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La littérature arabe classique et la théorie des genres - Fraj Ben Romdhane
samedi 7 décembre 2019 par Abdelaziz Ben Arfa

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Lecture de l’ouvrage de Fraj BEN ROMDHANE :

‘’La littérature arabe classique et la théorie des genres : le cas des récits”. (Livre rédigé en arabe).

Par : Abdelaziz BEN ARFA

INTRODUCTION Je viens de lire ces jours-ci un ouvrage magistral rédigé par le professeur universitaire (maintenant en retraite) Fraj BEN ROMDHANE. Ce livre s’intitule : ‘’la littérature arabe classique et la théorie des genres, le cas des récits”, édité par Dar Mohamed Ali Al-Hammi, à Sfax, sa première édition date du mois de juillet, année 2001 ; il compte 224 pages ; d’un prix de huit (8) dinars tunisiens. Vu la qualité littéraire supérieure du contenu et du style de ce livre, ainsi que sa performance théorique, sa pertinence démonstrative, la vaste culture qu’il mobilise, les nombreux ouvrages bibliographiques auxquels il fait référence, la patience dialogique des discussions qu’engage l’auteur avec les chercheurs, et compte tenu de tous ces aspects précieux que je viens de citer et d’énumérer, j’ai jugé utile d’ explorer et la démarche méthodologique et l’objet de l’investigation, ainsi que les points de vue divergents ou convergents examinés .


-1- Le cadre épistémologique de l’enquête :

Le chercheur universitaire, Fraj BEN ROMDHANE commence par prendre les précautions méthodologiques, par poser le cade épistémologique dans le quel doit-être traitée cette question qui porte sur l’origine du genre littéraire, le récit, dans la littérature arabe classique. Ce cadre et cette méthode sont empruntés, d’abord, et essentiellement, à T. Todorov, et ensuite et subsidiairement, à Mikaël Bakhtine : selon le premier chercheur et critique littéraire, il est impossible pour l’investigation, quels que fûssent les outils dont elle se dote, d’atteindre un point (un lieu, un temps), repérable historiquement dans le passé, qui signale ou indique la naissance du genre, le récit. Car, l’origine du récit se perd dans la nuit des temps. Mais ce que l’on sait, c’est que le genre se transforme et se métamorphose : aussi ce que peut-on, alors, entreprendre, c’est de dépister les traces de l’apparition de celui-ci, même à son état embryonnaire, de suivre le cours de son évolution, de son apogée, de son intégration à d’autres genres, ou tout simplement de son déclin et de sa disparition. Car le genre naît du genre. L’on constate que dans ce cas l’approche synchronique est insuffisante à aboutir à des résultats, il faut lui adjoindre (lui associer l’histoire littéraire) l’approche diachronique. C’est que le genre se souvient de son histoire. Ce qui détermine l’avènement du genre, aussi, ce sont : l’idéologie dominante, l’institution littéraire, l’horizon d’attente, et en outre, un autre facteur, celui de l’envahissement du ‘’savoir /la connaissance” par l’idéologique. Fraj BEN ROMDHANE exploite ce cadre épistémologique qu’il emprunte à Todorov, pour engager son enquête. Il propose aussi de se munir du concept ‘’énoncé” forgé par Bakhtine pour mener à bien son investigation sur l’origine du genre, le récit, chez les arabes : le critique littéraire russe postule que tout énoncé littéraire est pris d’emblée dans un rapport dialogique d’échange. Aussi, son point de vue ne rejoint-il pas celui de Saussure : car, l’acte de parole n’est pas tout à fait individuel. Dès sa profération, l’énoncé émis, est, déjà, et d’emblée socialisé, codé, pris dans un espace d’interlocution dialogique d’échange et de partage.

C’est dans ce cadre épistémologique que BEN ROMDHANE place les conditions méthodologiques et oriente les questions qu’il pose vers la recherche d’une réponse : aussi, note-t-il dans ce même cadre, que la critique littéraire arabe classique n’a pas traité ce problème. Si elle n’a pas théorisé le genre, le récit, c’est, peut-être, parce que tout l’effort de la critique littéraire était centré sur la théorisation de la poésie, assujettie qu’elle était à la pression de l’idéologie dominante. D’autres empêchements ont entravé l’élaboration d’une réflexion théorique sur le genre, le récit : l’on focalisait, essentiellement et principalement, sur

l’agencement du vers, pris isolément. Car, il n’existait pas une théorie du texte qui percevait celui-ci comme ensemble ou totalité organique. Le commentateur du poème se contentait de porter des remarques sur une figure rhétorique (métaphore, comparaison etc.), sur l’emplacement stylistique d’un terme, sur l’agencement prosodique d’une cellule rythmique ou phonique.

BEN ROMDHANE s’interroge alors : faut-il que la critique littéraire arabe moderne s’en charge et comble cette lacune ? admettait-on que l’on emprunterait ou que l’on convoquerait ou encore que l’on invoquerait une théorie littéraire sophistiquée élaborée par les occidentaux et l’appliquer à la lecture du corpus des textes arabes classiques ?

BEN ROMDHANE compulse, alors, quasiment toutes les études littéraires arabes rédigées par les chercheurs modernes qui ont traité cette question. Parmi les chercheurs qui ont centré leur objectif sur l’origine du genre récit dans littérature arabe classique, BEN ROMDHANE retient le nom de la thèse d’état monumentale soutenue par le professeur universitaire Mohamed AL-KHADI. C’est une recherche minutieuse, bien fouillée, bien outillée mais discutable, voire contestable : c’est la thèse la mieux élaborée, mais est-elle convaincante ? Fraj BEN ROMDHANE commence par apprécier cette investigation en termes élogieux. Il se propose d’en exposer le contenu ou du moins d’en dégager la problématique essentielle qui oriente l’analyse et de mettre en relief les saillantes articulations qui en sous-tendent la démonstration :

