Le vent de Tanger rend fou - Elsa Nagel
lundi 15 octobre 2018 par Françoise Urban-Menninger

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Elsa Nagel, docteure ès lettres et écrivaine, est connue comme critique de films et biographe pour particuliers. Elle est l’auteure d’un excellent ouvrage sur Orson Welles "L’Art du mensonge et de la vérité" (L’Harmattan). Ayant passé sa prime jeunesse et son adolescence à Casablanca avant de s’établir à Strasbourg, elle témoigne avec "Le vent de Tanger rend fou" de sa double appartenance à la culture française et marocaine

Dans cet ouvrage, nous voyageons au Maroc à travers le personnage d’Isabelle, touriste française à la dérive qui tente d’oublier "l’homme qu’elle a quitté quelques semaines plus tôt". Elle lui écrit des lettres qu’elle ne lui enverra jamais et déjà le vent se glisse entre les pages de ce livre car il emporte dans "une bourrasque" "les feuilles de papier qui s’envolent"...

D’emblée le vent lève et balaie tous les tabous ! Elsa Nagel évoque le portrait de femmes mûres à la recherche de jeunes Marocains, les nuits de transe dans les boîtes de nuit....Mais aussi l’ennui...

Amie avec une femme de chambre de son hôtel, Isabelle découvre le hammam et la crainte d’être possédée par un jnoun qui pourrait investir son corps, dans un patio, nous nous enivrons avec elle du parfum du jasmin en fleurs et de celui du chèvrefeuille qui "embaument l’air". Tous nos sens sont sollicités par des images belles et intemporelles dans l’évocation de "L’Andalousie rayonnante".
Mais un jour, il n’y a plus trace d’Isabelle à l’hôtel et Selim, le jeune Marocain avec lequel elle converse souvent dans un café, découvre qu’elle a loué une chambre délabrée à la sortie de la ville.

Désormais Isabelle promènera "sa blondeur et ses yeux bleus" dans les bas fonds de Tanger où "les amants d’un soir se succèdent". Une façon peut-être de se perdre pour mieux se retrouver...Car son "inquiétante étrangeté" donne un tempo particulier à ce livre qui casse bon nombre de clichés. On y découvre des Marocaines émancipées, Isabelle se lie avec certaines d’entre elles, faisant ainsi l’expérience de la sororité, notamment dans sa complicité avec la maman de la petite Kenza ou encore avec Khaddoudj, la femme de chambre.

Une infinie mélancolie empreinte de poésie parcourt les feuillets de ce livre magnifiquement écrit. Elsa Nagel y danse avec les mots et les images à l’instar d’Isabelle, son héroïne qui finit par danser avec le vent "qui ne l’effraie plus".

Ce livre très court exerce un charme sur le lecteur tel un philtre ou un djoun, le vent y distille sa musique insinuante et insidieuse tout comme dans la nouvelle de Paul Bowles "Réveillon à Tanger" où le sujet principal est une maison héritée à Tanger que "le vent traverse de part en part".

Nul doute que la magie opère, l’écriture d’Elsa Nagel insuffle un vent d’une telle intensité et d’une telle magnificence dans cet ouvrage qu’il sera difficile d’en "réchapper", pour reprendre et parodier la dernière phrase de son récit.

Françoise Urban-Menninger


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