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La vision du monde dans le genre littéraire arabe les Séances, "maquamt"
lundi 14 octobre 2019 par Abdelaziz Ben Arfa

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Mahmoud Tarchounaa est un célèbre professeur universitaire tunisien, très connu partout dans le monde arabe, mais il est aussi un écrivain laborieux et prolixe. En témoigne le nombre considérable d’ouvrages qu’il a publiés. Ceux-ci appartiennent à la haute littérature, par l’élégance du style et la finesse de l’analyse.Cette production éditoriale profuse est axée essentiellement sur la fiction romanesque et la critique littéraire. Ces études analysent surtout les textes de Mahmoud Messaadi(1911-2004), (auteur du Barrrage, d’ AbouHourayra prit la parole et dit...., de Genèse de l’oubli), et interrogent aussi bien la production romanesque moderne tunisienne qu’un certain nombre de recueils de poésie, mais aussi certains écrits produits par des écrivains arabes. La vision orientant le point de vue critique adopté par cet auteur, prend sa source, à notre avis, dans une magistrale thèse d’état, sur la littérature comparée, dirigée par André Miquel et soutenue le 7 octobre 1980, à Paris III, devant un jury composé d’Edmond CROS(Président), André Miquel rapporteur, Mohamed Abdesselem, Nada Tomiche et Mohamed Arkoun (membres) :Les Marginaux dans les récits picaresques et espagnols,texte publié par l’université de Tunis, en 1982 ; l’auteur en a donné une version en langue arabe, qui fut publiée par le Centre National de Traduction, à Tunis, en 2010. Elle établit des rapports de comparaison entre trois œuvres représentatives des récits picaresques espagnols : Lazarillo de Tormes, une œuvre anonyme(mais qui représente la véritable naissance du récit picaresque),Guzman de Alfrache, (qui représente l’apogée du genre), de Matéo Aleman, le Buscon(qui en annonce la décadence), de Quevedo. Ces romans picaresques espagnols sont comparés tout au long de la thèse avec les Séances, d’al-Hamadani, les Séances, d’al-Harriri et quelques récits desMille et une nuits.

et quelques récits desMille et une nuits.

-Le picaro et al-Mamoun

-le cycle du barbier:l’histoire du troisième et du sixième frères ont un intérêt particulier

-Le mariage d’Ibrahim

-le mariage d’Ishaq

(ces récits dans les ‘’Mille et une nuits’’ sont qualifiés de picaresques.)



La thématique de cette thèse porte sur les marginaux représentés par les deux types de littérature. L’analyse que mène Tarchounaa dans la thèse profuse de 555 pages, montre que dans les deux cas, il est question de l’antihéros, dans le sens que lui donnent Georges Luckas, dans La Théorie du roman et Lucien Goldman dans Sociologie du roman. Il (l’antihéros) est dressé contre l’ordre de la classe sociale en place. Quoique d’extraction plébéienne modeste, il utilise une éloquence impressionnante pour haranguer la foule et séduire le public afin d’obtenir de l’argent pour survivre à sa condition de gueux. Pour gagner sa vie, il porte tous les masques : il recourt à la tromperie, il joue des scènes aux spectateurs, à ces auditeurs, à ceux qui l’écoutent, il se travestit en mendiant, en handicapé, se déguise et joue de multiples rôles théâtraux. Toute sa stratégie vise à survivre dans une société de classe qui oppose les nantis d’un côté et celle des gueux de l’autre. Ce conflit de classes se traduit par des postions iconoclastes : par une mise en question des valeurs héritées. Seulement, l’analyse décèle la position de classe de l’auteur arabe Harriri,nettementen faveur des classes défavorisées et des valeurs nouvelles, alors que la position de Hamadani est ambiguë. De même, chez les auteurs espagnols : la position de Matéo Aleman(auteur espagnol) est identique à celle de Harriri (auteur arabe) : Aleman appartient au monde nouveau et non à l’ancien. Il met en scène le véritable prototype du picaro, un antihéros. Tandis que Quevedo bien qu’il soitanimé d’une haine de classe, refuse pourtant le monde nouveau. Sa position, ambiguë rejoint celle de Hamadani :

Hamadani(968-1008). Cet auteur arabe fut terriblement choqué par la situation historique que traversait son siècle caractérisé parl’instabilité et l’écart flagrant opposant la classe des riches à celle des pauvres.