La thèse concernée montre que le récit apparait surtout chez deux auteurs arabes classiques : Jahidh et Abul-Fraj Al-Asbahani. Dans quel état d’élaboration apparait le récit dans le corpus littéraire de ces deux auteurs ? Celui-ci n’actualisait que quelques fonctions narratives parmi celles mentionnées par Vladimir Propp. Mais, un des récits avait actualisé une quinzaine : c’est le récit qui portait sur le sort dramatique qu’avait connu Qais, l’amoureux de Laila, Ibn Al-Moulawah. C’est l’auteur du” livre des Chants’’, Abu Al-Faraj Al-Asbahani qui avait rédigé un copieux ouvrage en vint cinq volumes dans lequel il rapportait des informations, soit vues, soit entendues, sur les chanteuses ancillaires, les danseuses, les joueurs de luth, les poètes, les amoureux. Cet auteur éprouvait un fervent engouement pour cette catégorie de personnes artistes. Il assistait aux audiences où se tenaient les rencontres ; il collectait les faits à l’était brut, brosser tableaux et portraits mais c’était toujours dans un récit bref. Le récit passait chez lui de son état oral qui s’inscrivait ans un contexte dialogique d’échange à un état scriptural. Car, il était un grand écrivain d’un style élégant littéraire apprécié. Cette brièveté condamne chez lui le récit à ne jamais atteindre sa plénitude fonctionnelle. Le récit était encore assujetti à la vraisemblance, dans une sorte de servilité au réel. Mais, l’on constate une transformation et une métamorphose que subit le récit qui narre les péripéties du drame amoureux qu’avait vécu Qaïs IBN AL-Moulawwah : c’est que l’imaginaire était entré en scène, affublant et exagérant jusqu’à atteindre les limites de l’invraisemblable. L’imaginaire avait permis au récit de s’affranchir des limites fixées par le réel. Mais à ce moment de l’affranchissement du récit par l’imaginaire, JAHEDH vint et intervient dans l’histoire littéraire du récit pour infléchir la courbe événementielle et lui imprimer un cachet spécial :

-2-Jahidh, l’équilibriste et le modérateur :

Jahidh était un rationaliste moutazilite. Lui-même avait composé des récits littéraires qui figurent dans son livre intitulé ‘’les Avares ‘’. IL se méfie de l’imaginaire, qui affuble exagérément et d’une façon invraisemblable, les faits rapportés, sans méthode, sans limites, sans disciplines, et sans frontières. Selon lui, l’imaginaire doit opérer dans le cadre restreint du vraisemblable et ne doit pas s’aventurer outre mesure. Or, qu’advient-il du récit s’il est

privé de l’imaginaire qui le libère des limites astreignantes qu’impose un réel étriqué ?! Si l’éminent professeur émérite Hammadi Sammoud et le célèbre professeur Mohamed Al-Khadi voient en l’auteurAl-Jahidh l’avènement littéraire remarquable, le site culminant, le point le plus lumineux de l’accomplissement de l’acte scriptural, et l’apogée de la réalisation du projet littéraire arabe, Fraj BEN ROMDHANE ne partage pas l’avis émis par ces deux là ; il conteste, discute, rétorque et polémique :

Al-Jahidh est un auteur que l’institution universitaire et celle littéraire vénèrent, apprécient et le portent aux nues. Cependant, bien qu’Al-Jahidh appartienne au courant rationaliste moutazilite, il est un religieux, croyant. Aussi quel rapport établit-il avec le sens, la vérité, l’imaginaire et le récit ? L’on dégage dans son livre intitulé ”les Animaux” qu’il croit en l’existence du diable, des Djinns et des anges. Or, il trace une limite qui sépare le récit élaboré par les savants de celui, imaginaire, élaboré par la masse populaire commune, ‘’les aaribs”. Il reproche même à ses gens qui croient en l’existence d’êtres imaginaires et invisibles de nourrir leurs têtes par des inepties ( south-thej ) . Mais, c’est, ici, où le raisonnement de Jahid rencontre des impasses .Puisqu’il est croyant, la vérité, pour lui, est établie d’avance par la croyance religieuse. L’imaginaire peut visualiser ou mieux ‘’visionner’’ l’invisible. En somme, chez cet auteur vénéré, s’entremêlent, en un nœud inextricable : sens, vérité, fiction, imaginaire et récit. Les scientistes et rationalistes universitaires affirment avec outrecuidance et arrogance hautaines le rationalisme de Jahidh et sa pratique scripturale supérieure. Pourtant, le récit, malgré l’impasse où l’avait placé cet auteur, continua à s’élaborer par le recours salutaire à l’imaginaire qu’exclut ou modère sa fougue Jahidh : des récits voient le jour, sans l’aide d’une critique littéraire savante. L’on pourrait citer à titre d’exemple :-‘’l’Epître du Pardon”, de Maarri, -‘’l’épitre des génies inspirateurs” (=Risalat At-tawabih wa-z-zawâbih”, d’Ibn Chohaid, ‘’Hayy Ibn Yaqzan”, d’Abubacer Ibn Tofail.

Par, ailleurs, Il ne faut pas négliger une composante essentielle qui structure le récit : la chaîne des rapporteurs. C’est une tradition orale (donc ‘’un énoncé” émis dans un contexte dialogique=cf.Bakhtine ) qui remonte à l’époque du prophète Mahomet :dans ce contexte réaliste, c’était pour garantir la véracité des propos rapportés. Mais, le récit en a hérité pour les besoins de la fiction : il s’agit de positionner un narrateur auquel l’auteur délègue la narration comme dans le cas de Maqamat.

En outre, le contexte dialogique oral se perçoit aussi quand l’on démontre que le récit établit des relations secrètes ou évidentes avec les ‘’Hagiographies des saints” (cef. ‘’Les formes simples”, de Yolles) : le cercle des mystiques est restreint et détient des propos secrets auxquels ne peuvent accéder que les initiés professionnels. Ces élus de Dieu imitent l’action des prophètes et accomplissent des prodiges de l’ordre des miracles. C’est parmi les couches populaires que s’étaient propagés les récits qui narraient leur conduite exceptionnelle, les exploits merveilleux qu’ils réalisaient. Le récit prend racine dans les croyances religieuses qui sédimentent le patrimoine du folklore populaire. Et, c’est toujours, l’imaginaire qui intervient pour étoffer le récit : cet ‘’ autre scène” concept primordial qu’emprunte Fraj BEN ROMDHANE à Octave Mannoni, le psychanalyste(...)

