La cité des hommes, Dominique de Villepin

Editions Plon, 2009

mercredi 30 août 2017 par Alice Granger

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Dominique de Villepin présente ce livre, « La cité des hommes », comme un exercice d’émancipation. En le lisant, nous nous rendons compte en effet que cet ouvrage est un très généreux et brillant acte de transmission qui rend possible de nous émanciper ! Car sa lecture nous permet d’acquérir une capacité de jugement, de responsabilité, d’espérance, de sevrage bien sûr, s’appuyant sur une vraie connaissance de l’état changeant du monde, de son histoire, de sa géographie. En particulier, il nous montre comment à chaque fois les crises de l’histoire ont permis de faire les premiers pas d’une construction d’un destin mondial commun en dégageant un intérêt général permettant de dépasser les conflits, les blessures, les impasses. Nous voyons par cette plume inlassablement au travail en direction de l’intérêt général le monde s’ouvrir, et par la crise de 2008 trembler plus que jamais et différemment. Comme les autres grandes crises de l’histoire, celle-ci, différente des précédentes car les acteurs sont vraiment mondiaux, peut nous offrir si nous savons la saisir la chance d’une organisation mondiale du vivre ensemble des humains, faisant naître un nouvel humanisme comparable à celui de la Renaissance. Notre giron français, européen ou occidental où certains nous promettent le retour du bonheur se fissure et nous met dehors à l’épreuve de vérité qu’est la fin de l’hégémonie occidentale dans le monde devenu multipolaire. La crise de 2008 ouvre une nouvelle ère pour la mondialisation.

Dominique de Villepin fait tomber le couperet : c’est un fait, nous n’y pouvons rien, notre hégémonie est terminée, nous ne sommes plus le centre du monde mais qu’une partie, nous ne pouvons pas revenir en arrière ! Cette parole qui dit le bouleversement du monde, ainsi que ses tremblements et ses menaces, nous ouvre littéralement les yeux, nous sommes nés, nous sommes au monde, ceci aussi est un fait, nous n’y pouvons rien, et dans ce monde, nous ne sommes pas seuls, il y a les autres qui sont ce qu’ils sont en fonction de l’histoire, de la géographie, de blessures parfois anciennes, et qui ne sont pas des étrangers sauvages auxquels nous aurions l’arrogance d’apporter la civilisation ! Nos yeux naissants, par cette parole qui nous tire avec autorité et responsabilité dehors dans la réalité de notre monde, de notre planète terre, ne peuvent pas se refermer sur la croyance à un giron occidental, voire français, qui resterait comme avant ! Cette parole, inconfortablement généreuse, ne cautionne pas l’ancien monde, le vieux pays, le giron, où nous voulons, nous Français, nous Européens, nous Occidentaux, nous accrocher comme si la crise allait cesser et que tout reviendrait comme avant, et même en mieux comme peuvent le promettre des personnages démagogues ou se voulant providentiels ! Cette parole me fait penser à celle d’un père qui n’évite pas à ses enfants cette vérité d’un changement sans précédent, qui est une véritable coupure, un chamboulement irrémédiable ! Et même, cette parole me fait penser à un père qui se sent responsable du devenir de tous ces enfants auxquels il s’agit d’ouvrir littéralement les yeux sur la réalité du monde dans lequel ils commencent à vivre et où ils doivent réussir à s’associer à un projet mondial de vie commune sur la planète terre où des urgences précises attendent déjà leur part d’engagement. Cette parole me fait penser à celle d’un père qui ne peut pas ne pas leur transmettre son savoir et son expérience, qui ne peut pas garder cela pour lui, qui ne peut pas ne rien faire, et qui sème alors inlassablement, dans ce livre et chacun de ses autres livres, des graines de responsabilité, d’émancipation, d’espoir, de sevrage, de liberté, de solidarité, d’humilité ! Cette parole me fait penser à celle d’un père qui dissipe la douceur trompeuse qui semblait éternelle d’un lieu surplombé par une sorte de fantasme de toute-puissance maternelle, comme si c’était ça le pays de la vie. Cette parole me fait penser à celle d’un père dont la lucidité (mot dans lequel il faut entendre « luce » c’est-à-dire lumière en italien) vaut tremblement de terre qui détruit l’abri qui n’était pas fait pour retenir, vaut un « dare alla luce », comme on dit « donner le jour » en italien. Par cette parole forte, l’abri qu’est le vieux pays est forcé de donner à la lumière, au dehors, au monde dans lequel vivre ! Les enfants croyaient que c’était comme un monde maternel où rien ne manquait et que c’était le père qui assurait tout ça, ayant le pouvoir de tout faire continuer comme si rien ne lézardait la fragile membrane de l’abri… Les enfants (ou bien nous Français, Européens, Occidentaux) croyaient que la France, que l’Europe, que l’Amérique, que l’Occident n’étaient qu’une métaphore d’un lieu maternel matérialisé et sans limite, et imaginaient dans cette logique qu’ils vivaient au centre du monde s’imposant comme paradigme pour le monde entier ! Les enfants croyaient que les personnages du pouvoir, tel le père puissant, n’avaient pas d’autre mission que de faire fonctionner ça, que de restaurer ça, que de rendre accessible ça au peuple injustement exclu. Les enfants croyaient que c’était ça que les humains du monde entier devaient désirer matérialiser dans leur propre vie. Au contraire, dit cette parole forte, les enfants, ce n’est plus le temps de vous refermer dans votre abri confortable, car vous vivez dans un monde ouvert, bouleversé, où la compétition est rude, où les équilibres de force ont changé ! Et ceux qui se croyaient des enfants à l’abri ne peuvent refermer leurs yeux sur ce fait contre lequel ils ne peuvent rien, et pas non plus l’homme de pouvoir qu’ils croyaient avoir pour père ! Cette parole forte qui nous dit sans que nous puissions nous défiler que le monde tremble, qu’il a changé, que nous devons nous adapter, apprendre à devenir citoyens du monde, bouleverse aussi absolument le statut des femmes, jusque-là arrimé au dogme d’un abri qu’elles incarneraient pour toujours pour leurs enfants, le dogme de la mission d’être mère pour toujours volant en éclats si ces enfants dans le monde ouvert se sèvrent et quittent cet abri pour vivre leur vie émancipée de citoyens-monde. Cette parole (même si le livre n’en dit rien une femme lectrice peut réussir à le lire comme une conséquence logique) fait ouvrir les yeux naissants des femmes sur une autre vie, sevrée du pouvoir que c’est, d’incarner un doux abri comme s’il n’était pas trompeur… D’une certaine manière, cette parole forte, qui ne masque pas la vérité du bouleversement du monde, nous bouscule profondément dans notre rapport à la représentation politique. Jusque-là, nous croyions, comme des enfants, à l’homme politique fort comme à un père fort, qui nous représentait pour nous assurer un pays où vivre à l’abri. Les yeux fermés, nous le laissions nous représenter, nous les laissions, nos élus, nous représenter, ils sauront faire pour nous construire l’abri, et nous n’aurions pas à penser aux risques du dehors, du monde. Dans ce livre, comme dans les autres, Dominique de Villepin fait tout le contraire ! Il n’est pas l’homme fort protecteur contre les secousses et les menaces du monde, il ne nous laisse pas croire qu’il n’y a pas de puissances plus fortes que notre Europe et que notre Occident dans le monde ! Il nous réveille, il nous fait sentir les tremblements dans notre pays également ! Il nous fait sentir un monde, dont notre pays fait partie, qui change, le changement est une réalité dans laquelle nous devons apprendre à faire face. Donc, dans cet acte puissant d’émancipation, il n’y a pas de tragédie ! C’est tout le contraire, et la tragédie, ce serait de ne pas nous préparer, de ne pas nous former, de ne pas nous éduquer, à vivre dans ce monde où nous avons aussi notre place, notre mot à dire, notre indépendance à faire entendre, notre singularité à faire rayonner, nos intérêts à défendre dans le respect des intérêts des autres ! Dominique de Villepin est un véritable passeur qui n’en finit pas, dans les plus petits détails, de nous expliquer le monde d’aujourd’hui, de demain, sur la base du passé, de l’histoire, de la géographie, des blessures et humiliations, et aussi des legs de ce passé. Il ne nous abandonne pas seuls au monde, au contraire il nous accompagne comme un prédécesseur plein d’expériences, et qui ne les garde pas pour lui. Il nous offre avec une grande générosité intellectuelle l’opportunité de nous sentir, individuellement, acteurs avec les autres d’un vivre-ensemble à inventer et à construire pas à pas, dans une culture du compromis et de la tolérance, dans un monde où la cité des hommes est devenue la cité-monde, mais où tout n’est pas déjà tout fait sans que nous ayons à y participer individuellement déjà en nous éduquant, en cessant par conséquent d’être passifs dans nos modes de vie, dans notre compréhension des équilibres du monde, dans notre pensée magique. En nous éduquant livre après livre, avec une telle minutie et une telle ténacité, avec une si grande énergie engagée dans l’écriture qui seule peut atteindre chacun de nous. Une écriture qui parie sur la capacité individuelle à comprendre sans laisser personne sur le bas-côté de l’ignorance, ce bas-côté où l’on ne manque pas d’être fonctionnel pour ceux qui peuvent s’asseoir confortablement de représenter ceux qui de rien deviennent ainsi quelque chose pour leurs sauveurs !

Dominique de Villepin nous tend un miroir dans lequel, si nous nous émancipons de nos infantilismes, de notre passivité, de nos peurs, nous nous voyons devenir citoyens du monde ! Livre après livre, en variant les points de vue, il nous ouvre le monde, il nous tire dans ce monde, il ne nous épargne pas les secousses et les menaces planétaires qui ne datent pas d’aujourd’hui comme il nous le démontre par ses rappels des crises de l’histoire mondiale qui ont toutes ouvert sur un nouvel équilibre, et avec insistance il nous donne les armes intellectuelles pour nous sentir acteurs et en capacité de définir dans l’intérêt général un projet planétaire commun. Livre après livre, nous faisant cadeau d’une telle somme de savoir et d’expérience, nous en nourrissant, nous éveillant, il entreprend de manière inédite, parce que le livre est destiné à chacun de nous même si peu encore s’en aperçoivent et saisissent leur chance, d’éduquer notamment à un niveau politique en partageant son érudition et son expérience toute une part de population qui ne compte pas encore réellement en matière de pouvoir. Il nous fait acquérir une raison qui seule pourrait faire advenir une nouvelle Renaissance et un nouvel humanisme ! L’insistance, la ténacité exceptionnelle, c’est ce qui me frappe dans les livres de Dominique de Villepin que j’ai entrepris de lire les uns après les autres, pas forcément dans l’ordre de leur parution. A chaque fois, il fait le pari d’une ligne directe avec le lecteur, dans cet acte de partage qu’est un livre dont le haut niveau indique qu’il ne sous-estime pas ceux qui le lisent ! Nous constatons dans cette ténacité qui se réaffirme de livre en livre qu’il oriente peu à peu autrement qu’en faisant de la politique en étant aux affaires la mise en acte d’une promesse qu’il s’était faite en regard de ceux qui, sur la planète, ne comptent pas, dont il s’est aperçu de l’existence depuis son enfance, qu’il n’a jamais oubliés depuis, auprès desquels il s’est rendu compte qu’il ne peut revenir vraiment qu’avec ce travail et cet investissement tenace de l’écriture qui réitère l’invention de l’imprimerie en la liant à la révolution numérique. Il nous vient l’idée qu’il entreprend par une démarche réellement éducative et de partage sans discrimination de sa passion de la politique et de la diplomatie de faire bouger ce qui, tel un tabou, rend la France ingouvernable : le fait que le peuple, celui à propos duquel certains parlent de gens ou même de vrais gens comme s’il y en avait des faux, un peuple censé être devenu souverain à la suite de la Révolution française n’occupe en vérité pas ce trône de la souveraineté, restant un tiers-exclu. Le tabou, c’est de ne jamais donner à ce peuple de réel accès à une sorte d’éducation politique, civique, historique, diplomatique, donc de veiller en secret à ce qu’il n’acquiert jamais de vraie maturité politique. Le tabou, c’est d’entretenir un statut de mineur pour le peuple, c’est qu’il ne soit jamais réellement émancipé mais qu’il soit toujours représenté comme parlé car ne parlant encore pas lui-même mais supposé être deviné dans son désir de satisfaction comme au doigt et à l’œil de ses intérêts personnels mais sous forme de miettes ou d’aumônes. Cette représentation permettant à ceux qui représentent ce peuple des rentes de situation où des intérêts personnels sont effectivement assurés comme si c’était l’unique horizon de chaque vie, car nos élus dont nous nous sommes habitués à voir l’état reconduit souvent pendant des décennies ont une vie plus confortable que celle de la grande majorité des « gens » qu’ils représentent et incarnent matériellement ce dont tous rêveraient comme horizon immobile. Car ainsi, le peuple est dépendant de ceux qui sont, eux, capables de les représenter, qui ont leurs voix par les promesses de défendre d’en haut leurs intérêts particuliers qu’ils ne peuvent défendre eux-mêmes. Le peuple non réellement éduqué est alors fonctionnel pour ceux qui, en les représentant, sont assurés d’un statut assis parfois pendant plusieurs décennies ! Mais voici que des livres, ceux de Dominique de Villepin, les uns après les autres, entreprennent comme dans un silence général mais ne désespérant pourtant pas, en allant instruire directement ceux qui constituent ce peuple sans réel pouvoir, de court-circuiter cette ancienne manière de faire de la politique qui a besoin du statut des victimes (où c’est toujours l’autre parti, celui au pouvoir, qui est le méchant que le bon parti, dans l’opposition, dénonce en promettant d’être lui capable de vraiment représenter et défendre les exclus) pour obtenir des postes et des rentes de situations. Donc, oui, ces livres si exhaustifs, qui encore et encore offrent un savoir de haut niveau, rien d’une vulgarisation mais au contraire avec toujours le pari que le lecteur est capable de se nourrir en grandissant et en s’émancipant, nous semblent court-circuiter, mais comme encore dans l’ombre, comme n’ayant pas encore pris tout son sens, les ambitions politiques de ces personnages providentiels dont le fonds de commerce a besoin d’un peuple qui subit, qui est victime, qui ne peut pas tout seul, des tiers-exclus dont la voix ne peut se faire entendre que si LA voix en quelque sorte paternelle la représente, que si le bien se justifie par le postulat du mal, que si le bouc émissaire est désigné. La représentation se fait encore sur le modèle des enfants mineurs qui ont besoin de bons parents pour décider pour eux, qui ont toujours la solution, et surtout garantissent un monde fermé sur son bonheur, sur son bien-être, sur les intérêts personnels défendus, un monde où l’économie a tout son sens de gestion de la maison, ici la maison France, dans lequel cette économie pour les habitants à titre individuel n’a pas de raison d’être liée à la politique puisque ceux qui les représentent sont supposés savoir tout régler, en tout cas c’est ce que promet à chaque élection le parti qui va gagner et qui dit, cette fois c’est la bonne, nous on pourra ! Voici des livres qui font le pari d’un peuple éduqué ! Les enfants, dans le giron familial, croient que les parents, et en particulier le père puissant grâce auquel le giron maternel est à toute épreuve, ont le pouvoir de changer les choses menaçantes, afin que rien ne change ! Ainsi, le bonheur, si un danger l’a fait un peu disparaître, peut revenir… Dominique de Villepin n’est pas ce genre de père en politique. Au contraire, et sans doute dans son enfance son propre père l’a-t-il jour après jour sensibilisé aux secousses du monde et aux changements inéluctables des équilibres de la planète, Dominique de Villepin par son écriture si brillante et si riche inlassablement nous dit que notre monde est fait de beaucoup de choses que nous ne pouvons pas changer, contre lesquelles nous ne pouvons rien, ce qui nécessite alors la politique à un niveau mondial, la diplomatie, le dialogue avec toutes les parties autour de la table, la culture du compromis ! Et cela, c’est inédit ! C’est sa force incroyable, sa ténacité ! Alors, s’il y a des choses, des autres, des pays, un monde nouveau, que nous ne pouvons maîtriser ou modifier à notre convenance, s’il y a des crises, des menaces, des montées en puissance de pays émergents qui font tellement trembler le monde que nous ne pouvons plus reconnaître le nôtre comme un giron protecteur où nous pensions être installés, alors nous n’avons pas d’autre choix que de chercher à nous adapter ! Comme des sortes de migrants qui ne peuvent plus revenir en arrière, et qui sont forcés de faire leur vie dans un monde nouveau, le déracinement originaire étant sans espoir de retour. Comme l’écrit si bien Patrick Chamoiseau, nous sommes tous des migrants, et les migrants d’aujourd’hui sont nos frères !

