4 livres sur l’Allemagne
samedi 11 février 2012 par Meleze

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Quatre livres sur l’Allemagne

Quatre livres sur l’Allemagne.

 

Dans cet essai nous tentons de mettre en perspective quatre livres sur l'Allemagne que nous avons eus entre les mains cet hiver.

 

La vie de Voltaire de Condorcet Paris 1789.

Le Capital de Karl Marx Paris 1885.

La chute de la France d'Ozkar Zenkner Dusseldorf 1942.

Hammerstein ou l'intransigeance Gallimard 2010.

 

 

 

 

Cet aperçu sur l’histoire de l’Allemagne s’est ouvert par la littérature car le hasard nous a mis le même mois en main quatre ouvrages que nous n’aurions jamais pensé à ouvrir en même temps et au même moment. Nous en avons fait la présentation par ordre chronologique mais de nombreuses passerelles obligent à passer d'un commentaire à l'autre sans tenir compte de la chronologie.

 

1°) Comment se fait-il que l’héritage nous ait légué à la fois les œuvres complètes de Voltaire et celle de Karl Marx ? C’est un mystère. Mais toujours est-il qu’une fois ré ouvertes les œuvres de Voltaire sa parenté avec Marx surtout en tant que dénonciateur de la religion est absolument évidente. Bien entendu Voltaire précède Marx et ce tandis que ce dernier s'inspire de « l'essai sur les moeurs et la religion ».

 

Cependant ce n'est pas exactement à Voltaire lui-même que nous nous référons ici. Le livre référencé n'est pas de Voltaire mais de Condorcet car l'édition des œuvres de Voltaire qui date de 1867 est introduite d'une biographie de l'auteur écrite par Condorcet qu'il intitule « vie de Voltaire » à la veille de la grande révolution de 1789.

 

Ainsi c'est Condorcet qui donne son sens à la relation tout à fait originale de Voltaire et de Frédéric II. Il en fait le tournant de l'œuvre de Voltaire car il écrit qu'à partir de la rupture de sa relation avec l'empereur de Prusse, « relation qui fût houleuse et pleine de perspectives » Voltaire est à l'origine du concept Europe. Condorcet écrit : « …Un essai de Voltaire dénonçait les coupables à l’Europe » et aussi « dans la même année 1766 un autre arrêt (celui du chevalier de la Barre) étonna l’Europe ».La relation de Voltaire et de Frédéric II a certainement servi de modèles aux volte-face complexes de la collaboration franco-allemande de ces cinq dernières années.

 

C'est aussi Condorcet qui juge que « Voltaire vit dans le malheur de la France la destruction des espérances qu'il avait conçues pour le progrès de la raison humaine ». Condorcet nous fait sentir un moment très important de la fragilité de la France, qui se retrouve dans le livre de Zenkner.

 

 

2°) Il n’est pas commun de replacer Marx dans une tradition littéraire et non pas politique. C’est l’effet de la recherche d’Enzenberger (voit Nr 4) sur la défaite de la Russie face à l’Allemagne qui a pour conséquence de replacer Marx dans une tradition littéraire. Car on ne s'intéresse plus ici à sa place dans l'histoire du socialisme mais à son ambition pour l'Allemagne.

 

Entre Voltaire et Enzenberger Marx redevient un allemand souhaitant la grandeur de l’Allemagne en concurrence avec celle de l’Angleterre. Nul doute qu’il attribue à ce dernier pays le colonialisme par lequel il est devenu un des maitres du monde et par lequel les techniques du capitalisme se sont mondialisées. Mais il semble sans cesse qu’au vu de la loi sur la baisse tendancielle du taux du profit l’Allemagne fera mieux et il semble que c’est ce qui est en train de se passer. L’Allemagne grâce au marché mondial accède à une dimension universelle dans laquelle elle domine à la fois les USA et la Russie et dans laquelle elle réalise sur le plan économique en Europe le rêve que les nazis avaient conduit par les armes d’une Europe unie.