La naissance d’un nouveau genre littéraire qui s’approche à peine du récit : ‘’l’anecdote”

Il existe un autre genre que les critiques littéraires désignent par le terme : ‘’l’anecdote”.Il est synonyme du récit mais qui s’en distingue par bien des aspects. Le contenu anecdotique doit comporter un mélange de sérieux et de comique (ou d’humoristique) : c’est cette caractéristique qui le distingue. C’est ‘’Le Livre des Avares ‘’ qui inaugure pour la première fois ce genre que l’on baptise ‘’l’anecdote’’. Mais, Jahed n’en était pas conscient :il n’établissait pas une nette distinction entre les deux

genres. Tantôt, il employait e le terme ‘’anecdote”, tantôt, il employait le terme ‘’récit”. Il en faisait usage comme s’ils étaient des synonymes. Il faut noter que ‘’Le Livre des Avares” contient aussi bien des récits que des anecdotes. Cette double orientation générique est attestée par les différents travaux universitaires qui avaient lu ce livre, chacun à partir d’un point de vue différent de l’autre : par exemple Mohamed Al-Khadi avait soutenu un Certificat d’Aptitude à la Recherche(CAR), en septembre en 1988, qui portait le titre : ‘’la Plaisanterie dans Le Livre des Avares”, Moufida Az-Zribi avait soutenu une thèse de troisième cycle(DRA) qui s’intitulait ‘’le traitement de l’anecdote par la critique littéraire classique” ;le mauritanien qui avait accompli ses études universitaires, à la faculté de Tunis, le nommé Ahmed Ben Mohamed Ben Ambirek avait soutenu un travail qui avait pour titre” l’image de l’avare, d’après le style d’écriture dans Le Livre des Avares” , publié à Tunis, en 1985, par la Maison Tunisienne de l’Edition(MTE). Fadwa Malti De Glass avait traité une problématique pareille à travers les chapitres 2 et 3 de son livre ‘’La structure du texte du patrimoine”, publié au Caire, en 1985, par la Direction Générale Egyptienne du Livre, ainsi que dans un article intitulé ‘’les structures de l’avarice’’, paru dans ‘’Saisons” ( =Foussoul), la revue égyptienne, tome12, numéro3, Automne,1993. Abdelfattah Klito avait intitulé le chapitre 6 ‘’la Poétique de l’anecdote”, qui figure dans son livre ”L’Auteur et ses Doubles”, paru aux Editions du Seuil, en 1985 ; l’intervention d’ Adel Kidher portait le titre ‘’La fabrique de l’anecdote : recherche sur la rhétorique de l’humoristique”, paru dans un livre collectif qui porte le titre “la problématique du genre littéraire”, édité, à Tunis, par la faculté de la Manouba.

Ce qu’il importe de noter, c’est que Jahid, l’auteur de ces anecdotes qui figurent dans son livre s’était accointé à des personnes réelles connues par leur avarices tels que : Al-Asmaï, Abou-Oubaïda, Aboul-Hassen Al-Madayni : ils les désignent nettement par leur noms. Le narrateur n’était pas encore devenu cet être (anonyme) de fiction positionné par l’acte narratif.

Mais, comment expliquer cette double polarité générique, alors que le statut de l’anecdotedans le ‘’Livre des Avares”, de Jahid se confondait encore avec celui du récit. Chacun des d’eux genres était entrain de s’éloigner de l’autre tout en étant très proche de lui. Dans une première étape, c’est le titre distinctif appliqué à un genre qui va contribuer et l’aider à se séparer de l’autre. De même, si la chaîne des rapporteurs étaient des personnes réelles qui existaient vraiment, le genre serait proche du” récit historique”, si elle (cette chaîne ...) devenait fictive, le genre s’approcherait du ‘’parodique” : et c’est à mi chemin de ces deux polarités antithétiques que ‘’l’anecdote humoristique”allait frayer sa voie. Et, l’on considérait unanimement que celui-ci avait fait son apparition, pour la première fois, dans Le livre des Avares, de Jahidh sans que cet auteur en soit nettement conscient qu’il était entrain de fonder un genre littéraire nouveau qui se distinguait du récit ‘’historique”

L’écriture de ‘’l’anecdote”, genre littéraire arabe :

Ce qui spécifie l’anecdoteen tant que genre littéraire, c’est cette dimension humoristique ou cette plaisanterie qui provoque le rire du lecteur.

Jahiz emploie ce terme ‘’anecdote” en lui substituant des expressions synonymiques telles : ‘’saveur rafraichissante”,”plaisanterie divertissante”,”propos égaillant” etc....qui

sont récurrents dans le corpus textuel de cet auteur, dans Le Livre des Avares et dans d’autres écrits du même écrivain.

Le contexte scriptural que figure l’anecdote reprend et redessine en le transformant une situation dialogique orale, réelleet concrète.

Dans Le Livre Des Avares, la chaîne des rapporteurs est présentée comme composante structurale et structurante, essentielle et indispensable. Mais, c’est l’aspect parodique qui éloigne l’anecdote du récit historique. Elle participe plus du narratif que de l’argumentatif. Elle pourrait se dérouler soit selon le mode syntaxique narratif simple soit complexe. Cette complexité est de deux natures :

-soit que la syntaxe narrative accumule des éléments hétérogènes en les homogénéisant, provoquant un revirement de la situation qui engendre une inversion des contenus (cf.Greimas), voire un dépaysement.