Dominique de Villepin évoque souvent le caractère tragique et sacrificiel inhérent à l’engagement politique aux plus hauts niveaux, et c’est un peu énigmatique. Sauf si nous nous interrogeons sur le sens de ce retrait de la politique qui s’effectue après le départ de Matignon, mais qui n’est vraiment… un sacrifice qu’en 2012, lorsqu’il renonce à se présenter à l’élection présidentielle. On dirait qu’en 2012, le choix est fait, c’est-à-dire le sacrifice d’une ancienne manière de faire de la politique. Quelques années avant, il avait évoqué ce dernier témoin, anticipant avec son départ de la politique une nouvelle façon de faire de la politique. Mais comment ? Dans ce livre mais pas seulement, il dit, avec le citoyen-monde ! Mais voilà, ce citoyen-monde, on doit lui offrir les moyens de s’éduquer, de s’éveiller, et surtout de s’émanciper ! Longtemps, Dominique de Villepin est double, sa passion de la politique et de la diplomatie, de l’histoire, de la géographie mondiale, il la vit à la fois dans l’engagement politique et par l’écriture. L’écriture, c’est toujours une ligne directe avec chacun des humains habitant le pays, la planète, elle lance une bouteille à la mer en pariant qu’elle arrivera sur l’autre rive, tout en pensant que c’est improbable, parce que le lecteur, c’est quelqu’un d’autre, et que sa lecture est en relation avec le point où en est sa révolution intérieure, sa maturité intellectuelle, son indépendance, l’échange qui s’effectue par la lecture témoignant de cela. L’homme politique, peut-être qu’en France, jusque-là, par reconduction tacite depuis la Révolution française, arrime son pouvoir sur un malentendu, faisant comme si le peuple était vraiment souverain, et pourtant faisant comme on fait avec les mineurs, comme le font les parents avec les enfants, décidant pour eux, pour leur bien, pour le progrès, pour un pays giron familial où la guerre civile entre les enfants est toujours à juguler pour un semblant de paix. L’ancienne manière de faire de la politique, un peu la politique de papa, qui est fort, érudit, qui a toutes les qualités, c’est d’y croire, qu’on a le pouvoir de réformer le pays, que cette fois c’est sûr on va avancer, il y aura notamment plus de justice sociale, l’esprit de la Révolution française sera retrouvé. Et puis non, ce n’est pas possible. Donc, voici l’homme politique Dominique de Villepin, passionné de politique mais aussi de livres, qui semble ne jamais renoncer par-delà sa lucidité à propos de l’impossibilité de gouverner la France à tenir la promesse qu’il s’était faite enfant, qui définitivement en 2012 sacrifie sa vie politique active. Au fond, ne sacrifie-t-il pas celui qui avait joué le jeu d’un pouvoir en quelque sorte paternel d’assurer une France dans laquelle la vie serait enfin juste, dynamique, paisible ? Il sacrifie une belle image. Et choisit l’autre voie, commencée depuis longtemps elle aussi. La voie qui montre le tremblement du monde ! Qui dit que c’est comme ça, on n’y peut rien, on ne peut plus croire qu’il est possible dans notre giron français de retrouver notre paradis perdu. On n’y peut rien, surtout lui il ne peut rien pour nous mettre à l’abri de cette crise à nulle autre pareille, celle de 2008, qui ne nous permet plus d’ignorer que nous sommes dans ce monde plein de menaces, de compétitions où nous ne gagnerons pas à tous les coups. Comme son père autrefois en se tenant au courant des secousses du monde chaque jour donc en les faisant entendre à sa famille par ailleurs privilégiée, ses livres restent pour ancrer un acte politique d’une autre nature : car c’est un acte politique que de dire, le monde tremble (c’est le premier chapitre de ce livre), le monde a changé, l’hégémonie occidentale n’existe plus, et nous n’y pouvons rien, vous n’y pouvez rien, mais surtout, je n’y peux rien, moi le père en politique, qui ai assumé des fonctions de pouvoir, là, je n’y peux rien, je ne peux pas vous protéger de ça, je suis impuissant à vous rassurer dans un abri que j’avais cru avoir le pouvoir de vous assurer à nouveau. Je ne suis pas celui que vous avez cru, surtout celui que j’ai cru être, fantasmé d’être, cette belle image narcissique de moi dans le miroir. Je la sacrifie, cette belle image de pouvoir qui fut moi, et qui n’était pas tenable, qui me valut tant de nuits les yeux ouverts dans l’hôtel de l’insomnie ! L’homme politique qui, tel un père puissant et aimant, promettait de mettre à l’abri son peuple, d’enfin gouverner la France et de faire s’y réconcilier les frères ennemis, réalise que cette promesse-là d’une sorte d’avenir plus heureux pour les siens, les Français, était intenable. Restent les livres. Acte politique d’émancipation. La cité des hommes est en train de devenir une cité-monde. Il y a là une poésie infinie, bien qu’inquiétante. La lecture de ce et ces livres fait ses premiers pas sur une terre-monde d’une inquiétante poésie, la première impression est tout le contraire de la dépersonnalisation sous le coup d’une inquiétante étrangeté car un passeur d’une grande générosité et d’une rigueur tenace nous ouvre le chemin, il était resté inconnu si longtemps, mais enfin le voici, mettant des mots là où il y avait le silence si parlant pourtant ! En tant que lectrice, moi-aussi tenace car depuis toujours cet inconnu m’avait déjà en faisant trembler le monde familial d’alors ouvert le monde, bien que de la génération de Dominique de Villepin je me sens encore contemporaine de l’enfant que je fus en train d’écouter des paroles m’ouvrant et m’expliquant aujourd’hui le monde complexe, des paroles dont ce silence que j’écoutais depuis toujours était gros dans cette enfance abandonnée à la vie et si inexplicablement chanceuse. Dans cette lecture, je me sens aussi femme en train de ne plus occulter aux enfants les tremblements du monde mais au contraire ne craignant plus de les abandonner à ce monde ouvert je saisis plus que jamais bien que sensible à cette question-là depuis toujours à quel point une femme doit renoncer à croire que sa mission et son destin c’est d’être mère pour toujours en fantasmant d’assurer autour d’elle un giron et un abri indestructible. Dans cette lecture, en tant que femme je m’incline devant l’homme fort, l’homme de pouvoir, qui a sacrifié la belle image de celui qui peut assurer cette sécurité et ce bien-être intérieur fermés sur une économie jamais menacée, et qui fissure définitivement après la naissance ce giron, modèle du pouvoir pour le pouvoir d’ancien régime de la politique. Alors seulement, cette lecture me le confirme, le bien-être à la fois matériel et psychique par la joie de vivre, ces intérêts personnels, ne peuvent être organisés qu’à partir d’un intérêt général défini au niveau mondial, par les humains ensemble ! Je pense au mot de Dante, au Paradis de la Divine Comédie, « trasumanar », et à la traduction de Philippe Sollers, « transhumaner », c’est-à-dire passer à travers l’humain.

Si au cours des années au sein du pouvoir - à propos desquelles dans ses livres Dominique de Villepin évoque l’enfermement et le fait d’être en réalité loin des Français - il fut frappé par cette dimension de sacrifice et de tragédie inhérente à l’exercice du pouvoir, n’était-ce pas comme se sentir devant la nécessité d’un sevrage intérieur d’une image narcissique puissante de soi ? Et à partir de là de laisser tomber l’idée d’un pays giron que l’enfant expatrié idéalisait, de renoncer à l’abri faussement garanti par l’hégémonie occidentale qui n’existe plus, de se déraciner pour toujours d’avec cette matrice originaire pour aller dans l’ouverture du monde ? Lorsqu’il renonce à être un homme politique actif de premier plan, par ses livres il nous ouvre des perspectives inédites si nous n’avons pas peur, si nous ne nous replions pas. Ce sacrifice, cette sorte de tragédie narcissique traversée par l’homme politique qui accepte de disparaître, est un vérité un geste fondateur qui abandonne au monde ouvert, changeant, multipolaire, terrestre, où les nombreuses menaces exigent l’urgence d’une définition de l’intérêt général en commençant, chacun de nous habitant de la terre, à nous demander si oui ou non nous voulons vivre ensemble. Dans ce monde ouvert, où tout est interdépendant, où une rupture d’équilibre des forces à un endroit depuis toujours a des conséquences partout ailleurs, Dominique de Villepin nous démontre brillamment dans chacun de ses livres, et plus précisément dans celui-ci, que les intérêts particuliers ne peuvent être vraiment défendus et sauvegardés que si l’intérêt général, celui d’un équilibre mondial vivable, celui d’une humanité réconciliée, celui d’une nouvelle Renaissance humaniste, est d’abord défini et organisé. Nous ne pouvons plus rester agrippés à nos intérêts particuliers, que ce soit ceux des individus ou ceux des pays, et croire comme des enfants mineurs que l’intérêt général est assuré d’en haut pour nous et par l’hégémonie occidentale. L’œuvre de Dominique de Villepin instruit, éveille, éduque inlassablement, répétitivement, méthodiquement, généreusement, afin que nous réussissions à saisir la nécessité absolue d’une définition de l’intérêt général. Donc, voici une œuvre qui, pour la première fois réellement, nous est offerte dans l’intérêt général. Bien sûr, aucun être humain sur la planète ne doit perdre de vue son intérêt particulier, qui commence donc par une qualité matérielle de vie que l’industrialisation, les sciences, le progrès, voire l’américanisation planétaire ont rendu possible mais avec pour autre face une perversion liant des profits faramineux à la création incessante de besoins ! Mais, dans ce monde changé, ouvert à une mondialisation nouvelle qui est un fait que l’Occident ne peut pas changer car il n’est plus maître du monde pouvant continuer à imposer ses idées, changeant en permanence, où la compétition est plus vive que jamais, cet intérêt particulier ne peut plus être garanti localement, dans un repli sur soi, comme une sorte de retour du bonheur qu’un père promettrait à des tiers exclus à nouveau inclus par la contagion émotionnelle d’un verbe haut. L’intérêt particulier n’a pas d’autre choix que celui de l’engagement de chacun en vue de l’intérêt général. Et il s’agit là d’une révolution intérieure, afin de devenir un citoyen-monde ! En premier lieu celui-ci est conscient des tremblements du monde qui symbolisent ceux de la naissance. Puis devant les menaces qui minent le vivre ensemble planétaire et local il devient un citoyen responsable (par exemple les menaces climatiques et environnementales peuvent faire que chacun de nous commence à changer ses habitudes de vie). Puis il se rend compte que la paix à sauvegarder est un travail à accomplir partout en tenant compte de l’histoire notamment toutes ces humiliations du passé qui sont des bombes à retardement toujours actives et des différences géographiques. Puis il a conscience de l’impératif de la justice par laquelle aucun humain sur la planète ne doit rester exclu avec ce que cela implique d’organisation commune pour s’attaquer à la faim, à la pauvreté, à l’insécurité. Enfin vient pour le citoyen-monde l’épreuve de l’autre qui éduque à la solidarité car être indifférent au malheur de cet autre proche ou lointain est aussi une bombe à retardement de violence, de guerre civile. Puis c’est seulement lorsque l’intérêt général est mis en acte, par ce long cheminement de l’émancipation qui part de l’acceptation de l’ouverture au monde par ces tremblements appelés aussi crises, que l’audace de l’indépendance peut s’affirmer, comme le temps du retour aux intérêts particuliers alors protégés dans leurs diversités par l’intérêt général. Cet intérêt général étant une question d’équilibre, de compromis incessant, d’avancée pas à pas dans une guerre défensive et diplomatique contre toute tentative d’hégémonie d’une des puissances mondiales ou contre les embrasements de tel et tel foyer de violence resté en rade parfois des millénaires. L’intérêt général, par exemple, c’est d’une part d’avoir conscience que non, les risques de guerre ne sont pas éteints sur la planète bien au contraire, et donc que d’autre part il faut avoir une capacité de se défendre. Il y a donc toute une réflexion de Dominique de Villepin à propos de la nécessité d’une défense indépendante à l’échelle de l’Europe et hors de l’OTAN par exemple.