 

Ce qui est frappant dans la théorie du capital de Marx c’est qu’il n’y a plus besoin d’être un nazi pour libérer les forces intérieures de l’Allemagne dans la concurrence. La théorie de l’espace vital n’a plus de sens parce qu’au sein de la production industrielle se sont les processus techniques qui retardent la baisse de la productivité et non pas l’expansion territoriale.  Dans son débat avec l’Europe l’Allemagne est encore plus grande que Marx ne l’imagine. Par ailleurs Marx ne s’intéressait à la Russie et à la Chine que dans la mesure où elles étaient des empires féodaux que l’Allemagne plus avancée dominait facilement. Or on sait ce qui est arrivé au communisme et on peut voir que la domination de l’Allemagne vis-à-vis de ces deux puissances émergeantes du 21° siècle que sont la Russie et la Chine ne tient plus à sa propre origine féodale, à ses junkers comme disait Marx mais bien entendu aux compétences techniques et de gestion  La puissance marxiste dans les relations internationales rend la France et l’Angleterre bien ridicules dans les relations internationales. Elles n’ont rien à enseigner rien à prouver. L’Angleterre est raciste et la France paysanne. Bien que libérales elles n’ont pas cette école de formation aux relations internationales qu’à apporter le socialisme à l’histoire de l’Allemagne.

 

 

3°) Le livre suivant est un vieux livre publié en 1942 à Dusseldorf en langue allemande par Ozkar  Zenkner sous le titre « Frankreich fallt » (la chute de la France). On y trouve très bien expliqué la conviction que les Allemands ont de faire l’Europe en entrant pour la première fois militairement dans Paris. De nouveau s’ouvre la perspective historique qui conduit de l’Allemagne militaire unifiant l’Europe derrière son drapeau à l’Allemagne économique unissant l’Europe derrière sa devise l’€

 

C'est un livre qui contient une description apocalyptique de l'exode, panique de la foule par laquelle on a l'habitude de nommer la peur qui s'empara des Parisiens dans les journées du 13 au 16 juin 1940 Zenker interroge des témoins comme un journaliste réalise des interviews.

 

De plus Zenkner  nous a intéressé parce qu’il fait contraste avec les trois précédents. Autant la série, Condorcet, Marx, Enzensberger conduit à une vision de l'Allemagne extrêmement construite et qui ne semble pas encore avoir atteint son apogée ; autant le livre de Zenkner oppose à la force de l'Allemagne la fragilité de la France. L'histoire de France y est vue comme une série de chutes extrêmement rapides. L'année de notre défaite de 1940 célébrée par les Allemands dans le château de Fontainebleau ne peut s'écrire sans une reconstitution romanesque de la séance des adieux de l'empereur Napoléon. en 1814 à sa vieille garde.

 

En se reportant au commentaire de Condorcet citant Voltaire sur « le malheur de la France » les propos de Zenkner prennent une profondeur rarement citée par les historiens nationaux car ils associent l'humiliation sur le plan national à l'humiliation sur le plan militaire.

 

Bien entendu pour l'Allemagne c'est un moment de triomphe éphémère.

 

 

 

°4°) Le quatrième livre est celui d'Hans Magnus Enzensberger sur le général Hammerstein. De nouveau un formidable paradoxe avec le livre précédent puisque Zenkner avait pour but de faire l'éloge de la victoire nazie tandis que le livre d'Enzensberger est enterrement rempli de la future défaite de l'Allemagne en Russie.

 

Enzensberger nous ouvre un formidable aperçu historique pour nous faire comprendre la relation qui ne s'ouvre bien que posthume entre Karl Marx et un général de la Reichswehr qui fut en outre le chef de l'état-major jusqu'en 1934. Or la filiation est on ne peut plus simple. Le général Hammerstein a eu l’idée géniale de collaborer avec la Russie après le traité de Versailles parce que ce traité interdisait à l’Allemagne tout réarmement. Donc l'armée allemande qui n'avait ni chars ni avions envoyait là-bas, du côté de Saratov ses chars et ses avions pour qu'en commun officiers de l'armée rouge et officiers de l'armée allemande s'entrainent.