Or, dans ce contexte bien particulier, Al-Hamadani s’était accointé à des groupes de gueux qui avaient pratiqué la mendicité comme style de vie pour survivre à la faim qui tenaillait leurs entrailles. Les Séances qu’il avait rédigées narraient des récits conduits par un narrateur qui décrivait le parcours d’un antihéros madré, trompeur, plein de ruses. Celui-ci ne cessait de se déplacer d’un lieu à l’autre. Il mendiait en sollicitant la générosité du public auquel il s’adressait en usant de rhétorique et d’éloquence qui tenaient celui-ci dans un état d’ébahissement et d’ahurissement. Il ne cessait de changer de posture, de statut social, en portant plusieurs masques, en jouant différents rôles : tantôt celui du religieux faussement empli de piété et de dévotion, tantôt il endossait le rôle d’un mendiant quémandant l’aumône. Parfois, il faisait le grand orateur et le super rhéteur haranguant la foule du haut de sa tribune. D’autres fois, il se travestissait en un ignorant, niais et stupide. La séance doit son titre soit au lieu où se déroulait l’évènement, soit au nom du personnage qui prenait la parole, soit encore à l’objet qui en constituait le thème. Ce que l’on pourrait dégager généralement de ces séances, c’est qu’elles témoignaient d’une situation historique arabe, celle qui avait lieu au cours du troisième siècle de l’Hégire, durant l’époque du règne de la dynastie Abbasside : elle révélait un état lamentable de la fragilité politique, du désordre social, de la dégradation des mœurs, de la faillite des valeurs nobles, ainsi que de cette tendance à la tromperie, à la corruption, à la duperie de l’autre et du semblable, à l’extorsion des biens et de l’argent. Il y a d’un côté le spectacle de l’apparence et du paraître ostentatoire : les commerçants qui venaient d’accumuler defaçon illégale une immense fortune devenant ainsi les nouveaux riches d’une classe aisée et distinguée qui étalait son prestige ; et d’un autre côté, à l’opposé, le spectacle de la misère sordide, celui des gens démunis et pauvres. C’est dans ce contexte qu’agissait l’antihéros, dans les séances, d’Al- Hamadani.

L’œuvre Les Séances d’Al- Hamadani, ainsi que celle de son continuateurHarriri, tous deux auteurs arabes, sontcomparées constamment dans la thèse de littérature comparée, de Mahmoud Tarchounaa, à trois romans picaresques espagnols :

D’abord, au premier chef-d’œuvre de fiction narrative du seizième siècle : Lazarillo de Tormes, paru en 1554 et attribué, peut-être, à tort, à Diego Hurtado de Mendoza(1503-1575) peint une société corrompue où les classes se mêlent et les valeurs aristocratiques se dégradent. Le héros et le narrateur de ses propres aventures louvoie entre les écueils du monde. Il vie en parasite, voire en escroc.

Lazarillo raconte lui-même les aventures de son enfance et de sa jeunesse. Il a été successivement attaché à un mendiant aveugle, qui le traitait cruellement, mais qu’il avait la joie mauvaise de tromper et de voler, à un écuyer, à un religieux vendeur de bulles, à un alguazil. Dans toutes les situations de confiance, il commet les pires exactions, et il s’en vante. L’auteur adopte le ton satirique : c’est que ce roman est une satire de toutes les autorités.