L’intérêt général, nous le comprenons bien en lisant, c’est l’affaire de chacun, et donc aussi cette exigence véritablement citoyenne de se former à la culture politique ! Dans l’urgence de rattacher à nouveau l’économie à la politique ! C’est vraiment dommage que l’œuvre de Dominique de Villepin, avec toute sa valeur éducative, ne soit pas plus mise en valeur culturellement et politiquement ! Car cette œuvre contribue à l’excellence et à la spécificité française, ainsi qu’à l’éducation ! C’est un auteur dont l’enfance a été expatriée, donc il ne faut jamais oublier que son point de vue est d’emblée mondial, planétaire, et sensible aux tremblements du monde mettant en question l’hégémonie occidentale, aux injustices, aux menaces, à l’importance de savoir accepter le déracinement car la perte promet aussi un autre commencement ailleurs avec ses surprises infinies et bien sûr ses difficultés comme autant d’occasions pour travailler à la paix et de s’enrichir des différences. Lui bien plus qu’un autre a l’expérience que la tragédie et le sacrifice du déracinement sont toujours prometteurs d’un renouveau, ailleurs ! Cela n’est sans doute pas étranger au fait que le déracinement d’avec la politique lui est apparu finalement si logique et inéluctable ! Il a quitté la politique du vieux pays comme autrefois il déménagea souvent, quittant un pays pour un autre, abandonnant un confort de vie pour une nouvelle vie à construire, inconnue. Sauf qu’autrefois, le père avec son pouvoir d’assurer à sa famille une vie privilégiée n’était-il pas capable de refaire l’ancienne vie avec du nouveau, encore dans ce temps de l’hégémonie occidentale sur le monde ? Imaginons que lorsque Dominique de Villepin s’engage politiquement, parce qu’il y croit, au pouvoir de gouverner et réformer le vieux pays, de faire aboutir vraiment la Révolution française, à la réduction des inégalités sociales, c’est encore à ce père fort par-delà les déracinements des déménagements qu’il s’identifie ?

Logiquement, il nous présente les crises sous un jour nouveau. Au cours de notre histoire, chaque crise a offert des conditions nouvelles aux hommes ! Et chaque fois, on y a résisté par le repli, bien sûr ! Par peur du nouveau, des risques, de l’inconnu, de l’étranger. Nous sommes ouverts sur une altérité que nous ne pouvons pas maîtriser à notre guise, mais comme des enfants nous attendons que d’en haut on fasse cela, comme si la politique mondiale et la diplomatie ne nous concernaient pas sauf qu’elles serviraient à ce que rien ne change pour nous dans notre repli ! En vérité, les crises exacerbent des tensions existantes, ces menaces en quelque sorte sourdes, refoulées, qui reviennent un beau jour renforcées, d’où la nécessité de bien connaître l’histoire, la nôtre mais aussi celle des régions du monde, et Dominique de Villepin nous la raconte inlassablement, précisément. Dans les crises du passé, nous voyons que notre vieux pays, pas plus que l’Occident, n’ont pu empêcher les changements, mais ont su s’y adapter par la force d’un intérêt général lié à l’impératif de faire la paix. Une logique de crise va aboutir à celle de 2008, qui est différente parce que, pour la première fois, elle s’ouvre sur un monde réellement multipolaire, donc où chaque autre enfin a sa place, qu’elle fasse peur, qu’elle soit encore mal assurée ou qu’elle soit imposante. Donc, Dominique de Villepin nous invite à exercer notre regard afin de saisir les promesses de transformations consécutives à la crise. Sur les leçons du passé. La dépression de la fin du XIXe siècle avait préparé l’émergence de nouveaux pays industriels comme les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, tandis que la crise de 1929 avait entériné le déclin de l’Europe et la bipolarité entre Russes et Américains. Aujourd’hui, la crise fait apparaître la montée en puissance de pays émergents, Chine, Inde, Russie, etc., avec une compétition mondiale bien plus rude et qu’aucun homme providentiel ne peut réellement nous éviter.

Nous ne pouvons plus ignorer que la crise signifie jugement, et qu’elle nous force à nous remettre en question justement en nous sevrant du confort de nos habitudes acquises et de penser les choses comme un dû qui évoque étrangement une sorte de métaphore placentaire nous circonvenant. Cette œuvre nous fait espérer qu’en acquérant par la sortie hors du giron une capacité critique en pensant par nous-mêmes, des perspectives s’annoncent par une audace que nous avions cru pas à notre portée tant nous nous sous-estimions sans en avoir conscience. Dominique de Villepin nous montre au cœur des désastres des crises voire des guerres toujours une avancée, témoignage de la capacité des hommes à se relever et à inventer une organisation nouvelle, supérieure à l’ancienne. Une façon de changer la bouteille à moitié vide par la bouteille à moitié pleine… Ainsi, de l’enfer de la Seconde Guerre mondiale elle-même engendrée par la dépression des années 30 s’est effectuée une refondation du pacte démocratique, avec en particulier la création en 1944 de la sécurité sociale. De même, la révolution de 1848, conséquence d’une crise économique européenne, a donné naissance en France au suffrage universel. Mais, toujours, et d’emblée, il insiste sur la nécessité de l’engagement de chaque citoyen, devenant citoyen-monde, aucun de nous ne pouvant se décréter exclu de l’œuvre commune ! Chacun doit se sentir partie prenante dans ce travail pour définir et mettre en acte l’intérêt général mondial, qui commence localement puisque ici est une partie du monde et que chaque mode de vie, comme dans un effet papillon enseigné par les fractales, s’additionne dans une répétition à l’identique du motif initial sur la base de l’émancipation. Chaque remise en question d’un mode de vie par engagement citoyen face au monde compte à la fois pour le vivre ensemble planétaire réconcilié et apaisé, et pour la vie locale et personnelle. En vérité, il en est de l’équilibre des pays entre eux, dans le respect des diversités et dans l’impossibilité de l’hégémonie par le plus fort, comme de la vie des humains entre eux capables de dépasser la guerre civile, la loi du plus fort, les rivalités. L’intérêt général vise à apaiser la guerre civile entre les différents pays, à travailler pour la paix en temps de guerre car il est naïf de croire que les humains cesseront de se battre entre eux sans lois pour organiser l’humanité. Donc, par son livre, Dominique de Villepin nous appelle à agir plutôt que subir, à nous saisir de l’urgence d’un destin commun, à construire une communauté d’hommes libres, à nous exercer à anticiper en nous appuyant sur les exemples du passé. Il y a un acte politique extrêmement fort, décisif, inédit, dans cette parole de l’introduction, qui dit que tout est à reconstruire à la fin de ce long siècle d’intégration mondiale, et que nous devons sentir cette certitude de dangers universels ! Cette certitude ! Personne ne doit se sentir être personnellement, parce que privilégié, à l’abri des menaces du monde, de l’environnement planétaire, changement climatique, pandémie, clivages sociaux de plus en plus criants, terrorisme, etc. Même les plus nantis ne sont plus vraiment à l’abri, même si la certitude des dangers qui circonviennent de partout sont en apparence possibles à refouler si l’on a les moyens. Donc, grande importance de la certitude de ces dangers ! Il faut cesser de fantasmer qu’un pouvoir suprême peut les tenir à distance ! Ce pouvoir-là n’existe pas ! Le giron à l’abri de tout n’existe pas ! Lucidité absolue ! Acte d’abandon à la certitude de ces tremblements ! Dominique de Villepin incarne cet autre visage du père, celui qui ne fait pas faire l’économie de cette lucidité individuelle à propos des tremblements du monde ! Une nouvelle sorte de père, qui nous fait passer, un à un, au rythme de la lecture (dont par exemple dans chaque école chaque élève devrait pouvoir profiter), dans l’inquiétude du monde du dehors, car seule cette sensation abrupte permet d’inscrire en chaque humain la nécessité de s’ajouter lui-même à la longue et infinie chaîne solidaire travaillant à la reconstruction du vivre ensemble. Si cette inquiétude suscitée par les tremblements du monde est évitée aux humains - certitude que si on ne fait rien on court à la catastrophe, qui peut même être la disparition de l’espèce humaine et de beaucoup d’autres espèces dont certaines n’existent déjà plus - alors ces humains restent passifs, persuadés qu’ils ne risquent rien dans leur ventre local ! Donc, c’est si important d’entendre cette parole de Dominique de Villepin, dernier témoin d’une ancienne manière de faire de la politique, d’un ancien régime où certains voulaient le croire figé en duc de Nemours, que sur les ruines d’un passé révolu il s’agit de tout reconstruire.

Maintenant, voici un long cheminement à travers cette oeuvre, en suivant un passeur qui jamais ne renonce à sa mission ! Cette lecture, comme les autres, est longue, puisqu’il s’agit d’apprendre à nous émanciper et que chaque phrase littéralement nous émerveille. Cela prend du temps, de s’émanciper, il faut même vivre avec une œuvre de cette qualité, s’en imprégner chaque jour comme de la lumière d’une aube nouvelle !

Dominique de Villepin, dans ce livre « La cité des hommes », nous fait devenir vraiment contemporains du tremblement du monde, et il nous conduit à ce passage étroit par lequel nous pouvons revoir la lumière comme le poète Dante guidé par Virgile, et comme chacun de nous lecteurs par celui qui a sacrifié son ancienne vie politique. De l’autre côté, en escaladant la montagne du Purgatoire, nous constaterons très étonnés que notre corps fait de l’ombre, alors que celui des morts sans espérance n’en fait pas ! Notre corps est alors habité de désirs qui résistent à être facilement satisfaits comme s’ils étaient des besoins. La première chose qu’il nous dit est que jamais l’économie, au cours de son histoire, n’a fait croire qu’elle était à l’abri, fermée sur elle-même, sur l’assurance d’avoir toujours de quoi vivre. Au contraire, il y a toujours eu l’alternance des vaches grasses et des vaches maigres, que ce soit par les catastrophes climatiques, par les guerres, puis par l’instabilité monétaire consécutive en 1971 de la fin de la convertibilité du dollar en or. Cette crise économique de 2008 est pourtant différente des précédentes car en elle se télescopent, dit-il, trois cycles : celui de la correction d’une phase de mondialisation et de sa démesure, celui de la fin de l’ère industrielle, celui de la fin de l’hégémonie occidentale avec déplacement du centre des puissances vers l’Orient. Pour la première phase, il nous invite à revenir 40 ans en arrière (par rapport à 2017). S’inspirant de Mme Thatcher, les Etats-Unis font primer l’individu sur l’intérêt général, celui-ci se rabattant sur la somme des intérêts individuels. Et c’est vraiment une révolution ! C’est le marché qui détermine l’équilibre social, ce marché qui se met totalement à la disposition des besoins illimités de cet individu en gestation pour produire des objets, ceci au prix le plus bas pour les rendre accessibles à tous, et à la clef des bénéfices possibles et bientôt énormes parce que l’avidité humaine va devenir délirante. Les prix les plus bas seront possibles grâce à une main d’œuvre bon marché, et celle-ci va se trouver dans les pays où les individus ne sont pas encore mis au centre de tout et n’ont pas encore de vraies revendications personnelles. Mais ces humains-là apprendront, dans un processus de modernisation de la planète, qu’ils ont des droits, paradoxalement éclairés en étant les ouvriers du monde produisant pour des pays ayant mis l’individu et son bien-être au centre ! Ce marché est dérégulé, idem les transactions financières, c’est la concurrence. Il faut bien comprendre que cette primauté de l’individu qui commença aux Etats-Unis il y a maintenant, en 2017, quasiment 40 ans, non seulement a inventé le bien-être de ces individus, qui s’est étendu mondialement au moins en tant que désir, mais que ceci a eu en même temps cet effet lointain de faire émerger des pays parce que ceux-ci se sont mis au service de la production industrielle à bas prix. Cela a provoqué à moyenne échéance la transformation irrémédiable des équilibres du monde, avec la fin de l’hégémonie occidentale ! Il faut donc avoir une hauteur de vue pour s’apercevoir de cela. Dominique de Villepin est un guide précieux pour voir loin, et que tout est en connexion ! C’est une phase de mondialisation, une sorte d’américanisation de la planète, avec cette impression d’un espace infini où l’on peut tout recommencer. Où le bien-être matériel des individus nouvellement mis au centre de tout, qui seront la base de calculs faramineux, est en progrès infini, avec la création de besoins aussitôt satisfaits par des nouveaux objets. Mais un déséquilibre est d’abord occulté entre l’atelier du monde qu’est la Chine qui a su se positionner dans la nouvelle donne et économise ses excédents commerciaux très importants et les Etats-Unis qui s’endettent en consommant tel un énorme individu à l’appétit féroce. Nous comprenons que cet individu, et ses besoins mettant en branle l’atelier du monde va en sourdine provoquer l’émergence de la Chine, comme autre face, invisible, de l’américanisation du monde ! Aucune transformation ne reste donc sans conséquences sur les équilibres du monde, et ce n’est pas possible de revenir en arrière ! Si la Chine a saisi la balle au vol, et s’est spécialisée en atelier du monde, et d’autres pays émergents dans le sillage au cours des décennies suivantes, il est bien évident qu’ici en France, en Europe, en Occident, le paysage industriel va s’en trouver profondément dérangé, et que nous allons devoir nous préparer à nous adapter en nous positionnant dans d’autres domaines d’excellence et d’avenir ! Mais pour le moment, dans cette phase de mondialisation qui nous semble avoir un air d’américanisation des modes de vie, les individus ont le sentiment qu’autour d’eux à l’infini s’étend l’espace d’un giron où matériellement tout tend à ne pas manquer. Ces individus, dans leur abri riche, ne voient pas plus loin que leurs intérêts, et ce sera un vrai tremblement de terre d’ouvrir les yeux sur le monde, et d’y découvrir des autres qui sont loin d’être à la traîne, qui ont su, mais différemment, profiter de cette phase en quelque sorte américaine de la mondialisation pour émerger, pour compter, pour ne plus être éliminables autour de la table des négociations mondiales notamment en matière d’économie ! Les intérêts personnels comme dans un espace intérieur infini semblent primer dans le sillage américain pour toute la planète, sans limite, au moins comme désir pour ceux qui sont défavorisés, et comme s’il y avait un vide de puissance à l’extérieur pour s’y opposer, au contraire tout paraît s’être mis en veilleuse pour rendre cette sorte de gestation folle de l’individu possible, l’atelier du monde se mettant aussi à son service comme dans une nébuleuse placentaire. En effet, cette première phase n’est-elle pas une métaphore de la gestation, celle de l’individu, dont le modèle se fait dans l’espace ne manquant de rien et comme sans limite des Etats-Unis, et à partir de là elle s’étend sur toute la planète au nom d’une incontestable hégémonie, parce qu’il faut bien tout faire commencer pour chaque humain par sa gestation ? La dérégulation des marchés semble faire écho à la multiplication embryonnaire sans limite des cellules auxquelles il faut apporter des matériaux, et aussi à la multiplication sans limite de la gestation des individus, ainsi que l’apport sans limite de la nourriture par cordon ombilical ! Il y a une dérégulation spéciale inhérente au temps de la gestation, qui commence déjà par la mise en veilleuse des défenses immunitaires de la mère (peut-être une mise en veilleuse des défenses vis à vis de la Chine usine du monde pour les besoins de cet individu et celle-ci, mine de rien, en profite pour monter en puissance, et sera plus tard une épreuve de vérité venant du monde ouvert), pour tolérer le corps antigénique qu’est le nouvel individu en train de se développer dont les besoins forcent à avoir recours à cet atelier étranger. Donc, comme nous l’explique Dominique de Villepin, un déséquilibre mondial s’instaure entre la Chine qui se met à épargner de plus en plus et les Etats-Unis qui s’endettent de plus en plus. Rien n’empêchait cela. Aucun recoin de la planète n’échappant au capitalisme financier, l’économie devenant spéculative, la crise est pour la première fois globale. La crise de 2008 est un tournant dans cette mondialisation. S’ouvre une nouvelle phase, pouvant permettre de corriger les excès de 30 ans de mondialisation. Désormais, il faut tenir compte dans le paysage mondial de cette nouvelle puissance, la Chine, et d’autres pays émergents ! Le monde d’abord unipolaire de la mondialisation, comme une sorte d’américanisation de la planète en mettant les horloges à l’heure des intérêts de l’individu commence à devenir multipolaire.