-Soit que la syntaxe narrative accumule vainement le disloqué qui reste paratactique où n’advienne aucune surprise qui surprenne l’horizon d’attente du lecteur : dans ce cas les éléments ordonnés s’additionnent sans qu’intervienne un principe organisateur et unificateur qui subsume leur disparité. Seul, le protagoniste opère comme actant fédérateur. Ce protagoniste pourrait-être soit une personne unique, individualisé, soit un groupe pluriel agissant. Pour illustrer ces deux cas de figure, l’on pourrait citer soit cette Zoubeida Ben Hamid, soit ce groupe de personnes religieuses qui s’entretiennent dans la mosquée de Bassora .La syntaxe narrative pourrait soit ordonner une suite relationnelle qui évolue vers une surprise, voire une méprise, soit regrouper et aligner mais c’est la dislocation régressive qui l’emporte. Dans le cas deZoubeida Ben Hamid, la préparation débute en douceur, et le parcours narratif opère un revirement. Les deux récits, celui de Zoubeida Ben Hamidet celui du groupe des religieux de la mosquée de Bassora occupent le début du Livre des Avares.Tandis que les récits d’ Abi Abderrahman Ath-Thawri et de Tammam Ibn Jaafar se situent à l’opposé des deux premiers. Ils illustrent le type de l’anecdote dans l’espace duquel la syntaxe narrative relie des éléments accumulés, les agençant de sorte qu’ils engendrent l’inédit et le surprenant. À l’opposé, c’est la syntaxe narrative, accumulative, quantitative et vaine qui l’emporte (=‘ ’Tarquib kimmi aatibati”). Si l’on établit une comparaison pour illustrer ces deux types de syntaxe narrative, l’on invoque ces anecdotes fournies et étoffées qui figurent dans ‘’Le Livre des Avares” et qui ressemblent au récit de Kais Ibn Thourayh . Et, à l’oppose, d’autres types d’anecdote, squelettiques et schématiques, dans le même ouvrage, qui ressemblent au récit du Majnoun. La syntaxe narrative qui ‘’réussit” est celle qui dessine une courbe événementielle qui actualise de nombreuses fonctions morphologiques et diégétiques qu’active l’imaginaire.

Il faut se rappeler, cependant, que Jahiz préconise le dosage et l’équilibre .Il déconseille l’exagération : il pense que celle-ci est vaine, inutile, inopérante et sans intérêt.

Par ailleurs, l’on pourrait considérer que ‘’Le Livre des Avares” est une épître épistolaire, puisque il constitue une réponse à une demande adressée par un émetteur à lui, destinataire.

L’on note aussi que par endroit les éléments narrés ne sont pas suffisamment soudés et organisés selon un système cohérent : ceci implique que l’élaboration de la poétique textuelle de ce livre est encore perturbée par le contexte réel et référentiel.

En sont témoins ces redites, ces rappels récurrents, cet usage de l’adversatif, ce régressif qui l’emporte sur le progressif, ces commentaires superflues qui expliquent certains vocables du lexique, cette désarticulation du système expressif, et ces vocatifs qu’adresse directement Jahiz au lecteur :

Toutes ces remarques montrent que le degré de maturation qu’avaient atteint l’écriture de l’anecdote ainsi que la conscience qui concevait et élaborait ce genre littéraire était encore à un état embryonnaire de gestation et à un stade de tâtonnement.

Quel sens peut-on donner à ces multiples énoncés hétérogènes accumulés, et à ces signes qui se s’assemblent et se rassemblent pour figurer l’espace diégétique de ‘’l’anecdote”, en tant que genre littéraire ?

L’on pourrait donner la réponse suivante à cette question :

Tawfik Baccar, dit, quelque part, ceci : ‘’le livre des avares marque un moment décisif durant le quel le rire s’est mué en une composante littéraire qui structure la figuration diégétique de ‘’l’anecdote”.Ces propos émis par Baccar expriment une partie de la vérité. Faudrait-il les compléter par ceci :

Jahiz a conservé certains ingrédients hérités du contexte oral, réel, et référentiel : si bien que l’on déduit que le texte scriptural ne s’était pas autonomisé par rapport au réel : du coup, l’on observe deux logiques qui se bousculent et s’entrechoquent : la logique réelle, référentielle en conflit avec la logique textuelle. Le texte scriptural est encore hanté par le spectre du réel et du référentiel tandis qu’un nouveau genre littéraire,”l’anecdote”, débute dans la recherche des techniques de composition qui vont spécifier sa forme.

En effet, le contexte oral, réel influe sur la forme de l’anecdote : l’entretien qu’engage le groupe des religieux se déroule dans la mosquée de Bassora. Ce contexte référentiel est un contexte religieux .C’ est ici où s’ancre l’espace configuré par l’anecdote : ‘Quand les personnes de ce groupe se rencontraient à la mosquée, elles formaient un cercle, se mettaient à remémorer le chapitre, le discuter, et c’était à la fois utile et divertissant”. Mais, Jahiz a opéré une transformation : il a arraché l’entretien à son contexte religieux en l’inscrivant dans un espace mondain que figure l’anecdote.

Le récit du groupe religieux de la mosquée de la Bassora est celui, peut-être, où s’ordonne le mieux la syntaxe narrative complexe. Il ne renseigne, aussi, sur les étapes et les stades que traverse le processus de l’écriture scripturale de ‘’l’anecdote’’, dans cet ouvrage.

Dans le même ordre d’idée, Jahiz avait une expérience mondaine qu’il avait exploitée pour nourrir et étoffer ses textes. Il avait fréquenté des gens mondains, il avait pris part à des séances de plaisanterie. Son humeur était encline à la plaisanterie. Quand il brosse le portrait d’un avare, il le dote de traits qui caractérisent sa physionomie, il prend plaisir à noter le ton de sa voix, l’expression de son visage, le mouvement de ses yeux. Il décrit le narrateur qui mime le comportement d’un aveugle. Il typifie la personne caricaturée : il réunit en lui plusieurs traits déplaisants.

Jahiz refuse le vide qu’installe le style d’écriture qui formule les expressions d’une manière abstraite. Sa rhétorique à lui tend à meubler le vide .Il cimente les fissures .Chez lui, le sens est un plein rhétorique qui emplit les coins et recoins de l’espace

figural et scriptural. Il était, consciemment ou inconsciemment, entrain d’essayer (de tâtonner, de s’exercer à un style ...) un style de composition qui réunisse en lui des techniques d’écriture aptes à spécifier le mode narratif du genre littéraire : l’anecdote.

