débusquer, par sa position d’homme connu et public, des femmes qui s’accrochent à lui grandes ouvertes, comme désirant ardemment être tapissées à l’intérieur de leur ventre par un placenta scriptural… C’est pour cela qu’il y a de la folie dans toutes ces lettres. Par son œuvre scripturale, il les tapisse et se tapit lui-même dans ce curieux et embarrassant « succès », ceci sans jamais laisser tomber ! C’est son œuvre elle-même, Les jeunes filles, qui fonctionne comme le tapis volant fantasmatique rendant folles les jeunes filles provinciales qui s’y lovent de manière imaginaire, mystique, délirante . On a envie de dire à ces Jeunes filles : mais enfin, laissez tomber ! C’est ça que le garçon ne rencontre jamais : ce laisser tomber d’un placenta symbolique qui n’a plus de fonction ! Au contraire, l’écrivain Costals fait tout ce qu’il faut pour emballer la machine, il trouve intelligente et cultivée la laide et provinciale Andrée Hacquebaut. Il est attiré par la pure et jolie Solange entre papa et maman. Il rend folle la mystique Thérèse. Et il va se réfugier quand il veut dans le giron d’amies prostituées toujours disponibles… Mais en fin de compte, dans Les jeunes filles, le « laisser tomber » réussit quand même à s’écrire. Les protagonistes féminines principales de cette œuvre lâchent prise, laissent tomber. Mais lui, le garçon, non… Puisqu’il reste le garçon de ces Jeunes filles dans sa Pitié pour les femmes, n’attrapant pas la peste avec Les lépreuses… Ah non ! Il l’a vu venir, Le démon du bien, le monstrueux hippogriffe ! Et Costals, alias Montherlant, est plus assuré que jamais dans un mode de vie qui se calque sur celle… du père de la mère de l’auteur ! Comme si le jeune garçon si aimé était le fils du père de la mère, en vérité… Ce qui permet à la mère de rester l’éternelle jeune fille de son père, n’y renonçant jamais pour le substituer par un autre homme. L’étiolement fatal de cette mère, étiolement involutif, régressif, de la jeune fille, est une mise en cause radicale du mari, forcément pas à la hauteur comparé au père… Alors, misogynie de Montherlant, ou bien pédophilie ? Se fondant sur le fait qu’aux yeux de la fille un mari ne peut qu’être castré par rapport à son père dont la jeune fille se pare comme d’un phallus ? Ceci se fondant sur le fait que la mineure de fille aurait éternellement besoin d’être assumée par son père, devenant alors elle-aussi puissante ? Donc que le père de la mère, en maternant sa fille, materne aussi le jeune garçon de celle-ci. Le jeune garçon, dans ce dispositif, n’a plus qu’à s’aimer pour l’éternité, à travers les garçons, et garçon de ces jeunes filles…

Alice Granger Guitard



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