La dislocation du modèle industriel, elle, détruit l’économie capitaliste (industrie du textile, sidérurgie, chimie, pétrochimie, l’automobile etc.). Il est vain de s’accrocher en croyant que les différents âges d’or vont revenir, qu’il y a des sortes de niches où l’on serait assuré que rien ne change, que l’on va échapper au déracinement. Ce déracinement, comme un tenace retour du refoulé, s’inscrit comme une certitude. La révolution industrielle actuelle est celle de la techno-communication, celle de l’information, celle de l’électronique et de l’informatique, celle du numérique. La métamorphose est permanente dans tout le paysage industriel, il s’agit pour chaque humain d’accepter cela, le changement permanent, non pas comme une bouteille à moitié vide, mais comme une bouteille à moitié pleine. La mondialisation numérique abolit l’espace tandis que la délocalisation était une question de main-d’œuvre au prix le plus bas, par exemple en Chine où les individus n’avaient pas encore des revendications personnelles aussi élevées qu’en Occident. Ne peuvent plus désormais être maintenues sur place que les activités de service. La compétition mondiale s’accélère, et renverse les hiérarchies anciennes. L’économie verte elle-aussi bouleverse le modèle industriel des deux derniers siècles ! Un autre problème a jailli avec l’explosion des demandes mondiales, du fait des exigences individuelles étendues à la planète, tandis qu’en même temps les ressources se raréfient, ce qui provoque une grande spéculation. Ce mode de vie planétarisé a un impact environnemental et social gigantesque, qui nous oblige à envisager de changer en profondeur nos modes de vies ! Sinon, le risque est celui d’une régression brutale de l’humanité, voire sa disparition. Ce temps où tout a été centré sur l’individu, sur ses intérêts, avec un marché mondial dérégulé, montre désormais - lorsque par la mondialisation tous les individus de la planète peuvent faire valoir leurs intérêts propres et donc les inégalités criantes à cet égard lorsque par exemple dans les ateliers du monde les êtres humains misérables sont exploités pour produire pour les pays riches - l’autre face, les grands chambardements industriels, les déséquilibres, les compétitions, mais surtout les dégâts environnementaux et sociaux ! Donc, voici qu’il devient urgent de mettre un terme à la dérégulation. Voici qu’une limite doit s’inscrire par rapport aux intérêts personnels des individus, voici qu’un intérêt général doit être pensé afin que les intérêts individuels eux-mêmes, sans aucune exclusion, soient sauvegardés. Etrangement, s’est jouée une américanisation mondiale afin que chaque humain prenne conscience partout d’être un individu avec des intérêts propres, mais à ce moment-là, on se rend compte qu’en vérité cet individu ne peut plus continuer à vivre à ce régime-là, car les ressources s’appauvrissent, l’environnement est de plus en plus en danger, et les inégalités sociales sont plus fortes que jamais. Cela ne peut continuer ainsi ! D’autant que ces inégalités sont de plus en plus visibles et que les frustrations s’accumulent comme des bombes à retardement. Une remise en question commence peu à peu dans nos modes de vie individuelles, entrouvrant un nouvel âge économique ! Avec l’avènement d’individus plus solidaires à la fois de leur environnement mondial et de leurs semblables proches et lointains. A très petits pas bien sûr… Le consumérisme est encore très dominant, ainsi que les égoïsmes et les avidités !

Le tremblement de terre décisif, auquel nous ne pouvons pas échapper, est le renversement de l’ordre planétaire, qui s’est fait à partir de cette primauté de l’individu mettant en branle les usines du monde loin de chez nous, et qui déchire ce paradigme de l’abri matriciel qui surplombait nos vies occidentales d’individus visant le rien ne manque et voyant le monde à travers la lorgnette des intérêts personnels ! Dominique de Villepin le martèle ! C’est là que l’individu occidental, qui se croyait comme un enfant unique, ou le plus intelligent, le plus fort, le plus doué, voire le préféré, s’aperçoit qu’il y a d’autres individus, d’autres enfants, d’autres frères et sœurs, et que ceux-ci sont tout autant intéressants que lui, différents, et même aussi pour certains plus forts, plus intelligents pour des aspects méconnus, en tout cas plus complexes et impossibles à rabaisser, à humilier, à allonger sur le lit de Procuste afin qu’ils soient à la bonne mesure inférieure ! C’est là que ses désirs d’enfant gâté qui ne veut manquer de rien tombent en voyant le danger, l’autre étranger qui vise au visage comme le dit Levinas, l’autre qui ne se laisse pas dominer, pas occidentaliser comme on le croyait, qui résiste, qui reste lui-même, qui dépayse violemment par sa culture autre, son histoire méconnue, ses humiliations anciennes face à l’Occident, l’individu occidental arrogant ! C’est là que les autres, différents, et pouvant réussir mieux, mettent en question la belle image de cet enfant gâté ! Et celui-ci commence en silence à prendre de la graine de l’autre, donc aussi à se sevrer de ses habitudes, car le désir d’autre chose éventre la quiétude de son abri, un désir qu’aucun objet ne peut satisfaire, et une faille s’ouvre béante. Devant l’étranger qui réussit, il apprend l’humilité, et même l’émulation. Voilà, nous pouvons imaginer cela avec la fin de l’hégémonie occidentale ! Une vraie coupure du cordon ombilical pour les Occidentaux ! La modernité occidentale vacille, et ces intérêts des individus qui priment comme dans un giron soudain se vanifient devant ces autres étrangers plus puissants, tel l’enfant qui se croyait le centre de tout soudain ne voit plus que le frère ou la sœur qui s’avère en vérité plus doué que lui. En quelque sorte, une fois la modernisation de la planète faite, l’hégémonie occidentale se déchire comme une matrice qui n’a plus de fonction, et nous sommes tous précipités dans le monde ouvert, multipolaire, où tout est à reconstruire.

Et c’est là que Dominique de Villepin nous donne une information extraordinaire ! L’hégémonie occidentale est en réalité un accident, parce qu’un vide de puissance s’est creusé face à lui. En effet, au XIVe siècle, alors que le monde est confronté à des crises importantes comme la peste, le choléra, les mauvaises récoltes et pour l’Asie les menaces turco-mongoles, voici que la relève se fait côté occidental par des explorateurs qui partent à la conquête de l’Amérique à partir de la péninsule ibérique, et côté oriental à la même époque l’Empire du Milieu envoie sur les mers sept grandes expéditions. Voici la première mondialisation, écrit-il. Mais soudain, la Chine se replie, on ne sait pas exactement pourquoi, construction de la grande muraille, guerre défensive contre des nomades ? Bref, à partir de là la mondialisation devient hémiplégique pendant cinq siècles, et l’hégémonie occidentale peut se développer ! Tout se passe, avec le réveil de la Chine, comme si cet accident était réparé, et l’ironie de l’histoire c’est que c’est l’Occident qui l’a rendu possible avec cette primauté de l’individu décrétée par les Etats-Unis il y a 40 ans, la Chine pouvant devenir l’atelier du monde afin de pourvoir à bas prix à la consommation de cet individu qui par contagion deviendra un modèle mondial… La Chine en se positionnant comme atelier du monde, et en épargnant ses énormes excédents commerciaux, reste dans sa logique, qui est de pourvoir à ses besoins intérieurs, cet intérêt général d’abord, et assurer ainsi l’éternelle harmonie sous le ciel ! Les intérêts personnels sans limite des individus occidentaux dans le sillage américain servent soudain la logique chinoise de toujours, à la base de sa philosophie, l’intérêt général d’abord, et sans doute la Chine a-t-elle saisi sa chance au quart de tour ! Pourquoi cette hégémonie occidentale a-t-elle pu prendre une telle ampleur, imposant au monde un modèle économique, des idéaux, un mode de vie ? Dominique de Villepin avance des raisons géographiques. Une Europe ouverte sur la mer et prompte aux cloisonnements et aux conquêtes a façonné une civilisation de compétition et de conquêtes. Mais comment cette hégémonie s’est-elle discréditée avant même que ce soit par un chamboulement dans le paysage mondial des puissances économiques ? Les deux Guerres mondiales ont fait la preuve que l’Europe, en vérité, était incapable de tenir chez elle des promesses faites au monde, notamment en matière de paix. Et avec la colonisation et la décolonisation, l’échec des valeurs démocratiques est visible. Ensuite, cet Occident qui a bâti son pouvoir sur la technique, comme si cette technique pouvait littéralement idéaliser la nature, la faire apparaître comme un lieu où les besoins peuvent être satisfaits à l’infini et jusqu’à la démesure, dans un projet prométhéen qui s’avère de plus en plus un viol de cette nature, s’avère responsable d’un épuisement des ressources d’une planète qu’il avait fait croire inépuisable. Le capitalisme occidental portait en lui, dans sa logique, le germe de son déclin, de son discrédit. Ses promesses, avec l’autonomie du marché et le découplage de l’économie d’avec la politique, ne pouvaient pas tenir. Le triomphe de cet individu dont les intérêts personnels devaient d’abord en Occident puis sur toute la planète être satisfaits est mis en cause au moment-même où il est en passe d’être réalisé, car soudain tout autour la planète s’avère à cause de lui en danger d’épuisement ( qui pourrait évoquer une sorte d’épuisement placentaire en fin de gestation, alors que jusque-là cela semblait inépuisable et auto-nettoyant, d’où des individus aveugles à leurs déchets dégradant l’environnement ), menacée par d’immenses dangers, et surtout le primat de cette course à la satisfaction, à la consommation, à la jouissance immédiate, s’avère ce qui s’oppose à son émancipation. Tout se passe comme si la gestation de l’individu était achevée, non seulement en Occident, mais à l’échelle mondiale, et qu’il était temps de laisser se détruire une hégémonie qui se faisait matricielle, pour s’ouvrir au monde en devenant responsable d’une reconstruction commune. Bien sûr, il n’est pas question de jeter aux orties ce demi-millénaire d’hégémonie occidentale. Le projet moderne a été positif, il a apporté au monde le progrès, la prospérité, la mondialisation a permis la création d’une vraie classe moyenne en Chine, en Inde, et la pauvreté, bien sûr si loin d’être éradiquée, a régressé partout dans le monde. Dans l’histoire mondiale que nous raconte Dominique de Villepin, il ne s’agit pas de répartir le bien et le mal, mais plutôt de voir le déroulement d’une logique, et de bien comprendre que depuis la première mondialisation du XIVe siècle, tout se tient, et nous voyons bien que sans le repli de la Chine il y a cinq cents ans, l’américanisation du monde n’aurait pas eu lieu ainsi ! Un événement du passé s’avère mondialement décisif au vingtième siècle ! Ainsi que, sans doute, des particularités géographiques et historiques européennes ! Nous nous rendons compte que pour comprendre les équilibres et les changements du monde, il faut prendre du recul, de la hauteur, et avoir une vue à long terme ! Rien d’un enfermement local ! Et nous voyons que, bien que l’économie ait été découplée d’avec la politique, cette politique existe bien envers et contre tout ! A l’époque du repli de la Chine sur elle-même, celle-ci avait en quelque sorte fait primer l’intérêt intérieur donc justement l’intérêt général focalisé sur la sécurité intérieure mise en danger, à protéger par des murailles. En fin de compte, ce qui est resté en embuscade, en veilleuse, c’est cet intérêt intérieur qui est intérêt général du pays, avec le symbole de la Grande Muraille. Comme par hasard, la Chine revient comme grande puissance épargnant tous ses excédents commerciaux, comme pour être sûre de pouvoir nourrir sa population à l’intérieur, avec des réserves qu’il faudrait faire tendre à l’infini comme doit l’être l’intérêt général qui ne doit pas rester qu’une affaire chinoise. Consommation occidentale poussée jusqu’à la démesure d’un côté, épargne à l’infini de l’autre : cela semble deux excès comme deux faces d’une même folie ou bien une fuite en avant parce que la sensation est vive que rien ne peut garantir l’état protégé car le monde est plein de menaces et change sans cesse ! La folie, c’est de croire réussir à ne faire manquer de rien des humains maintenus dedans, soit dans un espace immense entouré de murailles soit dans un espace mondial s’étendant à l’infini pour les individus. Dominique de Villepin nous montre bien que ce qu’il faut limiter n’est pas seulement les excès de la finance, mais aussi cette frénésie de la consommation et de la spéculation. La conquête du Far West, écrit-il, est un symbole de l’Occident tout entier, celui de la ruée vers l’or de la consommation, de la satisfaction des intérêts individuels. Avec une croyance messianique à une destinée mondiale qui se met en acte avec les armes. Or, chaque fois qu’au nom de ce messianisme l’Amérique prend les armes, derrière il y a toujours la défense d’intérêts personnels, et cela discrédite l’Occident ! Celui-ci ne peut plus continuer à penser seul pour le monde entier, il faut rétablir des équilibres. Surtout, il s’agit de renoncer à croire que la mondialisation se fait par les armes. En vérité, les Occidentaux doivent ouvrir les yeux sur une autre mondialisation, qui est un fait, et qui n’est pas leur œuvre, qui n’est pas la réussite du messianisme américain ! L’autre mondialisation fait apparaître un monde multipolaire ! Et les grandes villes planétaires ont en réalité déjà pris le tournant d’une nouvelle civilisation. Cette organisation des grandes métropoles sur toute la planète, regroupant les trois quart de la population mondiale, ouverte sur le monde, constitue, comme l’a écrit Edouard Glissant un archipel de villes, une sorte de nouveau continent, déjà en réseaux mondialisés. Avec cet archipel, écrit Dominique de Villepin, nous ne pouvons plus raisonner comme avant, opposer le Nord et le Sud. Nous devons distinguer les zones urbaines dynamiques tournées vers le monde des zones rurales déclinantes. Nous devons regarder à l’intérieur de notre pays comme dans les autres ce qui reste comme des zones forcloses, oubliées, laissées en arrière, tel un peuple sans importance collective. Mais l’archipel de mégapoles lui-même, qui réunit la diversité mondiale en posant un défi culturel, va exiger des prouesses technologiques, à cause des besoins décuplés en eau potable, en énergie, en transports, en logements, pour lutter contre la pollution.