-3-Le conte édifiant : du ‘’ Livre de Kalila et Dimna”, traduit du persan en arabe par Ibn Al-Muqaffa, au livre ‘’Le tigre et Le renard”, de Sahl Ibn Harou :

Kalila et Dimna, d’Ibn Al-Muqaffa inaugurait un mode narratif nouveau et spécifique, dans la littérature arabe classique. C’était par la voie de la traduction que ce nouveau genre avait introduit la pratique de la prose narrative : ce qui était élaboré ailleurs avait fécondé la tradition arabe locale. De tous les ouvrages qui étaient traduits par Ibn Al-Muqaffa, celui-ci était resté vivant, connaissant une renommée mondiale qui ne s’était jamais démentie durant toutes les époques et à traves tous les espaces. En quoi consiste-t-il son apport ? Et à quoi attribue-t- on cette vaste et large audience

qu’il avait connue, surtout chez les arabes qui
s’étaient mis à imiter le style de sa prose et l’intrigue que dramatisait et mettait en scène sa fable?

Avant que cet ouvrage, élaboré par une autre culture, ne fût traduit en arabe, un terrain d’appel était favorable, précédent son accueil et sa réception ; les arabes cultivaient, déjà, l’art des maximes que contenaient les hémistiches dans les vers versifiés. De même la mise en scène d’animaux qui tenaient des rôles et des propos était récurrente. Mais, cette élaboration était encore lacunaire, n’ayant pas encore accédé au stade de la maturation et de la composition formelle et générique. Or, le Livre de Kalila et Dimna avait accompli un saut qualitatif dans ce sens : il déployait une suite narrative métaphorique, érigeait et présentait des cas emblématiques, attirants ou répugnants, à suivre ou à éviter, et pratiquait la symbolisation qui procurait une densité sémantique à son contenu idéel et événementiel. Il véhiculait une vision du monde, celle de la répétition cyclique et du retour du même : ce qui dominait, c’était la comparaison, le cas qui servait d’exemple ou de contre exemple, à proposer comme conduite souhaitée, à imiter ou un comportement maladroit et déviant, à éviter.

Le rapport de la littérature arabe à Kalila et Demna était un rapport d’acculturation et de relation à l’autre et à l’altérité. C’était un rapport à l’orient asiatique, comme, aujourd’hui est le rapport à l’occident européen. Pour acclimater cette œuvre aux exigences locales de la tradition qui prévalait, à l’époque classique, l’on prit vite l’initiative à transformer sa prose en vers versifiés. Car, ce qui occupait la place centrale dans la littéraire arabe classique, c’était la poésie. Pour réduire aussi sa part d’inquiétante étrangeté, l’on opinait qu’ Ibn Al-Muquaffa n’avait pas traduit ce texte mais l’avait interprété et arabisé. Ces réactions s’expliquaient par le contexte polémique et la rivalité des nations, en matière de civilisation. C’était adapter la modernité qui s’élaborait, ailleurs, sous d’autres cieux, à la tradition arabe, spécifique, locale. Ibn Hamid Al-Lahiki, contemporain d’Ibn Muqaffa, (mort en l’an 200 de l’Hégire), procéda à la versification du contenu de ce livre. Après cet auteur, Ibn Al-Habbariya (mort en l’année 509 de l’Hégire), et Abdelhamid As-Sagani(en 640, de l’Hégire) en firent de même. Ibn Al-Habbariya l’avait composé en deux milles (2000) vers. Tels étaient ces modes de réception qui avaient réservé un accueil à ce

livre qui provenait d’un autre horizon de culture. Le versifier, c’était l’accorder à la récitation orale et à la mémoire auditive active. Aujourd’hui, l’on réagit pareillement : l’on tente de concilier les techniques romanesques élaborées dans les ateliers d’écriture occidentaux avec la tradition narrative qui constitue la spécificité de la tradition arabe locale. (cf., dans les deux numéros3/4 de la revue ‘’Saisons’’=’’Foussoul’’(égyptienne), l’on peut lire un article qui a pour titre : ’’existent -elles- des caractéristiques qui spécifient le roman arabe ? ‘’, Texte écrit par Mahmoud Amine Al-Alim.

Le conte édifiant n’est pas rédigé uniquement en prose. LAFONAINE (1621-1695) composait des fables en vers. Si l’on cite les contes de cet auteur, c’est pour insinuer que cette problématique peut t se traiter dans le cadre de la littérature comparée : ceci pour retenir les traits déterminants qui spécifient les caractéristiques formelles et sémantiques de ce genre.

-4-L’apport du livre ‘’Le tigre et Le renard’’, de Sahl Ibn Harou :

Quelles sont-elles les nouvelles techniques qu’élabore le livre du ‘’tigre et du renard’’, conte édifiant, de Sahl Ibn Harou, par rapport à Kalila et Dimna, d’Ibn Al-Muqaffa ?

C’est le Professeur/Docteur Abdelkader Al-Mhiri qui a eu le mérite de débusquer ce livre, d’examiner son manuscrit, de le commenter, et de lui consacrer une copieuse introduction qui éclaire bien des aspects de ce genre littéraire :