Ensuite, à La Vie de Guzman d’Alfarache, de Mateo Aleman (1547-1614) : c’est l’histoire d’un fils de marchand qui, à douze ans, fuit une famille dont les vices l’écœurent. Il prend le chemin de traverse, s’engage dans l’armée et passe en Italie. Mal accueilli par la parenté génoise, il la ruine. Il vole et il est volé, il gruge, escroque, se repent, tombe dans le péché. Rentré en Espagne, ayant fait un riche mariage, dépossédé bientôt, il devient étudiant en théologie, puis maquereau et tire-laine. Il connait la prison et les galères. Bénéficiant d’une grâce, il profite de sa demi-liberté, pour écrire ses mémoires. Contrairement à Lazarillo de Tromes, Guzman d’Alfarache, ne déploie passes talents dans le milieu des clercs et des hidalgos, mais dans celui des marchands, des usuriers, des soudards et de la pègre. Il appartient au monde nouveau et non à l’ancien. Il est le véritable prototype du picaro.

Enfin au Buscon(1626), de Francisco de Quevedo (1580-1645) : ce roman met en scène un fils de juifs, neveu d’un bourreau, que des parents ambitieux envoient à l’école comme serviteur d’un jeune noble. Mi-domestique, mi-parasite, souffre-douleur, éternellement gai et malicieux, le garçon apprend que seul le vice triomphe. Il monte à Madrid, entre dans la délinquance. En vérité, il va subir un long calvaire, être plus souvent trompé que trompeur, vaincu que triomphant, emprisonné, battu, moqué, parmi les voleurs, les fils des familles dégradés, les comédiens ambiants, les prostituées, les voyous. Voyou dégénéré et traqué, il part pour l’Amérique, deniers refuge des réprouvés.

L’auteur espagnol Quevedo est animé d’une haine de classe, il refuse pourtant le monde nouveau. D’où, l’on constate que le positon ambigu de Quevedo est similaire à celle de Al-Hamadani, l’auteur arabe.

(Le Busconétait traduit en, arabe : Sirat as Satir, par Musa Abbud, et publié à Tetuan, en 1950)



Le concept de vision du monde, chez Lucien Goldman:



La vision du monde est un concept élaboré par Lucien Goldman. Il occupe une place intermédiaire dans la chaîne des relations qui forment la méthode de critique littéraire du « structuralisme génétique ». C’est dans Pour une sociologie du roman et dans Le Dieu caché que ce concept forgé par Goldman dans l’époque de son exercice :

À l’aide de ce concept, il explique, dans son livre Le Dieu caché, les tragédies de Racine : cet auteur avait vécu au dix septième siècle, en France. L’ordre social, à cette époque, était fondé sur l’autorité absolue du Roi. Ce Roi s’appuie sur l’appartenance aristocratique des seigneurs nobles. C’est pourquoi, il s’était entouré de nobles parmi les avocats, les officiers, et les hauts cadres de l’administration. Mais, très vite, il s’était détaché d’eux, parce que ce groupe social n’était pas autonome économiquement : il dépendait financièrement de la Cour du roi et n’était pas propriétaire de terres en sa possession. C’est ainsi que le pouvoir de ce groupe s’était affaibli. Alors, il se mit à contester le pouvoir absolu du roi. Mais, il était impuissant à changer l’ordre des choses. Cette impuissance avait engendré chez les gens appartenant à ce groupe social « une vision tragique ». Un autre groupe de gens religieux, les Jansénistes, partageaient, eux, aussi, avec ceux-ci, cette même vision tragique. Cette vision est structurée à partir de trois composantes : Dieu, le monde et l’homme. Ces gens, parce qu’impuissants, considéraient que Dieu avait abandonné le monde, et, l’homme se trouva, alors, dans l’obligation de supporter son sort tragique. C’est pourquoi Lucien Goldman avait intitulé son ouvrage Le Dieu caché. À partir de ce rapport défaitiste au monde, l’auteur, Racine avait élaboré sa « vision tragique » pour exprimer cette impuissance à changer l’ordre du monde. Il faut prendre en compte cinq éléments qui structurent cette vision : d’abord, le pouvoir absolu du roi, au dix-septième siècle ; ensuite, la caste sociale des nouveaux nobles ; puis, la vision tragique ; en outre, l’écrivain Racine ; enfin, la structure tragique.