 

À partir de ce point les révélations s'enchainent à toute vitesse. Hammerstein à sa façon est un résistant.  Coopérant avec la Russie communiste il a eu trois filles qui sont à un moment ou à un autre devenues des informatrices ou des membres du parti communiste allemand d'abord à Berlin puis à Moscou après le départ en exil.

 

On assiste donc à l'ascension de la pensée de Marx dans la société allemande jusqu'à son point culminant. Mais l'aperçu historique ne s'arrête pas là. Non seulement le romancier s'amuse à récapituler les époques de fascination entre les deux élites qu'ont été les aristocraties russes et allemandes, et là on retrouve Voltaire, mais en outre l'histoire d'Hammerstein est reconstituée d'après les pièces historiques qui se sont ouvertes en Russie après 1989 et là on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a là une revanche de l'Allemagne sur la Russie.

 

Certes elle a perdu la partie militaire des années 40 en ayant été vaincue par l'armée rouge, mais sur le plan économique après 1980 est revenue en Russie avec une force technique qui a pris le monde entier par surprise et qui donne à l'Allemagne l'extension continentale actuelle que Hitler avait rêvée militairement pour elle.

 

Le livre d'Enzensberger est passionnant. On peut arriver à lire les 300 pages d’un coup. L'intervention du personnage d'Hammerstein, inconnu dans l'histoire mille fois répétée du coup d'État du 20 juillet 1944 contre Hitler, crée un suspens qui est souvent digne du roman policier.

 

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Note sur la simultanéité.

Il y a cependant un point de vue un peu étonnant dans ce qu'Enzensberger nomme, sur la trace de l'historien Karl Schlegel : « le scandale de la simultanéité » c'est un peu provocateur de la part d'Enzensberger d'écrire : « Pendant les étés, les plages de baignade étaient noires de monde, on s'adonnait à l'apiculture, on jouait au football, on collectionnait des timbres.» Pour notre part nous préférerions nous fier au témoignage de Viktor Klemperer qui raconte dans son journal la vie quotidienne à Dresde pendant ces mêmes années et qui pour illustrer la simultanéité des événements, cite surtout « la disparition de l'essence, la faim, le travail forcé. La provocation de la simultanéité n'attire pas tous les regards sur les mêmes événements simultanés.

 

 

 

Note sur un adjectif.

Enzensberger écrit à propos de la dernière des filles du général : « Votre opiniâtreté inspire le respect. Pendant vingt, trente ans rester fidèle à une cause perdue, ce n'est pas rien ». Le qualificatif de « cause perdue » est très intéressant et nous fait réagir parce que c'est justement lui qui est remis en cause par notre perspective historique qui fait tout à coup de la domination de l'Allemagne sur la Russie et non l'inverse, une cause avancée de cet engagement politique à l'Est.

 

 En France aussi existaient de vieux staliniens dont l’attachement au parti avait été plus fort que la dérive du marxisme. Pendant les trente dernières années du 20° siècle dont les luttes, à l'instar de celle de la fille du général Hammerstein étaient classées comme des « causes perdues ». Mais les dix premières années du 21° siècle obligent à revoir cet engagement dans un autre sens à cause de la force et de la pertinence de l'analyse du Capital[1] de Marx sur le marché mondial. C'est ainsi que des pays comme la Chine et la Russie qui ont été obligés de revenir dans ce même marché mondial, ont commencé elles-aussi d'obéir à la baisse tendancielle du taux du profit ainsi qu'à l'inévitable impérialisme extérieur qui les accompagne, « La cause perdue de l'ancienne internationale » éclaire à nouveau l’Extrême-Orient et permet de comprendre l’ascendant d’un pays comme l’Allemagne sur le continent eurasiatique.

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[1] Le Capital de Karl Marx Tome III vol1 le procès d’ensemble de la production capitaliste  Paris 1885

 

 


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