Ce tremblement du monde conduit inexorablement à une nouvelle civilisation ! Dans celle-ci, une révolution démographique est en train de s’effectuer, car le taux de fécondité assurant le renouvellement de la population est atteint dans de nombreux territoires de la planète, avec pour conséquence un ébranlement des structures familiales et des ordres sociaux, rapprochant notamment la condition des femmes de celles des hommes, comme s’attaquant au dogme selon lequel une femme réussie serait mère pour toujours, comme leur ouvrant une nouvelle vie après celle de la mission de porter dans leur corps la perpétuation de l’espèce humaine. Cette révolution démographique me semble aussi décisive pour désarrimer les humains, notamment Occidentaux, d’avec la métaphore maternelle surplombant leur vie comme si ce lieu originaire ne les avait en réalité pas mis dehors ! Une stabilisation économique et politique peut se faire, puisque l’entrée des femmes sur le marché du travail devient plus régulière. La révolution de l’éducation, qui reste bien sûr insuffisante, n’a jamais autant réduit sur la planète le nombre des illettrés. Cela a une portée politique, car cela permet un accès aux informations, et renforce les bases de la démocratie. La révolution de la mobilité, dans cette nouvelle civilisation, est très importante car notre nouveau monde exige de ne pas avoir peur de se déraciner, de quitter des habitudes, des conforts, du domestique, et un métier à vie au même endroit ne sera plus la norme. Déjà, l’ensemble des immigrés de la planète constitue le cinquième pays le plus peuplé de la planète, nous précise Dominique de Villepin ! Il n’y a plus de giron, ni de murs qui tiennent vraiment. Les humains sont appelés à se déplacer à travers le monde, et à travers leur pays ! Des migrants ! D’où l’extrême importance de comprendre ce monde, et Dominique de Villepin nous est tellement précieux pour partager avec nous son expérience d’expatrié, de diplomate et d’homme politique ! Nous mettant en mouvement à travers le monde, nous achoppons inévitablement ça et là sur des rancœurs accumulées depuis des siècles, sur des humiliations qui peuvent être millénaires, et la réconciliation est impérative, qui repose sur la tolérance de l’autre, de la diversité.

Après avoir évoqué pour nous le tremblement du monde, qui nous fait naître et devenir des migrants à la rencontre des autres en étant attentifs aux humiliations, aux glaciations des conflits, aux arriérés qui compliquent les relations humaines et celles entre les pays, Dominique de Villepin nous confronte avec le temps de la responsabilité. Dans le mot « responsabilité », nous entendons le mot « réponse » ! Devenir responsable, ce serait répondre par des actes transformant nos modes de vies et notre vie humaine commune aux déséquilibres et aux menaces qui ont surgi comme conséquences d’une mondialisation qui s’est faite sous l’hégémonie occidentale ! Le temps de la responsabilité exige-t-il la prise de conscience par chacun que cette première mondialisation, sur la base de la primauté de l’individu, de la consommation, des intérêts personnels, a eu sur toute la planète des conséquences environnementales et sociales lourdes, et que les rapports de force nouveaux du fait de nouvelles puissances ne sont pas sans dangers ? La responsabilité ne pousserait-elle pas à mettre une limite là où avant il semblait de pas y avoir de limite à la satisfaction de nos besoins ? Dominique de Villepin affirme que transformer le monde est à notre portée à tous, chacun comptant dans l’œuvre commune de reconstruction, en agissant par exemple sur nos modes de vie parce que nous savons désormais quelles conséquences ils ont eu, que la planète et l’humanité ne peuvent plus se permettre. Nous devons nous approprier ce nouveau monde, dans lequel nous sommes nés, où les mentalités ont muté. Ce nouveau monde est complexe, nous devons renoncer à le maîtriser c’est-à-dire le simplifier. Nous devons accepter que quelque chose nous échappe, ne dépende pas de nous, nous force à nous désapproprier de ce qui nous entoure, que ce soit des humains proches ou du patrimoine en fait commun que nous avons monopolisé pour nous. Un processus de transfert de l’intérêt personnel à l’intérêt général est vital ! Chaque fois par exemple que nous utilisons l’eau sans compter, demandons-nous où en sont les nappes phréatiques affectées par la sécheresse et nos abus. Et si, par nos usages domestiques, nous ne contribuons pas à sa pollution massive ! Ne devrons-nous pas, à brève échéance, nous inquiéter de ce que cette eau contient réellement comme résidus de ce que nous consommons, hormones, métabolites de médicaments, plastiques, sans parler des pesticides, et autres perturbateurs endocriniens ! Ah le progrès n’aurait-il pas son envers inquiétant ? C’est une question d’intérêt général à propos duquel nous devons nous entraîner à le faire passer avant notre intérêt particulier, si nous ne voulons pas compromettre l’avenir des générations d’après nous. La responsabilité, qui engage chacun de nous dans l’avenir du vivre ensemble, exige de se rendre compte que tout est lié, et que si chacun change son mode de vie, cela fait ensemble une force de mutation immense. Une nouvelle catégorie de propriété, écrit Dominique de Villepin, est en train de naître : celle qui établit une dette de tous à l’égard de chacun, et exige qu’avant d’utiliser ou consommer quelque chose, on suspende un instant ce geste, ou bien on le transforme en un geste plus solidaire, responsable avec quelque chose de l’ordre du sevrage, pour en laisser une partie à l’autre proche ou lointain, là ou à venir. Ce n’est plus le temps de se dépêcher de tout mettre dans sa bouche, de dire la meilleure part c’est pour moi, sinon, ce sont nos propres descendants que nous spolions, et même nos contemporains plus fragiles ou plus exposés. Egalement en consommant au détriment de l’impact de la pollution. On se rend compte que nos habitudes de consommateurs riches, comme d’enfants gâtés, se met à affecter les générations d’après, avec les atteintes à l’environnement, l’épuisement des ressources, la disparitions des espèces et les déséquilibres dans la chaîne du vivant que cela entraîne, sans parler des inégalités sociales de plus en plus visibles qui provoquent des bombes à retardement pour les générations de demain par l’accumulation des humiliations. Nous sommes responsables. C’est irréfutable à un niveau individuel pour la première fois !

Dominique de Villepin écrit, toujours à propos du temps de la responsabilité, qu’il faut aller vers une économie de la connaissance prenant en compte, pour les contrer et pour tout reconstruire, les effets destructeurs de cette première mondialisation dérégulée et les nouvelles perspectives qui s’ouvrent avec les innovations technologiques, donc une économie qui n’est plus centrée sur les intérêts personnels égoïstes ! Il faut aussi aller vers un capitalisme de l’alliance par croisement de tous les capitalismes, et non pas supprimer un marché vieux comme les marchands. Le capitalisme n’est plus occidental mais mondial ! Maintenant, c’est le temps des partenariats, où les partenaires sont différents de nous. Nous devons nous incliner devant ce passage à un autre temps, où nous ne décidons pas tous seuls pour tout le monde ! Le temps du colonialisme conquérant des entreprises occidentales est fini ! Dans les pays émergents, les salaires vont peu à peu augmenter, et cela favorisera la croissance mondiale ! Mais la nécessité de préserver les ressources naturelles et les matières premières, et de sauvegarder voire réparer notre environnement va forcer les entreprises à avoir d’autres stratégies, bien plus responsables et attentives à l’intérêt général ! Le capitalisme de l’alliance permettra bien mieux de restaurer ce bien commun de l’humanité qu’est l’environnement ! La mutation mondiale est en route, y compris aussi par l’harmonisation des droits sociaux. Les entreprises vont devoir se réinventer, sur la base de nouvelles exigences, la parité, l’intégration des minorités, la protection de l’environnement, le respect de normes éthiques. Ce sont elles qui doivent prendre leurs responsabilités, et non pas laisser cela aux Etats en ne se souciant que de leurs intérêts personnels ! Les entreprises aussi devront, dans ce capitalisme de l’alliance et avec l’économie de la connaissance, prendre leur part de responsabilité dans l’intérêt général ! Alors, le profit ne pourra plus faire l’impasse sur ses dommages collatéraux ! La responsabilité en matière sociale et environnementale, que l’entreprise reléguait à l’Etat en se tournant elle-même vers la mondialisation, va induire une autre répartition des profits. Par exemple, une modération de la production, car la protection de l’environnement l’exige. Idem la modification des modes de vie, nécessairement moins consuméristes ! Dans un monde changeant la production ne reste pas la même, il faudra donc développer une culture du compromis à l’intérieur de l’entreprise. Et les profits devront être plus largement répartis ! En même temps, le citoyen deviendra un citoyen-monde car sa conscience mondiale s’éveillera à la réalité d’un destin humain commun à construire en même temps qu’il admettra que l’hégémonie occidentale c’est fini. Il sera ouvert à la rencontre des civilisations, il ne croira plus au moule unique. Une vraie conscience mondiale est en train d’émerger, c’est ce que nous dit Dominique de Villepin, à l’heure où si nous ne faisons rien le risque de destruction induit par nos modes de vie est de plus en plus évident ! Il en va de l’avenir de notre humanité : voilà le destin commun, si nous voulons vraiment que l’aventure humaine se poursuive, nous devons tout reconstruire et tous nous y mettre dans la conscience vive de l’intérêt général, d’où soudain à l’heure de tous les risques nos intérêts personnels eux-mêmes dépendent entièrement ! En ouvrant la faille des tremblements et menaces qui peuvent nous engloutir, Dominique de Villepin élargit notre horizon de Français qui ne veulent rien changer ! L’Occident doit être humble, cesser de croire qu’il est seul à porter des valeurs indiscutables, comme au temps des missionnaires jésuites, de la colonisation, des Lumières, et aussi admettre ses responsabilités dans les impasses actuelles dangereuses pour notre avenir humain. La révolution est mondiale, même si l’Europe traîne les pieds ! L’Occident n’a pas d’autre choix que de reconnaître la polyphonie du monde. Le savoir du citoyen doit être redéfini en fonction des transformations du monde ! Il doit être formé et éduqué à la multipolarité, à la mondialisation nouvelle où le temps de la reconstruction est une urgence, pour non pas regarder en arrière les pertes provoquées par le déracinement d’avec un vieux pays mais regarder en avant les opportunités du monde ouvert. Ce citoyen-monde n’aura pas une seule identité figée, mais plusieurs identités, tandis qu’il sera un migrant dans le monde. Il faut donc mettre en place une information de masse mondiale et de haut niveau ! Très différente de cette immédiateté médiatique qui est une fausse information ! L’Etat lui-même doit se transformer dans cette perspective déjà en marche de l’avènement d’un monde transnational. De même que la crise financière mondiale a obligé les Etats à se substituer aux acteurs privés, d’où l’augmentation de la dette publique, il devra aussi investir dans l’éducation qu’exige la mondialisation nouvelle ! Idem l’urbanisation. Dans cette mondialisation nouvelle et à la compétition très rude, il faut être nombreux pour peser vraiment ! Alors, seuls les Etats, plus que les entreprises, peuvent bénéficier de marchés intéressants pour s’imposer aux producteurs et distributeurs ! La loi du nombre est très importante ! Nous sommes dans un nouveau temps où les entreprises ne peuvent faire cavaliers seuls par rapport à l’Etat. Il y a aussi la loi de l’espace, pour jouer dans cette compétition ! Cela favorise les Etats qui ont ou exploitent un large territoire, dans ce monde aux ressources rares ! Car l’espace implique les réserves comme l’eau, la biodiversité, la pêche, mais aussi le contrôle de carrefours commerciaux. La géographie reste quelque chose d’éminemment important ! Le contrôle des voies stratégiques est encore plus important dans la mondialisation nouvelle et son contexte de compétition complexe ! La seule chose qui peut vraiment unir ensemble des citoyens-monde est la conscience d’un destin commun, donc il s’agit de résoudre les contradictions au sein de l’Etat, entre les régions. Inévitable, bien sûr, cette contradiction entre désir de mondialisation, de modernisation, et désir que rien ne change, de fermeture. Mais c’est là que l’éducation et l’économie de la connaissance peuvent apaiser les tensions en faisant apparaître que la reconstruction mondiale profite au local et que si on ne change rien, localement ce sera toujours le déclin. Seul le lointain peut, dans ce monde ouvert, permettre de réinventer le local ! Ce genre de conflit peut aussi éclater entre la Chine de l’intérieur et la Chine maritime tournée vers le monde. De même, les Etats neuf ou résultats de découpages après la décolonisation sont soumis à des tensions intérieures. Plus que jamais les Etats doivent être stratèges, pour s’imposer face à un concurrent. Des finances en bonne santé sont indispensables. Et ils doivent réagir vite, une réactivité qui requiert une administration beaucoup plus souple, plus propice à l’adaptation indispensable. Or, les vieux Etats européens ont des lourdeurs administratives accumulées, d’où l’immobilisme et la complexité. Dominique de Villepin, pour nous donner une vraie connaissance de citoyens-monde capables de comprendre la nécessité de la reconstruction mondiale, est méticuleux dans les détails et rigoureux dans la vue dynamique des équilibres et enjeux planétaires.