Ce livre est composé de huit lettres (c’est donc, une épître épistolaire). Le tigre, roi de l’île, surnommé Mouthaffer Ibn Mansour prit l’initiative d’adresser cinq missives au loup, son ministre, Abi-Al-Fira qui, de son coté, envoie trois correspondances au roi, en chargeant son conseiller, le renard, Marzouk Al-Makni, de les rédiger. Si le loup a fait du renard son conseiller, c’est pour le récompenser de ses judicieux conseils qui sollicitent le roi à ce que celui-ci place son auxiliaire à gouverner une région qui appartienne au territoire placé sous son autorité. Mais, dès que le loup accède à la dignité de ce nouveau pouvoir, il se révolte contre sa majesté le roi. Le processus de ce désaccord et de cette désunion prend l’allure d’une courbe événementielle en deux étapes : la première étape, un échange de lettres s’opère entre les deux belligérants, durant trois moments successifs. Mais, le désaccord s’accentue, et la dramatisation de l’événementiel s’intensifie, et l’on recourt à la violence : le roi, le tigre, déclare la guerre à son ministre, qui lui désobéit. C’est le loup qui emporte la victoire, lors de la première bataille. Mais, un revirement de la situation s’opère :Le loup est vaincu et tué et ses acolytes capturés, y compris le renard, lors de la deuxième bataille. Le renard a échappé à la mort, et est pardonné par le roi qui l’a soumis à l’épreuve d’un examen dont il sort vainqueur ‘’grâce à la rectitude et la droiture de sa raison, à sa judicieuse logique et à l’élégance de ses propos et aux vocables sélectionnés de son lexique’’ . Le roi le récompense : il le promeut au poste de conseiller dans son cabinet. On le voit, le renard accomplit ce rôle de conseiller aussi bien auprès du ministre, le loup, que du roi, le tigre. Ce comportement est d’une symbolique riche en signification édificatrice. Le problème que pose l’écrivain Sahl Ibn Haroun, c’est la relation qu’établit la raison avec le pouvoir politique. Le contenu sémantique de cette relation se lit dans le symbole que représente le renard. Celui-ci réunit en lui deux qualités cardinales qui sont à la fois celle de Kalila et celle de Dimna. Kalila se caractérise par la probité et la fidélité (sans passivité), et Dimna se caractérise par l’intelligence,la ruse et la prise de l’initiative (sans tromperie). Le cours des événements aussi bien du dire que du faire aboutit à la fin à une conciliation équilibrée et exemplaire entre le

tigre et le renard (entre le pouvoir de l’autorité politique et l’ingéniosité de la raison conseillère). Cette polarité duelle arrive à trouver son point d’équilibre qui s’énonce en maxime proverbiale et se narre en conte ou en fable édifiant : La force physique vs l’ingéniosité mentale ; le sabre vs la plume ;la force de l’argument/l’argument de la force. Et ainsi de suite.

Ce qui importe, pourtant, de retenir, c’est l’évolution des événements selon un mode narratif bien spécifique :

Ce mode narratif se déroule selon une dynamique originale et une dramatisation intéressante, et ce grâce à l’actant, le renard qui revêt un sens symbolique, qui se révèle vers la fin du conte. Mais, déjà certains indices l’annoncent dès le début. Il se rallie au clan du loup. Mais, ce qui est intéressant, réside dans les propos qu’il a tenus, plus particulièrement ceux qu’il a placés dans les lettres qu’il a rédigées lorsqu’il est au service du loup. Durant cette première étape, il s’est exercé à accomplir sa tâche et à se préparer à une seconde étape, à pratiquer le genre épistolaire :

Le genre épistolaire est une technique à la quelle a eu recours le narrateur pour agencer l’intrigue.

Il permet aussi de doter le conte d’un système d’échange polémique qui se mue dramatiquement en une guerre meurtrière. Et, l’on sent à la lecture de ce conte ou de cette fable une narration qui se déroule avec aisance et d’une façon naturelle, sans artifices forcées et sans complications imposées. Deux protagonistes en opposition de rivalité entrent en conflit en étant l’un loin de l’autre, c’est ce qui justifie l’usage du mode épistolaire. Le contrat qui contraint le vassal à son souverain, est une relation de pouvoir. Ce protocole de pouvoir est respecté. Aussi, le recours au genre épistolaire est-il une technique appropriée pour dramatiser l’événementiel dans ce conte. Les huit lettres composent ce livre et orientent le nouage de l’intrigue. L’académicien Abdelkader Al-Mhiri met l’accent sur cet aspect .Mais, il faudrait, peut-être, exiger, davantage, une précision : l’on doit insister sur l’originalité épistolaire de l’intrigue : les lettres ne sont pas insérées comme un ajout dans le livre ou comme artifice d’écriture stylistique ou encore comme spécificité caractérisant-e tel le cas dans Kalila et Dimna. Dans ‘’le Tigre et le Renard”, les lettres forment un genre de discours littéraire. Elles sont une technique nouvelle élaborée qui complique en l’enrichissant le conte édifiant qui débute sa carrière avec Le livre de Kalila et Dimna. Il faut donc saluer cette nouvelle technique comme un acte de créativité qui caractérise l’apport d’une écriture que pratique Sahl Ibn Haroun

-5-Le conte édifiant et la maqamat.

’’Amusement des mondains et humour des plaisantins”, d’Ahmed Ben Mohamed BEN ARABCHAH Al -Hanafi .

Ce type de récit illustre le mélange des genres entre le conte édifiant et la maqamat. ’’Amusement des mondains et humour des plaisantins”, d’Ahmed Ben Mohamed BEN ARABCHAH Al –Hanafi, (mort l’an 854, de l’Hégire), en est un exemple unique, frappant et original. Pourtant, la critique littéraire l’avait marginalisé et n’en avait parlé que d’une façon allusive. Il fut presque oublié. Il ne figurait pas dans le corpus

des récits classiques cités. Aussi, la recherche littéraire devrait-elle s’en occuper : étudier minutieusement le manuscrit, le commenter, et l’inscrire dans le contexte obscur où il avait émergé. Cette initiative si elle était prise, son statut littéraire aurait été régularisé. Ce qui avait été dit sur ce livre était succinct et lacunaire : une lecture devrait être exigeante et approfondie si elle voulait être littéraire. Car considérer les récits de ce livre des ‘’anecdotes” amusantes, c’est s’aveugler sur les caractéristiques majeures qui le spécifient. En outre, sa visée n’est pas principalement pédagogique, comme le cas est du conte édifiant. Maximes et proverbes sont proférés par la bouche des animaux, et même par les roches, la substance inorganique, le minéral. Les personnes qui s’étaient intéressées à cet ouvrage, l’avaient considéré de l’extérieur : pour elles , il était de la veine littéraire de ‘’Kalila et Dimna” .Pour d’autres, ce n’était qu’une traduction libre du livre ’’Morizban Naima”, de Saad Eddine Al-Wartani, qui était influencé par ‘’Kalila et Dimna” : selon ce qu’avait soutenu Mohamed Gofrani Kourassani .

