Écris-moi à Mexico - Victor Serge & Laurette Séjourné
lundi 22 janvier 2018 par penvins

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Avant tout histoire d’un homme et d’une femme que les circonstances ont séparés sans qu’ils sachent quand enfin ils se retrouveront, la lecture de cette correspondance publiée par les éditions Signes et Balises offre un puissant contrepoison à tous ceux que notre époque a habitués à l’immédiateté. Non seulement ces deux êtres sont confrontés à la distance et à la tyrannie du temps mais ils doivent faire face à l’incertitude, à la fois celle des transports postaux, mais aussi celle des décisions politiques fluctuantes et aléatoires en matière de droits d’entrée et de séjour dans les territoires où ils cherchent refuge. Victor Serge a quitté la France et l’Europe laissant derrière lui sa compagne et sa propre fille, il a lui-même toutes les peines du monde à atteindre le Mexique (à défaut des États-Unis) où il désire se rendre. Outre l’intérêt historique - nous voyons ici la nécessaire fuite d’un révolutionnaire poursuivi par le GENOU et lâché par nombre de ses amis au premier rang desquels André Breton, nous sommes confrontés aux difficultés innombrables et à la mauvaise foi coupable des États qui dressent sans cesse de nouveaux obstacles devant les émigrants, quand ils ne profitent pas de la situation pour taxer les candidats à l’entrée sur leur territoire, époque où le visa est la règle et où il faut payer une caution pour prétendre fouler le sol des États-Unis - l’intérêt de cette correspondance réside essentiellement dans cette épreuve amoureuse de la séparation et de l’espoir de retrouver celle qu’il aime, espoir toujours déçu par les circonstances, nouveaux délais imposés pour obtenir les papiers nécessaires, changement de stratégie dans l’itinéraire qu’empruntera Laurette pour rejoindre Serge, lettres de Laurette qui n’arrivent pas, conduite à tenir en ce qui concerne l’expatriation des enfants - la lucidité de Serge l’emportera-t-elle ? Est-ce seulement lucidité, n’y a-t-il pas un peu d’égoïsme dans cette volonté de faire venir Laurette coûte que coûte fut-ce en laissant Jeannine (la fille de Serge) derrière elle ? – tout cela, qui est profondément humain, résonne harmonieusement avec les prises de position politiques de Victor Serge, l’anarchiste, le révolutionnaire, le communiste antistalinien. Victor Serge privilégie la vie plutôt que tous les dogmes dont il connaît la morbidité. Et ces lettres où la seule foi dont il fait preuve est celle que lui dicte son amour pour Laurette – il ne reçoit pas de lettres mais il reste convaincu qu’elles existent, son départ est toujours retardé, mais il lui demande du courage et l’assure qu’à la fin ils seront réunis. Qui passe presque inaperçu et qui révèle l’humanité profonde de Victor Serge, il demande régulièrement à Laurette des nouvelles de Loubia (sa première femme internée en psychiatrie). Bien sûr les correspondances amoureuses sont toutes un peu semblables, mais la constance avec laquelle Victor Serge par-delà les mers encourage Laurette et la conseille pour choisir le meilleur moyen de le rejoindre sans jamais perdre espoir en dépit de l’inhumanité de réglementations arbitraires force le respect.

Je suis confiant parce que je vis sur une nécessité intérieure et parce que je sais que cette nécessité nous réunit, que tu es ainsi, soutenue et tendue par la même force, et que nous ferons tout ce qu’il faudra, tant qu’il faudra. Je t’attends avec cette sécurité, je suis sans cesse étonné de voir quel sentiment de ta force tu m’as donné, combien je suis calme avec toi, par toi.

Il faudra à Victor Serge près d’un an pour qu’enfin Laurette puisse le rejoindre, un an d’espoir calme et résolu.


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