Une fois définie la question de la responsabilité, nous abordons avec Dominique de Villepin le défi de la paix. Ce monde qui s’ouvre à nous n’est pas en paix ! Il est instable au contraire, d’une part parce que le nombre d’acteurs est plus important, mais aussi parce que l’accès aux armes est plus facile ! Ce sont les Etats qui doivent garantir un environnement mondial en paix ! En s’appuyant sur les conflits du passé, Dominique de Villepin nous montre qu’à chaque fois, la crise ne vient pas comme ça, mais que l’histoire la prépare en amont. Ainsi, le XXe siècle a eu trois cycles. Suivons le guide, qui nous prévient que la transition se fera dans la douleur ! Un vide de puissance s’est créé en Europe après son suicide d’après la Première Guerre mondiale. Les Etats-Unis ont créé un nouvel ordre moral wilsonien. Les nations européennes se sont ensuite essoufflées, il y a eu l’isolationnisme américain, le repli soviétique. Avec la guerre froide, le monde est devenu bipolaire, avec le risque d’envenimement mondial de la crise, d’autant plus qu’avec l’arme nucléaire les capacités de destruction étaient énormes. A partir de 1989 et la chute du mur de Berlin, le monde est devenu unipolaire parce que les Etats-Unis étaient la première force militaire, économique et industrielle face au rival soviétique. L’universalisme messianique américain a pu façonner le monde, passant par la force plutôt que par la négociation. Mais notre époque de transition où la multipolarité mondiale devient une réalité a modifié radicalement le paysage stratégique. Cette réalité est incontournable ! Elle promet des crises à venir, des énergies du passé étant en train de décliner et de nouveaux pays montant en puissance. Le monde entier inter-réagit désormais. Nous sommes en présence de nouvelles règles du jeu, qui n’appartiennent plus à la mondialisation d’hier qui était surplombée par le colonialisme et l’impérialisme européen. C’est la fin des grandes découvertes sur un territoire mondial vécu comme sans limites. Les affrontements ne sont plus de type westphaliens, mais ce sont des conflits asymétriques, comme avec le terrorisme et la guérilla. De nouvelles puissances, en dehors de l’Europe, s’intéressent à l’Afrique, à ses ressources et à sa position. L’acquisition de la bombe atomique, dans ce monde instable et en transition, devient un enjeu d’hégémonie régionale. Les crises désormais peuvent surgir : _ à partir de foyers d’influence, et en contradiction avec un monde multipolaire équilibré qui ne peut tolérer un partage de la planète entre ses principales puissances (c’est par exemple la Russie avec son voisin proche la Georgie en 2008, et les Etats-Unis soucieux de sauvegarder leurs intérêts énergétiques et économiques qui proposent à la Georgie et à l’Ukraine d’entrer dans l’OTAN, ce qui est perçu comme une ingérence par la Russie) ; _ par un vide de puissance, comme l’Afghanistan qui est entré dans le grand jeu entre la Grande Bretagne et la Russie par manque d’une puissance organisatrice. Or, la solution militaire s’est avérée inadaptée. Il faut au contraire s’appuyer sur les Etats voisins, dit Dominique de Villepin, comme le Pakistan qu’il faut donc stabiliser, et aussi responsabiliser les Etats de la région, comme la Russie, l’Iran, les Etats du Golfe qui financent les mouvements islamistes pour s’en protéger. Surtout, il faut réunir des ressources financières afin de construire des infrastructures et moderniser l’Afghanistan ; _ l’affrontement des blocs, qui serait la crise la plus grave. En effet, il faut absolument éviter au monde l’histoire de l’Europe ! En ce sens, l’élargissement de l’OTAN aux anciens pays de l’URSS titille la rivalité entre la Russie et l’Amérique et cela peut provoquer un embrasement mondial.

Nous ne pouvons plus croire que mondialisation signifie fin de l’histoire par uniformisation du monde par son grand marché qui installerait une démocratie libérale partout sur la planète ! Ceci est encore une mondialisation à visage occidental. L’Occident vit son déclin comme un choc des civilisations, alors qu’il s’agit de la fin de son hégémonie mondiale sur les autres civilisations. L’histoire ne finit pas, martèle Dominique de Villepin qui, depuis son enfance, habite déjà le monde ouvert et complexe ! Des passerelles s’ouvrent au contraire entre les cultures, par exemple voici la renaissance culturelle des pays arabes.

Dominique de Villepin nous fait bien comprendre que l’hégémonie occidentale s’est faite par la force militaire, et parce que le déséquilibre était alors en sa faveur. C’est le cas d’une armée américaine dont l’avantage est définitif ! De même, la France et l’Angleterre sont aussi des puissances militaires mondiales. Mais nous avons désormais la preuve que la force militaire a mené à l’impuissance, notamment dans les guerres asymétriques. De plus, elles ont, comme en Irak, terni l’image de l’Occident dans le monde ! Ce choix militaire est le théâtre de la vanité de la puissance sans la victoire, écrit Dominique de Villepin.

C’est sur le terrain de la diplomatie, domaine qui lui est cher, qu’il perçoit à quel point la glaciation des conflits, par exemple par la construction de murs, de rideaux de fer, de frontières intérieures, a été pernicieuse dans les habitudes diplomatiques qui, par un goût des succès rapides et médiatiques exploitables, ont mis à jour une timidité occidentale. La compétition médiatique, constate-t-il, favorise ces solutions à minima, ces interventions trop rapides, où des partenaires désirent un règlement prompt pour des raisons intérieures ou internationales, mais sûrement pas en faveur du travail de la paix. Le gel de la crise ne permet jamais de travailler à la paix, au contraire c’est quelque chose de pernicieux. On le voit avec le conflit israélo-palestinien. En diplomatie, le temps et les règles ont beaucoup changé, note Dominique de Villepin. Désormais, il faut compter sur la montée en puissance de la démocratie et de l’information. Il nous explique qu’en 1918, le président Wilson, dans une tradition de moralisme idéaliste, avait par 14 points reposant sur le libre-échange, la diplomatie ouverte et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, voulu mettre fin aux guerres et négociations secrètes. Mais la transparence, en diplomatie, a des limites, des accords étant impossibles sans un travail de l’ombre contrôlé par les institutions démocratiques. D’autre part, la montée en puissance des médias, l’impact de la télévision, tout cela pousse à l’accélération des règlements, à la simplification et donc à la désinformation. Dans le nouvel âge médiatique, il s’agit, dit-il, de repenser le sens de l’action diplomatique. Il n’y a pas forcément, assure-t-il, opposition entre l’acte humanitaire affiché et la préservation secrète des intérêts d’un pays. D’autre part, lorsqu’un Etat intervient militairement, il doit absolument anticiper les conséquences de ses actions sur la région, ce qui est notamment à sauvegarder absolument est la stabilité partout où ses intérêts sont en jeu. Il y a une crise diplomatique mondiale, écrit-il en 2008, et c’est en la matière une phase de transition. En tout cas, il s’agit d’éviter tout abcès de fixation dans une région dû à la présence de puissances étrangères. Il faut au contraire viser un ordre international nouveau, dans un processus de dialogue et de rassemblement créant une dynamique régionale dans l’intérêt de tous. Pas d’exclus autour de la table ! En ce sens, il faut remonter à la source, parfois très lointaine, des conflits. Le travail de la paix gagnerait, par exemple dans le conflit israélo-palestinien, à la reconstruction d’un Etat palestinien par une implication économique, non seulement de la part de l’Europe mais par un dialogue régional, avec l’Egypte, la Syrie, l’Iran, pour établir un véritable cercle vertueux. Alors que tout semble bloqué dans la région, il faut rétablir l’Iran comme composante essentielle de la région, compte tenu de la fracture entre sunnites et chiites, entre monde arabe et monde perse. Le Pakistan aussi doit être rétabli comme composante de la région.

Dominique de Villepin insiste donc sur la carte régionale, dans ce monde multipolaire. Car, dit-il, l’échec constaté est dû à une question d’échelle. Une poignée de nations dirigeaient jusque-là le monde. Cela a instauré le pouvoir exorbitant des Alliés victorieux, dans un monde encore sous l’impact de la colonisation. Depuis plus de vingt ans, le monde a prouvé qu’il avait la capacité de s’émanciper et de s’organiser autrement. Bien sûr, il y a des difficultés, en Amérique du Sud, en Afrique où rien n’est facile pour l’intégration d’Etats trop neufs pour s’exprimer dans le cadre commun. Les Etats, dans ce continent immense, sont très différents, avec des contraintes naturelles et des intérêts très divers. La fin de la guerre froide a plongé cette Afrique dans le marasme. Mais ce continent, peu à peu, est exemplaire pour sa capacité d’organisation régionale, et peut devenir un relais de pays dans leur environnement géopolitique, écrit Dominique de Villepin. Car, poursuit-il, il est impossible de sublimer un conflit du local au global sans passer par l’intermédiaire régional !

Alors que notre temps médiatique spectaculaire soude les deux, Dominique de Villepin nous rappelle que les interventions humanitaires doivent être séparées des autres objectifs stratégiques. L’intérêt commun, insiste-t-il avec tellement de sagesse et d’expérience, exige un temps bien plus long que l’intérêt humanitaire, qui est urgent. Nous qui rêvons toujours d’avoir tout tout de suite sommes encore si peu éduqués au temps long ! Pourtant, au-delà de cette urgence humanitaire réelle et poignante, il s’agit de construire l’avenir, et cela ne peut se faire par le recours à la force ! Il faut engager un travail de longue haleine, dégager les conflits d’intérêt entre les populations pour le contrôle des territoires, des ressources. Seule une volonté forte et partagée pourra soigner en profondeur les blessures de notre monde, écrit Dominique de Villepin. Mais pour cela, il faut d’abord l’émergence d’une conscience mondiale des crises ! La mondialisation et la multipolarité rendent enfin cela possible ! C’est le temps de bâtir une forme d’intérêt général planétaire, en ayant une conscience commune des crises, en répondant aux données de l’histoire et de la géographie. Alors, la cité-monde peut prendre une échelle réellement humaine. Le cœur de la cité étant spirituel, c’est-à-dire comportant des principes, et ayant une part d’idéalisme indispensable. L’idée d’une exigence de justice, de solidarité, d’indépendance. Alors, nous pourrons édifier une nouvelle pyramide, dont les Etats constituent la base, les organisations régionales les étages, et le sommet étant l’ordre international. Par sa tradition d’ouverture, écrit Dominique de Villepin, la France a vocation à jouer le rôle de la médiation. Il n’est plus temps de s’abîmer dans un passé disparu, l’Occident ne sera plus jamais dominateur !

La conscience des citoyens-monde tombe alors nez à nez avec l’injustice mondiale que jusque-là depuis leur abri occidental ils ignoraient, et elle mesure l’urgence de construire une vraie justice sur la planète, tellement cela a été impossible jusque-là ! Dans le monde désormais sans transcendance commune, il faut avancer dans une quête de l’intérêt commun, donc une nouvelle sorte de transcendance. Les idées, comme toujours, ne peuvent surgir que lorsque la conscience de l’intérêt général s’est imposée afin de changer le monde ! Ainsi, Dominique de Villepin nous rappelle qu’à la période industrielle, c’était l’idée de progrès qui opérait, qui a abouti à la course effrénée à l’accumulation et au changement, le neuf triomphant de l’ancien. A la période de la révolution scientifique de l’Europe du XVIIe siècle, l’imaginaire techniciste et matérialiste s’empare des esprits, et c’est le diktat du renouveau permanent. Les hommes étaient rassurés par l’idée du progrès ! Pourtant, voici que depuis un demi-siècle une faille s’est ouverte entre le progrès et le bonheur ! Les Lumières et les luttes politiques avaient promis ce bonheur pourtant ! Alors, il devient évident que d’autres forces doivent prendre le relais, et c’est là que l’idée de la justice s’impose ! Elle doit être rétablie, dans le monde qui bascule, et qui en manque terriblement ! Une démocratie enfin concrète doit se construire, dans la complexité ! Une juste place à chacun doit être reconnue dans la société partout sur la planète ! L’âge industriel avait fait perdre aux individus leurs solidarités protectrices, l’individu souverain et ses intérêts personnels s’est perdu dans l’isolement des masses. Le siècle individualiste a été marqué par les guerres civiles permanentes. Celles-ci ont montré que l’exigence de faire l’unité humaine, de construire un nouvel humanisme, était urgente. La réconciliation exige même l’amnistie des crimes des dictatures, le pardon car l’unité humaniste exige d’être au-dessus de l’envie de vengeance. La justice exige le pardon. Mais seul un travail commun permet d’y parvenir, dans un effort de tous qui est le reflet d’un désir de paix. Dans les sociétés en développement, on assiste à une flambée de revendications d’existence et de légitimation, ceci dans le sentiment d’une appartenance commune. La justice, écrit Dominique de Villepin, est le seul chemin ! Or, bien sûr celle-ci est fragilisée à un niveau mondial ! Pour travailler à faire advenir la justice, une chose est indispensable : avoir conscience d’une nature en partage ! Celle-ci n’appartient pas qu’à quelques-uns, elle est un bien commun ! Notre environnement, nous en sommes responsables ! D’où la nécessité d’une nouvelle gestion des relations de l’homme avec son environnement ! C’est là que la civilisation asiatique, qui a une très longue expérience de cet environnement à cause de ses longs fleuves aux crues dangereusement meurtrières, peut apprendre quelque chose à la civilisation européenne et occidentale ! Cette civilisation, infiniment plus qu’une autre, sait que la nature est imprévisible et que c’est elle qui a le dernier mot, elle a ses équilibres construits le long des millénaires, ses menaces doivent être étudiées humblement par les humains. Les Occidentaux ont été bien fanfarons et imprudents en croyant pouvoir l’habiter, l’exploiter, la couvrir de déchets et de polluants, sans anticiper le retour de bâton désastreux des déséquilibres profonds qu’ils ont causés à ce bien commun des humains ! Cela incite à revenir à plus de sagesse, d’humilité, et de se détourner par exemple d’un modèle de consommation énergétique et environnemental à l’échelle planétaire. Sinon, comme les crues meurtrières depuis toujours pour les Chinois, notre environnement peut nous réserver des catastrophes immenses, mettant même en péril notre humanité ! Les peuples d’Afrique subsaharienne peuvent aussi nous apprendre beaucoup ! La nature est un vrai partenaire à ménager, elle n’est pas une ressource sans limite à piller ! Dans ce domaine, fort heureusement, les mentalités ont commencé à évoluer !