L’auteur, Ibn ARBACHAH, de ce livre déclarait qu’il avait amassé dans son texte les informations qui lui parvenaient de la bouche des narrateurs rencontrés, les trésors importés des pays visités et des connaissances rapportées par Abi Al-Mahassen Hassen. Or, Abi Al-Mahassen Hassen n’était qu’un être de papier, anonyme, positionné dans le récit, en en fonction de narrateur, à qui était délégué l’acte de conter des histoires et de transmettre des connaissances qui étaient en sa possession. Ces propos, si concis et lapidaires, émis par l’auteur, faisaient allusion au mélange des genres que pratiquait ce livre : le conte édifiant fusionnait avec le maqamat. D’un coté, domine la rhétorique sophistiquée, la construction de la phrase soutenue, l’expression élégante, la richesse du vocabulaire rare, et le style rimé qui caractérisent la maqamat, et de l’autre, l’usage de la technique narrative : le récit cadre qui caractérisait ‘’Mille et une Nuits” ainsi que ‘’Kalila et Dimna”. C’était la culture indienne qui avait élaboré cette technique du récit dans le récit. Mais, c’était par l’intermédiaire de la culture persane qu’elle s’était introduite dans la littérature arabe classique. L’auteur de ce livre était conscient de son apport et du projet fondateur ou réformateur de son livre : il indiquait d’une façon allusive qu’il mélangeait des registres : aussi le nommé Abi Al-Mahassen Hassen, était-il érigé en narrateur qui amassait d’ici, de là, des informations qu’il tenait de la bouche des autres, ou que lui-même avait observé des faits, ou colporté des trésors, et importé des connaissances de différents lieux, endroits et pays. Il régissait en conteur l’acte narratif qui orientait le récit et enrichi par cette densité intertextuelle dissoute d’une manière alchimique. Une analyse littéraire détaillée qui interrogerait le texte de l’intérieur, serait, elle seule, en mesure de porter un jugement adéquat exact et judicieux sur ce texte. Ce texte insère et inclut son apport dans la continuité du contexte littéraire classique arabe local. Car, avant même que ‘’Kalila et Dimna”ne soit traduit, il existait, dans la tradition littéraire arabe classique, des propos proverbiaux que proféraient les animaux dans un contexte textuel qui les mettait en scène. En outre, le livre d’ Ibn Al-Arabchah se distinguait de celui d’Ibn Al-Muquaffa : l’auteur de ce livre était un poly logue, il parlait trois langues, le persan, le romain, et l’arabe ; il voyageait constamment entre Damas, Samarkand, et l’Egypte. Aussi, les propos qu’il tenait étaient-elles d’une certaine crédibilité historique narrative. Donc, le jugement qui considérait ce livre une simple adaptation du livre ”La Morizban Naima” serait hâtif, ne l’ayant pas interrogé de l’intérieur.

Car, cet auteur, lui-même déclarait qu’il avait composé son livre, que son ouvrage comportait et réunissait en sa textualité ce que les narrateurs avaient transmis à Abi

Al-Mahassen Hassen, le conteur, retenu les dires et les dits des voyageurs rencontrés, enregistré les témoignages sur les pays visités : ceci pourrait vouloir dire que l’auteur de ce livre tout en étant transmetteur , il est à la fois chroniquer, narrateur et créateur .

De même, son apport consistait aussi à arabiser son livre et à l’islamiser en quelque sorte en conférant un aspect religieux à son texte: quand des dilemmes faisaient difficulté et des paradoxes insolubles surgissaient de tout bord, l’on recourait à la citation d’un verset coranique pour faire admettre ce que la raison raisonnante n’admettait pas, et pour approuver ces miracles et ces prodiges qui ne pourraient être vus que par le regard averti d’une personne exercée à la pratique de la foi . C’est donc un livre qui opérait dans la continuité de l’arabisation et l’islamisation qui avaient débutées avec Ibn Al-Muquaffa. BEN ARABCHAH Al –Hanafi accentue cette tendance, en imprégnant son texte et son dire énonciatif d’une tonalité mystique. De même, la dimension politique est présente d’une façon tangible.

Cet écrivain reconnaissait l’apport de ses prédécesseurs, mais il déclarait que leur dire était tombé en désuétude, que leur époque littéraire était irrémédiablement dépassée ou passée de mode, et que ce qu’ils avaient composé appartenait désormais au domaine des lieux communs.

En somme, ce livre constitue un point lumineux .Il se range dans un genre qui opère le mélange du conte d’édification, à visée pédagogique, où le recours au merveilleux permet de mettre sur la bouche des animaux des maximes et des proverbes, d’un coté, et de l’autre, il fait usage de la rhétorique élégante, du lexique recherché, de la syntaxe soutenue, qui caractérisent la maqamat, à visée linguistique. Tout en continuant sur la même lancée traditionnelle, il opère une démarcation qui distingue la spécificité de sa technique qui joue avec le mélange des genres.

Pourtant la poussière d’oubli avait enseveli cet ouvrage : différents facteurs s’étaient légués contre cet auteur. L’on ne savait que trop les raisons qui avaient causé sa marginalisation littéraire qui avait fait dérober son livre à la porté du regard de la critique classique et même dans une certaine mesure moderne.

-6-Mille et une nuits et le conte merveilleux :

Il est superflu de dire que Kalila et Dimna n’était pas le seul ouvrage qui s’était introduit dans la littérature arabe provenant de la culture d’une autre nation. Mille et une nuits avait effectué, lui aussi, le même parcours. D’après Ibn Annadim, Le noyau matriciel central narratif de cet ouvrage fit irruption dans la littérature arabe classique dans sa version traduite. L’on ne se lassait pas d’épiloguer, sans arrêt, sur cet ouvrage .L’on ne cessait de le comparer à Klila et dimna.