Pareillement, l’on pourrait expliquer, aussi, « la vision réaliste », chez Balzac, de cette manière : la montée de la classe bourgeoise suite à l’essor de l’évolution industrielle dans une société capitaliste.

De même, l’on pourrait parler de vision chosiste, de « réification » du monde qui domine le vingtième siècle : la sectorisation, la fragmentation, le fractionnement, le démembrement, l’éparpillement ont engendré l’individualisme. La personnalité de l’individu s’était dissoute dans un contexte réifié encombré d’objets. Cette vision, ainsi caractérise, spécifie les auteurs modernes, tels Alain Robbe-Grillet, Michel Butor qui ont peint un univers de fiction caractérisé par la dissémination et l’effritement des composantes constitutives de l’univers romanesque traditionnel. Le nouvel univers fictionnel et romanesque de ces auteurs focalise surtout sur la description minutieuse des objets.

L’on pourrait s’inspirer de cette démarche du structuralisme génétique de Lucien Goldman pour rendre compte du genre littéraire « Maqamat » :

La Maqamat, comme chacun le sait, est un genre littéraire qui avait surgi au cours du quatrième siècle de l’Hégire, et fut pratiqué par l’auteur arabe Al- Hamadani. Les cinquante deux maqamat qui composent le recueil de récits d’Al-Hamadani sont unies par un même narrateur (Aïssa Ibn Hichem) par et un même protagoniste (Abou Al-Fath Al –Axandari) qui participent à l’homogénéité du système narratif. C’est la ruse qui dynamise l’action narrative : la mendicité adopte le comportement de la ruse pour parvenir à ses fins. Le mendiant qui quémande l’aumône est pourvu de deux visages : un visage masqué et un autre découvert. C’est le second visage qui confère au récit narré un aspect humoristique, ironique et pessimiste. Ce qui domine, c’est l’amertume, le regret et une lamentation qui se plaint du sort injuste : en ce siècle, le statut de l’intellectuel est rabaissé, aucune considération ne le hisse au niveau de ses performances de rhéteur et d’homme de lettres. L’on avait marginalisé cet intellectuel. C’est pourquoi, celui-ci exprime une position de refus, de mécontentement et d’opposition. Il conteste le système social qui n’accorde de privilèges qu’aux gens fortunés, ceux qui possèdent le pouvoir de l’argent, et occupent de hauts postes de responsabilité dans l’état. Il constate que tout le monde est un loup pour tout le monde. Il décide, alors, de recourir à la ruse, à la malignité, et à l’astuce pour pouvoir survivre, gagner sa pitance, et refuser l’usage de la violence.

Aussi , le cadre méthodologique qu’offre la démarche du structuralisme génétique, pourrait-il éclairer l’interprétation dans le sens d’une orientation qui fait alterner tantôt l’assimilation et tantôt l’explication, c’est-à-dire une fois, l’on fait prévaloir l’analyse de la structure littéraire et une autre fois, l’analyse de la structure sociale, et tenter, à partir de ce repérage, de dégager une conscience de classe à l’œuvre, entrain d’occuper une position intermédiaire, révélant qu’un groupe social est entrain d’ émerger historiquement, et de structurer une vision du monde qui prend conscience du changement qui s’opère :

Ce sont des données sociales et économiques qui avaient structuré le contexte historique du quatrième siècle de l’Hégire. En effet, l’émergence du genre littéraire Maqamat était contemporain de la décadence que connaissait l’autorité politique des Abbassides. La Qualifiât s’était démembrée en de nombreuses et minuscules principautés. La faillite du pouvoir central avait causé des crises économiques, des conflits sociaux. En cette époque, le règne des Abbassides connaissait ses derniers moments de dissolution et d’effondrement. C’est que ce pouvoir avait commencé déjà par s’effondrer à partir du troisième siècle de l’Hégire, en concomitance avec la manifestation de la révolution du Zang ainsi que celle des Quaramita qui prenaient de l’ampleur. À cela, il faudrait ajouter, aussi, la lutte intestine au sein de l’armée qui était composée de mercenaires, d’origine turque et persane.

