L’enfant de l’Océan
jeudi 16 février 2012 par Louis

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On est ici tout proche de ce que nous montre la télé-réalité avec cette énorme différence que l’histoire n’est pas manipulée par un scénariste du Storytelling mais qu’elle tient sa vérité de l’auteur lui-même. Il ne s’agit pas simplement d’une biographie romancée comme l’écrit l’éditeur, il s’agit d’une autobiographie reconstituée. Le qualificatif a son importance, car si toute autobiographie fait l’objet d’une reconstruction, c’est généralement à partir d’éléments que l’auteur a toujours connus, on assiste ici au contraire à la découverte par Frédéric Adolph de ses origines cachées. L’histoire - que l’auteur connaît lorsqu’il entreprend de la raconter - est remarquablement mise en scène et emporte le lecteur de la première à la dernière page. L’auteur reconstitue ses origines à l’issue d’une thérapie, la façon dont il se sert de faits avérés, Frédéric Adolph agit en historien de lui-même, apporte des documents qui étayent sa reconstitution, ne doit pas, malgré tout, nous conduire à sous-estimer le travail réparateur de la mémoire, ce qui est réellement intéressant ce n’est bien sûr pas tant l’histoire elle-même que la façon dont elle est racontée.

Jacques Vialle – c’est le vrai nom de Frederic Adolph – a eu trois pères,
-  son géniteur qui ne l’a pas reconnu,
-  son premier père adoptif Paul : Paul m’a rejeté comme un vulgaire torchon […] c’est peut-être l’abandon de trop
-  et Lajos son beau-père (le mari de sa mère adoptive) ce sera de ce dernier en dépit de sa violence alcoolique qu’il fera un père : Frédéric n’a pas conscience de l’amour que Lajos lui porte. Pourtant, cet homme l’aime à sa façon, allant même jusqu’à le présenter comme son propre fils. L’autorité du père qu’il symbolise a permis à Frédéric d’éviter bien des erreurs.

Il aura deux mères, sa mère adoptive et sa mère biologique qu’il finira par retrouver.
Le lecteur sera sans doute étonné par la relation qu’il entretient avec cette mère :
A la fois un détachement par rapport à elle :
Je vais adresser une lettre au directeur de l’hôpital en lui indiquant que je ne souhaite plus de contact
[…]
En revanche, il lui téléphonera : Par contre, je téléphonerai plusieurs fois à ma mère
[Jacques ne tient finalement pas tant que ça à garder une relation avec elle, il maintient le contact mais il insiste pour garder coupé le cordon.]
et d’autre part une réinvention – redécouverte, mais aussi remise en ordre – de cette filiation biologique.

On comprend certes que tout homme (toute femme) ait besoin de savoir d’où il vient mais ce n’est pas seulement cela, derrière le discours concernant la mère adoptive : toi, tu es « maman », elle c’est la femme qui m’a mise au monde, il y a le souci de se rattacher à une famille biologique qui est beaucoup plus important comme le montrera la suite du récit où Jacques fonde lui-même une famille, a des enfants et souligne son bonheur d’avoir des petits-enfants. Il sera encouragé dans cette voie par des psychologues qui insisteront pour qu’il reconnaisse comme plus signifiants les liens biologiques que les liens affectifs : Je comprends que tu aies considéré Yoskha comme ton frère, mais il n’est pas ton frère. Alors que les liens affectifs ont été ceux qui l’ont structuré pourquoi cette insistance ? On peut vraiment se demander si sous prétexte de principe de réalité on ne surestime pas une réalité qui n’est au fond que culturelle, celle d’une société qui privilégie les liens du sang et les liens juridiques aux liens qui ont réellement structurés les êtres. Je comprends que tu aies considéré Anna comme ta grand-mère, mais elle n’était pas ta grand-mère. Elle était la tante de ta mère (adoptive)
Est-ce que la grande détresse de Jacques ne vient pas plus d’un manque de reconnaissance sociale - au sens large du terme – que de n’avoir pas identifié ses parents biologiques ? D’ailleurs on entend bien que lorsqu’il les a identifiés, il n’y attache pas plus d’importance que cela. Il s’accommodera du rejet de son père, il restera méfiant dans ses relations avec sa mère. Ce qui lui importe c’est d’avoir trouvé une famille, une communauté qui le reconnaît pour sien. Tout le combat de Jacques est là, il est conscient de sa capacité à créer des relations dans un environnement difficile il le dit à diverses reprises, son histoire proprement extraordinaire, son combat acharné pour découvrir la vérité de ses origines montre à quel point il attache d’importance à sa relation aux autres et donc à ce que les autres l’aiment

On voit que ce témoignage pose des questions auxquelles la téléréalité donne souvent des réponses toutes faites mais sur lesquelles l’écriture [et la lecture] oblige à revenir.

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