J. Edgar - Clint Eastwood
mercredi 11 janvier 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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CLINT EASTWOOD : DEFILEMENT DU DEFILEMENT

Clint Eastwood n’est pas ma tasse de thé. « J. Edgar » ne me fera pas changer d’avis. Le film est comme toujours bavard donc faible. Il s’agit d’un maquillage lisse, grossier et d’un académisme dégoulinant jusqu’à une bourre musicale imbuvable et lourdingue. On retrouve ici la grande faiblesse de l’œuvre du réalisateur : la volonté de transparence des personnages. Elle ne passe pas par les images mais par du bavardage, de la parlotte, du prêchi-prêcha qui se veut, en dépit de ses outrances, toujours de bon aloi. Et dans ce film c’est à peine si on peut sauver de son gras les quinze dernières minutes plus allusives.

Le biopic de J. E. Hoover suit le personnage de 1919 à 1972. Se découvre la photographie ou le cliché d’un héros - parfaitement incarné au demeurant par Leonardo Di Caprio - obnubilé par la terreur communiste, précurseur des polices scientifiques et autres « experts » de tout crin. Maître aussi de la prospérité des dossiers puants au nom de la moralité et des saines valeurs.

Hoover devint ainsi l’homme le plus puissant des Etats-Unis. Huit de ses présidents eurent besoin de lui ou le craignirent. Pour autant, et en guise de clé, Eastwood tente de régler le parcours du patron du FBI - « Petit homme horrible et effrayé » si l’on en croit les mots de sa mère dans le film - par une pirouette psychanalytique. Parole donc est donnée à la génitrice qui avoue préférer savoir son fils mort plutôt qu’homosexuel.

N’est-ce pas là pour paraphraser Cronenberg une « dangereuse méthode » et un cliché sommaire ?… Et que le scénariste du film soit le même que celui de Gus van Sant pour « Harvey Milk » cela n’enlève rien à la psychologie de bazar illustrée par Eastwood. Le sujet aurait pu être ambitieux et passionnant, il s’agit de mettre en scène le diable en personne, mais le réalisateur le transforme en momie.

Mi Gepetto, mi Mabuse il n’est même pas situable entre sa première image d’Epinal cinématographique sous les traits de James Stewart dans les années 50 et celle du film contre-pied de Larry Cover quelques années plus tard. Pourtant J. Edgar est un personnage totalement eastwoodien. Il y a en lui du Dirty Harry pris entre la question du bien, de la loi et de la violence. Pris aussi dans un vieillissement obsessionnel délirant. Pour autant le réalisateur brade ses personnages - comme Ford le faisait - par un parti pris de mise en scène classique, purement narrative et sans la moindre surprise.

« J. Edgar » reste comme « Bird » : un désert d’ennui. Entre charge et hagiographie le réalisateur garde une prudence ou si l’on préfère un manque de point de vue cher aux conservateurs de tous pays. La règle demeure « je ne fais pas de politique, je fais du cinéma ». C’est vieux comme le cinéma. Et comme la politique.

Certes Eastwood « illustre » comment la mythologie de l’ultra-protection se renverse en paranoïa. Hoover est à sa façon un Citizen Kane. Mais le réalisateur n’est pas Welles. Les flash-back des deux biopics ne créent en rien les mêmes expériences de temps associées à ce procédé filmique. Chez Welles l’image est traitée temporellement par balayages, chez Eastwood le chevauchement engendre une composition sage de parfait défilement sans véritable engagement.

Tout compte fait « J. Edgar » n’est pas un film. Ou à peine. C’est un passage d’images dont le défilement se défile. Le spectateur est à la fois en position de voyeur et de voyageur entretenu seulement dans le leurre du leurre que représente par essence le cinéma hollywoodien. Ce spectateur s’envase dans un flot d’images et de sons. Sa vue et son ouïe s’enlisent dans un bain de lenteur là où pourtant il y a « de l’action ». Plus que retenu le temps est entretenu presque artificiellement. En dépit de la prestation de Di Caprio on a hâte que finisse la torpeur revival d’un tel pensum.


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