À Bagdad, le pouvoir du Qualifiât s’était amoindri et diminué. Il ne gardait du prestige de son autorité que le nom. Le vrai pouvoir était aux mains des turcs. Au milieu du IVe siècle, les Buyides avaient démantelé tout pouvoir qu’avait possédé le Qualifiât.

La vision du monde dans les Maqamats:

La faiblesse de l’État s’était accentuée parce qu’il se servait d’une armée pourvue d’un équipement pesant, lourd et cher. L’équipement de cette armée nécessite une lourde fiscalité qui décourage les producteurs et crée des mécontents de tout bord. Il avait fallu élever le taux des impôts et l’imposer aux différents secteurs de la production. Mais, cette mesure prise par l’État avait désenchanté les producteurs, les cultivateurs, et d’autres acteurs sociaux qui s’étaient démobilisés. Elle avait suscité aussi la colère, surtout parmi les rangs de l’armée. Le système des Buyides avait accentué l’écart social d’une façon flagrante, provoquant des tensions d’ordre social et l’émergence de quelques mouvements contestataires, et des organisations marginales.

Un changement de la mentalité arabe s’était opéré : si, auparavant, la personne tirait son honneur de l’appartenance à une noble lignée dynastique aristocratique, désormais, c’est plutôt la fortune accumulée qui imposait son règne, son autorité et son prestige. « L’honneur gisait, maintenant, à la pointe du sabre » : c’est dire que la nouvelle aristocratie militaire avait supplanté petit à petit l’aristocratie dynastique : les vastes terrains cultivables qui étaient possédés par les gens qui constituaient l’entourage califal étaient passés sous l’autorité de certains officiers militaires. Lorsque les services de trésorerie s’étaient trouvés incapables de payer les traitements qui devraient être versés aux dirigeants de l’armée, les princes Buyides cédèrent à ceux-ci des champs qu’ils mettaient à leur disposition pour les gérer, et afin d’en percevoir l’impôt. Mais, ces nouveaux venus exagérèrent les taxes et les impôts, si bien que les victimes, qui subissaient la tyrannie de cette mesure, refusèrent de s’y assujettir et abandonnèrent leurs champs. Aussi des groupes mécontents s’étaient-ils organisés, revendiquant un ordre social plus juste et plus équitable. Le conflit entre les nantis et les damnés s’exacerbait prenant des tournures idéologiques entre les riches chiites, qui séjournaient à Bagdad, et les hanbalites, les pauvres, qui habitaient à Bassora. Les quartiers de la ville furent incendiés plusieurs fois. Derrière le paravent religieux se dissimilait un conflit de classe entre gens riches et gens pauvres. Ceci expliquerait, peut-être, la position sunnite prise en faveur de la truanderie le mukaddis en dénonçant les chiites dans la maqamat intitulée Al-Marestania. Cette position se lit plus clairement d’Al- Hamadani, l’épistolaire. Les divergences des points de vue, la lutte idéologique révélaient un conflit social. La propagation de la littérature de « truanderie, Koudia» durant ce siècle participait à cette ambiance conflictuelle qui régnait entre les favorisés par la fortune et les défavorisés par le sort. Les historiens spécialistes de l’époque du règne des Buyides notaient que les riches marchands étaient parmi les grands propriétaires terriens, les officiers militaires, les hauts responsables de l’administration et même parmi les ministres.