Cette justice doit être réparatrice, selon les forces de chacun, et sans doute les responsabilités. Il est urgent, par exemple, d’établir le droit de chacun à manger à sa faim ! Nourrir, écrit Dominique de Villepin, est le fondement premier du pacte social ! La faim est très souvent une conséquence de la complexe responsabilité humaine, revers d’un monde civilisé qui gaspille en croyant encore que les ressources sont infinies dans un monde sans limite dont la raison d’être serait que les intérêts personnels soient satisfaits ! D’urgence, il faut une nouvelle éducation, afin que dans nos contrées riches nous devenions conscients que la faim n’est pas uniquement provoquée par des inégalités de la nature ! Nos progrès sont aussi très déséquilibrants et ont affamé des territoires auparavant auto-suffisants ! Par exemple, en se mondialisant, l’agriculture intensive, faisant tomber le prix des céréales, a complètement désorganisé les sociétés locales, d’où l’apparition de famines ! L’agriculture du Sud s’est avérée à la merci de celle du Nord ! Dans le domaine de l’agriculture, il est impératif de briser la logique de marché, au nom de la reconnaissance du droit de chacun à manger à sa faim ! Partout, remarque Dominique de Villepin, l’agriculture est l’élément stratégique de la cohésion des sociétés ! Or, le libre commerce a créé un déséquilibre qui touche au cœur de l’ordre social ! Une harmonisation mondiale de la production et de la consommation est impérative si on veut vraiment combattre la faim dans le monde ! Cette idée de la justice, à l’heure d’une mondialisation nouvelle qui se reconstruit sur la base d’une multipolarité, pointe alors la nécessité d’une gouvernance mondiale ! Toujours, les secousses du monde ont forcé à construire peu à peu les prémisses d’une gouvernance mondiale, Dominique de Villepin le rappelle encore et encore ! (L’ordre westphalien après la Guerre de Trente ans et l’ONU après la Seconde Guerre mondiale par exemple ). La crise de 2008 ( pas encore maîtrisée presque dix ans après ), Dominique de Villepin le martèle, exige une réponse à la même hauteur ! Et qui dit gouvernance dit la question du droit, qui est toujours lié aux rapports de force en jeu. Depuis le début du XXe siècle, des normes internationales se sont peu à peu mises en place, mais elles ne contraignaient que des Etats. Désormais, les traités internationaux sont applicables par chaque citoyen du monde, qui peut les invoquer devant sa juridiction nationale. Les années 90 ouvrent à un renouveau du droit pénal international, et en 2002 la cour pénale internationale de la Haye voit le jour, pourtant non signée par les Etats-Unis, l’Inde et la Chine, ce qui la limite… La difficulté que Dominique de Villepin nous signale est celle de passer à un droit d’inspiration universelle ! Il nous rappelle que jusque-là le droit s’inspirait du droit romain et du droit des gens par les traités de Westphalie en 1648. Mais attention, le droit ne se substitue pas à la politique ! Car, agissant au nom d’une morale absolue, il ne peut comme la politique avancer par des compromis pourtant indispensables dans les rapports de forces et dans les négociations ! Dominique Villepin, évoquant la nécessité de construire une gouvernance mondiale ainsi qu’une démocratie mondiale, nous rappelle que l’ONU de 1945 était déjà un début de gouvernance mondiale ! Après la Première Guerre mondiale, des Etats ont commencé alors à abandonner un peu de leur souveraineté au profit d’organismes multilatéraux. Cependant, la guerre froide a beaucoup réduit le rôle de l’ONU. Aujourd’hui, une réforme politique de l’ONU est nécessaire. Tout d’abord, écrit Dominique de Villepin, ce sont les bases d’une gouvernance économique mondiale qu’il faut construire ! L’ordre économique ne peut être abandonné à ses propres forces, ce serait s’exposer à une sorte de nouveau Yalta avec des intérêts dominants de part et d’autre du Pacifique qui se partageraient le monde, avec d’un côté les Etats-Unis, de l’autre la Chine. Cette réforme économique mondiale doit commencer par une régulation plus forte du système financier mondial, donc s’attaquer aux paradis fiscaux, contrôlant les agences de change, et créant des normes de comptabilité. L’instabilité monétaire, provoquée depuis 1971 par la fin de la convertibilité du dollar en or, doit être remédiée. Entre autres, Dominique de Villepin suggère une monnaie de compte mondiale. En tout cas, la mise en œuvre de nouvelles règles nécessitera des institutions mieux armées, et donc la réforme du FMI et de la Banque mondiale. Cette réforme économique doit bien sûr donner plus de place aux économies émergentes. Et les changements en cours nécessitent des mécanismes de souplesse. Le FMI serait, dit Dominique de Villepin, rendu plus légitime par un Conseil de sécurité économique aux Nations Unies pour des actions coordonnées. Ainsi un tiers de la population mondiale ne serait plus laissé de côté.

L’organisation internationale doit intervenir dans un deuxième domaine, celui de la sécurité, pour un pacte de sécurité abordant les questions de désarmements, de prolifération nucléaire, de contrôle international de vente d’armes. Cette sécurité collective est à repenser, l’ONU manquant de moyens d’interventions. Dominique de Villepin suggère le transfert vers l’ONU des compétences de l’OTAN. Impossible bien sûr d’organiser une action globale sans la naissance d’une conscience démocratique mondiale, capable de créer aussi un fonds mondial à partir d’une fiscalité internationale pour lutter contre la pauvreté. Pour un accès universel à l’eau potable, à l’énergie, à l’alimentation, il faut créer des services publics mondiaux et des règles communes. Idem pour le commerce mondial !

L’avenir mondial appartient aussi bien à l’union des pays entre eux qu’à la prise en considération régionale. Cette intégration régionale est l’échelon où se joue vraiment le nouvel ordre mondial, pense Dominique de Villepin. Car elle agit sur l’Etat qui la compose, en rétablissant le dialogue, en faisant régresser le repli, en apportant plus de solidité et surtout plus de solidarité. Cette solidarité doit se déployer à tous les niveaux, entre Etats, entre peuples, entre citoyens. La reconstruction du politique à un niveau mondial est dépendante d’un pacte social né du désir de l’humanité d’enfin vivre ensemble sur la base de l’intérêt général et d’une conscience d’un destin commun. Nous devons avant qu’il ne soit trop tard choisir entre solidarité et égoïsme, entre intérêt général et intérêt personnel, entre aventure ou repli.

La solidarité est bien sûr une question européenne, mais la crise de 2008 et les désordres des politiques économiques semblent la mettre de côté ! Il faut admettre que l’Europe de la politique monétaire n’a pas encore mis en place une réelle politique économique commune. Le chacun pour soi en Europe est pourtant, aux yeux de Dominique de Villepin, suicidaire. Le manque de gouvernance dans l’Union européenne est criant. Il y a le problème du dédoublement entre la zone Euro et l’Union européenne. La commission européenne n’a pas su promouvoir un intérêt général européen ! Or, compte tenu des dangers du monde aux portes de l’Europe, on aurait besoin d’une solidarité européenne réelle. La réalité est que cet environnement conflictuel (Proche-Orient, Russie par exemple) est appréhendé de manière confuse.

L’Europe avait pourtant su dans les décombres de 1945 et dans un esprit de réconciliation reconstruire une zone de paix et de prospérité. Mais depuis, l’Europe occidentale unie sous le signe de la démocratie et du refus du communisme a disparu, l’élargissement de l’Europe aux pays d’Europe centrale et orientale est allé trop vite sans trop tenir compte de l’histoire de ces pays, la chute du mur de Berlin a déplacé le cœur de l’Allemagne vers l’Est, et enfin il y a eu l’échec du traité constitutionnel. Tout cela a entraîné l’échec européen. Mais il ne faut pas oublier non plus que l’Union européenne s’est faite sur un compromis idéologique. Elle a donc peu d’efficacité et peu de légitimité. Surtout, l’Europe est sans réel projet, constate Dominique de Villepin. Ce projet ne peut s’élaborer que pour une Europe vraiment dans le monde, et s’il est commun. Et c’est difficile, surtout depuis l’élargissement. Qu’est-ce que l’identité européenne, se demande Dominique de Villepin ? Il commence à y répondre en disant qu’il ne faut pas de fermeture définitive des frontières, car l’Europe n’est pas seulement un territoire mais un destin. Cinquante ans de son histoire se sont passés avec l’espoir de dépasser par la volonté des hommes les circonstances historiques qui provoquaient les guerres, donc si elle s’est forgée sur des intérêts économiques, elle s’est faite aussi sur un idéal politique. Cette vérité d’un idéal politique là depuis le début est une notation importante dans ce livre ! Bien sûr des crises à répétition ont entamé cette volonté de vivre ensemble. C’est pourquoi il faut une re-fondation ! D’abord la construction d’un modèle social reposant sur la solidarité, la protection sociale, le droit des salariés, ce qui est une chance en regard de la compétition mondiale. Cette nouvelle fondation de l’Europe doit aussi avoir une ambition économique s’ancrant dans la modernisation, l’innovation : ainsi l’Europe pourra-t-elle s’imposer comme la première économie de la connaissance. Enfin, l’ambition politique retrouvée ! Dominique de Villepin en appelle à un nouveau Traité, et souhaite une présidence européenne légitimée par suffrage ainsi qu’une responsabilité réelle de la Commission européenne devant le Parlement. Bien que la France et l’Allemagne soient des pays très différents, l’un tourné vers la Méditerranée, économiquement pluraliste et toujours dans un affrontement politique, l’autre tourné vers l’Est et l’exportation, ayant une culture du consensus, il n’y a pas d’Europe sans ce couple, et ce serait une première étape symbolique s’il s’ouvrait à une forme de consensus auquel pourraient ensuite se rallier d’autres pays. Il pourrait y avoir entre les deux pays des partenariats ciblés. Ce serait, écrit Dominique de Villepin, un laboratoire politique et institutionnel historique, dans la recherche de l’intérêt général, en dépassant les intérêts particuliers ! Il faut l’admettre, une Europe à modèle unique ne pourra jamais exister, mais une Europe à plusieurs vitesses ! L’enseignement supérieur et les universités de cette Europe refondée pourront nouer une coopération avec d’autres puissances, comme la Chine, les Etats-Unis. Et à l’échelle européenne, il faut pour les chercheurs plus de mobilité, et plus d’interconnexions entre les universités. Enfin, la raréfaction des ressources sera un défi stratégique pour l’Europe qui est un continent mal doté en matières premières énergétiques. Très dépendante des voies d’approvisionnement, l’Europe a un intérêt vital au rapprochement avec la Russie et à une diversification des routes d’approvisionnement. Il est évident que la politique énergétique ne peut être envisagée sur un plan national, seule l’échelle européenne peut tenir face à la compétition qui s’annonce ! Le temps des marchés nationaux est révolu, dit Dominique de Villepin. L’Europe a tout pour devenir la première économie mondiale de la connaissance, répète-t-il, d’où l’espoir de sortir par le haut de la crise économique. Tout cela nécessite des investissements dans la recherche et l’innovation, et la valorisation des ressources scientifiques. Alors, l’Europe sera à la hauteur de la concurrence mondiale ! Si la solidarité vise l’unité c’est dans une dynamique d’ensemble, où sont exploités les atouts de chacun. Dominique de Villepin le martèle : dans cette nouvelle phase de mondialisation qui commence, le dogme de la libre concurrence n’est pas adapté. L’Europe doit au contraire mettre en avant un modèle de solidarité. Le concept des services publics est un avantage des nations du vieux continent européen sur les autres nations du monde ! La santé, l’éducation, l’entretien des réseaux d’infrastructures qui sont les plus modernes et les plus denses du monde augmentent l’attractivité pour les investissements étrangers. Et ces services publics renforcent une cohésion sociale, nationale, communautaire. En matière d’environnement, les Européens ont eu précocement conscience des problèmes car l’Europe s’est industrialisée très tôt. Cela fait peser l’Europe et la France dans les négociations mondiales ! Enfin, si l’Europe veut retrouver une aura face au monde, elle doit assumer sa singularité. Et cette singularité, quelle est-elle ? Sûrement pas de devenir les Etats-Unis d’Europe ! Il y a trop d’écarts entre les Etats à cause des histoires et des géographies différentes ! Le projet européen n’est pas celui d’une fusion mais celui d’un modèle inédit de solidarité stable et cohérent. C’est ça, sa singularité ! Si les Etats membres réussissent à dépasser leurs contradictions, la géographie de l’Europe la place comme un médiateur naturel dans les relations internationales. Par exemple, elle a une relation naturelle et forte avec le Bassin méditerranéen, duquel elle s’est détournée au lendemain de la conquête ottomane du XVIe siècle, pour se rapprocher de l’Europe germanique. L’ambiguïté de l’Europe avec le Bassin méditerranéen pourrait s’estomper avec une Union pour la Méditerranée. Par son histoire, l’Europe peut aussi tisser des relations côté oriental. Notamment avec la Russie qui s’est en partie construite adossée à l’Europe, ce pays Janus étant d’une part tourné vers l’Ouest et d’autre part vers l’identité asiatique. Alors que l’OTAN freine la construction d’une Europe de la Défense, l’Europe a tout intérêt, affirme Dominique de Villepin, pour son influence dans le monde à la réinvention d’un lien transatlantique qui ne soit plus pensé comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans une peur de l’Union soviétique et par gratitude. L’Europe se doit d’assumer sa puissance dans le monde, notamment pour y défendre ses intérêts vitaux et stratégiques. Sa réalité est celle d’une des plus grandes puissances économiques mondiales. L’Euro, deuxième monnaie d’échange dans le monde et deuxième monnaie de réserve, est un atout pour elle ! L’Europe est une puissance démographique, un atout aussi lui permettant de peser face aux Indiens, aux Chinois, à l’Afrique, à condition d’atteindre une masse critique d’un milliard d’individus ! Pas le choix, elle devra rassembler au-delà, par exemple vers la Russie, la Turquie, l’Afrique du Nord, le monde multipolaire exige des choix stratégiques ! Ces Etats ne seraient pas partie prenante des décisions européennes, mais ils pourraient entrer dans les politiques de l’Union européenne. La Turquie humiliée et repliée sur elle-même nous fait perdre son rôle de médiation vers le Moyen-Orient. L’Europe est la seule échelle envisageable, insiste Dominique de Villepin, pour intervenir dans beaucoup de conflits mondiaux, mais elle doit passer d’une logique identitaire à une Union généreuse et tournée vers l’extérieur. La puissance militaire européenne représente le quart des dépenses militaires mondiales ! Mais ses interventions sont dépourvues de coordination. La Défense européenne est à construire, en cessant d’être freinée par les origines pacifistes du pacte fondateur sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale. La solidarité européenne, cependant, doit d’abord s’organiser par la création d’un gouvernement commun ! Dominique de Villepin le souligne, c’est la faiblesse institutionnelle qui entraîne une absence de sentiment d’appartenance collective.