Ce qui était admis unanimement, c’était que plusieurs genres littéraires se côtoyaient dans ‘’Mille et une nuits”, y compris et le conte d’édification et le conte merveilleux ; mais, celui-ci occupait le volume le plus vaste de l’espace textuel : le titre, déjà, focalisait, essentiellement, sur le genre merveilleux. Le conte merveilleux et le conte d’édification étaient deux genres littéraires qui parvenaient de la culture indoue, mais c’est en traversant, dans leur passage, l’étape intermédiaire persane, qu’ils purent

s’introduire dans la culture arabe classique. L’on avait arabisé et islamisé le contenu de ces deux œuvres. Et l’on constatait que cette transformation était plus profonde dans les Nuits, même les structures formelles étaient modifiées, que dans ‘’Kalila et Dimna’’ . Mais, ces deux genres connurent deux sorts différents. L’on avait valorisé le conte d’édification, tandis que l’on avait accordé peu d’intérêt au conte merveilleux. Ceci s’expliquerait-il, peut-être, par le mode de réception qui sévissait à l’époque classique, par l’interaction entre deux cultures, et par le mode d’assimilation et d’intégration qu’opérait une tradition littéraire qui allait à la rencontre d’ une autre, toute différente, jusqu’au système rhétorique : confronté à un autre. Mais, ceci s’expliquerait, aussi, par une théorie de l’imaginaire.

Que l’on se souvienne de quelques avis, les plus en vue, émis par les classiques : ils nous permettaient de dire que ‘’les Nuits’’comportaient un merveilleux produit par un imaginaire qui transgressait les normes, les lois et les cadres fixés par la raison. Cet élan transgressif permettait de se libérer du réel par cet imaginaire littéraire qui avait fictionnalisé ces contes merveilleux. Cet aspect était en contradiction avec le contenu du conte d’édification qui conseillait la sagesse raisonnable, qui érigeait le cas narré, le retenait et le mettait en scène par la fiction, afin qu’il devienne un modèle à reproduire, à répéter, à prendre en exemple à suivre, ou à éviter. Si le processus narratif du conte merveilleux tendait à s’affranchir par l’imaginaire, celui du conte d’édification tendait à la répétition, à la reproduction du même : la position qui était prise par Abi Abdallah Al-Yamani était révélatrice : il accusait Ibn –Al Muquaffa de s’être emparé de la sagesse arabe, d’avoir usurpé maximes et proverbes et d’avoir même plagié Aristote. Al-Massoudi (mort en 346, de l’Hégire) considérait que les Nuits contenaient des récits engendrés par des légendes fictionnalisées et mises en contes. Tandis que Ibn An-Nadim (mort juste après l’an 400 de l’Hégire) portait un jugement surprenant sur ‘’Les Nuits’’ : il considérait que ce livre était ‘’déplaisant, indigeste et d’un style froid ‘’. Ce jugement bien qu’il soit concis, bref et d’un impressionnisme ambigu, il n’échappait pas à l’interprétation. Ce jugement était émis dans le cotexte qui établissait un rapport de valorisation, privilégiant ‘’Kalila et Dimna’’ à celui des ‘’Nuits’’, bien qu’ils soient tous les deux des contes pour ‘’les veillées’’ : ‘’Klila et Dimna’’ n’appartenait au genre ‘’conte” que d’un point de vue formel : car, les contes qu’il débitait participeraient et de la rhétorique et du symbolique, qui étaient des outils dont se servait la raison ; ce n’étaient, donc, pas des contes narrés pour eux –mêmes. Tandis que les Nuis étaient connues par ce merveilleux transgressif qui les spécifiait : un merveilleux qui était en état de collusion avec la raison qui se servait de la rhétorique et du symbolique. Les propos de Twhidi ( mort en l’an 414,de l’Hégire) corroborait cette dichotomie : le jugement que portait At-Tawhidi sur ‘’Les Nuis’’ reconduisait fidèlement l’avis qui avait été déjà émis par Al-Jahiz sur les fables, les légendes, les superstitions et sur les ‘’aaribs’’, sur cette majorité écrasante de gens incultes, et sur ces ignorants analphabètes qui croyaient aux djinns et aux ogres.Il s’était opéré en quelque sorte une arabisation de ce merveilleux imaginaire à fin que l’inquiétante étrangeté de l’ailleurs s’atténue et soit assimilée par l’ici, local. L’un de ces textes, Kalila et Dimna, avait été arabisé par l’écriture, bien que l’on eût tenté de l’oraliser par moments. Il devint alors un modèle d’écriture pour les écrivains prosateurs. Mais, le conte merveilleux connut un autre destin, à l’opposé du conte d’édification : il s’adressait non pas à des gens adultes, mûrs et raisonnables mais aux enfants, aux femmes et à la masse populaire. Il n’était pas considéré comme une œuvre littéraire à part entière. On l’avait rangé dans le système oral, qui avait ses espaces libres, ses modes variés de communication et ses sources d’approvisionnement multiples : alors, le merveilleux arabe tout autant que le

merveilleux exotique des autres nations du monde ainsi que ce qui fut négligé et rejeté par la littérature consacrée, en furent recueillis, reconsidérés et revalorisés : le conte merveilleux rejoignit le conte populaire, établit des rapports étroits avec les écritures de la tradition judéo –chrétienne, et même avec l’apport mythique qui avait précédé l’avènement des religions monothéistes dans l’histoire, et ce que contenaient des livres qui provenaient de l’Inde, des pays des roumains ; surtout et essentiellement ceux qui portaient ces titres qu’avait cités et confirmés Ibn Annadim. ’Les Nuits” deviennent alors un livre cosmopolite, un livre mondialement lu, selon le point de vue émis Par Borges, l’écrivain argentin. C’est ouvrage qui ne cessait d’opérer des influences notables sur les différentes littératures et sur les divers arts.

La naissance du genre narratif, le récit arabe, se réduit-il au conte d’édification et au conte merveilleux ? L’enquête sur les genres fondateurs se poursuit...

Par : Abdelaziz BEN ARFA


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