Le truand Le mukkadis n’appartenait à aucune de ces catégories sociales, mais, il était un surgissement naturel qu’avait fait émerger l’ordre social perturbé et la crise économique qui sévissait. Il n’avait ni l’arme des officiers militaires, ni le capital financier que possédaient les marchands. Mais, il était convaincu qu’il les surpassait tous ensemble, par sa culture littéraire et par son ingéniosité de rhéteur. Le problème qu’il affrontait, c’était qu’il ne jouissait pas d’une appartenance dynastique noble et aristocratique. Il n'avait qu'à choisir entre contester /ou légitimer (- justifier) l’ordre social injuste établi. C’était un être qui n’occupait aucun rang dans la hiérarchie sociale, ne possédait ni fortune, ni l’honneur d’appartenir à une dynastie noble. Aussi, s’opposait-il aux fortunés, aux notables, à ceux qui se targuent d’être les fils issus d’une dynastie familiale noble. Obligé de s’adapter à cet ordre, il s’y acclimata, en y participant, en prenant partie dans ce jeu. Très convaincu que tous étaient des voleurs, chacun selon sa méthode, il jugea inopportun de rester à l’écart. Il se mit à tricher avec les riches en vue de prendre sa part du butin volé. Car les officiers militaires exploitaient les champs cultivables, les marchants accaparaient le monopole exclusif, exploitant la nation, et le truand le mukaddi prenait part à ce jeu, contre les uns et contre les autres, suivant les moyens qui lui étaient offerts. En fin, personne ne remportait la victoire dans cette bataille. En effet, l’économie s’était ruinée, à l’époque des Buyides, à cause de la mauvaise gestion des officiers, devenant inflationniste, à cause des droits exorbitants prélevés, de la confiscation, de la saisie, de la réquisition et de la main mise, de la dégradation de la situation sécuritaire, et la dilapidation du fonds monétaire de la trésorière : « la Maison musulmane de la trésorerie ». Les paysans avaient pris la fuite refusant de payer les impôts exorbitants, et évitant, par là-même, l’abus oppressif exercé sur eux par les officiers. Ils émigrèrent vers les villes.

C’est dans ce contexte, qu’émergèrent les gens de la truanderie mukaddis, Banou sassan : la maqamat était le genre littéraire qui avait véhiculé leur vision du monde : une vision ironique et pessimiste qu’avait su rendre pour la première fois un génial écrivain : Al-Hamadani, d’une façon cohérence et dans un style d’écriture hautement esthétique.

Si l’on admet que la structure littéraire est générée par la structure sociale, ceci n’exclut pas la relation intertextuelle qu’établit l’œuvre ou le genre avec ce qui l’avait précédé, lui préparant le terrain : Djahiz avait déjà,dans ses peintures des diverses classes sociales, abondamment parlé des maukkadis, de ces personnages hauts en couleur, hâbleurs, et sans scrupules qui préfiguraient le truand dans les maquamat d’Al-Hamadani : des relations de reprise et de déprise établies et des contenus puisés dans les récits et les anecdotes qui foisonnaient au cour du troisième et quatrième siècles de l’Hégire : les dits, de Khaled Ibn Doureyd, al-amali, de Kali, les avares, les conduites des truands,les ruses des marginaux, les diverses ruses des voleurs de nuit et de jour, de Jahiz, un chapitré intitulé la maqamat des ascèses et des ermites dans les cours des califats et des rois, qui figure dans le livre les fontaines des informations, d’IBN Kouteiba, où il est brossé le portrait du faux prêcheur, le personnage Abou el-Fath. Il faudrait ajouter, en outre, les poèmes qui glorifient et exaltent la truanderie, insultent le sort et le siècle : à titre d’exemple l’ assa-ssa-nia, un poème de Abi-Doulef Al-Kazraji ainsi que Ibn Sokra Al-Hachimi, Ibn Hajjaj, Ibn Lank, et les poètes saalik, à l’époque antéislamique.

Par Abdelaziz BEN ARFA.






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