La communauté internationale est à construire, en aucun cas à subir ! Personne n’y reste un petit enfant parmi des grands et des puissants qui dominent ! Chacun y devient adulte et singulier par l’audace de son indépendance ! C’est pour cela que Dominique de Villepin met en avant l’audace de l’indépendance des Etats par rapport à la mondialisation ! L’indépendance de la France, rappelle-t-il, est un héritage de son histoire, mais son retour dans l’OTAN a gommé sa spécificité ! Cette indépendance, c’est de l’intérieur que la France en a une tumultueuse expérience, car son unité est restée toujours fragile, douloureuse, jamais achevée, rappelle Dominique de Villepin. Comme si c’était un pays dans lequel chaque enfant chercherait encore et toujours à affirmer sa singularité ! Ceci depuis les grands féodaux contre le Roi de France et les révoltes généralistes de la Révolution. Cela forge un destin commun, par des idéaux et une exigence républicaine et sociale ! A l’extérieur, croyant à sa mission universelle à défendre par les armes et par les idées, la France a toujours eu un souci d’indépendance ! Par exemple du temps des Capétiens, avec Philippe Auguste face aux Plantagenêts, Philippe Le Bel face à la Papauté. La diplomatie française, défensive puis conquérante, s’est déployée sur la spécificité d’un royaume ouvert géographiquement aux invasions. Notre politique extérieure reste porteuse d’un idéal universaliste, même si la Convention a eu un visage sanglant lorsqu’elle a voulu imposer à l’Europe les Lumières et la liberté par les armes, laissant pourtant le code civil. Il est bon de rappeler que la France a restreint le pouvoir de la Papauté, a séparé l’Eglise de l’Etat, a instauré la laïcité comme principe cardinal de notre pacte collectif. D’autres Etats se sont aussi construits sur un désir d’indépendance, mais l’indépendance à la française a ceci de spécifique qu’elle est un équilibre singulier entre une unité intérieure et une affirmation extérieure ! Peu de nations ont eu cette chance, oui les Etats-Unis et la Chine, non la Russie, le Japon, la Grande-Bretagne.

Comme souvent dans ses livres, Dominique de Villepin déplore ce décalage entre le regard critique que les Français portent sur la France, et l’admiration qu’elle suscite à l’étranger ! Son rôle de médiateur s’ancre dans sa géographie, car elle est un lieu de passage ouvert sur la Méditerranée, sur le couloir rhénan, sur l’Atlantique, elle est une terre sur laquelle se rencontrent les peuples ! Elle a un rôle privilégié de passeur entre l’Est et l’Ouest, c’est pour cela que la diplomatie avec la Russie, enracinée dans le passé, est si importante ! Par son rôle de passeur entre le Nord et le Sud, elle peut aussi dépasser les ressentiments de la colonisation et de la décolonisation. Son influence spéciale en Afrique subsaharienne est conservée, et de même avec le monde arabe. La voix de la France, rappelle Dominique de Villepin (et l’on se souvient de son discours à l’ONU contre l’intervention en Irak) est nécessaire à l’équilibre des relations internationales ! A l’Assemblée Générale de l’ONU, la France est capable de fédérer des décisions ! La France ne peut pas non plus s’enfermer dans sa seule famille occidentale, car elle est un trait d’union naturel et un porte-voix pour les démunis. Pourtant, elle doit se défaire de son côté donneur de leçons ! Elle se doit d’accompagner d’autres peuples vers plus de démocratie.

Plus que jamais, nous devons défendre nos principes, face à l’accession au marché mondial de milliards d’habitants des pays émergents et par la raréfaction des ressources. La Chine et l’Inde viendront de plus en plus prendre des parts dans les entreprises françaises, et les partenaires disposant de fonds souverains seront de plus en plus exigeants lorsqu’ils entreront dans le financement mondial. Autant de raisons pour instituer des leviers pour contrôler et protéger les activités et garder notre indépendance, en particulier dans le domaine de la Défense. Puissance américaine en baisse, ensemble géopolitique recentré sur de nouvelles puissances : l’indépendance, mondialement assumée, seule peut garantir contre le choc de civilisations, le contraire de rester abrité au sein de la famille occidentale. Finalement, quelle indépendance ? Dominique de Villepin y répond : celle d’une différence au service d’une vision, celle d’une singularité qui profite à tous. Le collectif ne s’oppose pas à l’individuel, mais la somme des individualités libres fait force. Les citoyens européens ne sont pas obligés de tous penser la même chose. Une diversité d’opinions, et une confrontation pacifique. L’indépendance est affaire, dit-il, de souveraineté, car elle ramène la légitimité au niveau du peuple, qui débat et choisit. Mais un peuple qui a conscience d’un projet commun, qui a une volonté de vivre ensemble, donc qui partage une philosophie de l’action commune dans ce sens, ce qui forge une identité commune positive et non pas de fantasme ou de souvenir, un ancrage de chacun dans un monde commun.

Cette indépendance, étant donné les menaces de ce nouveau monde multipolaire, doit être aussi diplomatique et militaire. Donc, il ne s’agit pas de revenir dans le giron occidental pour ces questions-là ! Mais revenir à la défense gaullienne tout azimut ! Avec une stratégie de défense qui s’adapte rapidement. La mémoire longue de la diplomatie et militaire de la France, par sa géographie et son histoire, permet d’assurer même seule en cas de nécessité la sécurité. La normalisation transatlantique par le retour de la France dans l’OTAN a diminué notre influence dans le monde, tandis que l’évolution de cet OTAN dans le monde est dangereuse. Si la France, à l’ONU, a pu mener ce combat pour convaincre ses partenaires du danger d’affrontements avec le monde arabe et l’islam, pour l’Irak, c’est qu’elle était libre !

L’indépendance doit être aussi économique et financière. Une audace après toute une génération de libéralisme économique triomphant ! Dans cette féroce compétition économique mondiale, l’Etat n’est plus à la barre, les normes de comptabilité lui échappent complètement, et les crises des changes mettent les Etats les plus faibles à la merci des spéculateurs et institutions financières mondiales. Pendant la dernière décennie, rappelle Dominique de Villepin, il y a eu une sorte de symbiose tacite entre la Chine et les Etats-Unis, l’un étant l’atelier du monde avec des excédents budgétaires énormes et l’autre le consommateur endetté. Il faut l’indépendance de l’un et l’autre, sinon, lorsque l’un est défaillant l’autre est aussi touché. Pas de solidité économique sans une large palette d’activités, notamment celles dont nous ne pourrions nous passer en cas de rupture des liens mondiaux. D’ailleurs, la diversité économique favorise la cohésion d’un territoire, elle garantit l’unité. Il s’agit aussi de clarifier les relations entre l’Etat et les grandes industries, car la conclusion de nombreux contrats internationaux nécessite le soutien public. Cela a pour conséquence que la diplomatie a investi le champ économique, pour la promotion du commerce extérieur. La France ne peut laisser ses groupes seuls, et doit aussi contrôler les investisseurs étrangers notamment dans les domaines de la Défense, de l’industrie pharmaceutique, de la recherche, de l’innovation. Pour l’économie nationale, il faut des protections afin d’harmoniser le libre déploiement d’intérêts privés avec l’intérêt national. Cela implique une stratégie, une politique industrielle, la capacité d’intervention d’un Etat sain et dynamique. Dominique de Villepin pointe ce tourbillon idéologique qui a fait perdre de vue à la France, après les 30 glorieuses, une vraie politique industrielle comprenant les enjeux à long terme de la mondialisation. La crise de 2008 a changé la donne, et certaines entreprises à l’échelle planétaire doivent envisager une reconversion douloureuse. Dans le cadre d’une vraie stratégie ! Lorsque l’Etat sait accompagner ces mutations, il peut les infléchir au niveau mondial vers le sens national ! Cela implique une politique de modernisation sélective préservant les secteurs d’excellence de l’économie française, et d’investissements ciblés. L’avènement du tourisme de masse des pays émergents forcera le secteur du tourisme à s’y adapter. Cette politique de modernisation doit s’inscrire aussi dans une politique éducative, car l’école est le lieu qui fonde et inculque la spécificité française. Filière de formation technique de pointe, développement de la formation continue nécessaire à la mobilité et à la reconversion, soutien des fleurons de l’enseignement supérieur français, renforcement de la synergie entre les grandes écoles et les universités en maintenant l’exigence de l’excellence par concours mais en veillant à l’égalité et à l’ouverture d’accès à tout le monde. L’économie française doit, dit Dominique de Villepin, renouer avec la tradition d’inventivité et d’innovation, par des ingénieurs issus des meilleures écoles, qui longtemps ont été détournés de l’industrie vers la finance ou l’administration ! Il faut bien avoir en tête que c’est l’Etat qui est gardien des intérêts à long terme, notamment pour le patrimoine environnemental et le parc d’exploitation des énergies renouvelables, pour lesquels il faut avoir une véritable politique d’indépendance énergétique.

L’équilibre des finances publiques, rappelle Dominique de Villepin, est un critère majeur d’indépendance financière.

La culture est un instrument d’influence, qui prouve la vitalité de la nation, nourrit son identité. Expression d’une liberté collective, elle reconduit de manière conflictuelle le pacte collectif. Elle témoigne de notre façon de vivre ensemble au cours de l’histoire. Il faut donc reprendre une vraie politique culturelle, qui manque depuis quelques années, car elle porte en elle l’ambition d’un dépassement des divisions. Notamment, il s’agit d’éviter l’impression qu’il y a une culture officielle, imposée par les élites à la population passive. La culture républicaine n’est ni élitiste ni populaire. Les œuvres de l’esprit doivent être accessibles à tous ! Cela évite l’enfermement des regards ! De même, il faut favoriser l’accès à l’art, et encourager la création. La langue française est un bien commun, et dans le monde le nombre de personnes qui la parlent est en augmentation. Rayonner suppose aussi savoir accueillir les étrangers, notamment dans le tourisme.

Bien sûr, rien n’est déjà fait, sommes-nous sur la voie de l’indépendance ou du déclin ? Le risque de dislocation républicaine est toujours là, de même que celui de la dilution dans le grand marché mondial indifférencié !

Mais Dominique de Villepin y croit, un nouvel esprit du monde s’est levé, et 2008 est aussi l’aurore d’un XXIe siècle de la réconciliation ! Il perçoit la chance d’une nouvelle Renaissance, sans l’effondrement des Amériques, sans le repli de l’Asie, sans une Europe conquérante ! De profonds déséquilibres se sont creusés dans le monde, des menaces gisent partout, le bouleversement du jeu international est un fait. Ce XXIe siècle sera-t-il celui de la guerre de l’eau ? Jamais les inégalités mondiales n’ont été si fortes, entre le Nord et le Sud, à l’intérieur des pays, et aussi en Chine ! Le monde parle désormais pour la première fois à plusieurs voix, c’est une chance à saisir pour construire une gouvernance mondiale, loin d’un discours apocalyptique. Il y a urgence à dégager un compromis souple, en acceptant les erreurs et les tâtonnements, et aussi un monde pas toujours rationnel qui est souvent proie des émotions collectives. Aujourd’hui, déplore Dominique de Villepin, le monde cède souvent à la peur, les opinions publiques vivent sous le choc permanent des images catastrophiques, comme s’il fallait faire voir le verre à moitié vide, situation propice aux dérives, aux démagogies, aux radicalités ! Le basculement du monde a rendu plus visible l’arrogance de l’Occident ! Il est temps que nous prenions conscience de la vitesse à laquelle les pays émergents nous rattrapent ! Il revient maintenant à l’Occident de s’adapter à la nouvelle donne, en laissant tomber le mépris pour les autres cultures ! Mais les nations émergentes doivent aussi éviter l’écueil de l’esprit de revanche ! La cité des hommes ne peut être réconciliée qu’en faisant le deuil d’anciennes blessures ! Il n’y a plus ni vainqueurs ni vaincus ! La communauté internationale sera guidée par la justice, la solidarité, l’indépendance, dans un climat intellectuel de même envergure que l’humanisme occidental de jadis ! Il ne s’agit pas de revenir au passé, mais, à l’image du passé, d’engager une nouvelle réforme intellectuelle et morale, qui se fonde sur la place centrale de la loi, qui est l’expression de l’intérêt commun face au pouvoir ! L’ordre du droit signifie un encadrement du pouvoir ainsi qu’un renforcement de l’autorité. Le retour du droit romain au XVI siècle avait fondé une société centrée sur la loi et non pas sur le détenteur du pouvoir. Il faut un ordre humaniste du droit ! Ce n’est évidemment pas encore gagné ! A l’image de la Renaissance, le mouvement d’idées doit porter un universalisme accessible à toute l’humanité, respectueux des différences, des cultures, de leur dialogue. Le premier humanisme s’était construit sur l’image de l’ancêtre idéal de l’Antiquité et de l’Autre négatif et barbare sans civilisation, rappelle Dominique de Villepin. Pour l’Europe, son semblable était un frère barbare à éduquer… ! L’universalité du nouvel humanisme s’édifie, lui, sur des normes communes ! Comme Erasme avait fixé une démarcation entre la sphère religieuse et la sphère publique, la laïcité, après des siècles de guerres de religions, est le socle de la cité des hommes, la désacralisation ayant permis la cohabitation des idées. Ce jalon de l’histoire de France a servi d’exemple pour le monde ! C’est important de le rappeler, à l’heure où le religieux cherche à dominer le politique ! Comme le premier humanisme était indissociable de l’imprimerie à caractères mobiles, qui a rendu possible l’émergence à cette époque d’un esprit critique, le nouvel humanisme est indissociable d’une part des élans économiques qui le portent, des réseaux intellectuels qui le façonnent mais aussi des nouvelles techniques de communications qui le diffusent. Grâce à Internet, une opinion publique internationale est née, qui fait espérer l’émergence d’une société civile transnationale. La mondialisation économique offre les conditions matérielles de l’apparition de nouvelles couches sociales plus dynamiques et plus ouvertes sur le monde. Il y a convergence des classes moyennes des pays émergents. Le nouvel humanisme, nous dit Dominique de Villepin, est porté à la fois par une philosophie critique et une philosophie des émotions. Il s’agit de donner toute sa place à la science et à la rationalité, à l’heure de techniques psychologiques et commerciales d’inculcation ! Il faut donc restaurer la raison, et replacer l’homme au centre de toutes choses, mais un homme doué de raison, capable de choix, et responsable ! Contre tous les déterminismes sociaux, culturels, biologiques, il aurait le libre arbitre. Dominique de Villepin conclut en disant que si l’homme réussit à avoir prise sur le monde, c’est parce que, d’abord, il puise en lui-même le ressort du changement. Il évoque une rigueur de caractère, non pas un moralisme. Il évoque la vertu. Une vertu républicaine, un esprit civique. Dans le service de l’intérêt général, l’homme devient plus grand que lui-même, sort de son enfermement et de son impuissance. Donc, un monde à construire à l’échelle des hommes ! Et une nouvelle citoyenneté à construire, dont les racines seraient à la fois locales et mondiales !

Un livre tellement important !

Alice Granger Guitard


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